Intervention de Matthieu Tardis

Réunion du jeudi 23 septembre 2021 à 9h00
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Matthieu Tardis, chercheur au centre migrations et citoyennetés de l'IFRI :

En effet, je travaille beaucoup sur les politiques européennes d'asile et d'immigration et, par conséquent, sur leur impact pour les pays tiers, particulièrement les pays d'Afrique du Nord et d'Afrique subsaharienne.

Le premier constat est que les Africains sont finalement assez minoritaires dans les migrations internationales. Les premiers à migrer sont plutôt les Européens et les Asiatiques, dont le continent compte une population beaucoup plus importante. Les Africains migrent principalement à l'intérieur de leur région, particulièrement s'agissant de l'Afrique subsaharienne. Cet enjeu n'est pas nécessairement celui des Européens, bien que les gouvernements africains se préoccupent du sort de ceux tentant de rejoindre l'Europe. En effet, il existe des dangers de traite, d'abus variés, de mort. Cette préoccupation doit donc être commune aux Africains et Européens.

Néanmoins, le premier enjeu de l'Union africaine est de s'assurer que la migration soit profitable à tous. Elle est vue comme un enjeu de développement. Les migrations étant souvent transfrontalières, les frontières sont perçues comme des espaces de commerce et de richesse.

Lors d'un récent séjour d'étude au Niger, j'ai constaté que les Nigériens migrent beaucoup vers la Lybie, l'Algérie et les pays situés plus au sud du Golfe de Guinée, mais peu vers l'Europe. Le Niger est pourtant le deuxième pays le plus pauvre du monde. Le pays étant encore soumis à des crises et à une insécurité alimentaire, les migrations permettent de travailler ailleurs et de ramener de l'argent.

Il existe donc un réel enjeu de développement au sein de l'Union africaine avec, finalement, l'objectif d'une forme de liberté de circulation en 2063. Elle est déjà une réalité au sein de la communauté économique des états de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Bien qu'elle n'existe pas exactement dans les mêmes termes qu'au sein de l'Union européenne, l'exemple de cette dernière a en effet montré que la liberté de circulation a été un facteur de richesse, mais aussi de paix.

Pour autant, les objectifs de l'Union africaine rencontrent des difficultés. Premièrement, un programme de travail de l'Union africaine sur les migrations et le développement doit être établi. Les gouvernements nationaux doivent ensuite se l'approprier, ce qui n'est pas toujours leur priorité.

Deuxièmement, il existe une question de capacité et de moyens. C'est à ce titre que l'Union européenne intervient, puisque ses états membres sont les premiers donateurs aux pays africains. Par ce biais, nous réintroduisons nos priorités européennes à savoir une utilisation des fonds de développement à des fins de gestion des flux migratoires.

Une confrontation apparaît alors. L'objectif de l'aide au développement ne doit pas être de freiner ou empêcher les migrations. La plupart des chercheurs en économie ou démographie montrent que le développement entraîne souvent plus de migration dans un premier temps. En effet, des ressources sont nécessaires pour migrer. Pour autant, nos priorités sont de plus en plus liées à un renforcement du contrôle des frontières entre les pays africains.

Pour exemple, le Niger est le pays coopérant le mieux avec l'Union africaine sur la question de la migration sur la route de la Méditerranée centrale. En effet, il est le dernier pays avant la Lybie. Par conséquent, de nombreuses actions sont menées par les états membres et l'Union européenne pour empêcher l'arrivée de migrants en Lybie, notamment pour leur sécurité. Les contrôles aux frontières ont par conséquent été renforcés et il est devenu difficile aux Nigériens de quitter leur pays.

Les chiffres de l'organisation internationale pour les migrations (OIM) montrent que les personnes prenant la route depuis Agadez sont à 90 % nigériennes. Elles peuvent être arrêtées par la police nigérienne avant d'avoir franchi la frontière et être traitées comme des migrants clandestins. Or le Niger faisant partie de la CEDEAO, ses ressortissants bénéficient d'une liberté de circulation que nous remettons indirectement en cause. In fine, cela va à l'encontre des objectifs et des intérêts des Africains. La clé est entre les mains des Européens par le biais de l'aide au développement en appuyant l'objectif de libre circulation de l'Union africaine. Il s'agit également de regarder la réalité migratoire avec un peu plus de rationalité. De mémoire, 30 millions d'Africains sont en situation de migration, mais seul un quart se dirige vers l'Europe ; la majeure partie effectue une migration intra-africaine et de manière croissante vers les pays de la péninsule arabe.

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