La réunion

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La réunion débute à quatorze heures trente.

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Nous abordons la dimension européenne de la question migratoire. Nous entendrons des spécialistes du règlement Dublin ainsi que les administrations en charge de sa renégociation et plus généralement de la définition de la position française dans les négociations européennes. Ces auditions seront complétées demain par un déplacement à Bruxelles où nous rencontrerons les services de la Commission, ainsi que la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne.

Je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

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(Maître Emmanuelle Néraudau et M. Yves Pascouau prêtent serment)

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Yves Pascouau, docteur en droit public, directeur des programmes à l'association Res Publica

Je pense qu'il est nécessaire de revenir brièvement sur les logiques qui animent les questions des migrations et de l'asile au sein de l'Union européenne, car elles se répercutent au niveau national.

La question de la politique migratoire dans les États membres et au niveau de l'Union européenne n'est pas nouvelle ; elle se pose au moins depuis la fin des années 90 et le début des années 2000. L'Union européenne légifère depuis plus de vingt ans quant au contrôle des frontières extérieures, à l'asile et aux migrations. Ce cadre législatif est impressionnant non seulement par son volume, mais également par sa précision.

Dans les domaines de la gestion des frontières extérieures et de l'asile, on peut considérer que l'action dans l'Union européenne est très largement encadrée. La gestion des contrôles aux frontières extérieures représente un des domaines les plus intégrés de l'action de l'Union européenne puisqu'elle agit non seulement au niveau législatif, par le biais de directives, voire de règlements, mais également dans sa mise en œuvre effective. En effet, l'ensemble des dispositifs opérationnels et électroniques accompagnent l'action quotidienne des autorités nationales et, dans ce cadre, l'action européenne est considérablement approfondie.

S'agissant de l'asile, les droits nationaux sont harmonisés par des règles européennes qui ont été adoptées en deux étapes successives. Le corpus législatif est d'autant plus significatif qu'il organise très précisément non seulement la situation, le rôle et les obligations des États, mais également la situation et les droits des individus qui sont couverts, demandeurs d'asile et réfugiés ou ressortissants de pays tiers à divers titres.

Le rôle de l'Union européenne a été un peu occulté alors qu'elle a été un acteur important dans ce domaine depuis la crise migratoire de 2015 et 2016. Cette crise a, en réalité, conduit à un profond bouleversement de la manière dont non seulement les opinions publiques, mais surtout les décideurs européens abordent et considèrent la question de la gestion des flux migratoires. En 2015 et 2016, un million de personnes sont entrées depuis la Turquie, principalement, vers la Grèce, donc sur le territoire européen. Ce fut un moment politique fort pour les États membres non seulement en regard de la position adoptée par la chancelière Mme Angela Merkel, mais également parce qu'il a généré une division inattendue entre les États européens sur la question migratoire.

Face à cette situation, deux options se présentaient. La première visait à prendre en compte les difficultés, à évaluer les dispositifs en présence et à les adapter si nécessaire. La seconde option consistait à considérer que l'ensemble des dispositifs adoptés jusqu'alors n'étaient pas opérants et qu'il convenait de les modifier. En 2016, la Commission européenne a proposé plusieurs lois relatives à l'asile, puis en 2020, elle a présenté le pacte sur l'asile et l'immigration.

Les acteurs européens sont actuellement animés par la conviction qu'il faut tout changer. Or, en examinant la situation attentivement, sur les plans juridique et opérationnel, il s'avère que ce n'est probablement pas nécessaire, mais qu'il convient en priorité d'adapter certains éléments du dispositif. Au niveau opérationnel, les actions mises en œuvre, notamment à la frontière extérieure de l'Union européenne, ont démontré leur efficacité. En effet, force est de constater que le nombre d'arrivées irrégulières sur le territoire européen a considérablement diminué depuis 2015 et atteint des niveaux inférieurs à ceux de 2013. Par ailleurs, lorsque la crise de 2015 est survenue, l'Union européenne disposait d'un ensemble de mécanismes qui permettaient de répondre à la situation et qui n'ont jamais été activés, notamment le dispositif d'alerte rapide prévu par l'article 33 du règlement de Dublin et la directive dite « de protection temporaire ». De manière générale les dysfonctionnements constatés avant ou pendant la crise relevaient essentiellement d'une part, de mauvaises applications du droit de l'Union européenne par les États membres et d'autre part, de l'inaction de la Commission européenne dans son rôle de gardienne des traités. Dès lors, plutôt que de porter une analyse de la situation et d'y répondre avec les instruments, les outils et les techniques qui étaient à disposition, on a préféré modifier l'ensemble du dispositif.

