La réunion

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La réunion débute à dix-sept heures.

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Nous reprenons cette troisième séance de l'après-midi avec Mme Bérangère Taxil, professeure d'université en droit public et directrice de Master 2 en droit international et européen du centre Jean Bodin de l'université d'Angers.

Je rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(Mme Bérangère Taxil prête serment.)

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Bérangère Taxil, professeure d'université en droit public et directrice de Master 2 en droit international et européen, Centre Jean Bodin de l'Université d'Angers

Mes travaux sont collectifs et s'insèrent dans un projet de recherche sur l'accueil des réfugiés en Europe financé par la région Pays de la Loire. Ils sont de natures diverses, allant du livre pour enfant à des écrits plus techniques sur le secours en mer, les pratiques d'encampement aux frontières, le droit d'asile en outre-mer ou les déplacés environnementaux.

Notre clinique juridique a publié un rapport en janvier 2020 aux côtés d'un groupe d'experts dirigé par M. Pascal Brice, au sujet de la conformité des politiques migratoires avec les exigences de la République. Dans ce rapport, nous avons constaté l'état du droit d'asile et des migrations en France et en Europe, et identifié quelques grandes priorités. J'en évoquerai certaines aujourd'hui.

Ce rapport ne cherche pas à révolutionner le droit mais à faire respecter l'existant. Il vise à développer des voies légales d'accès au territoire européen, à assurer l'effectivité de l'accès à l'asile en France, à construire une protection environnementale et humanitaire complémentaire, et à sortir des rigidités du travail concernant la migration.

Les visas constituent une problématique en ce qui concerne l'arrivée légale en France. Les consulats doivent appliquer le droit de l'Union européenne avec le code communautaire Schengen et le droit français concernant l'attribution des visas de long séjour. Or, dans ces consulats semblent régner un réel sentiment d'impunité et une culture du secret qui confond le discrétionnaire et l'arbitraire. La France a beau posséder le troisième réseau diplomatique mondial, il apparaît que les consulats sont pour la plupart totalement sinistrés en matière de visas, par manque de moyens ou parce que les instructions restent confidentielles.

Trois questions se posent à cet égard. Tout d'abord, la France délivre un visa humanitaire, aux fins de demande d'asile, qui ne repose sur aucun fondement juridique français ou européen. Le ministère de l'intérieur communique sur les chiffres concernant ce visa avec des catégorisations qui manquent par conséquent de clarté. Il faut donc élaborer un régime juridique stable pour ces visas humanitaires, soit à l'échelle européenne pendant la présidence française, soit à l'échelle nationale, le code communautaire Schengen donnant prérogative aux États pour créer des visas de long séjour.

Un tel visa, appuyé sur un régime juridique, permettrait de lutter contre le très lucratif trafic de migrants, dont la difficulté à obtenir des visas contribue à enrichir les réseaux transnationaux. La France pourrait ainsi respecter les engagements internationaux contenus dans le protocole de Palerme de 2000 contre le trafic de migrants. Cela éviterait également à des États membres de l'Union européenne des poursuites pour complicité de crime contre l'humanité commis par les garde-côtes libyens. Enfin, la question sécuritaire serait traitée en amont, par les consulats, puisque les migrants sont de plus en plus perçus par l'opinion publique et politique en Europe comme des indésirables ou des menaces. La très forte visibilité des arrivées irrégulières alimente cette vision contemporaine. Des moyens existent pour lutter contre les arrivées irrégulières et établir des régimes de voie légale et sécurisée.

Un tel régime juridique devrait préciser d'une part la nature du visa humanitaire et d'autre part ses critères de délivrance : ces derniers pourraient porter sur le risque grave de traitement inhumain et dégradant dans le pays d'origine, sur la vulnérabilité ou la sécurité. Il faudrait aussi identifier les procédures à suivre, tant elles sont opaques, et harmoniser pour commencer les présentations des différents types de visas par les sites Internet des consulats. Il existe à l'ambassade du Pakistan un visa OFII-OFPRA : nous ignorons ce dont il s'agit, les visas n'ayant pas toujours la même appellation d'un pays à l'autre.

