La réunion

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La réunion débute à neuf heures.

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Mes chers collègues, nous recevons ce matin Matthieu Tardis, chercheur au centre migrations et citoyennetés de l'Institut français des relations internationales (IFRI) et Sophie Bilong, consultante pour l'observatoire de l'immigration et de l'asile de l'IFRI et auteure d'une étude sur la participation des personnes exilées. Le sujet de cette première audition est de savoir si les personnes migrantes sont intégrées ou non dans les dispositifs et comment les en rendre actrices.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Matthieu Tardis et Mme Sophie Bilong prêtent serment.)

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Matthieu Tardis, chercheur au centre migrations et citoyennetés de l'IFRI

J'expliquerai dans un premier temps les raisons pour lesquelles un institut de recherche privé et indépendant, sans affiliation idéologique, tel que l'IFRI s'est intéressé à la question de la participation des personnes exilées. L'IFRI a été précurseur en matière d'études sur les questions d'immigration et de citoyenneté, dès le début des années 2000, dans une démarche de recherche et d'actions. Il s'agissait d'impliquer les acteurs concernés par le sujet dans la réflexion des chercheurs via des tables rondes et focus groups en considérant qu'ils disposaient d'une expertise.

Créé en 2018, l'observatoire de l'immigration et de l'asile a pour l'objectif d'offrir un espace de débat et de réflexion aux acteurs de l'asile et de l'immigration en France et en Europe. Nous nous sommes interrogés sur la manière d'impliquer ce que nous appellerons « les personnes exilées » pour intégrer les migrants et réfugiés au sens juridique. Débuter par une étude permettait d'éviter de les placer uniquement dans une position de témoin et de les considérer comme des experts et des acteurs des politiques les concernant. En effet, organiser leur participation n'est pas aisé à mettre en œuvre. Notre réflexion est toujours en cours et nous participons à des projets pour mettre en œuvre certaines de nos recommandations.

La démarche n'a pas été uniquement entreprise par altruisme ou générosité. Nous sommes convaincus que la société d'accueil a, au moins à deux égards, à tirer des bénéfices de la participation des personnes exilées. Premièrement, une participation développe le pouvoir d'agir et le sentiment de citoyenneté, facteurs d'intégration. Deuxièmement, la participation permet d'améliorer l'efficacité des programmes d'accueil et d'intégration. Demander aux personnes exilées de penser, d'évaluer et de mettre en œuvre ces programmes permet de s'assurer qu'ils répondent réellement aux besoins des adressés.

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Sophie Bilong, consultante pour l'observatoire de l'immigration et de l'asile de l'IFRI

Merci pour votre invitation, preuve de l'intérêt du sujet de la participation. En effet, dans la construction des politiques et des programmes qui les concernent, il est essentiel de ne pas se priver du savoir des personnes ayant l'expérience de la migration.

La recherche menée par l'observatoire de l'immigration et de l'asile avait pour objet de réaliser un état des lieux de la participation des personnes exilées en France par des entretiens avec des associations, des collectivités locales et des administrations compte tenu de la diversité de modalités de participation. En effet, la participation n'est pas une injonction, mais une intention de tenir compte de la parole des personnes exilées et de les accompagner à construire une pensée collective. Les entretiens ont permis de mettre en évidence des outils favorisant la participation que je développerai si vous le souhaitez.

L'étude a abouti à des recommandations à destination des associations, mais également aux financeurs privés et publics pour que le sujet soit valorisé. Du point de vue méthodologique, l'étude s'est appuyée sur l'analyse des entretiens menés, y compris avec des personnes exilées engagées dans des associations. Les recommandations ont été travaillées avec les personnes interrogées. Nous ne nous sommes pas cantonnés à un savoir théorique, mais avons souhaité vérifier la portée des recommandations formulées.

D'un point de vue historique, la notion de participation est particulièrement développée dans les mouvements d'éducation populaire. Les associations de lutte contre la pauvreté ont développé des méthodes telles que le croisement des savoirs de vie, des savoirs théoriques et des savoirs professionnels. Ces outils sont tout à fait applicables aux associations œuvrant dans le champ de l'asile et de l'immigration et aux personnes ayant l'expérience de la migration. Si ces dernières ne font pas nécessairement l'expérience de la précarité, elles ont moins accès aux lieux de participation proposés aux citoyens.