Force est de constater que le règlement de Dublin était, est et restera le seul instrument dysfonctionnant et perturbateur dans l'ensemble du système. Dès lors, il aurait été préférable de s'attacher à le modifier et à adapter les autres dispositifs à la situation.

Désormais, le processus législatif est un peu immobilisé. La Commission européenne, par souci d'action et de légitimation législatives, a présenté un pacte qui relève en réalité de la quadrature du cercle. Il s'agit d'intégrer dans ce pacte un ensemble de dispositifs qui satisfasse non seulement les pays d'Europe centrale et orientale, qui sont très fortement réticents à accueillir des demandeurs d'asile et des réfugiés et, plus largement, aux questions migratoires, mais également les pays d'Europe du Sud, dits « de première ligne », qui exercent une charge disproportionnée dans le contrôle des frontières extérieures et l'accueil des demandeurs d'asile. Ce pacte vise donc non seulement à trouver un point d'équilibre quasiment illusoire entre deux positions antagonistes, mais encore à poursuivre une voie politique, ouverte notamment par les pays d'Europe centrale et orientale et validée par les chefs d'État et de gouvernement. En effet, en octobre 2016, les chefs d'État et de gouvernement se sont retrouvés à Bratislava pour un sommet informel à l'occasion duquel ils ont clairement indiqué que leur objectif consistait à ne plus jamais être confrontés à des flux migratoires inconsidérés ou incontrôlables. Dès lors, la question du contrôle des frontières extérieures et du retour des personnes en situation irrégulière devenait la priorité de la politique européenne.

En juin 2019, à l'occasion du Conseil européen, le programme stratégique 2019- 2024 adopté par les chefs d'État et de gouvernement, qui cadre l'action des institutions européennes pour les cinq années à venir, apparaît comme une copie des conclusions de Bratislava. Il prévoit en effet une action extrêmement forte, voire prioritaire, sur la question de la gestion des frontières et du retour des personnes en situation irrégulière. Aucun des autres champs de la politique migratoire ne bénéficie d'une telle priorité.

La politique européenne a été bâtie sur les fondements de la création d'un espace européen de protection, notamment pour les personnes qui fuient les persécutions. Elle vise désormais à créer un espace protégé du reste du monde qui renforce constamment ses contrôles aux frontières extérieures au détriment d'une approche plus apaisée de la question de l'asile et plus largement, de celle des migrations légales et des flux migratoires entre États européens.

Je pense qu'il est important de revenir à une volonté de créer un espace protecteur. Les États européens se sont orientés vers une logique dans laquelle ils cherchent davantage à contrôler les personnes et les frontières qu'à organiser l'entrée et le séjour des personnes en quête d'une protection internationale ou en vue d'un regroupement familial, de l'exercice d'une activité économique ou de terminer des études.

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Maître Emmanuelle Néraudau, docteure en droit public, avocate au barreau de Nantes

Je vous remercie de me permettre de m'exprimer sur le système Dublin qui fait couler beaucoup d'encre. Ce système constitue un des points d'achoppement de la politique européenne d'asile et d'immigration qui vise à créer un espace commun d'asile.

Une des missions de votre commission d'enquête consiste à évaluer, en retraçant le parcours du migrant, la réalité des conditions d'accueil et d'accès au droit au regard des engagements internationaux et européens de la France.

