La réunion

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La réunion débute à quatorze heures trente.

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Madame la rapporteure, mes chers collègues, je souhaite tout d'abord vous signaler le rapport de la défenseure des droits publié ce jour, intitulé « Gens du voyage : lever les entraves aux droits ». Ce rapport dénonce des discriminations systémiques envers les gens du voyage. Il y est précisé que les insuffisances en matière d'équipement et d'accès à l'eau potable, l'éloignement des services publics, notamment des écoles, ainsi que l'exposition aux risques environnementaux aggrave leur situation. Je vous en conseille la lecture. Claire Hédon, la défenseure des droits, y formule une série de 17 recommandations pour lutter contre des discriminations jugées permanentes en matière de logement, d'accès à l'éducation ou à la santé.

L'accès des étrangers au droit est un sujet qui a irrigué les travaux de notre commission depuis le début, que ce soit au travers de témoignages directs de migrants, du travail des associations qui nous ont fait part d'un certain nombre de manquements au droit ou de celui des organismes d'accueil, d'hébergements ou encore des professionnels de santé.

Il est important d'examiner de plus près le fonctionnement de la justice dans ce domaine. Chacun le sait, le contentieux des étrangers est en expansion continue, sa procédure est complexe, son contenu délicat, car il traite du respect des droits fondamentaux par l'administration, et les recours sont toujours plus nombreux. Ils ont quasiment doublé en dix ans devant le seul juge administratif, sachant qu'il faut y ajouter le contentieux de la rétention devant le juge des libertés et de la détention (JLD), ainsi que celui de la Cour nationale du droit d'asile. Or ces décisions sont de plus en plus nombreuses et doivent être rendues dans des délais impératifs. Or ce sont des décisions qui pèsent lourd pour les justiciables tant leurs conséquences sont décisives pour leur vie future.

S'agissant d'une commission d'enquête, il me revient, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander de prêter serment et de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(Mme Laurence Roques et Mme Hélène Gacon prêtent serment.)

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Je voudrais ajouter que je me suis rendu hier à la Cour nationale du droit d'asile pour écouter les revendications des avocats en grève portant sur des procédures légales qu'ils ne jugent pas respectées actuellement à la Cour nationale du droit d'asile, avec des questionnements forts sur les jugements par ordonnance, c'est-à-dire sans audition des personnes concernées. On peut s'interroger lorsque, notamment, des personnes LGBTI sont tenues de justifier par écrit leur orientation sexuelle, ce qui déjà extrêmement délicat et complexe lors d'un échange. L'après-midi, j'ai interrogé un ministre sur ce sujet, qui m'a donné lecture du Code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) et m'a assuré que « la loi, toute la loi et rien que la loi était respectée ». Le sujet qui nous réunit est cependant beaucoup plus vaste.

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Hélène Gacon, avocate et membre de la commission Libertés et droits de l'homme du CNB

Monsieur le président, Madame la rapporteure, les questions qui nous préoccupent en matière d'accès au droit sont très nombreuses. Nous allons essayer d'en dresser l'inventaire en reprenant les différentes catégories d'étrangers concernés.

Pour les demandeurs d'asile d'abord, j'évoquerai la dématérialisation des démarches en préfecture mais aussi à l'OFPRA et bientôt sans doute à la CNDA, l'accès à l'aide juridictionnelle dont les conditions sont éminemment restrictives et aussi le recours à la video audience. Le CNB avec la CNDA et d'autres représentants de la profession d'avocats a négocié un accord de médiation qui encadre son usage, avec l'espoir qu'il puisse servir de modèle pour toutes les video-audiences.

Les principales questions d'accès au droit pour les réfugiés qui se posent portent premièrement sur le délai d'obtention d'un certificat tenant lieu d'acte de naissance pour que l'état civil soit reconstitué par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et ce malgré les efforts de l'office sur lesquels nous n'avons aucun doute. On se trouve avec des situations éminemment complexes dans lesquelles des règles de droit international privé s'appliquent. Cela pose des difficultés à des personnes qui pourtant, bénéficient formellement d'une protection internationale, notamment pour l'ouverture des droits sociaux. Cela crée également des difficultés en matière de réunification familiale, c'est-à-dire la possibilité pour les réfugiés, comme prévu par la convention de Genève, ou pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire d'être rejoints par les membres de leur famille. L'exemple actuel des Afghans en est une illustration criante, mais c'est un problème structurel.

En ce qui concerne les étudiants, la question est celle des ruptures des parcours universitaires, du moins telle que perçues par les préfectures, qui entraîne des appréciations parfois erronées qui doivent être corrigées par les juridictions administratives, et qui génèrent des cessations ou des suspensions de droit.

La principale difficulté que rencontrent les étrangers en situation irrégulière est celui de la reconnaissance d'un droit fondamental, tant pour eux que pour la santé publique qui est celui de l'accès à l'aide médicale de l'État.

En ce qui concerne, maintenant, les procédures de contentieux, lorsqu'il y a un refus de titre de séjour et une obligation de quitter le territoire français (OQTF), les délais pour que les juridictions administratives statuent sont extrêmement longs. À Nantes par exemple, le délai pour examiner un recours formé contre l'OQTF peut être de plus d'un an, alors que ce recours est suspensif. Les délais sont tellement longs que, dans certains cas, nos confrères sont obligés d'ajouter une procédure supplémentaire qui consiste à engager un référé contre le refus de renouvellement. Or, il y a là une urgence, notamment lorsque les personnes concernées ont un travail. Finalement, pour une seule décision, deux procédures sont nécessaires, la seconde étant la conséquence des carences des systèmes étatiques qui portent la responsabilité de la bonne gestion de la juridiction administrative. Il s'agit là aussi d'un problème structurel.

Pour les OQTF dits « de 6 semaines » prononcés dans certains cas, notamment pour les demandeurs d'asile déboutés, même si le délai pour partir est de trente jours, le délai de recours est réduit à 15 jours et celui pour statuer est de 6 semaines. C'est de là que provient l'expression « OQTF de 6 semaines ». Les difficultés sont liées au fait que la demande d'aide juridictionnelle n'est pas interruptive du recours. Il faut donc impérativement former un recours dans ce délai de 15 jours sans savoir si l'on aura un avocat, ni quand, ce qui concrètement place les migrants dans une situation de fragilité et crée donc des risques de carence substantiels concernant l'accès au droit.