La loi de 2002 oblige à créer des lieux de participation dans les centres d'accueil pour demandeurs d'asile et les centres provisoires d'hébergement. Ces lieux ne sont pas nécessairement très développés et ne donnent pas de résultats très encourageants. Néanmoins, leur inscription dans la loi incite à une réflexion sur le sujet.

Il existe un continuum des modalités de participation : l'information, c'est à dire une descente d'information, mais l'instauration d'un dialogue permet de donner un avis ; la consultation et certaines associations organisent des temps de consultation de leurs usagers ou bénéficiaires ; la co-construction : des associations considèrent les personnes exilées comme actrices et les soutiennent pour mener des actions, y compris auprès d'autres personnes exilées (équipes de bénévoles constituées de nouveaux arrivants et membres de la société d'accueil, par exemple) ; enfin, la gouvernance partagée. Les lieux de décisions ne doivent pas être uniquement composés de personnes n'ayant pas migré, mais également par des personnes ayant une expérience de l'exil afin de valoriser ce savoir.

À l'échelle des collectivités, le sujet de la participation concerne les élus ayant des délégations relatives à l'accueil des personnes exilées et à la démocratie participative. Des élus et agents souhaitent s'outiller et réfléchir à des dispositifs plus adaptés aux personnes exilées que les dispositifs « de droit commun ». Il s'agit de porter attention aux arrivées de personnes étrangères qui ne disposent pas encore d'un droit de vote, mais souhaitent s'engager dans leur ville et ont envie de se sentir citoyennes à part entière.

Pour exemple, les villes de Grenoble et Nantes ont créé des conseils consultatifs de résidents étrangers. Une refonte est en cours pour une participation représentative de la société et des personnes migrantes présentes dans ces villes. Des initiatives proposent des budgets participatifs ouverts à tous les citoyens sans condition de nationalité. Des personnes exilées, y compris en situation irrégulière, souhaitent mettre en place des projets. Des concertations entre élus et résidants étrangers existent également.

À l'échelle nationale, il n'existe pas d'instance de participation permettant à des personnes exilées de donner régulièrement leur avis. Des auditions ponctuelles sont toutefois réalisées. J'ignore si vous aurez le temps de recevoir un groupe d'experts migrants, bien que vous le souhaitiez. Selon moi, leur savoir est complémentaire des autres.

Suite à la publication de l'étude, des actions concrètes ont été mises en place.

La première action est la création d'une académie pour la participation des personnes réfugiées, en novembre 2020, par la délégation interministérielle à l'accueil et à l'intégration des réfugiés, en partenariat avec le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) et l'IFRI. Le programme est constitué de douze personnes réfugiées. L'intention est de soutenir leur intégration dans des instances et lieux de décision nationaux existants réfléchissant à la politique d'intégration (associations, fondations d'entreprises, instances étatiques).

La seconde action est la mise en place d'un comité stratégique d'évaluation de la politique d'intégration par le ministère de l'intérieur. Il a été proposé que des bénéficiaires y participent en tant que membres.

Pour conclure, l'étude formulait les recommandations de portée nationale suivantes :

- prévoir un budget de fonctionnement pour les conseils de vie sociale et autres formes de participation. En effet, faute de moyens, aucun projet ne peut émerger ;

- étendre l'obligation règlementaire de mettre en place des instances aux lieux d'hébergement non régis par le Code de l'action sociale et des familles ;

- inclure la participation des personnes exilées dans les critères d'évaluation internes et externes des programmes des associations ;

- mettre en place des formations animées par des personnes ayant l'expérience de la migration pour les travailleurs sociaux et agents des administrations ;

- intégrer des personnes exilées dans les instances de direction des associations ;

- créer une instance de consultation nationale qui réunirait des associations ou personnes intervenant dans l'accueil des migrants. L'académie pour la participation des personnes réfugiées a toutefois fait prendre conscience que favoriser la participation des migrants à des instances existantes pouvait être davantage efficace.

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Merci. Nous serons intéressés par des aspects concrets.

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Je répète systématiquement lorsque nous invitons des chercheurs, que nous considérons que la parole publique et politique prend davantage de valeur si elle est accompagnée par les chercheurs. De notre point de vue, il est extrêmement important de débuter les auditions par un recueil de la parole des scientifiques avant d'auditionner d'autres experts.

Quel est votre point de vue sur le vote des étrangers aux élections locales ? Quelle est la réalité du terrain ?

Avez-vous remarqué un changement de paradigme entre le moment d'une élection et l'après, indépendamment des étiquettes politiques ? In fine, toutes les collectivités essaient-elles de « faire au mieux » pour accueillir les étrangers ?