On a tendance à considérer que le système Dublin démarre à nos frontières. Or le demandeur d'asile commence par fuir un pays pour des raisons de craintes graves et personnelles, en lien avec son origine, sa race, un groupe social persécuté ou sa nationalité. Avant de fuir vers l'Europe, ce demandeur de protection internationale essaie de trouver une protection dans son pays ou dans un pays limitrophe. S'il ne la trouve pas, il poursuit sa route migratoire chaotique et dangereuse, jalonnée parfois de détentions et de violence. Ensuite, s'il parvient à payer, il embarque sur un bateau pneumatique pour une traversée très périlleuse de la mer Méditerranée. L'embarcation est souvent interceptée dans les eaux territoriales des pays européens et le migrant arrive sur le territoire de l'Union européenne. Le plus souvent, son premier contact avec l'espace européen ou avec les outils juridiques que les États membres ont mis en place consistera en une prise d'empreintes qui incrémentera la base de données commune Eurodac à travers laquelle les États ont l'obligation d'enregistrer les franchissements irréguliers des frontières ou les demandes d'asile.

Ensuite, plusieurs scenarii sont possibles. Soit le migrant est enregistré comme demandeur d'asile dans Eurodac et sa demande sera examinée par le pays d'entrée, soit il ne rencontre pas les conditions matérielles d'accueil inhérentes à son statut de demandeur d'asile et il poursuit sa route migratoire vers un deuxième État de l'Union européenne ou tente de rejoindre sa famille. Au-delà, s'il n'a obtenu aucune réponse à sa demande d'asile depuis plusieurs mois ou si sa demande d'asile a été rejetée, il poursuit sa route migratoire à la recherche d'une protection internationale.

Lorsqu'il passe du premier État, où il a été enregistré, à la France, et qu'il se présente au pré-accueil pour enregistrer sa demande d'asile, il obtient un rendez-vous au guichet d'enregistrement de la préfecture où ses empreintes seront retrouvées dans la base de données. La France sera donc l'État membre qui décidera de la suite de la procédure juridique à appliquer.

Deux principales options s'offrent alors à elle :

– La France décide d'accepter cette personne comme demandeur d'asile, même si ses empreintes ont été enregistrées dans un autre État, comme le prévoit une clause du règlement de Dublin. Le demandeur d'asile initie alors une procédure d'asile sur le territoire français.

– La procédure Dublin est enclenchée sur le territoire français et le demandeur d'asile sera convoqué à plusieurs reprises. La procédure Dublin est menée par les préfectures, via des pôles régionaux Dublin (PRD). Cette procédure consiste à interroger le pays d'entrée afin de s'assurer que les empreintes appartiennent au demandeur et de demander à ce pays de reprendre en charge la demande d'asile. Le demandeur d'asile, qui dispose alors d'une attestation de demande sous procédure Dublin, sera entendu dans le cadre d'un entretien au cours duquel il devra être en capacité d'échanger dans une langue comprise et d'expliquer les raisons de sa présence sur le territoire français. Un dossier sera donc constitué en amont de la décision de transfert Dublin vers le pays d'entrée.

Lorsque le PRD notifie une décision de transfert Dublin vers le pays d'entrée, le délai de recours est de quinze jours ; délai raccourci à quarante-huit heures lorsqu'une assignation à résidence est conjointe à cette décision. Ce sont des délais très courts pour saisir le juge administratif compétent pour vérifier que le règlement Dublin est directement applicable, que les garanties procédurales et les droits fondamentaux du demandeur d'asile ont été respectés.

Cette procédure Dublin représente une forme de parenthèse administrative précédant l'accès à l'asile pour les demandeurs. Elle nécessite que les avocats expliquent au demandeur d'asile les raisons pour lesquelles il n'est pas en procédure d'asile.

En effet, dans le cadre du système Dublin, le demandeur d'asile n'a pas accès immédiatement à une procédure d'asile alors que l'ensemble des États membres est signataire de la Convention de Genève et de la Convention européenne des droits de l'homme qui constituent des engagements internationaux et européens.

