Le fait que le droit des étrangers ne dépende pas seulement du ministère de l'intérieur est fondamental. Par exemple, pour certains cas de demandes de titre de séjour et de refus de renouvellement, la préfecture a l'obligation de saisir la commission du titre de séjour ou la commission d'expulsion pour obtenir un avis préalable non contraignant pour l'administration mais cependant intéressant. La composition de ces commissions est multiple. La commission d'expulsion est composée d'un magistrat, d'un représentant de l'administration préfectorale par exemple, mais également d'une autre administration, comme la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) ou encore le ministère de la santé. Ce regard complètement différent du ministère de l'intérieur est crucial pour l'administration elle-même qui n'a plus le réflexe de s'émouvoir de situations scandaleuses comme un étudiant en attente de renouvellement depuis plus d'un an mais aussi parce que les membres du ministère de l'intérieur ont souvent une culture de l'administration extrêmement différente. Ils parviennent notamment à prendre des décisions collectives intéressantes et les avis sont généralement suivis par l'administration. Le législateur a d'ailleurs réduit progressivement la voilure en supprimant la présence du magistrat au sein de la commission du titre de séjour, au motif que cela lui faisait perdre du temps. Le magistrat apportait pourtant un regard très intéressant sur l'application de la loi en rappelant à l'administration ce que les refus impliquent pour lui en termes de gestion du contentieux. Il pouvait conseiller d'éviter une annulation impliquant des frais parce que les contentieux coûtent tous les ans à l'administration des dommages et intérêts prévus par l'article 700, c'est-à-dire les frais d'avocat. C'est un élément à prendre en compte car il s'agit de l'argent public.
En matière de naturalisation par exemple, le ministère des solidarités était compétent, ce qui est fondamental parce qu'il s'agissait d'une question d'intégration. Il y avait ainsi à ce propos un regard sur le droit au travail, sur l'implication des personnes, tandis qu'aujourd'hui il s'agit plutôt de statistiques sécuritaires recensant le nombre de Français, les différentes nationalités, etc.
De même, le droit d'asile est aujourd'hui une question de statistiques. La CNDA est la plus grosse juridiction de France et sa présidence gère un stock. À partir de là, la question n'est plus la demande d'asile, mais le traitement des dossiers dans des délais raisonnables afin d'éviter de la souffrance aux demandeurs d'asile. Cette réponse n'est évidemment pas adéquate : un demandeur d'asile préfère attendre neuf mois et avoir l'occasion de parler en huis clos dans une audience plutôt que de se voir délivrer une décision de mauvaise qualité en trois mois. En conclusion, il faut sortir les étrangers du seul prisme du ministère de l'intérieur. De manière similaire, lorsque le ministère des affaires étrangères souhaite avoir un regard différent sur les visas, il se retrouve bloqué par le ministre de l'intérieur, qui lui impose des quotas.
L'introduction de médiateurs nécessiterait un vrai travail avec la police. Il conviendrait que la police s'habitue à la présence des avocats, qui n'ont pas pour objet de l'empêcher de faire de la procédure. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a publié un rapport très intéressant sur les gardes à vue. On traite mal la police, qui elle-même traite mal les personnes, tandis que la formation pour devenir policier est de plus en plus courte. Les jeunes sont dans les quartiers difficiles. Nous, avocats, ne faisons pas de formations sur la police. Nous pourrions réfléchir sur toute une série de sujets, tel que le récépissé fondamental. Encore une fois, lorsque nous pourrons tracer les contrôles d'identité, les contrôles d'identité aléatoires cesseront.
L'introduction de médiateurs peut représenter une bonne idée, mais il faudrait que l'administration qui gère le dossier procure une véritable formation en matière de communication pluriculturelle aux employés qui travaillent à l'accueil. En effet, à force de mettre des filtres, la personne en charge du dossier risque de se dédouaner de fournir un service de qualité en réorientant le public vers le médiateur. Aujourd'hui, les défenseurs des droits sont totalement englués et les médiateurs locaux sont incapables de gérer un si grand nombre de demandes. C'est une bonne idée, mais qui risque de se révéler un effort vain en termes d'efficacité compte tenu de l'importance de la demande.
Je pense donc que l'enjeu se situe en amont, dans la formation de l'administration, où il n'existe pas de formation commune ni de communication. Il pourrait être prévu que tous les mois ou tous les trois mois, par exemple, une réunion se tienne entre le préfet et le barreau, qui ne se voient quasiment plus jamais, la magistrature administrative et la magistrature des libertés et de la détention (JLD) pour traiter du contentieux des étrangers. Je crois aussi profondément qu'il est parfois judicieux de communiquer au niveau local.