Ce visa humanitaire ne concerne pas uniquement des demandeurs d'asile. Il permettrait d'intégrer des personnes en situation de grande détresse humanitaire, des victimes de traite et des déplacés environnementaux à l'échelle internationale.

La réunification familiale pose une deuxième problématique concernant les visas, ce que nous rappelle l'actualité de la question afghane. Depuis trois ans, des personnes attendent un visa pour rejoindre un parent ou un conjoint bénéficiaire d'une protection en France. Cette procédure doit être déclenchée dans le pays d'origine auprès des services consulaires, ce qui pose des difficultés quand il s'agit d'enfants mineurs seuls qui doivent initier la procédure. Les lourdeurs administratives sont liées à l'insuffisance de personnel consulaire et à la fermeture des ambassades dans les pays en situation de crise ou de conflit armé. Par exemple, des dossiers ont été transférés de Kaboul à Islamabad au Pakistan, dont l'ambassade a fermé en raison des manifestations contre la France. Puis la crise sanitaire a eu lieu, les effectifs ont été réduits et depuis le 14 juillet, aucun rendez-vous n'est disponible. Les demandeurs de visas afghans ont été réorientés vers Téhéran ou New Delhi.

La démarche administrative de demande de visa est très compliquée pour des ressortissants afghans qui ne maîtrisent ni la langue française ni l'outil numérique. Les engagements internationaux de la France en matière de réunification familiale sont rendus largement ineffectifs, en raison des délais mais également pour des questions de lutte contre la fraude à l'état civil. Cette question préoccupe en effet fortement l'administration. Pour établir des liens familiaux, l'administration pourrait étudier la possession d'état : quand on ne dispose pas de documents d'état civil, il est possible d'établir par tout moyen son identité filiale, ce qui relève de conventions internationales. Le contentieux montre que ce n'est généralement pas le cas. Le tribunal administratif de Nantes annule 38 % des refus de visa en la matière. En l'absence de documents d'état civil valides ou lorsque la possession d'état n'a pas été vérifiée ou confirmée, reste alors la solution d'un test ADN pour établir la filiation. Or l'ordonnance de décembre 2020 a fait disparaître tout statut réglementaire ou légal pour ces tests, dont l'encadrement devait relever d'un décret de 2008 qui n'a jamais été adopté. On ignore tout de ce système juridique : qui peut faire des tests ADN dans les pays d'origine ? Quels sont les laboratoires agréés ? Qui reçoit les tests ? Qui les ordonne ? Par conséquent, des enfants peuvent attendre pendant plusieurs années de rejoindre leurs parents.

Enfin, sur la question de la dématérialisation concernant les visas, les avis divergent. Pour certains, la dématérialisation pose des obstacles multiples liés notamment à l'accès au numérique. Pour d'autres, elle permet d'éviter aux ressortissants plusieurs déplacements physiques qui peuvent être dangereux dans l'ambassade du pays voisin, et les dispense de solliciter des visas coûteux dans ces pays, par exemple le Pakistan et l'Inde pour les Afghans.

Ces procédures de dématérialisation sont-elles une bonne idée ? Une semaine en moyenne est nécessaire pour comprendre les instructions, et une autre pour solliciter un rendez-vous, qu'il faut parfois un an pour obtenir. Certains consulats ne répondent pas, comme celui de Djibouti. À Khartoum, il faut six à huit mois pour obtenir un rendez-vous. Du point de vue juridique, la dématérialisation est insatisfaisante, car la procédure de demande de visa commence par un mail adressé à un consulat. Or, ce mail ne constitue pas une demande enregistrée, et ne permet pas de recours juridique. Cette situation s'oppose totalement à celle de l'État de droit, et relève de l'arbitraire et non du discrétionnaire qui est encadré par le droit.

