Intervention de Yves Pascouau

Réunion du mercredi 29 septembre 2021 à 14h30
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Yves Pascouau, docteur en droit public, directeur des programmes à l'association Res Publica :

Je pense qu'il est nécessaire de revenir brièvement sur les logiques qui animent les questions des migrations et de l'asile au sein de l'Union européenne, car elles se répercutent au niveau national.

La question de la politique migratoire dans les États membres et au niveau de l'Union européenne n'est pas nouvelle ; elle se pose au moins depuis la fin des années 90 et le début des années 2000. L'Union européenne légifère depuis plus de vingt ans quant au contrôle des frontières extérieures, à l'asile et aux migrations. Ce cadre législatif est impressionnant non seulement par son volume, mais également par sa précision.

Dans les domaines de la gestion des frontières extérieures et de l'asile, on peut considérer que l'action dans l'Union européenne est très largement encadrée. La gestion des contrôles aux frontières extérieures représente un des domaines les plus intégrés de l'action de l'Union européenne puisqu'elle agit non seulement au niveau législatif, par le biais de directives, voire de règlements, mais également dans sa mise en œuvre effective. En effet, l'ensemble des dispositifs opérationnels et électroniques accompagnent l'action quotidienne des autorités nationales et, dans ce cadre, l'action européenne est considérablement approfondie.

S'agissant de l'asile, les droits nationaux sont harmonisés par des règles européennes qui ont été adoptées en deux étapes successives. Le corpus législatif est d'autant plus significatif qu'il organise très précisément non seulement la situation, le rôle et les obligations des États, mais également la situation et les droits des individus qui sont couverts, demandeurs d'asile et réfugiés ou ressortissants de pays tiers à divers titres.

Le rôle de l'Union européenne a été un peu occulté alors qu'elle a été un acteur important dans ce domaine depuis la crise migratoire de 2015 et 2016. Cette crise a, en réalité, conduit à un profond bouleversement de la manière dont non seulement les opinions publiques, mais surtout les décideurs européens abordent et considèrent la question de la gestion des flux migratoires. En 2015 et 2016, un million de personnes sont entrées depuis la Turquie, principalement, vers la Grèce, donc sur le territoire européen. Ce fut un moment politique fort pour les États membres non seulement en regard de la position adoptée par la chancelière Mme Angela Merkel, mais également parce qu'il a généré une division inattendue entre les États européens sur la question migratoire.

Face à cette situation, deux options se présentaient. La première visait à prendre en compte les difficultés, à évaluer les dispositifs en présence et à les adapter si nécessaire. La seconde option consistait à considérer que l'ensemble des dispositifs adoptés jusqu'alors n'étaient pas opérants et qu'il convenait de les modifier. En 2016, la Commission européenne a proposé plusieurs lois relatives à l'asile, puis en 2020, elle a présenté le pacte sur l'asile et l'immigration.

Les acteurs européens sont actuellement animés par la conviction qu'il faut tout changer. Or, en examinant la situation attentivement, sur les plans juridique et opérationnel, il s'avère que ce n'est probablement pas nécessaire, mais qu'il convient en priorité d'adapter certains éléments du dispositif. Au niveau opérationnel, les actions mises en œuvre, notamment à la frontière extérieure de l'Union européenne, ont démontré leur efficacité. En effet, force est de constater que le nombre d'arrivées irrégulières sur le territoire européen a considérablement diminué depuis 2015 et atteint des niveaux inférieurs à ceux de 2013. Par ailleurs, lorsque la crise de 2015 est survenue, l'Union européenne disposait d'un ensemble de mécanismes qui permettaient de répondre à la situation et qui n'ont jamais été activés, notamment le dispositif d'alerte rapide prévu par l'article 33 du règlement de Dublin et la directive dite « de protection temporaire ». De manière générale les dysfonctionnements constatés avant ou pendant la crise relevaient essentiellement d'une part, de mauvaises applications du droit de l'Union européenne par les États membres et d'autre part, de l'inaction de la Commission européenne dans son rôle de gardienne des traités. Dès lors, plutôt que de porter une analyse de la situation et d'y répondre avec les instruments, les outils et les techniques qui étaient à disposition, on a préféré modifier l'ensemble du dispositif.

Force est de constater que le règlement de Dublin était, est et restera le seul instrument dysfonctionnant et perturbateur dans l'ensemble du système. Dès lors, il aurait été préférable de s'attacher à le modifier et à adapter les autres dispositifs à la situation.

Désormais, le processus législatif est un peu immobilisé. La Commission européenne, par souci d'action et de légitimation législatives, a présenté un pacte qui relève en réalité de la quadrature du cercle. Il s'agit d'intégrer dans ce pacte un ensemble de dispositifs qui satisfasse non seulement les pays d'Europe centrale et orientale, qui sont très fortement réticents à accueillir des demandeurs d'asile et des réfugiés et, plus largement, aux questions migratoires, mais également les pays d'Europe du Sud, dits « de première ligne », qui exercent une charge disproportionnée dans le contrôle des frontières extérieures et l'accueil des demandeurs d'asile. Ce pacte vise donc non seulement à trouver un point d'équilibre quasiment illusoire entre deux positions antagonistes, mais encore à poursuivre une voie politique, ouverte notamment par les pays d'Europe centrale et orientale et validée par les chefs d'État et de gouvernement. En effet, en octobre 2016, les chefs d'État et de gouvernement se sont retrouvés à Bratislava pour un sommet informel à l'occasion duquel ils ont clairement indiqué que leur objectif consistait à ne plus jamais être confrontés à des flux migratoires inconsidérés ou incontrôlables. Dès lors, la question du contrôle des frontières extérieures et du retour des personnes en situation irrégulière devenait la priorité de la politique européenne.

En juin 2019, à l'occasion du Conseil européen, le programme stratégique 2019- 2024 adopté par les chefs d'État et de gouvernement, qui cadre l'action des institutions européennes pour les cinq années à venir, apparaît comme une copie des conclusions de Bratislava. Il prévoit en effet une action extrêmement forte, voire prioritaire, sur la question de la gestion des frontières et du retour des personnes en situation irrégulière. Aucun des autres champs de la politique migratoire ne bénéficie d'une telle priorité.

La politique européenne a été bâtie sur les fondements de la création d'un espace européen de protection, notamment pour les personnes qui fuient les persécutions. Elle vise désormais à créer un espace protégé du reste du monde qui renforce constamment ses contrôles aux frontières extérieures au détriment d'une approche plus apaisée de la question de l'asile et plus largement, de celle des migrations légales et des flux migratoires entre États européens.

Je pense qu'il est important de revenir à une volonté de créer un espace protecteur. Les États européens se sont orientés vers une logique dans laquelle ils cherchent davantage à contrôler les personnes et les frontières qu'à organiser l'entrée et le séjour des personnes en quête d'une protection internationale ou en vue d'un regroupement familial, de l'exercice d'une activité économique ou de terminer des études.

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