Nous serions intéressés par des exemples de formation des professionnels de l'accueil des migrants (formation à la différence, aux parcours migratoires, à l'accompagnement, etc.) afin de mieux accueillir ces derniers. En effet, nous pourrions émettre des recommandations sur le recours aux compétences des migrants dès qu'ils rejoignent notre territoire.

En Italie, les policiers ne parlent jamais directement aux migrants. Les échanges se font par l'intermédiaire de personnels de l'organisation internationale pour les migrations (OIM), de l'UNHCR ou de travailleurs sociaux experts parlant la langue maternelle des migrants afin de leur expliquer leurs droits. Ce travail commun des services de police et des travailleurs sociaux vise à aider les migrants, dans la limite des compétences de chacun. Il en découle un changement de vision des services de police et de gendarmerie par les migrants. Les migrants experts ont donc bien un impact sur le terrain par leur travail auprès des forces de police. Selon vous, cette expérience pourrait-elle être conduite en France ?

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Matthieu Tardis, chercheur au centre migrations et citoyennetés de l'IFRI

Le droit de vote des étrangers aux élections locales est une mesure importante symboliquement. Au-delà de la reconnaissance du droit, la question est celle de l'accompagnement de la citoyenneté accordée. En France, le taux de participation des ressortissants européens aux élections municipales est très faible.

Le débat existe en France depuis les années 80. Je considère qu'il s'est clos sous la présidence de François Hollande. Selon moi, la question du droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales a été portée de manière très partisane et, par conséquent, contreproductive. Les positions ont été très marquées sur ce que signifie « être Français » et comment le devenir. Malgré les chiffres et les conditions de naturalisation, le mythe selon lequel il est aisé de devenir Français persiste. En comparaison d'autres pays, les conditions de naturalisation sont assez strictes, particulièrement s'agissant de la maîtrise de la langue française.

Au début des années 2000, de nombreuses villes « de gauche » comme Paris, Nantes, Strasbourg ou Grenoble, ont porté cette question par la voie de la création de conseils consultatifs d'étrangers non communautaires. Ces derniers ont eu un impact assez limité en termes de participation. In fine, la question de l'écoute et des moyens alloués à ces conseils se pose. À mon sens, l'erreur a été d'en faire un « outil de plaidoyer » pour le droit de vote au niveau local comme s'il s'agissait d'une étape. Les élections municipales de 2004 ont vu la droite remporter de nombreuses grandes villes et ces conseils ont été mis de côté car considérés comme un instrument partisan.

Le programme du candidat François Hollande posait à nouveau la question du droit de vote des étrangers non européens, mais un obstacle constitutionnel est rapidement apparu. En effet, une majorité des trois cinquièmes est nécessaire à une réforme constitutionnelle. Les municipalités ont donc continué à mettre de côté les conseils consultatifs.

De nombreuses collectivités ont poursuivi une démarche de démocratie participative avec des budgets dédiés ouverts à tous sans condition de nationalité, voire sans condition de régularité de séjour. Pour autant, il est constaté que les personnes y participant sont déjà très impliquées dans la vie citoyenne et sont celles qui votent. Les personnes les plus éloignées de la citoyenneté participent donc très peu à ces instances parfois mises en place de manière peu inclusive. Il est donc nécessaire d'aller vers les personnes concernées.

Les échanges avec les réfugiés ou les migrants montrent que le droit de vote aux élections locales serait une forme de reconnaissance. Ainsi, ils se sentiraient pleinement citoyens de leur nouvelle société. Il ne s'agit toutefois pas d'une fin en soi et d'autres moyens permettent de les impliquer dans une citoyenneté française et une démocratie participative. Néanmoins, cette démocratie doit s'attacher à être véritablement inclusive.

Après les élections municipales de 2020, de nombreuses villes ont voulu prendre en considération la question de la participation des personnes exilées. Un réseau d'élus, principalement dans le cadre de l'association nationale des villes et territoires accueillants (ANVITA), a mis en place une réflexion relativement poussée et technique à laquelle Sophie Bilong participe. Cette réflexion porte sur l'organisation de la participation, la révision du fonctionnement des conseils consultatifs et l'évaluation d'autres formes de participation.