Les prestataires extérieurs constituent également une difficulté. Il peut s'agir d'agents locaux, d'une ethnie majoritaire, auxquels une personne menacée ne souhaitera pas fournir des éléments sur son identité, son parcours, ou les menaces qu'elle subit. De plus, la France fait appel à deux prestataires numériques, VFS, une entreprise multinationale située à Dubaï, et à France-Visas. Ces derniers temps, VFS est quasiment inaccessible du fait du trop grand nombre de sollicitations, et n'existe qu'en trois versions linguistiques. Ce site soulève aussi un problème de collecte des données biométriques. Enfin, il faut rappeler que le code communautaire des visas impose aux États une alternative à la dématérialisation et un accès direct et physique aux consulats. Le Conseil d'État a suivi la même logique en novembre 2019 en exigeant qu'un accès physique et direct aux préfectures soit maintenu en France pour les demandes de titres de séjour. Aucune de ces deux exigences n'est respectée dans la pratique.

Des voies légales d'accès au territoire existent donc et apparaissent dans les priorités à l'échelle internationale. L'ONU encourage le développement de voies régulières d'accès dans le cadre de ses deux pactes mondiaux sur les réfugiés et l'immigration. Des programmes de réinstallation accrus ainsi que des parrainages privés et publics sont établis dans ce sens. Le HCR, l'ONU, et l'Agence universitaire de la Francophonie (AUF) ont proposé une initiative pour mettre en place des couloirs universitaires afin d'accueillir dans des conditions sécurisées des étudiants réfugiés dans un premier pays d'accueil. Clermont-Ferrand accueille ainsi les premiers étudiants réfugiés en la matière.

Une fois arrivées sur le territoire, les personnes doivent avoir accès au travail. La directive Accueil de l'Union européenne est inconditionnelle : les États doivent garantir un accès effectif au marché du travail, avec des conditions de délai.

La complexité des titres de séjour pose un premier problème. Une loi récente a créé une carte temporaire de salarié pour les personnes en CDI, qui doit se distinguer de la carte de travailleur temporaire pour les employés en CDD. En pratique, les préfectures délivrent indifféremment les deux types de cartes, provoquant d'immenses complexités pour les jeunes majeurs. À 18 ans, la carte de travailleur temporaire ne leur permet pas de s'inscrire à Pôle Emploi et le renouvellement de leur carte demande des conditions qu'ils ne remplissaient pas tous l'année précédente. Arrivés à 19 ans, ils tombent dans l'irrégularité au regard de la loi, et leur intégration par le travail est bloquée. Pour renouveler les deux premières fois la carte de salarié, les personnes en CDI doivent occuper un poste dans la même région, au sein de la même entreprise, selon les mêmes conditions de travail, avec un salaire égal ou supérieur. Toute mobilité dans l'entreprise des personnes en CDI est bloquée. Ces pratiques administratives sont trop complexes aussi pour les employeurs.

Enfin, la liste des métiers en tension liée à l'opposabilité du marché, dont l'élaboration remonte à 2008, nécessiterait d'être revue et réactualisée tous les deux ans par exemple, dans une approche régionale tenant compte des besoins locaux.

Pour conclure, je souhaite attirer votre attention sur le droit international concernant le régime des frontières. Des migrants sont retenus dans des zones aux frontières développées par les États, hors-sol, extraterritoriales. Appelées zones de transit, d'attente, centres d'accueil, hotspots, elles suivent la même logique d'extension de l'encampement aux frontières, ce que la Cour de justice européenne condamne régulièrement. L'extraterritorialisation est croissante. Ces migrants sont réputés ne pas être entrés sur le territoire : dès lors, le droit à l'accueil qui découle de l'Union européenne et de la Constitution, au dépôt d'une demande d'asile, à un accompagnement social et juridique, aux soins, à un interprète, a tendance à ne pas s'appliquer. Le droit de l'éloignement avec le droit au juge est là aussi particulièrement complexe. Les institutions de l'Union européenne, dans les propositions de la Commission, prennent le chemin d'une généralisation de ces pratiques aux frontières, condamnées par les juges européens.