Pour les avocats, le problème est celui de l'indemnisation. Très souvent, lorsqu'un avocat accepte d'intervenir au titre de l'aide juridictionnelle, il n'aura pas encore été formellement désigné par le bureau d'aide juridictionnelle (BAJ) au moment où le tribunal administratif siégera. Certes, il est possible de demander à la juridiction le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire. Il reste qu'il faut être formellement désigné par le BAJ pour être indemnisé. Concrètement, nous sommes souvent indemnisés une année après que le jugement a été rendu. Même si nous avons la vocation de pratiquer ce type de contentieux, nous le faisons aussi pour une reconnaissance financière. Le fait de ne pas connaître les modalités ni la date de notre indemnisation au moment où l'on siège représente pour nous une source d'insécurité significative, d'autant plus que, si jamais l'aide juridictionnelle est refusée car il manque un document, un an plus tard nous n'aurons plus de nouvelles du migrant et nous aurons finalement effectué tout ce travail gratuitement.

Nous avons abordé ce matin avec les associations avec lesquelles nous travaillons dans la région de Calais, le sujet de la notification des OQTF du vendredi soir. Le délai de recours est très court lorsqu'il s'agit d'OQTF sans délai de départ volontaire, que ce soit avec un placement en rétention, qui implique un délai de 48 heures, ou en l'absence de placement en rétention, auquel cas le délai est de 7 jours. Nous rencontrons ainsi le vendredi soir un problème qui a conduit, par exemple, le barreau de Lille à mettre en place une permanence qui permet à un avocat de réagir dans le délai imparti. L'Ordre des avocats au barreau de Lille a demandé au préfet que le numéro de téléphone mis en place par l'Ordre des avocats figure formellement sur le bordereau de notification des OQTF. Cela a été refusé, et nous avons appris que cela avait également été refusé par le Conseil d'État. Il y a là clairement un point sur lequel le législateur pourrait avoir vocation à intervenir.

Nous avons été alertés, notamment par Monsieur le Bâtonnier de Lyon, sur le fait que la présidente de la cour administrative d'appel de Lyon, qui préside les questions d'accès à l'aide juridictionnelle, refuse systématiquement de recourir à l'article 3 de la loi de 1991 sur les situations particulièrement dignes d'intérêt. Cet article permet de déroger à la condition de régularité du séjour pour pouvoir bénéficier de l'aide juridictionnelle quand le contentieux est en lien avec un séjour considéré comme irrégulier. Je fais là allusion, par exemple, aux refus implicites de séjour, aux refus de séjour dits « secs » ou encore aux refus de regroupement familial. Ainsi, désormais, et contrairement aux pratiques suiview jusqu'alors, nous assistons à des refus d'aide juridictionnelle systématiques et donc à un accès au droit extrêmement précaire pour les migrants. Concrètement, ils sont souvent contraints de renoncer à exercer leurs droits ou bien de recourir à un avocat qui interviendra soit gratuitement, soit pour une somme tout à fait symbolique.

Un problème se pose en particulier pour les personnes en détention au moment de la notification de l'OQTF. L'enjeu est pour eux significatif car la notification intervient en prévision de la fin de la détention. Ils n'ont pas les moyens matériels de contester ces OQTF en déposant un recours, qui sont déjà particulièrement aléatoires pour les détenus, ni même d'avoir accès au droit, c'est-à-dire à une personne qui puisse leur prêter assistance comme c'est le cas par exemple pour les personnes en rétention administrative ou en zone d'attente. S'ils souhaitent former un recours, aucune présence associative spécifique au droit des étrangers n'est prévue. Il s'agit là d'une lacune extrêmement importante.

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Laurence Roques, avocate et présidente de la commission Libertés et droits de l'homme du CNB

Si l'on dresse un bilan général de ce qui a été évoqué par ma consœur Hélène Gacon, on constate un épuisement et un renoncement au droit. En réalité, en termes d'évolution, l'accès au droit pour les étrangers se retrouve épuisé en amont.

Cela ne concerne d'ailleurs pas seulement les personnes sans papiers mais également les étudiants, les parents d'enfants français, les conjoints, tous ces publics qui étaient au départ des « plein droit », c'est-à-dire qui pouvaient avoir accès à des papiers.

Ce renoncement joue aussi pour le contentieux de la naturalisation, alors même que c'est un parcours d'intégration souhaité et inscrit dans la loi. L'idée était jusqu'à présent de faciliter cette procédure. Tandis que, pendant très longtemps, la plus grande difficulté résidait dans les délais de jugement, elle concerne aujourd'hui la possibilité même de déposer un dossier. En réalité, on a dans le contentieux et dans l'accès au droit des étrangers un lien incontestable avec les moyens du service public : à partir du moment où il n'affecte plus de moyens au service public, on décide qu'il n'y a plus d'accès au droit.

Le grand vecteur de ce renoncement est la dématérialisation. Les étrangers ne sont plus reçus par des agents de guichet pour déposer leurs dossiers. La médiation de l'ordinateur rend invisible la personne qui pourrait traiter leur situation. Aucun moyen supplémentaire n'est mis à disposition. Les personnes vont désormais créer et nourrir des dossiers via le site FranceConnect. Cette démarche engendre des numéros de dossiers, mais sans que rien ne se passe ensuite, et aucun recours n'est possible. Les avocats subissent ainsi un transfert de charge publique : leur métier n'est plus de défendre des personnes devant le tribunal, mais de se connecter en ligne pour essayer de déposer un dossier pour des étrangers. Ces derniers étant souvent dépourvus d'accès à la langue et d'accès matériel à la connexion Internet, nous sommes devenus des prestataires de services publiques à l'instar des associations. C'est vrai pour l'ensemble des justiciables, mais a fortiori pour les étrangers.