À l'échelle des collectivités territoriales, notamment des grandes villes à la population diversifiée, nous ressentons un intérêt à savoir atteindre les habitants, qu'ils bénéficient du droit de vote ou non. Pour avoir beaucoup travaillé sur la question de l'intégration des réfugiés en milieu rural, je sens également une volonté de la population et des élus de s'assurer que l'accueil soit convenable. La proximité fait que les échanges sont parfois informels et souvent efficaces. La volonté est de créer une communauté, au sens local, dans laquelle de nouveaux arrivants étrangers, y compris réfugiés, puissent se sentir chez eux.

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Sophie Bilong, consultante pour l'observatoire de l'immigration et de l'asile de l'IFRI

Votre question sur les collectivités était intéressante. Je peux témoigner du groupe de travail de l'ANVITA sur la participation des personnes exilées. À trois reprises, il a réuni des agents et des élus d'une trentaine de villes souhaitant s'équiper et, par conséquent, aller au-delà des programmes électoraux. De ce point de vue, l'intitulé de la délégation des élus est un bon indicateur de la volonté d'accueil et d'hospitalité en tant que missions de la ville, bien qu'il s'agisse d'une responsabilité de l'État.

Le mouvement de formation d'agents de travail social présents dans tous les services municipaux à l'accueil de personnes exilées est également intéressant. Les agents souhaitent acquérir des compétences leur permettant d'aller vers les personnes ne participant pas encore à la vie de la ville. Il s'agit que les personnes exilées soient conscientes de leurs droits. Le droit à la participation vient parfois après l'ouverture de droits sociaux ou l'inscription des enfants à l'école. À ce titre, élus et agents travaillent ensemble pour s'améliorer et apprendre d'expériences peu concluantes.

S'agissant de la formation des professionnels, les co-formations rassemblent des personnes ayant l'expérience de l'exil et des professionnels sur un domaine précis. Une méthodologie a été développée afin de permettre à chaque groupe de construire sa pensée et travailler sur les représentations avant de les confronter (Pour exemple, une personne exilée se présentant au guichet d'une préfecture et un fonctionnaire l'accueillant). Selon moi, développer ce type de formation dans les écoles de travailleurs sociaux ou les centres nationaux de la fonction publique territoriale (CNFPT) serait essentiel et développerait une capacité à échanger différemment. Les experts pourraient intervenir en tant que travailleurs pairs, mais également au regard d'une expérience personnelle de migration. En effet, notre politique d'accueil est parfois ressentie comme assez violente par les personnes exilées.

Concernant l'Italie, la formation et le rôle des interprètes sont essentiels. Leur mission n'est pas seulement de traduire, mais également de rassurer, d'expliquer le contexte, d'avoir conscience de situations sujettes à interprétation. Un financement de l'expertise et de la compétence des interprètes est nécessaire.

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Matthieu Tardis, chercheur au centre migrations et citoyennetés de l'IFRI

Les Italiens ont été précurseurs en matière de médiation culturelle. Ils ont déterminé les missions et les fonctions du médiateur culturel, ainsi que les compétences nécessaires à l'exercice de ce métier. La France est en retard dans le domaine. Des médiateurs culturels sont présents dans de nombreuses associations d'aide aux migrants ou réfugiés, notamment celles effectuant des maraudes. Le contact avec la police est toutefois limité, car cette dernière n'est pas impliquée dans le parcours de demande d'asile.

Je rejoins le propos de Sophie Bilong sur la reconnaissance de ce rôle de médiateur culturel. Ces postes sont souvent moins rémunérés que les travailleurs sociaux et occupés par des personnes ayant vécu la migration, mais non formées. Il conviendrait d'accompagner une valorisation de leurs compétences.

Une réflexion sur le métier de médiateur culturel pourrait être menée, car il peut être une porte d'insertion professionnelle pour de nombreux primo-arrivants. En effet, il existe une compétence linguistique et un vécu dont nous ne disposons pas. Faire de cette fonction un métier permettrait de le cadrer, de s'assurer d'une distanciation adéquate dans les échanges avec les personnes en situation d'extrême précarité ou vulnérabilité.

Selon moi, cette réflexion autour du métier de médiation culturelle serait utile et constructive afin de le valoriser davantage. À ma connaissance, cette réflexion a débuté dans le milieu médical.

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En tant que famille d'accueil, nous apprenons cette distanciation. Vos propos font donc écho à mon expérience.

Selon vous, la France est en retard en la matière. Disposez-vous d'exemple de pays travaillant sur les médiateurs culturels ou ayant mis en place des projets correspondants ?