Lorsque les États ont créé un espace commun de libre-circulation, ils n'ont pas détruit les frontières intérieures, mais aboli les contrôles. Dès lors, le demandeur d'asile n'étant pas soumis à un contrôle aux frontières intérieures, les États ont élaboré, en 1990, la convention Dublin qui stipule que seul l'État membre qui a pris la plus grande place dans l'arrivée du demandeur, qu'elle soit régulière, avec un visa ou un titre de séjour, ou irrégulière, par franchissement irrégulier de la frontière extérieure, sera responsable de la demande d'asile. Le règlement Dublin 2 a fait suite à cette convention et fonde le recours des avocats devant le juge national. Ce texte est directement applicable sous le contrôle de la Cour européenne.

Le règlement Dublin 3 constitue une refonte du règlement Dublin 2 et il fait suite aux avancées des cours européennes, survenues au cours de l'année 2011. En janvier 2011, la Cour européenne des droits de l'homme a estimé que, si la présomption de sécurité du transfert des demandeurs d'asile entre États-membres existe, elle n'en demeure pas moins réfragable, notamment si le transfert a une incidence sur le risque de mauvais traitements et si les droits fondamentaux du demandeur d'asile sont inquiétés.

En décembre 2011, la Cour de justice de l'Union européenne, en écho à la Cour européenne des droits de l'homme, reconnaît le caractère réfragable de la présomption de sécurité comme une défaillance systémique. Cela signifie que, si un État membre de l'Union européenne se trouve en état de défaillance systémique de l'accueil des demandeurs d'asile ou de la gestion de sa demande d'asile, le transfert sera suspendu.

Le règlement Dublin 3, élaboré en 2013, présente des garanties procédurales. Pour autant, les critères hiérarchiques de base du système Dublin sont inchangés, à savoir les critères protecteurs et les critères familiaux. À défaut, le premier pays d'entrée devra prendre en charge la demande d'asile.

Ce critère de premier pays d'entrée pèse sur les États limitrophes.

Pour conclure, les objectifs de ce règlement sont louables puisqu'ils permettent aux demandeurs d'asile un accès rapide à une procédure, ils garantissent un traitement de qualité par un seul État-membre et évitent des demandes d'asile multiples. Cependant, il produit des effets pervers puisque les pays d'entrée sont largement sollicités et que, par ailleurs les droits du régime d'asile européen commun ne sont pas harmonisés, ce qui entraîne des mouvements secondaires.

L'efficacité du système Dublin est largement remise en question en raison de sa lenteur et des mouvements secondaires qu'il génère. Ce système coûteux ne remplit donc pas ses objectifs. En outre, parce qu'il n'existe pas d'outils de répartition des demandeurs d'asile, le règlement Dublin a tenu un rôle qui n'était pas le sien, à savoir de répartir les demandeurs d'asile, tout à fait illégalement et de manière contraire à la solidarité qui devrait être un des principes majeurs du régime d'asile européen commun.

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Je souhaiterais que vous reveniez sur l'idée d'un asile européen. Nous assurerons la présidence de l'Union européenne en janvier 2022 et je pense que le président de la République Emmanuel Macron initiera une réforme de l'asile européen. Que peut-on attendre d'une telle réforme ?

Que pensez-vous d'une éventuelle reconnaissance automatique, dans l'ensemble des États membres, des décisions d'asile d'un État. Que pensez-vous de la création d'une agence européenne chargée d'accorder ou de refuser l'asile en fonction de critères uniques ?

Quelles seraient les mesures utiles à l'harmonisation européenne des droits des demandeurs d'asile ?

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Yves Pascouau, docteur en droit public, directeur des programmes à l'association Res Publica

La question d'un asile européen était sous-jacente lors du sommet européen de Tampere qui a immédiatement suivi l'entrée en vigueur du traité d'Amsterdam. En octobre 1999, les chefs d'État et de gouvernement ont décidé de créer un régime d'asile européen commun qui, à terme, devait être fondé sur une procédure et une reconnaissance unique dans l'ensemble des États de l'Union européenne. L'espace européen devait devenir un espace unique de protection au sein duquel, quel que soit l'État dans lequel était déposée la demande d'asile, la procédure et la reconnaissance seraient identiques.

Actuellement, l'application des règles n'est pas harmonisée entre les pays européens, mais ces différences-là ne sont pas nécessairement très importantes et peuvent être résolues par un travail de coordination.