Cet aspect a des conséquences significatives pour les avocats, qui facturent non plus une prestation juridique, mais l'accès au service public. En réalité, ce système inonde les juridictions administratives qui gèrent aujourd'hui le contentieux des rendez-vous en préfecture. Les avocats demandent des « référés mesures utiles » pour obtenir des rendez-vous. Comme le signale le rapport de M. Jacques Henri Stahl, il s'agit d'une maltraitance institutionnelle. Les magistrats et les avocats deviennent les remèdes d'une administration qui dysfonctionne. Il s'ensuit une perte de sens pour les magistrats et pour les avocats, notamment les jeunes confrères, auxquels on doit expliquer que leur métier consistera à saisir des tribunaux pour obtenir des rendez-vous. Et comme le magistrat passe son temps à chercher des dates d'audience, le reste du contentieux prend du retard. On ne peut pas demander aux juges de fournir un travail de qualité alors qu'ils passent leur temps à traiter des référés mesures utiles. Au début, ils font du droit, et ensuite, ils s'épuisent, baissent les bras et deviennent de plus en plus insensibles à la situation des étrangers devant le très grand nombre de ceux confrontés à des problèmes de connexion. Ne blâmons pas ces juges administratifs.

Les jurisprudences deviennent en conséquence plus strictes, car les juges se disent que plus ils font droit aux demandes et plus ils seront saisis et donc détournés de leur rôle. Rendre l'accès au droit compliqué constitue une façon de discriminer, parce que la dématérialisation suppose une certaine culture, une certaine intelligence, des moyens, et elle rend invisible l'absence de moyens de la fonction publique. Enfin, quel est le sens aujourd'hui d'être derrière un ordinateur sans plus jamais avoir de contact humain ? Je me suis rendue à la préfecture de police : il n'y a plus personne. Les fonctionnaires ne sont plus là puisque le public n'est plus reçu, ce qui a une incidence sur la manière dont est traité un étranger qui n'a plus de visage.

On retrouve cette problématique pour les contentieux liés à la nationalité. Avec le Covid-19 et la fermeture d'un certain nombre de services, il a été décidé de ne pas faire des questions de nationalités une priorité, les personnes étant déjà en situation de séjour régulier. Les services d'accès à la naturalisation ont donc été considérés comme non prioritaires et fermés. Premièrement, les dossiers, qui étaient auparavant envoyés la plupart du temps par voie postale ne pouvaient plus l'être ; deuxièmement, les guichets ont été fermés. Or la dématérialisation n'est pas encore réellement opérée. Aujourd'hui, nous sommes régulièrement saisis par des d'étrangers qui veulent simplement déposer un dossier de naturalisation et qui en l'absence de cette possibilité n'ont pas celle d'acquérir la nationalité française.

Enfin, si aucune sanction n'est appliquée en cas de non-respect des délais, ils ne sont jamais respectés. La loi prévoit un délai de 18 mois pour la naturalisation. En l'absence de sanctions, ces délais peuvent être de 2 ans, 5 ans, 10 ans, et parfois même aucune réponse n'est jamais reçue. Les personnes concernées viennent nous voir, tandis que les dossiers se trouvent quelque part sur des plateformes. En réalité, comme il n'y a pas d'urgence car ces étrangers disposent déjà d'un titre de séjour, il est supposé que les avocats ne feront pas de contentieux. Effectivement, nous ne pouvons pas légalement en déclencher à titre d'urgence car la nationalité n'est pas un droit mais une faveur. Les avocats sont donc contraints d'attendre, mais entre-temps, la situation de ces personnes qui étaient dans une intégration républicaine se perd. Certains ont des emplois, sont devenus fonctionnaires ou se voient par exemple proposer des postes en médecine – un certain nombre d'étrangers palliant des carences, y compris dans la fonction publique.

Je pense qu'il faut, d'une part, prévoir des « délais-sanctions » et, d'autre part, lutter contre les mutualisations de plateformes. Voilà presque dix ans ces dernières ont été présentées comme une mutualisation des ressources avec des pôles de compétences. Cependant, on ne peut imaginer que les personnes travaillant dans ces pôles de compétences soient compétentes à la fois en matière de fraude, de naturalisation et de carte nationale d'identité (CNI). Dans les faits, le service ne gère que la fraude, prisme qui constitue une dérive en ce qui concerne les étrangers. On légifère souvent en partant de la fraude, mais la conséquence est que le service n'a pas le temps de traiter le reste. Les préfectures sont dépossédées de leur compétences sur les plateformes communes et il n'y a plus de lien entre la préfecture, l'avocat et la plateforme. Celle-ci évolue seule, sans être contrôlée. Un jour, un homme âgé de 73 ans est venu me voir en larmes. Alors qu'il avait déjà eu une quinzaine de cartes d'identité (CNI), la plateforme avait soudainement décidé qu'il devait prouver qu'il était français afin d'obtenir son renouvellement. J'ai essayé sans succès d'avoir accès à la plateforme, puis j'ai contacté le ministère de l'intérieur, qui m'a confirmé qu'il s'agissait d'une erreur. Mon interlocuteur m'a alors affirmé qu'il n'avait pas la main sur la plateforme et que mon client allait être contraint de redéposer tous les documents sur une autre plateforme et de tout recommencer. Cette dématérialisation entraîne un travail inutile qui est refait en permanence. Plutôt que de systématiquement redemander des pièces inutiles et de refaire des dossiers, une interface avec un humain pourrait être mise en place : la personne recevrait par exemple un récépissé avec une durée assez longue, ce qui permettrait que les personnes ne reviennent pas. Cela n'a jamais été pensé, même si nous avions déjà émis de telles préconisations, de même que sur la facilitation de l'obtention de la carte de résident pour les personnes qui ont plus de cinq ans de résidence en France. Aujourd'hui, il n'y a quasiment plus de carte de résidence de dix ans, car il est plus facile de demander la nationalité.

Toujours sur la question de la nationalité, la compétence exclusive du tribunal administratif de Nantes constitue aussi un problème. Le nombre de contentieux liés aux visas explose en raison de la fermeture des frontières qui implique des refus de visas, notamment pour les demandes de regroupement familial. Des personnes étant bloquées à la frontière, le tribunal administratif de Nantes concentre son effort sur ces demandes, ce qui se fait au détriment des contentieux de nationalité. Aujourd'hui, un contentieux de nationalité dure au minimum deux à trois ans. En cas d'ajournement à deux ans, il devient plus rapide de redéposer une demande de nationalité deux ans plus tard que de déposer un recours. Cette façon d'empêcher le contentieux permet à l'administration de ne pas se voir reprocher ses mauvaises pratiques. Nous avons donc souvent revendiqué l'absence de compétences exclusives des juridictions.