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Je tiens à saluer tous les chercheurs venus nous apporter leurs compétences et leurs expériences de terrain. Nous considérons que les politiques doivent davantage vous entendre et nous appuyer sur vos travaux.

Nous avons organisé une table ronde au sujet des visas et échangé avec des ambassadeurs. M. Sébastien Nadot et moi nous sommes rendus au consulat de Bagdad. Nous avons constaté des disparités d'un consulat à l'autre, dans les libellés des visas.

Vous nous rappelez également l'existence et le développement des zones de non-droit aux frontières. Les États tendent à se rejeter la responsabilité de ces territoires les uns aux autres, et j'aimerais vous entendre plus avant sur ce point.

Nous souhaiterions aussi plus de détails concernant l'établissement de couloirs universitaires. Enfin, j'ai travaillé dans la recherche. Les conditions salariales n'y sont pas toujours à la hauteur d'autres pays, anglophones notamment. Notre niveau de publication est pourtant élevé et je tiens à vous témoigner la reconnaissance des représentants de la nation. Quelle est votre méthodologie de travail sur le terrain ? Disposez-vous des moyens de faire des études qualitatives, quantitatives ? Je considère que la fonction universitaire n'a pas toujours les moyens d'aller au bout de ses recherches.

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Bérangère Taxil, professeure d'université en droit public et directrice de Master 2 en droit international et européen, Centre Jean Bodin de l'Université d'Angers

Je vous remercie pour votre empathie à l'égard de la société universitaire. Je remercie aussi la région Pays de la Loire qui a financé une partie de nos recherches. Nous travaillons de manière collective et pluridisciplinaire. Sur la question de l'asile et de l'immigration, les juristes sont rares. Ils sont utiles mais loin du terrain. Par conséquent, il nous est indispensable de travailler avec des chercheurs issus d'autres disciplines, comme la géographie ou la sociologie. Il faut décloisonner le monde universitaire et travailler davantage avec des acteurs de terrain. Quand nous disposons des moyens suffisants, nous effectuons des missions de terrain, et sommes par exemple allés au Canada et en Grèce.

Les visas OFII-OFPRA correspondent à ce visa au titre de l'asile sans fondement juridique, aussi appelé visa humanitaire. Il existe un fondement juridique dans le code communautaire à la délivrance de visas pour des motifs humanitaires, mais pour des visas de moins de trois mois. Les juges de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice de l'Union européenne ont déclaré que ces visas de court séjour Schengen ne sont pas des fondements juridiques pertinents pour demander l'asile ou pour des motifs de détresse humanitaire. Ces visas sont délivrés en nombre restreint et de manière opaque. Le ministère de l'intérieur a publié les chiffres suivants le 15 juin 2021 : en 2016, 17 visas ont été délivrés ; 36 en 2017, 402 en 2018, 1 372 en 2019. Le chiffre augmente. Mais 58 visas ont été délivrés en 2011, et 229 en 2013. Ces chiffres sont variables, et infimes rapportés à la totalité des visas octroyés chaque année par la France. Ces visas humanitaires suivent une catégorisation « réfugiés et apatrides » et « asile territorial et protection », inconnue des juristes, car elle n'apparaît ni dans le CESEDA ni dans le code communautaire Schengen.

Concernant les frontières, je vous remercie de me donner l'occasion de souligner à quel point le droit d'asile est maltraité en outre-mer. Dans notre rapport d'expert, nous avions souligné que le droit français de l'asile outre-mer est totalement dérogatoire et insatisfaisant. Dans ce silence du droit ou dans ces failles juridiques se logent des pratiques qui, faute de moyens, sont régulièrement sanctionnées par la Cour européenne des droits de l'homme. La France a encore été condamnée cet été par cette dernière pour ses pratiques migratoires à Mayotte.

