Mon calme n'est qu'apparent. On se réveille chaque matin en se disant qu'il existe un « concours Lépine de la bonne idée ». En tant que citoyen, j'ai du mal à comprendre que mon pays - que j'aime - soit dans une telle hypersensibilité sur ces sujets. Il appartient à chacun d'entre nous de porter les valeurs de ce que je crois être la France, avec ses traditions d'accueil et d'intégration, non pas d'assimilation. L'intégration est un processus.
Nous sommes dans une période très régressive, de remise en cause du droit international tel qu'il a été imaginé après la Seconde guerre mondiale. Pour mémoire, il n'avait pas pu aboutir après la Première guerre mondiale, car les Etats-Unis avaient refusé d'intégrer la Société des nations. Ce grand progrès qu'est la convention de Genève reste fragile : on entend nombre de personnes demander de la suspendre ou de ne plus l'appliquer en totalité.
En tant qu'agent public, je dois appliquer la loi. Cette dernière est française, mais également internationale. Face à cette régression ambiante, chacun doit résister comme il le peut, comme il le veut. De mon vivant, je continuerai. J'ai une ligne conductrice professionnelle et je ne pense pas avoir changé.
A contrario, le monde a profondément changé et, de fait, mon positionnement devient plutôt minoritaire. Je continue à penser que nous restons un pays démocratique. J'aimerais donc que les échanges sur la question des réfugiés ne se fassent pas « avec les tripes », mais qu'ils soient intellectuels sur les enjeux du XXIe siècle. Ces échanges doivent aussi porter sur la manière dont la France, l'Europe et le monde peuvent s'inscrire dans le cadre du pacte mondial pour les migrations. Ce document est non prescriptif, mais questionne sur la manière d'organiser de façon raisonnée les migrations. Il est dommage qu'une majorité de pays de l'Union européenne aient refusé de le signer.
J'ai fait face à la problématique de reconnaissance des diplômes durant ma vie professionnelle. À nouveau, dans le système français, il est nécessaire d'avoir en main la bonne carte. Les diplômes sont extrêmement protégés. Nous avons ouvert la validation des acquis de l'expérience (VAE) aux réfugiés, mais dans la réalité, elle se heurte à des rigidités et à des corporatismes.
Les médecins afghans ne peuvent pas travailler en France, car leur diplôme n'est pas reconnu. À l'inverse, les médecins syriens bénéficient d'une reconnaissance. Indépendamment de son origine, un infirmier ne verra pas son diplôme reconnu. Le système français est historiquement très verrouillé.
En dépit des efforts du ministère de l'éducation nationale et du ministère en charge du travail de très nombreux changements sont à opérer pour qu'un diplôme étranger bénéficie d'une reconnaissance ou, a minima, d'une équivalence universitaire. Les propositions ne sont pas à la hauteur de ce qui est souhaitable. Pour autant, je reconnais qu'il est très difficile pour un citoyen français de procéder à une VAE, le système étant très figé.
Sur l'accès à la fonction publique, le problème est législatif : il faut être français ou d'un pays européen. Si je vous donnais un point de vue personnel, je sortirais de mon rôle.
Le Parlement a durci les règles de naturalisation ces dernières années et il ne m'appartient pas de porter un jugement sur ses choix. En revanche, l'immense majorité des personnes bénéficiant d'une protection internationale souhaitent devenir françaises et le deviennent. Elles déposent une demande lorsqu'elles répondent aux critères. C'est le cas de l'un de mes collaborateurs : il est arrivé en France en 2015, à 22 ans, en provenance de Syrie et est devenu français en août 2021.
Lorsque je réalisais des visites de terrain, je rencontrais des réfugiés. Ils me disaient systématiquement qu'ils étaient là pour leurs enfants et qu'ils voulaient devenir français. Cette dynamique existe et ces personnes sont aussi l'avenir de la France. Notre système exige qu'un certain nombre de critères soient remplis pour déposer un dossier de naturalisation. Néanmoins, on entend à nouveau certaines propositions dans le débat public qui interrogent sur le choix d'être français et sur d'éventuelles conséquences telles que le retrait de la nationalité par la suite. Je n'irai pas plus loin.
Je vous rejoins toutefois sur les difficultés relatives aux prises de rendez-vous. Les raisons sont en partie pratiques et de management. Il n'y a aucune stratégie consistant à empêcher les réfugiés d'accéder aux guichets. On s'emploie à essayer d'y répondre. La crise sanitaire a également beaucoup impacté le fonctionnement des services.
Certains départements tels que ceux de l'Île-de-France font face à des difficultés telles qu'elles peuvent faire perdre une opportunité professionnelle. Par exemple, en l'absence de rendez-vous pour le renouvellement du titre de séjour dans les temps impartis, l'employeur est contraint de mettre fin à un contrat de travail. Avec le directeur général des étrangers en France, nous essayons de répondre à ces difficultés sans les nier.