Enfin, le bureau de la nationalité de la Chancellerie est aujourd'hui un acteur essentiel du dispositif d'acquisition de la nationalité, puisque nous sommes obligés de transmettre nos conclusions au ministère de la justice. En réalité, notre adversaire n'est pas le procureur de la République, mais le ministère de la Justice, qui centralise tous les parquets et répond dans tous les tribunaux à la place du procureur de la République. Or, il donne une vision de la nationalité qui constitue une remise en cause d'un certain nombre d'acquis de jurisprudence et de conventions internationales, par laquelle le Français de souche est privilégié au double droit du sol. Ainsi, même si l'on nous dit qu'il y a deux vecteurs pour être français dès la naissance, le double droit du sol et le sang, c'est le droit du sang qui est privilégié par ce biais. Il faut donc se poser la question : pourquoi les procureurs ne sont-ils pas formés aux contentieux de la nationalité pour prendre les conclusions en échappant à cette dépendance de la Chancellerie qui constitue en fait notre adversaire invisible. Au CNB, nous essayons de travailler sur la formation, notamment à travers des partenariats avec l'École nationale de la magistrature (ENM). Les formations permettent entre autres à des magistrats d'être attirés par le parquet civil, qui est certes un peu technique mais représente un enjeu essentiel d'accès au droit pour un certain nombre de personnes comme les Français nés à l'étranger. Là aussi, la justice doit être indépendante.

Jusqu'à présent, on pouvait facilement légaliser les actes d'état civil, soit par le consulat de France à l'étranger, soit par le consul étranger en France. Je pouvais par exemple faire légaliser un acte comorien par l'ambassade des Comores à Paris. Cependant, un décret, qui est passé sous forme d'une petite amélioration technique, interdit désormais cette possibilité de légalisation en France. Il en résulte une dépendance à l'égard des ambassades de France à l'étranger et dans les faits, il n'y a quasiment plus de légalisation des actes. Or, s'il n'y a plus de légalisation des actes, on ne peut pas accéder à un certain nombre de contentieux tels que l'adoption, le dépôt d'une CNI, la revendication de la nationalité française ou encore le regroupement familial. On en revient encore une fois au renoncement au droit en amont du contentieux.

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J'ai vécu la naturalisation. J'ai fait la queue, j'ai été refusée une première fois et j'avais un collègue avocat qui m'a conseillé, comme j'étais encore jeune, d'attendre deux ans. Au bout de deux ans, j'ai encore une fois été ajournée. Puis, ce même ami avocat m'a aidée et c'est ainsi que j'ai obtenu la nationalité française. Vous nous avez dit que nous sommes peut-être un peu éloignés de la réalité, mais je vous assure que beaucoup de députés présents ici ont vu ce que sont les queues et la lassitude. Cela ne remet nullement en cause la compétence des personnes que l'on trouve dans les services administratifs, mais ces dernières sont souvent dépassées et on y est parfois très mal accueilli. Les moyens qui sont mis ne sont pas toujours très satisfaisants.

Ma première interrogation porte sur la numérisation. Quand on est député, qui plus est de la majorité, on entend parler des 530 millions d'euros, des douze chantiers de numérisation et de sa généralisation. Il existe un rendez-vous biannuel avec le ministre de la Justice. Le dernier a eu lieu en février 2021 pour voir sur quels points on avance. En tout cas, ce que nous avons voté est le fait que ces procédures deviennent lisibles et accessibles. Je fais partie des personnes qui auraient préféré à l'époque envoyer mon dossier par Internet que de prendre toute une journée de congé pour le déposer. Cela signifie-t-il que nos dispositions n'arrivent pas jusqu'au terrain ? Ou que l'on ne met pas assez de moyens là où sont les besoin ? Si oui, sur quels chantiers souhaitez-vous que l'on essaie d'attirer l'attention de notre ministère de la Justice dans le cadre de nos recommandations ?

Ma seconde interrogation concerne plutôt les conséquences du non-respect des délais de jugement. Parlez-nous des femmes et des hommes que vous rencontrez. Quelle est la conséquence du non-respect de ces délais ? Vous avez évoqué la nécessité d'assortir les délais de sanctions, il s'agira peut-être de l'une des recommandations que nous porterons.

L'une des propositions de notre rapport, que nous avons vue ailleurs, serait de mettre de plus en plus de médiateurs culturels dans l'ensemble du droit, en tout cas dans le droit des étrangers. Il s'agirait en substance de faire en sorte qu'un policier ne parle plus directement avec un migrant. Là où cela existe, cela se passe bien et rapproche parfois des visions très différentes. Je m'explique : les acteurs du droit des étrangers sont l'État, les collectivités territoriales et les ONG, et ils ne communiquent plus entre eux. Des « médiateurs culturels » qui sont plus que des traducteurs, sont capables d'accompagner un policier et de parler dans la langue de la personne, ne serait-ce que pour lui rappeler ses droits fondamentaux. Lorsque je commence à proposer cela, je vois les grimaces d'un ministère qui peut-être m'avertit que cela risque d'augmenter le nombre de contentieux. Je pense au contraire, même si cela se produira au départ, qu'avec le temps cela permettra peut-être aux policiers de mieux connaître le droit. Cela permettra aussi de comprendre les difficultés du travail d'un policier. Il s'agit peut-être là d'une idée naïve, mais je voudrais connaître votre avis sur ce point.

Je terminerai par une autre recommandation. Avant 2007, la compétence de l'immigration était partagée entre le ministère des affaires étrangères et le ministère des solidarités. C'était un autre temps. Qu'en est-il du retour à une configuration beaucoup plus interministérielle ? Est-il possible face à Médecins du monde d'avoir des personnes des agences régionales de santé (ARS) par exemple ou en tout cas des personnes capables de répondre sur ces sujets, et pas seulement des personnes du ministère de l'intérieur, avec tout le respect que j'ai pour ses compétences ? Qu'en est-il donc du retour à une autre forme de collaboration interministérielle beaucoup plus visible et qui, à mon avis, résoudrait beaucoup de problèmes en amont ?