En revanche, un problème majeur réside dans le fait que, lorsqu'un État membre accepte d'examiner une demande d'asile, la décision issue de cet examen est nationale et uniquement applicable dans l'espace national. Dès lors, tout mouvement de réfugiés statutaires d'un État à l'autre est considéré comme irrégulier. Or il aurait été logique d'ouvrir un statut de réfugié européen et d'établir un mécanisme de reconnaissance.

Il serait nécessaire de créer une sorte d'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) européen, indépendant, reposant soit sur une entité centralisée, soit sur des offices régionalisés aux quatre coins de l'Union européenne. Cet OFPRA recueillerait les demandes d'asile déposées sur le territoire européen et apporterait une décision valable dans l'ensemble des États européens.

Les conclusions du sommet de Tampere s'orientaient dans cette direction, mais les États n'appliquent pas correctement les règles qui permettraient d'y parvenir.

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Pourriez-vous nous apporter des précisions quant au dispositif d'alerte prévu dans le règlement Dublin et à ses conséquences ?

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Yves Pascouau, docteur en droit public, directeur des programmes à l'association Res Publica

Il s'agit d'un mécanisme d'alerte rapide qui doit permettre d'anticiper une situation de pression migratoire importante. Ces mécanismes existent non seulement dans le règlement de Dublin 3 de 2013, mais également dans les rapports annuels de l'agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures (Frontex). Dans ses rapports publiés en 2011, 2012, 2013 et 2014, Frontex alertait sur le fait que, la situation en Syrie ne cessant de se détériorer, le nombre de demandeurs d'asile d'origine syrienne arrivant sur l'espace européen serait de plus en plus important et que cela engendrerait des difficultés. Les mécanismes d'alerte existent, d'autres sont prévus, notamment les mécanismes de solidarité. Il s'agit de tenir compte du travail réalisé par ces agences chargées de l'alerte et d'en tirer des conclusions dans la gestion politique, tant en termes d'anticipation que dans la réponse à apporter à une situation.

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Maître Emmanuelle Néraudau, docteure en droit public, avocate au barreau de Nantes

Pour ce qui concerne la réforme, la proposition de 2016, Dublin 4, n'a pas abouti. Le pacte d'asile et d'immigration de 2020 comporte une proposition de gestion de l'asile et de l'immigration qui intègre Dublin tout en le modifiant.

Le critère familial est élargi de sorte que le demandeur d'asile puisse rejoindre un frère ou une sœur ou une famille qui aurait été constituée lors du transit migratoire ou encore un État où il aurait obtenu un diplôme dans le passé. Ces critères semblent relever d'une meilleure prise en compte de la situation des demandeurs d'asile.

Dans le même temps, la responsabilité du premier pays d'entrée est renforcée puisqu'elle s'exercera dorénavant pendant trois ans, ce qui alourdira davantage le fardeau qui pèse sur celui-ci.

Cette proposition de modification mentionne également un mécanisme de solidarité « en cas de pression », donc un mécanisme restreint. Il permettrait notamment aux États d'aider un État qui serait en difficulté, soit par le biais de la relocalisation, soit par le biais de la prise en charge des éloignements ou des retours en cas refus d'asile. Je crains que ce mécanisme, qui n'est pas constant, soit trop complexe, qu'il manque de souplesse et qu'il ne soit activé uniquement en cas de crise.

Il serait souhaitable que les États membres s'entendent. Je suggère qu'au cours de sa présidence, la France prenne l'initiative de créer un outil de répartition des demandeurs d'asile qui soit solidaire, constant et qui respecte non seulement les contraintes économiques des États, mais également les intentions des demandeurs d'asile, c'est-à-dire en intégrant des éléments équitables entre les contraintes et les pressions que subissent les États et la future intégration du demandeur d'asile dans l'État hôte.

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Est-ce que vous comprenez que le modèle que vous proposez génère, parmi les responsables politiques, un sentiment de perte de souveraineté qui induit des inquiétudes et des résistances ?