Les zones d'attente sac à dos sont un exemple des difficultés posées par ces zones frontières. Depuis 2011-2013, les préfets peuvent décider d'établir des zones d'attente ponctuelles, sur les plages ou dans les ports, en cas d'afflux massif de migrants, soit plus de 10 personnes. Ils considèrent que ces migrants ne sont pas entrés sur le territoire français, ce qui est une pure fiction juridique. Ces derniers seront par conséquent soumis à des procédures accélérées, pour ne pas dire expéditives, soumises à des règles de droit moins protectrices. Depuis deux ou trois ans, ces zones s'élargissent géographiquement, et il existe des îles françaises où la zone d'attente est passée d'un à dix kilomètres, et qui sont presque entièrement soumises à une extraterritorialité.

Ces difficultés vont de pair avec des pratiques connues en Europe visant à retenir les migrants, sans nécessairement les empêcher de déposer une demande d'asile, sauf en Hongrie. Ces pratiques s'appuient sur une série de techniques afin de renvoyer les demandeurs d'asile le plus rapidement, sans pour autant parler de refoulement, car cela entraverait des engagements extrêmement importants en droit international et européen.

Sur les couloirs universitaires, il s'agit d'une initiative débutante. La logique est de permettre une arrivée régulière, sous une forme de parrainage, à l'instar de ce qui se fait au Canada. Dans ce pays, le parrainage permet de s'assurer qu'une personne puisse venir sur le territoire, tout en ayant un travail ou une inscription universitaire, et les moyens financiers de vivre pendant le temps nécessaire à son autonomisation. La directive Accueil de l'Union européenne mentionne bien qu'il s'agit de mener migrants et demandeurs d'asile à une autonomisation, par le travail ou les études.

Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) identifie donc des étudiants qui ont quitté leur pays d'origine et trouvé refuge dans un premier pays d'accueil, puis les font venir dans un autre pays. Ce n'est pas de la réinstallation, car il ne s'agit pas d'identifier une catégorisation juridique de réfugiés. Ils n'émettent pas une nouvelle demande d'asile à l'OFPRA. Au Canada, nous avons rencontré des étudiants réfugiés pris en charge par ces programmes de parrainage.

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Vous avez évoqué les limites entre le discrétionnaire et l'arbitraire dans les consulats. La présence de dispositifs variés pose-t-elle un problème dans l'organisation ? N'est-ce pas le manque de transparence qui en cause, plutôt que le rôle du consul dans la délivrance des titres de séjour ? Les consuls que nous avons rencontrés à Bagdad, à Erbil, et au Caire nous ont expliqué leur manière de travailler. À Bagdad, le consul reçoit par exemple une demande de titre de séjour d'une femme au titre de son orientation sexuelle. La demande s'est faite sur Internet. La personne est reçue en entretien pendant une heure et demie, puis un titre de séjour lui est octroyé. Il est compréhensible que plus ou moins de titres de séjour soient octroyés selon les pays, et qu'à situations similaires, dans des pays différents, la réponse soit différente. Du point de vue juridique, comment traiter cette question ?

La liste des métiers en tension manque aujourd'hui de sens, car elle n'est pas actualisée, et de nouveaux besoins, par exemple liés à la crise sanitaire, n'y ont pas été intégrés. Vous évoquez une régionalisation de cette liste, mais quand les demandeurs viennent en France, ils ne viennent pas dans une région en particulier. De quels moyens juridiques dispose-t-on pour cette régionalisation ?

Vous évoquez aussi le travail de votre clinique juridique. Pouvez-vous nous parler de son fonctionnement ?

Enfin, avec le pacte sur la migration et l'asile, quelles perspectives pouvez-vous dresser au sujet des frontières internes à l'Europe ? Schengen existe-t-il quand on regarde ces frontières, réinstaurées par exemple avec l'Italie et l'Espagne, au motif de la lutte contre le terrorisme, en 2016 ?

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Bérangère Taxil, professeure d'université en droit public et directrice de Master 2 en droit international et européen, Centre Jean Bodin de l'Université d'Angers

La dénomination visa OFII-OFPRA diffère d'une ambassade à l'autre. Lorsque les ambassades et services consulaires sont indisponibles, la France renvoie de manière directive les demandeurs aux pays limitrophes et opère parfois des transferts de dossier. Parfois, les demandes reçues n'ont pas été enregistrées dans une ambassade, et la dénomination et la nature juridiques d'un visa entraînent des procédures distinctes, avec des documents différents.