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Hélène Gacon, avocate et membre de la commission Libertés et droits de l'homme du CNB

Deux éléments me semblent fondamentaux. Le premier est celui de l'invisibilité. Il est également difficile pour les agents préfectoraux de devoir prendre des décisions sur dossier et de ne pas voir les personnes. C'était déjà une sanction pour eux d'être affectés dans ces services et ils ont une hiérarchie qui ne leur a jamais appris ce qu'est le droit, c'est-à-dire les règles. En effet, ils appliquent des règles. Lorsqu'elles sont bonnes, tout va bien, mais si ce sont des erreurs, ils les renouvellent comme toute personne qui n'a jamais appris de manière systématique. Il a fallu que certaines préfectures envoient des guides, et non pas des circulaires, qui expliquent, conformément au Ceseda, quelles sont les possibilités d'obtenir un titre de séjour selon les différentes hypothèses et quelles pièces justificatives sont nécessaires. C'est déjà presque un miracle.

Pour résumer les propos de Mme Laurence Roques que je partage entièrement, je dirais qu'habituellement, nous, les avocats, sommes qualifiés d'auxiliaires de justice alors que nous sommes devenus des auxiliaires de l'administration. Évidemment, c'est quelque chose d'impossible à admettre pour les magistrats qui ont tendance à restreindre leur jurisprudence. J'ai eu l'occasion de m'entretenir longuement avec les magistrats du tribunal de Lyon, qui refusent systématiquement de faire droit à toute requête de référé mesures utiles quand il s'agit de demander un rendez-vous à la préfecture ? En conséquence, les confrères ne peuvent rien faire du tout. Le blocage est total, et il s'agit vraiment là d'un déni complet.

Ainsi, un autre système a été développé, ce qui constitue un aveu d'échec par l'administration. Plutôt que de gérer par Internet seulement les rendez-vous, certaines préfectures ont commencé par gérer des premiers examens de recevabilité des dossiers avec les procédures simplifiées, dans lesquelles on a un petit interlocuteur qui reste tout aussi virtuel et sans identité. Une fois que quelques pièces de base ont été déposées, si on fournit plus de pièces que nécessaire, la demande devient irrecevable. On se dit à ce moment-là que la procédure est en bonne voie parce qu'elle se concrétise par un e-mail de la préfecture informant que le dossier est examiné et que l'on recevra une réponse. Le problème, en tout cas pour certaines préfectures franciliennes que je pratique habituellement, c'est que la procédure simplifiée n'est possible que dans certains cas d'attribution de titre de séjour.

Par exemple, le Ceseda stipule très clairement que si on réside en France et qu'on est entré en France avant l'âge de 13 ans, on peut demander un titre de séjour entre 16 ans et demi et 19 ans. Il s'agit d'un cas de délivrance automatique de titre de séjour dans le cadre de la vie privée et familiale. Or la procédure simplifiée ne comporte pas cette hypothèse. Un jeune, qui sera souvent plus attiré par la procédure en ligne que par le simple rendez-vous, déposera une demande de titre de séjour en expliquant sa situation. En réalité, il s'agit d'un cas résiduel, c'est-à-dire qu'il ne s'applique que dans l'hypothèse où on ne peut pas invoquer une autre disposition, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Bien que la préfecture ait parfaitement compris et que le jeune remplisse toutes les conditions, sa demande sera classée sans suite sous prétexte qu'il aurait fallu recourir à la procédure simplifiée pour déposer une demande d'admission exceptionnelle au séjour. Un classement sans suite, contrairement à une décision de refus, constitue pour nous une forme de blocage informatique. Nous ne pouvons alors plus rien faire, nous ne pouvons plus aller à la préfecture et nous avons un risque considérable que le magistrat nous dise que cette décision ne peut pas être qualifiée de décision faisant grief, préalable nécessaire pour former un recours.

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Laurence Roques, avocate et présidente de la commission Libertés et droits de l'homme du CNB

En effet, beaucoup de personnes ont approuvé le fait d'avoir la possibilité de ne pas bloquer une journée de travail ou de concours pour les étudiants. La dématérialisation est souhaitable si elle a une alternative, comme le prévoit le décret sur les téléservices. Toutefois, par le biais de la procédure simplifiée qu'utilise aujourd'hui l'administration, cette alternative n'existe plus. Je pense que le gouvernement a l'obligation de mettre des moyens d'une part pour la dématérialisation et d'autre part pour que l'alternative puisse continuer à exister, a fortiori pour des publics précaires et des publics comme les nôtres.

Certes, les étudiants ont en général des profils culturellement avancés et viennent souvent pour des études supérieures. Ils parlent déjà plutôt bien la langue française et cela facilite leur situation. Le problème est que le téléservice s'est aujourd'hui généralisé, y compris pour les premières demandes ou encore pour l'admission exceptionnelle au séjour, L'admission exceptionnelle au séjour peut concerner une personne qui est en France depuis 5 ans avec 2 enfants nés en France et dont la situation entre dans le cadre de la circulaire. Cela peut concerner une personne qui travaille de manière précaire depuis 10 ans ou encore une personne qui est allée au front lors du Covid-19 pendant de nombreux mois. Cependant, les circulaires ne fonctionnent qu'au guichet. Il faut donc maintenir l'alternative et demander au gouvernement comment il en justifie l'existence.

Aujourd'hui, le gouvernement explique que l'on dispose de points d'accès au droit dans les préfectures. Cependant, les préfectures sont fermées et on ne peut donc pas se rendre aux bornes. Cela revient par ailleurs à se passer de la compétence du service d'accueil, ce qui constitue un mépris pour la fonction publique que je trouve extrêmement choquant. On considère ainsi que toutes les personnes qui ont pendant longtemps été formées à l'accueil des étrangers ne sont plus utiles. On peut dire en effet que lorsqu'on y reste trop longtemps, on finit par devenir xénophobe. Si on reste plus de quinze ans, on n'en peut plus. Le service est maltraitant et donc on devient maltraitant. Néanmoins, indépendamment de cela, ces personnes ont un savoir-faire, elles savent accueillir et, souvent, elles se proposent pour travailler à l'accueil parce qu'ils aiment cela. Les délégués du défenseur des droits (DDD) n'effectuent pas la même procédure que l'accueil de la préfecture. Leur tâche est très compliquée. Il faut trier les pièces. Les personnes arrivent avec des sacs en plastique contenant les pièces en fouillis, ce qui est normal. Elles amènent toute leur vie et c'est souvent émouvant.

