Intervention de Sophie Bilong

Réunion du jeudi 23 septembre 2021 à 9h00
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Sophie Bilong, consultante pour l'observatoire de l'immigration et de l'asile de l'IFRI :

Merci pour votre invitation, preuve de l'intérêt du sujet de la participation. En effet, dans la construction des politiques et des programmes qui les concernent, il est essentiel de ne pas se priver du savoir des personnes ayant l'expérience de la migration.

La recherche menée par l'observatoire de l'immigration et de l'asile avait pour objet de réaliser un état des lieux de la participation des personnes exilées en France par des entretiens avec des associations, des collectivités locales et des administrations compte tenu de la diversité de modalités de participation. En effet, la participation n'est pas une injonction, mais une intention de tenir compte de la parole des personnes exilées et de les accompagner à construire une pensée collective. Les entretiens ont permis de mettre en évidence des outils favorisant la participation que je développerai si vous le souhaitez.

L'étude a abouti à des recommandations à destination des associations, mais également aux financeurs privés et publics pour que le sujet soit valorisé. Du point de vue méthodologique, l'étude s'est appuyée sur l'analyse des entretiens menés, y compris avec des personnes exilées engagées dans des associations. Les recommandations ont été travaillées avec les personnes interrogées. Nous ne nous sommes pas cantonnés à un savoir théorique, mais avons souhaité vérifier la portée des recommandations formulées.

D'un point de vue historique, la notion de participation est particulièrement développée dans les mouvements d'éducation populaire. Les associations de lutte contre la pauvreté ont développé des méthodes telles que le croisement des savoirs de vie, des savoirs théoriques et des savoirs professionnels. Ces outils sont tout à fait applicables aux associations œuvrant dans le champ de l'asile et de l'immigration et aux personnes ayant l'expérience de la migration. Si ces dernières ne font pas nécessairement l'expérience de la précarité, elles ont moins accès aux lieux de participation proposés aux citoyens.

La loi de 2002 oblige à créer des lieux de participation dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile et les centres provisoires d'hébergement. Ces lieux ne sont pas nécessairement très développés et ne donnent pas de résultats très encourageants. Néanmoins, leur inscription dans la loi incite à une réflexion sur le sujet.

Il existe un continuum des modalités de participation : l'information, c'est à dire une descente d'information, mais l'instauration d'un dialogue permet de donner un avis ; la consultation et certaines associations organisent des temps de consultation de leurs usagers ou bénéficiaires ; la co-construction : des associations considèrent les personnes exilées comme actrices et les soutiennent pour mener des actions, y compris auprès d'autres personnes exilées (équipes de bénévoles constituées de nouveaux arrivants et membres de la société d'accueil, par exemple) ; enfin, la gouvernance partagée. Les lieux de décisions ne doivent pas être uniquement composés de personnes n'ayant pas migré, mais également par des personnes ayant une expérience de l'exil afin de valoriser ce savoir.

À l'échelle des collectivités, le sujet de la participation concerne les élus ayant des délégations relatives à l'accueil des personnes exilées et à la démocratie participative. Des élus et agents souhaitent s'outiller et réfléchir à des dispositifs plus adaptés aux personnes exilées que les dispositifs « de droit commun ». Il s'agit de porter attention aux arrivées de personnes étrangères qui ne disposent pas encore d'un droit de vote, mais souhaitent s'engager dans leur ville et ont envie de se sentir citoyennes à part entière.

Pour exemple, les villes de Grenoble et Nantes ont créé des conseils consultatifs de résidents étrangers. Une refonte est en cours pour une participation représentative de la société et des personnes migrantes présentes dans ces villes. Des initiatives proposent des budgets participatifs ouverts à tous les citoyens sans condition de nationalité. Des personnes exilées, y compris en situation irrégulière, souhaitent mettre en place des projets. Des concertations entre élus et résidants étrangers existent également.

À l'échelle nationale, il n'existe pas d'instance de participation permettant à des personnes exilées de donner régulièrement leur avis. Des auditions ponctuelles sont toutefois réalisées. J'ignore si vous aurez le temps de recevoir un groupe d'experts migrants, bien que vous le souhaitiez. Selon moi, leur savoir est complémentaire des autres.

Suite à la publication de l'étude, des actions concrètes ont été mises en place.

La première action est la création d'une académie pour la participation des personnes réfugiées, en novembre 2020, par la délégation interministérielle à l'accueil et à l'intégration des réfugiés, en partenariat avec le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) et l'IFRI. Le programme est constitué de douze personnes réfugiées. L'intention est de soutenir leur intégration dans des instances et lieux de décision nationaux existants réfléchissant à la politique d'intégration (associations, fondations d'entreprises, instances étatiques).

La seconde action est la mise en place d'un comité stratégique d'évaluation de la politique d'intégration par le ministère de l'intérieur. Il a été proposé que des bénéficiaires y participent en tant que membres.

Pour conclure, l'étude formulait les recommandations de portée nationale suivantes :

- prévoir un budget de fonctionnement pour les conseils de vie sociale et autres formes de participation. En effet, faute de moyens, aucun projet ne peut émerger ;

- étendre l'obligation règlementaire de mettre en place des instances aux lieux d'hébergement non régis par le Code de l'action sociale et des familles ;

- inclure la participation des personnes exilées dans les critères d'évaluation internes et externes des programmes des associations ;

- mettre en place des formations animées par des personnes ayant l'expérience de la migration pour les travailleurs sociaux et agents des administrations ;

- intégrer des personnes exilées dans les instances de direction des associations ;

- créer une instance de consultation nationale qui réunirait des associations ou personnes intervenant dans l'accueil des migrants. L'académie pour la participation des personnes réfugiées a toutefois fait prendre conscience que favoriser la participation des migrants à des instances existantes pouvait être davantage efficace.

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