La Cour de justice de l'Union européenne, la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour de Luxembourg ont déclaré que le code communautaire Schengen ne constituait pas le fondement juridique pour demander l'asile. Mais pour des situations telles que celles que vous évoquez concernant l'orientation sexuelle, pour les exilés de guerre, la prévisibilité impose de savoir quelle procédure entamer. Ces procédures peuvent durer deux à trois ans.

C'est aussi un obstacle à la communication du droit dans un État de droit. L'une des difficultés réside dans cette gouvernance schizophrénique de la question des visas entre les ministères de l'intérieur et des affaires étrangères. Les consuls exécutent les missions que l'État leur attribue. Au-delà du manque de transparence, il y a un manque de droit. Un État de droit nécessite des règles. Une compétence discrétionnaire est possible, mais nécessairement encadrée par une règle de droit et par un contrôle, fût-il tout à fait minimal, du juge. Le juge français étant juge du droit de l'Union européenne, c'est dans ce cadre que l'on s'inscrit.

Au sujet de cette double gouvernance, le rapport d'expert de la commission dirigée Pascal Brice soulignait que l'intégration interministérielle de la gouvernance du droit migratoire pourrait être refondue avec une véritable approche interministérielle. Par manque de moyens, de nombreux consulats ont par exemple eu recours à une majorité d'agents de droit local, étrangers, mais aussi à des volontariats internationaux, qui sont généralement des jeunes ayant tout juste achevé leurs études. Le tribunal administratif de Paris a invalidé en 2020 le recours à des volontariats internationaux pour des services de visa. Cet exemple laisse penser que les services de visa sont mal considérés, mal traités et mal dotés.

Quand un demandeur d'asile arrive en France, il est redirigé de manière impérative vers une région et ne peut véritablement circuler librement. Il doit s'ancrer dans cette région le temps de l'étude de sa demande d'asile, qui peut être long. Lorsqu'il est débouté, il peut solliciter un autre titre de séjour, comme celui pour les étrangers malades, mais toujours avec un ancrage et des hébergements directifs dans la région. Pendant ce temps, les demandeurs d'asile ont théoriquement droit au travail en vertu du droit de l'Union européenne. En théorie, la logique de régionalisation existe dans la liste des métiers très techniques en tension puisqu'elle apparaît dans l'arrêté de 2008. Mais peu de différences régionales apparaissent. Une régionalisation plus effective est déjà à l'étude pour faire coïncider les besoins régionaux, comme dans le secteur du maraîchage et de la restauration en Pays de la Loire, et la présence de centres d'accueil pour les migrants et les demandeurs d'asile.

La clinique juridique est adossée au Master 2 de droit international et européen que je codirige. Il en existe de plus en plus en France, suivant des modalités de fonctionnement et des thématiques différentes. La nôtre ne repose pas sur la liberté de personnes de nous solliciter sur des questions juridiques. Nous travaillons avec une liste de partenaires qui entrent dans le champ de nos compétences : concernant le secours en mer, nous travaillons avec SOS Méditerranée, et avec des avocats sur le règlement Dublin. Nos étudiants sont en formation dans cette clinique qui les met en situation pratique, ponctuelle, pour répondre à des questions qui ne trouvent pas de solution. Nous restituons notre travail sur notre blog, dans la mesure liée à la confidentialité de certaines questions.

Sur le pacte migrations et asile et Frontex, un ensemble potentiel de règlements va paraître, même si les négociations à l'Union européenne sont toujours en cours. Le projet a pour but de transformer les directives du paquet asile en règlements plus contraignants mais aussi plus précis. On voit ainsi apparaître un nouveau règlement Dublin. La logique de Dublin est à l'œuvre depuis trente ans, et ses dysfonctionnements sont dénoncés quasiment unanimement par les juristes. Cette logique continue pourtant à se développer dans ces propositions de réforme du paquet asile.