On ne peut donc pas dire que toute la dématérialisation s'appliquera à tous les publics. L'alternative de l'accueil doit être prioritairement conservée pour les demandes les plus précaires, celles qui n'entrent dans aucune case. Il faut ensuite un accusé de réception de ces demandes dématérialisées. Aujourd'hui, les personnes concernées reçoivent le message suivant : « Votre dossier est en construction. » De nombreux employeurs les licencient donc en l'absence de titre de séjour ou de récépissé. Dans ce message reçu, il est mentionné que le titre de séjour reste valable. Si la personne est contrôlée par un policier, ce dernier peut l'emmener par une mesure d'éloignement, émise par le même préfet qui celui qui lui a remis le récépissé. En l'absence d'accusé de réception, on ne fait courir aucun délai et on ne peut donc pas avoir de contentieux parce que le tribunal répondra que le dossier est en cours de construction. Sauf que la personne concernée aura déjà perdu son emploi. On fait alors du référé provision.

De nombreux employeurs affirment avoir besoin de main-d'œuvre. Or, les employeurs engagent alors leur responsabilité si jamais ils sont contrôlés, parce qu'aux yeux de l'inspecteur du travail, le SMS reçu ne vaut rien. Avant, on accueillait les étrangers, parfois mal, mais on donnait aussi des rendez-vous. Le préfet était alors obligé d'émettre un récépissé avec un droit au séjour et éventuellement un droit au travail, selon qu'il s'agissait d'un renouvellement ou pas. Ce récépissé donnait les mêmes droits que la carte de séjour dont on avait demandé le renouvellement. Générons des récépissés de manière dématérialisée ou mettons en tout cas en place l'obligation de donner un rendez-vous. On vous objectera que des problèmes d'empreintes peuvent se poser, mais c'est faux en ce qui concerne les renouvellements puisque les empreintes ont déjà été relevées.

De même, pour les demandes de nouveaux documents, il ne faut pas que le message soit engendré comme si le dossier était vierge et que la demande devait être redéposée. Il faudrait peut-être demander aux administrations comment elles fonctionnent en termes de dématérialisation. Dès lors que les dossiers sont incomplets, tout le monde perd patience et, de plus, personne ne sait où en est le dossier, y compris la préfecture.

Si on doit penser la dématérialisation, alors il faut la penser avec des règles et des obligations de la part de l'administration parce qu'elle a jusqu'ici été pensée de manière sauvage. On a installé des plateformes, on est passé du téléservice de rendez-vous au tout dématérialisé, mais on n'a pas pensé à l'adaptation des règles de droit à ces services comme l'obligation d'un accusé de réception, l'obligation de faire courir des délais et l'obligation de tracer l'historique du dossier. Finalement, l'humain n'a pas été remplacé par une véritable intelligence, capable par exemple de demander seulement les documents manquants, mais par un robot qui en redemande à chaque fois l'intégralité.

Il faut également prévoir des sanctions. Auparavant, lorsque l'on allait déclarer une nationalité, si le délai d'un an n'était pas respecté, on obtenait un enregistrement automatique de droit.

En ce qui concerne les conséquences du non-respect des délais de jugement, il existe deux façons de considérer le problème. La première consiste à décider de raccourcir les délais parce que le droit des étrangers comporte entre vingt et trente délais différents, ce qui nécessite d'être très compétent pour ne pas se tromper. Bien entendu, c'est tout de même un peu délibéré car en cas d'erreur les droits ne sont pas accordés. Le Conseil d'État avait donc lui-même affirmé qu'il faudrait seulement trois délais : un délai d'urgence de 48 heures, un délai normal d'un ou deux mois et peut-être un délai intermédiaire de 7 jours.

La seconde idée serait de mettre en place, par exemple, une sanction sur les délais applicables au traitement des OQTF. Les étrangers sont plus ou moins bien traités selon les juridictions. Celles qui sont peu encombrées tiendront de bons délais de deux ou trois mois. N'oublions pas qu'une OQTF est une mesure de refus de séjour qui entraîne un éloignement. En cas de refus de renouvellement, il est intéressant d'être jugé rapidement. Je crains toutefois que les sanctions aient pour conséquence que des chambres spécialisées se concentrent exclusivement sur les OQTF et que d'autres problématiques soient délaissées faute de moyens. Dans certaines juridictions, telles que Melun les délais sont de plus d'une ou deux années. L'OQTF perd alors son sens. Il n'est pas admissible que les individus ne soient pas traités de la même façon selon que la mesure d'éloignement soit à Limoges, à Paris ou à Lille

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Hélène Gacon, avocate et membre de la commission Libertés et droits de l'homme du CNB

En effet, les situations deviennent absurdes, non seulement pour nous, praticiens, mais aussi pour les juridictions. Les OQTF deviennent automatiquement caduques au bout d'un an, que la raison soit imputable aux migrants, à l'administration ou à la police qui n'a pas pu arrêter les personnes concernées et même en l'absence de placement en rétention. Cela signifie qu'en cas de nouvelle interpellation, la personne ne peut être contrainte de partir que s'il y a une nouvelle décision, contre laquelle on fera certainement un nouveau recours. Avec de tels délais de jugements, quel est l'intérêt de maintenir la procédure qu'on a engagée auprès du tribunal administratif, si l'on sait qu'au moment où ce dernier se prononcera, l'OQTF sera caduque, ou pire encore, si le bureau d'aide juridictionnelle met six mois ou un an pour se prononcer ? Le dépôt de demande d'aide juridictionnelle aura interrompu le délai du recours contentieux de sorte que le délai de trente jours pour former le recours va commencer à courir un an après la notification de l'OQTF. Dans ces cas-là, les clients nous demandent quel est l'intérêt de contester une mesure caduque. Il ne s'agit pas pour moi de toucher les 640 euros d'aide juridictionnelle, avec 80 % de charges. Je leur explique donc que le recours a pour objet d'obtenir l'annulation, mais surtout je leur dis que l'objectif est d'obtenir l'injonction du tribunal adressée à la préfecture pour la délivrance du titre de séjour.

