Intervention de Bérangère Taxil

Réunion du mercredi 22 septembre 2021 à 17h00
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Bérangère Taxil, professeure d'université en droit public et directrice de Master 2 en droit international et européen, Centre Jean Bodin de l'Université d'Angers :

La dénomination visa OFII-OFPRA diffère d'une ambassade à l'autre. Lorsque les ambassades et services consulaires sont indisponibles, la France renvoie de manière directive les demandeurs aux pays limitrophes et opère parfois des transferts de dossier. Parfois, les demandes reçues n'ont pas été enregistrées dans une ambassade, et la dénomination et la nature juridiques d'un visa entraînent des procédures distinctes, avec des documents différents.

La Cour de justice de l'Union européenne, la Cour européenne des droits de l'homme et la Cour de Luxembourg ont déclaré que le code communautaire Schengen ne constituait pas le fondement juridique pour demander l'asile. Mais pour des situations telles que celles que vous évoquez concernant l'orientation sexuelle, pour les exilés de guerre, la prévisibilité impose de savoir quelle procédure entamer. Ces procédures peuvent durer deux à trois ans.

C'est aussi un obstacle à la communication du droit dans un État de droit. L'une des difficultés réside dans cette gouvernance schizophrénique de la question des visas entre les ministères de l'intérieur et des affaires étrangères. Les consuls exécutent les missions que l'État leur attribue. Au-delà du manque de transparence, il y a un manque de droit. Un État de droit nécessite des règles. Une compétence discrétionnaire est possible, mais nécessairement encadrée par une règle de droit et par un contrôle, fût-il tout à fait minimal, du juge. Le juge français étant juge du droit de l'Union européenne, c'est dans ce cadre que l'on s'inscrit.

Au sujet de cette double gouvernance, le rapport d'expert de la commission dirigée Pascal Brice soulignait que l'intégration interministérielle de la gouvernance du droit migratoire pourrait être refondue avec une véritable approche interministérielle. Par manque de moyens, de nombreux consulats ont par exemple eu recours à une majorité d'agents de droit local, étrangers, mais aussi à des volontariats internationaux, qui sont généralement des jeunes ayant tout juste achevé leurs études. Le tribunal administratif de Paris a invalidé en 2020 le recours à des volontariats internationaux pour des services de visa. Cet exemple laisse penser que les services de visa sont mal considérés, mal traités et mal dotés.

Quand un demandeur d'asile arrive en France, il est redirigé de manière impérative vers une région et ne peut véritablement circuler librement. Il doit s'ancrer dans cette région le temps de l'étude de sa demande d'asile, qui peut être long. Lorsqu'il est débouté, il peut solliciter un autre titre de séjour, comme celui pour les étrangers malades, mais toujours avec un ancrage et des hébergements directifs dans la région. Pendant ce temps, les demandeurs d'asile ont théoriquement droit au travail en vertu du droit de l'Union européenne. En théorie, la logique de régionalisation existe dans la liste des métiers très techniques en tension puisqu'elle apparaît dans l'arrêté de 2008. Mais peu de différences régionales apparaissent. Une régionalisation plus effective est déjà à l'étude pour faire coïncider les besoins régionaux, comme dans le secteur du maraîchage et de la restauration en Pays de la Loire, et la présence de centres d'accueil pour les migrants et les demandeurs d'asile.

La clinique juridique est adossée au Master 2 de droit international et européen que je codirige. Il en existe de plus en plus en France, suivant des modalités de fonctionnement et des thématiques différentes. La nôtre ne repose pas sur la liberté de personnes de nous solliciter sur des questions juridiques. Nous travaillons avec une liste de partenaires qui entrent dans le champ de nos compétences : concernant le secours en mer, nous travaillons avec SOS Méditerranée, et avec des avocats sur le règlement Dublin. Nos étudiants sont en formation dans cette clinique qui les met en situation pratique, ponctuelle, pour répondre à des questions qui ne trouvent pas de solution. Nous restituons notre travail sur notre blog, dans la mesure liée à la confidentialité de certaines questions.

Sur le pacte migrations et asile et Frontex, un ensemble potentiel de règlements va paraître, même si les négociations à l'Union européenne sont toujours en cours. Le projet a pour but de transformer les directives du paquet asile en règlements plus contraignants mais aussi plus précis. On voit ainsi apparaître un nouveau règlement Dublin. La logique de Dublin est à l'œuvre depuis trente ans, et ses dysfonctionnements sont dénoncés quasiment unanimement par les juristes. Cette logique continue pourtant à se développer dans ces propositions de réforme du paquet asile.

Vous mentionnez aussi la logique sécuritaire. En 2016, on estimait à 13 milliards d'euros les dépenses des migrants pour entrer dans l'Union européenne de manière irrégulière, et à 15 milliards d'euros les dépenses faites par l'Union européenne pour les empêcher d'entrer. Ce sont des sommes considérables.

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