Mes travaux sont collectifs et s'insèrent dans un projet de recherche sur l'accueil des réfugiés en Europe financé par la région Pays de la Loire. Ils sont de natures diverses, allant du livre pour enfant à des écrits plus techniques sur le secours en mer, les pratiques d'encampement aux frontières, le droit d'asile en outre-mer ou les déplacés environnementaux.
Notre clinique juridique a publié un rapport en janvier 2020 aux côtés d'un groupe d'experts dirigé par M. Pascal Brice, au sujet de la conformité des politiques migratoires avec les exigences de la République. Dans ce rapport, nous avons constaté l'état du droit d'asile et des migrations en France et en Europe, et identifié quelques grandes priorités. J'en évoquerai certaines aujourd'hui.
Ce rapport ne cherche pas à révolutionner le droit mais à faire respecter l'existant. Il vise à développer des voies légales d'accès au territoire européen, à assurer l'effectivité de l'accès à l'asile en France, à construire une protection environnementale et humanitaire complémentaire, et à sortir des rigidités du travail concernant la migration.
Les visas constituent une problématique en ce qui concerne l'arrivée légale en France. Les consulats doivent appliquer le droit de l'Union européenne avec le code communautaire Schengen et le droit français concernant l'attribution des visas de long séjour. Or, dans ces consulats semblent régner un réel sentiment d'impunité et une culture du secret qui confond le discrétionnaire et l'arbitraire. La France a beau posséder le troisième réseau diplomatique mondial, il apparaît que les consulats sont pour la plupart totalement sinistrés en matière de visas, par manque de moyens ou parce que les instructions restent confidentielles.
Trois questions se posent à cet égard. Tout d'abord, la France délivre un visa humanitaire, aux fins de demande d'asile, qui ne repose sur aucun fondement juridique français ou européen. Le ministère de l'intérieur communique sur les chiffres concernant ce visa avec des catégorisations qui manquent par conséquent de clarté. Il faut donc élaborer un régime juridique stable pour ces visas humanitaires, soit à l'échelle européenne pendant la présidence française, soit à l'échelle nationale, le code communautaire Schengen donnant prérogative aux États pour créer des visas de long séjour.
Un tel visa, appuyé sur un régime juridique, permettrait de lutter contre le très lucratif trafic de migrants, dont la difficulté à obtenir des visas contribue à enrichir les réseaux transnationaux. La France pourrait ainsi respecter les engagements internationaux contenus dans le protocole de Palerme de 2000 contre le trafic de migrants. Cela éviterait également à des États membres de l'Union européenne des poursuites pour complicité de crime contre l'humanité commis par les garde-côtes libyens. Enfin, la question sécuritaire serait traitée en amont, par les consulats, puisque les migrants sont de plus en plus perçus par l'opinion publique et politique en Europe comme des indésirables ou des menaces. La très forte visibilité des arrivées irrégulières alimente cette vision contemporaine. Des moyens existent pour lutter contre les arrivées irrégulières et établir des régimes de voie légale et sécurisée.
Un tel régime juridique devrait préciser d'une part la nature du visa humanitaire et d'autre part ses critères de délivrance : ces derniers pourraient porter sur le risque grave de traitement inhumain et dégradant dans le pays d'origine, sur la vulnérabilité ou la sécurité. Il faudrait aussi identifier les procédures à suivre, tant elles sont opaques, et harmoniser pour commencer les présentations des différents types de visas par les sites Internet des consulats. Il existe à l'ambassade du Pakistan un visa OFII-OFPRA : nous ignorons ce dont il s'agit, les visas n'ayant pas toujours la même appellation d'un pays à l'autre.
Ce visa humanitaire ne concerne pas uniquement des demandeurs d'asile. Il permettrait d'intégrer des personnes en situation de grande détresse humanitaire, des victimes de traite et des déplacés environnementaux à l'échelle internationale.
La réunification familiale pose une deuxième problématique concernant les visas, ce que nous rappelle l'actualité de la question afghane. Depuis trois ans, des personnes attendent un visa pour rejoindre un parent ou un conjoint bénéficiaire d'une protection en France. Cette procédure doit être déclenchée dans le pays d'origine auprès des services consulaires, ce qui pose des difficultés quand il s'agit d'enfants mineurs seuls qui doivent initier la procédure. Les lourdeurs administratives sont liées à l'insuffisance de personnel consulaire et à la fermeture des ambassades dans les pays en situation de crise ou de conflit armé. Par exemple, des dossiers ont été transférés de Kaboul à Islamabad au Pakistan, dont l'ambassade a fermé en raison des manifestations contre la France. Puis la crise sanitaire a eu lieu, les effectifs ont été réduits et depuis le 14 juillet, aucun rendez-vous n'est disponible. Les demandeurs de visas afghans ont été réorientés vers Téhéran ou New Delhi.
La démarche administrative de demande de visa est très compliquée pour des ressortissants afghans qui ne maîtrisent ni la langue française ni l'outil numérique. Les engagements internationaux de la France en matière de réunification familiale sont rendus largement ineffectifs, en raison des délais mais également pour des questions de lutte contre la fraude à l'état civil. Cette question préoccupe en effet fortement l'administration. Pour établir des liens familiaux, l'administration pourrait étudier la possession d'état : quand on ne dispose pas de documents d'état civil, il est possible d'établir par tout moyen son identité filiale, ce qui relève de conventions internationales. Le contentieux montre que ce n'est généralement pas le cas. Le tribunal administratif de Nantes annule 38 % des refus de visa en la matière. En l'absence de documents d'état civil valides ou lorsque la possession d'état n'a pas été vérifiée ou confirmée, reste alors la solution d'un test ADN pour établir la filiation. Or l'ordonnance de décembre 2020 a fait disparaître tout statut réglementaire ou légal pour ces tests, dont l'encadrement devait relever d'un décret de 2008 qui n'a jamais été adopté. On ignore tout de ce système juridique : qui peut faire des tests ADN dans les pays d'origine ? Quels sont les laboratoires agréés ? Qui reçoit les tests ? Qui les ordonne ? Par conséquent, des enfants peuvent attendre pendant plusieurs années de rejoindre leurs parents.