Ces questions concernant le nombre de procédures sont très difficiles pour les conseillers mais aussi pour les greffiers. Au printemps dernier, la Chancellerie avait pris l'initiative d'envisager une réforme qui a finalement été annulée au dernier moment. Le CNB avait prévu de proposer une réduction des hypothèses à quatre. Nous souhaitions maintenir et réactiver le droit commun, en y introduisant de nombreuses mesures comme un délai de deux mois avec une interruption du fait du dépôt de la demande d'aide juridictionnelle. C'est justement parce que les personnes sont vulnérables qu'elles ont besoin du temps normalement prévu par la loi et inscrit dans le Code de justice administrative. On peut concevoir que, dans certaines hypothèses, un recours soit assorti d'un délai spécial, mais celui-ci devrait se limiter à un mois. Les autres cas doivent être appréhendés comme des situations d'urgence, inhérentes au droit des étrangers. Il faudrait dès lors distinguer les cas d'urgence avec privation de liberté pour lesquels le recours pourrait être engagé dans un délai unique de 72 heures. Le passage de 48 heures à 72 heures permettrait de dépasser la difficulté du week-end que j'ai évoquée tout à l'heure pour les détenus, mais qui concerne également d'autres catégories de personnes. Dans les situations d'urgence sans privation de liberté, le délai devrait être un peu plus long : 7 jours.

Nous avons alors décliné toutes les conséquences que ces mesures pourraient avoir selon que le délai soit interrompu ou non par l'aide juridictionnelle (AJ) et selon les différents délais de jugement. Nous nous sommes également demandé si une formation collégiale ou bien un juge unique était le plus souhaitable. Nous sommes tout à fait disposés à approfondir ces réflexions avec vous.

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Laurence Roques, avocate et présidente de la commission Libertés et droits de l'homme du CNB

Le fait que le droit des étrangers ne dépende pas seulement du ministère de l'intérieur est fondamental. Par exemple, pour certains cas de demandes de titre de séjour et de refus de renouvellement, la préfecture a l'obligation de saisir la commission du titre de séjour ou la commission d'expulsion pour obtenir un avis préalable non contraignant pour l'administration mais cependant intéressant. La composition de ces commissions est multiple. La commission d'expulsion est composée d'un magistrat, d'un représentant de l'administration préfectorale par exemple, mais également d'une autre administration, comme la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) ou encore le ministère de la santé. Ce regard complètement différent du ministère de l'intérieur est crucial pour l'administration elle-même qui n'a plus le réflexe de s'émouvoir de situations scandaleuses comme un étudiant en attente de renouvellement depuis plus d'un an mais aussi parce que les membres du ministère de l'intérieur ont souvent une culture de l'administration extrêmement différente. Ils parviennent notamment à prendre des décisions collectives intéressantes et les avis sont généralement suivis par l'administration. Le législateur a d'ailleurs réduit progressivement la voilure en supprimant la présence du magistrat au sein de la commission du titre de séjour, au motif que cela lui faisait perdre du temps. Le magistrat apportait pourtant un regard très intéressant sur l'application de la loi en rappelant à l'administration ce que les refus impliquent pour lui en termes de gestion du contentieux. Il pouvait conseiller d'éviter une annulation impliquant des frais parce que les contentieux coûtent tous les ans à l'administration des dommages et intérêts prévus par l'article 700, c'est-à-dire les frais d'avocat. C'est un élément à prendre en compte car il s'agit de l'argent public.

En matière de naturalisation par exemple, le ministère des solidarités était compétent, ce qui est fondamental parce qu'il s'agissait d'une question d'intégration. Il y avait ainsi à ce propos un regard sur le droit au travail, sur l'implication des personnes, tandis qu'aujourd'hui il s'agit plutôt de statistiques sécuritaires recensant le nombre de Français, les différentes nationalités, etc.

De même, le droit d'asile est aujourd'hui une question de statistiques. La CNDA est la plus grosse juridiction de France et sa présidence gère un stock. À partir de là, la question n'est plus la demande d'asile, mais le traitement des dossiers dans des délais raisonnables afin d'éviter de la souffrance aux demandeurs d'asile. Cette réponse n'est évidemment pas adéquate : un demandeur d'asile préfère attendre neuf mois et avoir l'occasion de parler en huis clos dans une audience plutôt que de se voir délivrer une décision de mauvaise qualité en trois mois. En conclusion, il faut sortir les étrangers du seul prisme du ministère de l'intérieur. De manière similaire, lorsque le ministère des affaires étrangères souhaite avoir un regard différent sur les visas, il se retrouve bloqué par le ministre de l'intérieur, qui lui impose des quotas.

L'introduction de médiateurs nécessiterait un vrai travail avec la police. Il conviendrait que la police s'habitue à la présence des avocats, qui n'ont pas pour objet de l'empêcher de faire de la procédure. Le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a publié un rapport très intéressant sur les gardes à vue. On traite mal la police, qui elle-même traite mal les personnes, tandis que la formation pour devenir policier est de plus en plus courte. Les jeunes sont dans les quartiers difficiles. Nous, avocats, ne faisons pas de formations sur la police. Nous pourrions réfléchir sur toute une série de sujets, tel que le récépissé fondamental. Encore une fois, lorsque nous pourrons tracer les contrôles d'identité, les contrôles d'identité aléatoires cesseront.

L'introduction de médiateurs peut représenter une bonne idée, mais il faudrait que l'administration qui gère le dossier procure une véritable formation en matière de communication pluriculturelle aux employés qui travaillent à l'accueil. En effet, à force de mettre des filtres, la personne en charge du dossier risque de se dédouaner de fournir un service de qualité en réorientant le public vers le médiateur. Aujourd'hui, les défenseurs des droits sont totalement englués et les médiateurs locaux sont incapables de gérer un si grand nombre de demandes. C'est une bonne idée, mais qui risque de se révéler un effort vain en termes d'efficacité compte tenu de l'importance de la demande.

Je pense donc que l'enjeu se situe en amont, dans la formation de l'administration, où il n'existe pas de formation commune ni de communication. Il pourrait être prévu que tous les mois ou tous les trois mois, par exemple, une réunion se tienne entre le préfet et le barreau, qui ne se voient quasiment plus jamais, la magistrature administrative et la magistrature des libertés et de la détention (JLD) pour traiter du contentieux des étrangers. Je crois aussi profondément qu'il est parfois judicieux de communiquer au niveau local.