Vous mentionnez aussi la logique sécuritaire. En 2016, on estimait à 13 milliards d'euros les dépenses des migrants pour entrer dans l'Union européenne de manière irrégulière, et à 15 milliards d'euros les dépenses faites par l'Union européenne pour les empêcher d'entrer. Ce sont des sommes considérables.

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Nous souhaitons un chiffrage aussi détaillé que possible dans notre rapport. Ce chiffre est très important, car c'est un véritable argument en faveur de l'accueil.

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Bérangère Taxil, professeure d'université en droit public et directrice de Master 2 en droit international et européen, Centre Jean Bodin de l'Université d'Angers

Des chiffres relatifs au trafic de migrants sont disponibles auprès des Nations Unies. Les tentations et tendances sécuritaires du droit sont aisément visibles. En se fondant sur les règles de l'Union européenne et sur la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, on constate que les considérations de menace à l'ordre public et à la société s'étendent pour justifier des refus ou retraits de protection à des réfugiés et demandeurs d'asile.

Concernant le pacte migration et asile, la proposition de généraliser des camps fermés d'accueil aux frontières de l'Union européenne est une fausse bonne idée. Certes, elle permet de s'assurer d'accueillir les migrants dans les ports ou zones de frontière internationales, ainsi que de les identifier et de pouvoir mener un premier tri. Je parle de tri, car en droit, nous dressons des catégories. Mais en même temps, la pratique de ces zones frontières dans les États membres montre des conditions d'accueil tout à fait indignes. Les juges administratifs français ont régulièrement sanctionné les faits qui se sont déroulés à Calais. La justice européenne sanctionne ce qui se passe en Hongrie ou en Pologne. Schengen existe donc encore, à travers le code communautaire des visas.

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Mme Taxil, je souhaite surtout vous remercier. J'espère que votre contribution à notre réflexion nous permettra d'avoir une vue à la fois aussi plus large que possible et aussi pointue que possible, car c'est toute la difficulté de notre travail. Pour parvenir à des recommandations suivies d'effets, nous devons cerner des problèmes très précis. Le sujet de l'accès au travail et des voies régulières d'immigration me paraît essentiel. Je connais bien la clinique du droit, car je fais partie des partenaires de l'université d'Angers, et la contribution des étudiants est très utile à une équipe parlementaire spécialisée sur ce sujet comme la nôtre.

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Je signale que le député de la Vienne, M. Jean-Michel Clément, travaille avec l'université de Poitiers, où un collectif pluridisciplinaire comportant juristes et économistes existe également. Je vous invite à regarder leur travail.

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Bérangère Taxil, professeure d'université en droit public et directrice de Master 2 en droit international et européen, Centre Jean Bodin de l'Université d'Angers

L'implication des étudiants en droit auprès d'acteurs de la société civile et politique est essentielle, car elle contribue à décloisonner le milieu universitaire pour travailler ensemble à un droit plus effectif. J'en profite pour émettre une dernière remarque sur la question du droit de l'Union européenne et de Frontex. Les étudiants en droit peuvent accompagner des recherches qui mettent en lumière le droit mou qui se dégage de l'Union européenne, qui adopte de faux accords par voie de communiqués de presse, comme l'accord avec la Turquie en 2016. Un certain flou apparaît quant au caractère contraignant ou non de certains partenariats. L'Union européenne reste silencieuse au sujet du partenariat entre l'Italie et la Libye pour la formation des garde-côtes libyens et les interceptions en mer. Cela mène à des décisions implicites, or le droit mou ne relève pas de la compétence d'un juge, qui seul garantir l'effectivité du droit. Dans cet exemple, les juges italiens ont invalidé l'accord entre l'Italie et la Libye, en arguant qu'il s'agissait de violations graves d'un droit impératif. Les étudiants réfléchissent à cette dégradation de la qualité du droit et aux difficultés de la soumission d'un État de droit au contrôle des juges.

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Bien des choses se profilent, en effet, sur le futur européen et la question migratoire.

La réunion s'achève à dix-huit heures.