Je précise que je me présente à vous comme directeur adjoint de l'Union européenne parce que la mission de la Direction de l'Union européenne du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères consiste à accompagner la négociation de sorte qu'elle se déroule dans les meilleures conditions possibles en regard de nos intérêts, étant entendu que le ministère de l'Intérieur pilote ces questions. Je me limiterai donc aux enjeux et au contexte de la négociation du pacte sur l'immigration et l'asile, dans ses dimensions interne et extérieure, à savoir les relations que l'Union européenne entretient avec les pays tiers dans le domaine migratoire et de l'asile.
L'ensemble de textes qui a été présenté le 23 septembre 2020 visait, à la suite des impasses dans la négociation qui s'est déroulée entre 2016 et 2020, à organiser un rééquilibrage pour d'une part, à renforcer un pilier de responsabilité, de contrôle des frontières extérieures, d'amélioration du fonctionnement de Dublin et d'autre part, à rendre plus prévisible et plus tangible un impératif de solidarité entre les États membres.
Cet ensemble s'articule autour de cinq textes :
- un texte qui vise à mettre en place une procédure de filtrage à la frontière extérieure ;
- un règlement qui vise à réviser les procédures applicables en matière d'asile en créant notamment une procédure à la frontière assortie d'une procédure accélérée d'examen des demandes d'asile ;
- un règlement sur la gestion de l'immigration et de l'asile qui articule les impératifs de solidarité et de responsabilité ;
- le règlement Eurodac ;
- un règlement qui traite des situations d'urgence.
Le règlement créant l'Agence européenne de l'asile a été adopté au mois juillet dernier, mais le règlement de réinstallation et la directive d'accueil demeurent en négociation.
La refonte engagée par la commission au mois de septembre 2020, qui visait à trouver un nouvel équilibre, s'avèrera rapidement reproduire les lignes de clivage du passé. Il est intéressant d'examiner chacun de ces textes et d'identifier les principaux points politiques de clivage parce qu'ils dessinent les enjeux du pacte sur l'immigration et l'asile.
Le règlement relatif à la procédure de filtrage à la frontière vise à mettre en place une série de contrôles, notamment des contrôles de sécurité. Le point d'achoppement entre les États membres concerne la mise en place d'une rétention obligatoire à la frontière pour les cinq jours de durée de la procédure de filtrage, éventuellement reconductible cinq jours supplémentaires. Les États membres de première entrée refusent d'être soumis à l'obligation de rétention à la frontière et les États de destination, qui connaissent souvent des mouvements secondaires importants (la France et l'Allemagne, notamment), sont favorables à une telle rétention.
Ce clivage relatif à la rétention se retrouve sur le règlement de procédure. En effet, si un migrant ayant franchi régulièrement la frontière extérieure dépose une demande d'asile, une procédure à la frontière est activée. Elle peut être assortie d'un examen accéléré de la demande d'asile, en particulier pour les ressortissants de pays tiers dont le taux d'admission au statut de réfugié est inférieur ou égal à 20 %. La commission avait prévu un mécanisme de rétention également obligatoire pour les douze ou seize semaines de durée de la procédure et reconductible en cas d'appel pour douze semaines supplémentaires. Les États de première entrée refusent ce dispositif de rétention obligatoire. Ces États s'interrogent quant à la durée, certains l'estimant trop courte au regard des délais incompressibles, d'autres trop longue au regard des prescriptions des conventions internationales. L'applicabilité de ce type de procédure à des publics particuliers, notamment les mineurs non accompagnés, soulève des questions. Un second groupe d'États est favorable à l'instauration d'un dispositif de rétention de sorte que cette procédure d'examen accéléré à la frontière soit utile.
La proposition de règlement sur la gestion de l'immigration et de l'asile constitue le troisième grand bloc législatif qui donne lieu à des divergences de vues importantes entre les États membres. Elle prévoit des impératifs de responsabilité, à savoir que l'État membre de première entrée, l'État qui est chargé de l'examen des demandes d'asile, resterait responsable de ces examens pendant trois ans ( versus un an actuellement). Ce délai est contesté par les États membres de première entrée.
Le délai actuel pour opérer des transferts Dublin, actuellement fixé à six mois, est jugé trop court par plusieurs États de destination au regard des conditions matérielles d'organisation de ces transferts qui nécessitent un délai plus long.
Ce volet de responsabilité génère donc des discussions et des lignes de clivage. Il en est de même pour le volet de solidarité de ce règlement sur la gestion de l'immigration et de l'asile.
Des États membres de première entrée, souvent situés au sud de l'Europe, demandent une plus grande prévisibilité dans les dispositifs de solidarité. Dans l'article 45 de la proposition de règlement, la Commission prévoit une sorte de panachage. La solidarité est obligatoire pour les États membres et cette obligation est fondée sur des critères, répartis à parts égales, de richesse et de population. Cependant, dans ce cadre prédéfini, chaque État membre dispose d'un choix entre différentes options, qu'il s'agisse de la relocalisation ou de la participation à la mise en œuvre des retours - le parrainage des retours - ou d'une assistance financière à l'égard de pays tiers afin de renforcer leurs capacités d'accueil. Les États de première entrée souhaitent disposer d'une base suffisamment solide en matière de relocalisation, ce que d'autres États membres refusent catégoriquement. Plusieurs États d'Europe centrale et orientale principalement refusent, sinon une solidarité obligatoire, du moins que cette solidarité impose un élément de relocalisation.