Enfin, sur la question de la dématérialisation concernant les visas, les avis divergent. Pour certains, la dématérialisation pose des obstacles multiples liés notamment à l'accès au numérique. Pour d'autres, elle permet d'éviter aux ressortissants plusieurs déplacements physiques qui peuvent être dangereux dans l'ambassade du pays voisin, et les dispense de solliciter des visas coûteux dans ces pays, par exemple le Pakistan et l'Inde pour les Afghans.
Ces procédures de dématérialisation sont-elles une bonne idée ? Une semaine en moyenne est nécessaire pour comprendre les instructions, et une autre pour solliciter un rendez-vous, qu'il faut parfois un an pour obtenir. Certains consulats ne répondent pas, comme celui de Djibouti. À Khartoum, il faut six à huit mois pour obtenir un rendez-vous. Du point de vue juridique, la dématérialisation est insatisfaisante, car la procédure de demande de visa commence par un mail adressé à un consulat. Or, ce mail ne constitue pas une demande enregistrée, et ne permet pas de recours juridique. Cette situation s'oppose totalement à celle de l'État de droit, et relève de l'arbitraire et non du discrétionnaire qui est encadré par le droit.
Les prestataires extérieurs constituent également une difficulté. Il peut s'agir d'agents locaux, d'une ethnie majoritaire, auxquels une personne menacée ne souhaitera pas fournir des éléments sur son identité, son parcours, ou les menaces qu'elle subit. De plus, la France fait appel à deux prestataires numériques, VFS, une entreprise multinationale située à Dubaï, et à France-Visas. Ces derniers temps, VFS est quasiment inaccessible du fait du trop grand nombre de sollicitations, et n'existe qu'en trois versions linguistiques. Ce site soulève aussi un problème de collecte des données biométriques. Enfin, il faut rappeler que le code communautaire des visas impose aux États une alternative à la dématérialisation et un accès direct et physique aux consulats. Le Conseil d'État a suivi la même logique en novembre 2019 en exigeant qu'un accès physique et direct aux préfectures soit maintenu en France pour les demandes de titres de séjour. Aucune de ces deux exigences n'est respectée dans la pratique.
Des voies légales d'accès au territoire existent donc et apparaissent dans les priorités à l'échelle internationale. L'ONU encourage le développement de voies régulières d'accès dans le cadre de ses deux pactes mondiaux sur les réfugiés et l'immigration. Des programmes de réinstallation accrus ainsi que des parrainages privés et publics sont établis dans ce sens. Le HCR, l'ONU, et l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF) ont proposé une initiative pour mettre en place des couloirs universitaires afin d'accueillir dans des conditions sécurisées des étudiants réfugiés dans un premier pays d'accueil. Clermont-Ferrand accueille ainsi les premiers étudiants réfugiés en la matière.
Une fois arrivées sur le territoire, les personnes doivent avoir accès au travail. La directive Accueil de l'Union européenne est inconditionnelle : les États doivent garantir un accès effectif au marché du travail, avec des conditions de délai.
La complexité des titres de séjour pose un premier problème. Une loi récente a créé une carte temporaire de salarié pour les personnes en CDI, qui doit se distinguer de la carte de travailleur temporaire pour les employés en CDD. En pratique, les préfectures délivrent indifféremment les deux types de cartes, provoquant d'immenses complexités pour les jeunes majeurs. À 18 ans, la carte de travailleur temporaire ne leur permet pas de s'inscrire à Pôle Emploi et le renouvellement de leur carte demande des conditions qu'ils ne remplissaient pas tous l'année précédente. Arrivés à 19 ans, ils tombent dans l'irrégularité au regard de la loi, et leur intégration par le travail est bloquée. Pour renouveler les deux premières fois la carte de salarié, les personnes en CDI doivent occuper un poste dans la même région, au sein de la même entreprise, selon les mêmes conditions de travail, avec un salaire égal ou supérieur. Toute mobilité dans l'entreprise des personnes en CDI est bloquée. Ces pratiques administratives sont trop complexes aussi pour les employeurs.
Enfin, la liste des métiers en tension liée à l'opposabilité du marché, dont l'élaboration remonte à 2008, nécessiterait d'être revue et réactualisée tous les deux ans par exemple, dans une approche régionale tenant compte des besoins locaux.
Pour conclure, je souhaite attirer votre attention sur le droit international concernant le régime des frontières. Des migrants sont retenus dans des zones aux frontières développées par les États, hors-sol, extraterritoriales. Appelées zones de transit, d'attente, centres d'accueil, hotspots, elles suivent la même logique d'extension de l'encampement aux frontières, ce que la Cour de justice européenne condamne régulièrement. L'extraterritorialisation est croissante. Ces migrants sont réputés ne pas être entrés sur le territoire : dès lors, le droit à l'accueil qui découle de l'Union européenne et de la Constitution, au dépôt d'une demande d'asile, à un accompagnement social et juridique, aux soins, à un interprète, a tendance à ne pas s'appliquer. Le droit de l'éloignement avec le droit au juge est là aussi particulièrement complexe. Les institutions de l'Union européenne, dans les propositions de la Commission, prennent le chemin d'une généralisation de ces pratiques aux frontières, condamnées par les juges européens.