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Yves Pascouau, docteur en droit public, directeur des programmes à l'association Res Publica

Je comprends qu'à force de répéter aux citoyens que l'Union européenne est la cause de tous leurs maux, ils finissent par le croire.

Je doute que les États membres aient véritablement perdu leur souveraineté en matière migratoire. Ils ont accepté de conclure le traité d'Amsterdam dans lequel ils ont mentionné leur volonté de transférer à l'Union européenne les compétences en matière d'asile, d'immigration et de gestion des frontières. Par ailleurs, cette compétence a été renforcée et encadrée par les conclusions de Tampere et par le traité de Lisbonne. Les États considèrent que la préservation de l'espace Schengen, sans contrôles aux frontières intérieures, impose de coordonner, d'harmoniser, voire d'intégrer les politiques migratoires.

Les chiffres démontrent de manière très objective que l'ensemble des actions menées aux frontières extérieures de l'Union européenne ont conduit à une diminution significative du nombre d'arrivées irrégulières dans l'espace européen et que l'action commune en matière d'asile et d'immigration n'est nullement attentatoire du pouvoir décisionnel des États. Les décisions d'asile sont nationales et ne valent que pour l'État qui les prend. Les institutions européennes n'imposent pas aux États d'accorder ou non un titre de séjour. Ce ne sont pas elles qui délivrent les visas dans les consulats.

En outre, l'article 79.5 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne rappelle que les États conservent la possibilité de limiter le nombre d'entrées sur leur territoire, notamment pour les personnes qui viennent exercer une activité économique.

Dès lors, la question de la perte de souveraineté des États ne se pose pas.

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Maître Emmanuelle Néraudau, docteure en droit public, avocate au barreau de Nantes

On peut comprendre les crispations de certains citoyens européens qui ne voient plus très clair dans la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres.

Nous n'avons pas évoqué les aspects positifs des dispositifs mis en œuvre par l'Union européenne et qui contribuent à ce qu'elle représente un des espaces les plus protecteurs au monde. Nous avons mentionné uniquement les dysfonctionnements ce qui peut conduire le citoyen à penser que cet échelon européen apporte plus de problèmes que de retombées positives. Dès lors, cela génère des crispations.

L'échelon européen représente une souveraineté partagée dans certains domaines, chaque État préservant sa souveraineté nationale. Les États n'ont pas cédé toutes leurs compétences en matière d'asile et d'immigration à Bruxelles ou à l'Union européenne.

La crise de 2015, ce qui était une crise de l'asile en Europe, a mis en exergue la nécessité d'une politique commune, de la création d'outils communs. Si cette répartition existait, l'image de l'immigration serait modifiée.

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Au-delà des accords de Schengen, les pays entretiennent des relations bilatérales qui les conduisent à signer des accords spécifiques qui ne sont pas toujours clairement rendus publics. À titre d'exemple, la rencontre entre le Président Emmanuel Macron et M. Pedro Sanchez, le Premier ministre espagnol, lors du sommet de Montauban, a uniquement fait l'objet d'un communiqué laconique mentionnant des discussions sur les accords transfrontaliers. Dès lors, disposez-vous d'une matière suffisante à vos réflexions de sorte à être forces de propositions ?

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Yves Pascouau, docteur en droit public, directeur des programmes à l'association Res Publica

Nous souhaiterions en effet avoir accès à l'ensemble des informations nécessaires à nos analyses. Nous comprenons que ces accords bilatéraux ne soient pas rendus publics, mais nous le regrettons également.

Les règles de Schengen autorisent les accords entre les États et je suppose que ces accords bilatéraux rentrent dans le cadre de Schengen. Toutefois, le juge administratif est régulièrement saisi de la situation observée à la frontière pour constater que l'administration française a manqué à ses obligations. On touche à une matière sensible non seulement sur le plan humain, mais également au regard du droit, parce qu'on atteint le cœur même et le fondement de la construction européenne, le socle commun des droits fondamentaux.

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Maître Emmanuelle Néraudau, docteure en droit public, avocate au barreau de Nantes

Nous vous transmettrons les différents rapports sur lesquels repose notre réflexion.

La réunion s'achève à quinze heures trente.