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Matthieu Tardis, chercheur au centre migrations et citoyennetés de l'IFRI

Dans les pays anglo-saxons, la vision des communautés est différente de celle que nous avons en France. Au Royaume-Uni notamment, les associations de réfugiés sont beaucoup plus développées. Elles sont souvent partenaires des grandes organisations accompagnant les demandeurs d'asile et réfugiés pour travailler à un inbetween et fournir des clés sur le fonctionnement de la société britannique. Ce système assez institutionnalisé est relativement propre à la manière dont des sociétés anglo-saxonnes peuvent percevoir les communautés étrangères au sein de la société.

En France, certaines associations existent de longue date et sont soutenues par l'État. Il paraît donc plus efficace de s'assurer d'une plus grande diversité et d'une place pour les réfugiés ou demandeurs d'asile en leur sein en tant que salariés, directeurs et membres des conseils d'administration.

Il existe un fort secteur d'organisations de personnes issues de l'immigration travaillant davantage sur les questions de solidarité internationale. Elles sont fédérées au sein du forum des organisations de solidarité internationale issues des migrations (FORIM). Il regroupe également plusieurs centaines d'organisations « communautaires » existant depuis les années 80 et ayant joué un rôle important en France, y compris pour l'intégration des nouveaux arrivants.

Ce travail s'est perdu dans les années 1990 et 2000, notamment du fait des débats relatifs au communautarisme et de la centralisation des fonctions d'intégration au sein d'institutions publiques (haut conseil à l'intégration, office français de l'immigration et de l'intégration, etc.). Les organisations de personnes étrangères ont ainsi été mises de côté alors qu'elles jouaient un rôle important, y compris dans l'apprentissage du français. Désormais, la concentration des crédits sur l'apprentissage du français dans le contrat d'intégration républicaine fait que les initiatives précitées sont moins financées.

À l'échelle européenne, la réflexion sur la participation des exilés est de plus en plus importante, mais se concentre essentiellement autour des organisations de réfugiés, de migrants ou de personnes disposant d'une expérience de migration. Les financeurs publics (pays ou Union européenne) ou privés (fondations philanthropiques) européens s'interrogent sur l'adaptation des financements, procédures d'appels à projets ou marchés publics aux capacités administratives et connaissances des processus bureaucratiques de ces organisations. Il s'agit de faciliter leur accès aux financements et de les accompagner en termes de gestion, à l'inverse d'autres organismes disposant déjà de capacités de fundraising.

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Merci de votre réponse et de nous avoir fait découvrir le FORIM. Il semble intéressant d'appuyer un certain nombre de travaux sur cette organisation.

Vous avez travaillé sur l'agenda de l'Union africaine sur les migrations. Pouvez-vous en parler ? J'entends que cela sort légèrement de ce que nous avions prévu de vous demander, mais il est important que nous disposions du plus d'éclairages possible.

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Matthieu Tardis, chercheur au centre migrations et citoyennetés de l'IFRI

En effet, je travaille beaucoup sur les politiques européennes d'asile et d'immigration et, par conséquent, sur leur impact pour les pays tiers, particulièrement les pays d'Afrique du Nord et d'Afrique subsaharienne.

Le premier constat est que les Africains sont finalement assez minoritaires dans les migrations internationales. Les premiers à migrer sont plutôt les Européens et les Asiatiques, dont le continent compte une population beaucoup plus importante. Les Africains migrent principalement à l'intérieur de leur région, particulièrement s'agissant de l'Afrique subsaharienne. Cet enjeu n'est pas nécessairement celui des Européens, bien que les gouvernements africains se préoccupent du sort de ceux tentant de rejoindre l'Europe. En effet, il existe des dangers de traite, d'abus variés, de mort. Cette préoccupation doit donc être commune aux Africains et Européens.

Néanmoins, le premier enjeu de l'Union africaine est de s'assurer que la migration soit profitable à tous. Elle est vue comme un enjeu de développement. Les migrations étant souvent transfrontalières, les frontières sont perçues comme des espaces de commerce et de richesse.

Lors d'un récent séjour d'étude au Niger, j'ai constaté que les Nigériens migrent beaucoup vers la Lybie, l'Algérie et les pays situés plus au sud du Golfe de Guinée, mais peu vers l'Europe. Le Niger est pourtant le deuxième pays le plus pauvre du monde. Le pays étant encore soumis à des crises et à une insécurité alimentaire, les migrations permettent de travailler ailleurs et de ramener de l'argent.