À l'automne dernier, nous avons compris que ces lignes de partage persisteraient. La France et ses partenaires, non seulement l'Allemagne qui, à l'époque, assurait la présidence, mais également des affinitaires, des États de destination de mouvements migratoires, et des États de première entrée ont travaillé sur une dimension plus fédératrice, située à l'intersection des préoccupations de l'intégralité des États membres, à savoir la dimension extérieure. En effet, pour les États membres de première entrée, les États du sud de l'Europe notamment, il est d'autant plus complexe d'accepter un mécanisme de rétention obligatoire dans le cadre de la procédure de filtrage ou de la procédure d'asile à la frontière qu'ils sont soumis à des flux entrants importants, à l'insuffisance de coopération avec les pays tiers pour essayer de les réguler et, en aval, à des perspectives de retour et d'éloignement limitées en raison de cette insuffisance de coopération.
Dès lors, la négociabilité du pacte sur l'immigration et l'asile, et notamment sur cet aspect de rétention à la frontière, passe par un dialogue accru avec les pays tiers afin d'améliorer les retours ou de mieux réguler les flux migratoires de manière concertée. Pour ce qui concerne les États de destination, il est essentiel de renforcer l'approche collective et européenne des relations avec les pays tiers.
Le 15 mars 2021, le Conseil s'est réuni en format mixte, Affaires étrangères et Intérieur. Le 25 juin 2021, les chefs d'État ou de gouvernement se sont réunis en Conseil européen afin d'élaborer un agenda visant à opérationnaliser et rendre plus efficace notre relation avec les pays tiers dans les domaines de l'asile et des migrations.
La Commission et le Service européen d'action extérieure sont chargés de construire des plans d'action avec les pays de l'Union européenne dans lesquels les flux migratoires sont les plus importants de sorte à fédérer et à mettre en synergie l'intégralité des instruments dont dispose l'Union européenne, qu'il s'agisse non seulement de son assistance extérieure, mais également du rôle de Frontex et de l'utilisation du lien entre visa et réadmission.
Neuf plans d'action sont en cours de discussion avec, par exemple, l'Afghanistan, la Bosnie-Herzégovine, la Tunisie, le Niger, le Nigeria, le Maroc, la Libye et la Turquie. Ces plans visent à fixer des objectifs et mettre en synergie les moyens et les instruments dont dispose l'Union européenne.
Les questions de réadmission ou de retour constituent un sujet politiquement sensible. La Commission a produit, au mois de février 2021, un rapport qui met en exergue les difficultés rencontrées avec plusieurs pays. Sur cette base, un dialogue a été initié avec les pays concernés afin d'améliorer la coopération sur les retours sur les réadmissions. Trois pays sont encore concernés par ce dialogue.
L'Union européenne s'est dotée d'un fonds de coopération internationale et de développement, le NDICI (instrument européen pour le voisinage, le développement et la coopération internationale), agrégeant des financements pour un montant de 79,5 milliards d'euros sur la période comprise entre 2021 et 2027. 10 % de cette enveloppe seront consacrés à la question migratoire, dans toutes ses dimensions : aider les pays tiers à construire des dispositifs d'accueil et d'asile, lorsque c'est nécessaire ; mettre en place des moyens de lutte contre la traite des êtres humains et les filières de passeurs ; mettre en place des coopérations pour assurer une meilleure gestion des frontières dans ces pays tiers. Bref, il s'agira d'utiliser l'ensemble des moyens financiers et d'assistance extérieure dont dispose l'Union européenne pour organiser ces coopérations.
Les programmations budgétaires de l'Union européenne et des États membres ont été alignées dans les « Initiatives équipe Europe ». Deux initiatives seront consacrées au domaine migratoire : l'une Atlantique, qui couvre surtout l'Afrique de l'Ouest et à laquelle la France participera avec l'Espagne ; l'autre dite « de Méditerranée centrale » couvre l'Afrique subsaharienne, la route centrale et l'Afrique de l'Est. La France et l'Italie sont à l'origine de cette proposition d'alignement des programmations budgétaires en matière d'aide au développement sur la question migratoire.
L'année 2021 a donc permis une affirmation politique, la fixation d'objectifs et l'initiation d'actions à dimension extérieure non seulement parce qu'elle vaut en soi et pour soi, mais également parce qu'elle sera bénéfique à la négociation interne du pacte sur la migration et l'asile, notamment sur les sujets de rétention obligatoire.
L'adoption du règlement créant l'Agence européenne de l'asile permettra la convergence des pratiques des États membres dans la mise en œuvre du régime d'asile européen commun, notamment pour ce qui concerne les conditions d'accueil des demandeurs d'asile. L'adoption du règlement relatif à cette Agence européenne montre qu'il est possible de progresser. Il convient donc de se donner les moyens de progresser, notamment sur le règlement Eurodac, afin d'améliorer l'identification des personnes qui franchissent la frontière et des demandeurs d'asile.
La négociation est extrêmement ardue. Elle est politiquement redoutable de complexité sur des enjeux fondamentaux pour les États membres.