Il existe donc un réel enjeu de développement au sein de l'Union africaine avec, finalement, l'objectif d'une forme de liberté de circulation en 2063. Elle est déjà une réalité au sein de la communauté économique des états de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Bien qu'elle n'existe pas exactement dans les mêmes termes qu'au sein de l'Union européenne, l'exemple de cette dernière a en effet montré que la liberté de circulation a été un facteur de richesse, mais aussi de paix.

Pour autant, les objectifs de l'Union africaine rencontrent des difficultés. Premièrement, un programme de travail de l'Union africaine sur les migrations et le développement doit être établi. Les gouvernements nationaux doivent ensuite se l'approprier, ce qui n'est pas toujours leur priorité.

Deuxièmement, il existe une question de capacité et de moyens. C'est à ce titre que l'Union européenne intervient, puisque ses états membres sont les premiers donateurs aux pays africains. Par ce biais, nous réintroduisons nos priorités européennes à savoir une utilisation des fonds de développement à des fins de gestion des flux migratoires.

Une confrontation apparaît alors. L'objectif de l'aide au développement ne doit pas être de freiner ou empêcher les migrations. La plupart des chercheurs en économie ou démographie montrent que le développement entraîne souvent plus de migration dans un premier temps. En effet, des ressources sont nécessaires pour migrer. Pour autant, nos priorités sont de plus en plus liées à un renforcement du contrôle des frontières entre les pays africains.

Pour exemple, le Niger est le pays coopérant le mieux avec l'Union africaine sur la question de la migration sur la route de la Méditerranée centrale. En effet, il est le dernier pays avant la Lybie. Par conséquent, de nombreuses actions sont menées par les états membres et l'Union européenne pour empêcher l'arrivée de migrants en Lybie, notamment pour leur sécurité. Les contrôles aux frontières ont par conséquent été renforcés et il est devenu difficile aux Nigériens de quitter leur pays.

Les chiffres de l'organisation internationale pour les migrations (OIM) montrent que les personnes prenant la route depuis Agadez sont à 90 % nigériennes. Elles peuvent être arrêtées par la police nigérienne avant d'avoir franchi la frontière et être traitées comme des migrants clandestins. Or le Niger faisant partie de la CEDEAO, ses ressortissants bénéficient d'une liberté de circulation que nous remettons indirectement en cause. In fine, cela va à l'encontre des objectifs et des intérêts des Africains. La clé est entre les mains des Européens par le biais de l'aide au développement en appuyant l'objectif de libre circulation de l'Union africaine. Il s'agit également de regarder la réalité migratoire avec un peu plus de rationalité. De mémoire, 30 millions d'Africains sont en situation de migration, mais seul un quart se dirige vers l'Europe ; la majeure partie effectue une migration intra-africaine et de manière croissante vers les pays de la péninsule arabe.

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Merci pour votre expertise et pour le calme avec lequel vous abordez des sujets très complexes sans émotion ou « mauvaise foi ».

Comme je l'ai dit dès la première journée de notre commission d'enquête, s'il existe un terrain où la vérité échappe totalement à la réalité des débats, il s'agit des politiques migratoires dans notre pays. Le milliard de la sécurité sociale le plus discuté est celui dans lequel il est question de l'aide médicale d'État (AME), car elle concerne des étrangers. Il nous est très difficile d'aborder ces sujets et nous sommes heureux de les aborder tranquillement, aujourd'hui.

La présidence française de l'Union européenne approche. Je pense que les députés, de tous bords, sont capables de formuler des recommandations qui seront - je l'espère - portées par notre président. J'espère également que notre travail servira aux futurs candidats à l'élection présidentielle dans laquelle l'immigration sera un sujet.

Pour finir, vous savez mieux que moi que l'opinion publique change quotidiennement. Si l'on voit un enfant échoué sur une plage, tout le monde veut accueillir de smigrants. Sinon, à moins d'avoir une expérience personnelle de migration qu'il est impossible de généraliser, on veut « mettre tout le monde dehors ».

Le sujet est donc complexe et je salue à nouveau le calme et le professionnalisme avec lesquels vous traitez d'un sujet aussi important. Je salue également votre souci au travers de vos recherches de trouver des solutions opérationnelles.

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Sophie Bilong, consultante pour l'observatoire de l'immigration et de l'asile de l'IFRI

Il serait intéressant que vous puissiez échanger directement avec les douze lauréats de l'académie pour la participation des réfugiés. Vous pourriez en les auditionnant compléter vos analyses, indépendamment des auditions publiques.

La réunion s'achève à dix heures cinq.