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Aujourd'hui, schématiquement, les médiateurs culturels sont les personnes qui viennent avec le préfet avant de contraindre des réfugiés à partir d'un camp. Ils sont considérés par les migrants, comme des « vendus ». Ce sont d'ailleurs en général des personnes qui se protègent parce qu'ils ne peuvent plus circuler dans la ville en question. Cela n'empêche pas, bien évidemment, qu'il faille améliorer la formation à tous les niveaux de la chaîne, mais les médiateurs culturels seront des personnes de la police. C'est le même groupe qui comporte des personnes de la police, des angios, des associations, des personnes qui travaillent à la mairie. J'ai l'impression que sur le terrain, les personnes ne se parlent pas. Je sais évidement ce que le fait d'imposer des réunions a donné pour l'hôpital. Le Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins hospitaliers (COPERMO) avait été mis en place. En 2016, le gouvernement socialiste a décrété que tout le tout le monde devait se parler, et on a donc organisé une réunion par mois. Y étaient présents les syndicats, la députée ou le député, le maire, et cela est devenu un rendez-vous où tout le monde prend des positions de principe et publie un communiqué de presse à sa sortie de la réunion. Ce n'est pas ce qui m'intéresse. Ce qui m'intéresse, c'est de réellement rapprocher les différentes entités. Lorsque nous étions à Lampedusa, nous avons été étonnés de voir les gendarmes appeler les associations pour leur annoncer qu'ils allaient faire débarquer des personnes et demander leur présence parce qu'ils savaient qu'elles pouvaient accompagner les migrants. Vous allez m'objecter qu'en général un accompagnement est fourni aux migrants de passage. C'est en effet le cas à Briançon ou encore à Menton. Pourquoi ne réussit-on pas à instaurer ce type de cohabitation, faisant intervenir des personnes certes différentes, mais qui peuvent peut-être permettre l'installation d'une compréhension réciproque ?

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Vous avez évoqué une vingtaine d'administrations et de juridictions différentes dans lesquelles l'accès au droit des étrangers pose problème. Existe-t-il cependant des endroits où vous trouvez que l'accès au droit fonctionne bien et où il serait possible de s'appuyer sur des éléments positifs, sains et solides ? Enfin, si nous nous engagions dans la direction de la médiation, quelle serait la médiation prioritaire ?

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Laurence Roques, avocate et présidente de la commission Libertés et droits de l'homme du CNB

Votre question tombe très bien parce qu'au CNB, nous essayons quand même d'être constructifs sur des aspects qui d'ailleurs n'appartiennent pas nécessairement au domaine du législateur. Il s'agit parfois, comme dans le cadre de la médiation sur la CNDA et de la visio-audience, d'expérimentations en alternative à ce qui était prévu par la loi. Pour rappeler le contexte, la visio-audience a été imposée à des demandeurs d'asile dans certains territoires. Ils ne pouvaient plus aller à la CNDA à Montreuil afin d'être jugés. La loi prévoyait que la visio-audience pouvait être imposée sans consentement. La décision est tombée soudainement, sans avoir été discutée avec la présidente de la cour. Cette dernière a alors sélectionné les territoires qui correspondent aux risques les plus importants d'ordonnance de tri, parce que ces territoires accueillent des nationalités qui subissent plus de tri que d'autres. Ces territoires étaient situés plutôt à l'est et en Rhône-Alpes.

La profession s'est très fortement mobilisée et s'est engagée même si.la décision de ne pas défendre les gens nous a coûté en nous plaçant dans des situations humainement très difficiles. Nous avons alors obtenu la désignation d'un médiateur en la personne de Monsieur Krishnart, qui occupe également la fonction de conseiller d'État. Nous avons réussi à construire un accord qui respecte le demandeur d'asile puisque son consentement lui était désormais demandé avant de faire une visio-audience. Nous avons également prévu des audiences foraines de la CNDA. On peut comprendre que les confrères et les demandeurs d'asile finissent par se demander pourquoi ils sont obligés de se rendre Montreuil et pourquoi il n'existe pas de point d'accès plus proches, comme pour toutes les autres juridictions. La réflexion sur la visio-audience que nous sommes en train de mettre en place est aussi un vade-mecum des bonnes pratiques et des obligations liées à la visio-audience, qui doit servir selon nous de modèle. En effet, comme vous le savez, la visio-audience va être, hélas, très régulièrement imposée dans d'autres domaines de la justice pour des raisons de coûts car elle permet de ne pas avoir à extraire les personnes jugées. Or il s'agit encore une fois d'un impensé du droit, qui s'est imposé à nous. Bien que tout le monde ait affirmé être contre, nous le subissons.

Dès lors, il faut penser ce qu'est la « visio-audience éthique ». Quels sont les rituels de l'audience qu'il faut conserver dans la visio-audience, alors même que son modèle en est radicalement différent ? Par exemple, des images qui seraient déloyales à l'égard de la personne jugée seraient à proscrire. Il faudrait respecter le fait que cette personne soit visible, qu'elle comprenne l'identité des acteurs qui vont prendre la parole ; qu'elle puisse s'exprimer ; que lorsqu'il y a une rupture, on reprenne exactement là où la personne s'est arrêtée ; que l'on attende qu'il y ait une traduction ; que l'avocat puisse disposer d'un micro-cravate pour se déplacer ; que l'on ait un procès-verbal des incidents techniques. À partir de quand doit-on s'arrêter si la qualité numérique de la visio est insupportable ou lorsqu'il y a un problème de son ? Certains présidents d'audience considèrent qu'il est inutile de continuer l'audience si l'on n'entend rien pendant plus de quinze minutes. D'autres suggèrent de continuer par téléphone. D'autres s'y opposent et considèrent qu'une telle interruption d'audience constituerait un sacrifice de justice. Tous ces aspects sont à encadrer.

Vous avez évoqué la question de l'accès au droit à la frontière. De la médiation doit certainement être opérée sur des territoires comme Calais. Un véritable problème d'accès au droit pour les associations s'y pose en effet. Il faudrait également mettre en place des permanences juridiques qui aideraient le demandeur d'asile du début à la fin, mieux encadrer l'accompagnement des mineurs isolés, ainsi que le rapport entre l'Angleterre et la France à la frontière, mais cela est vrai aussi pour Briançon. Au CNB, nous sommes en train d'imaginer une sorte de convention, qui sécurise cet accès au droit.

De même, pour revenir à la Cour nationale du droit d'asile, les problèmes de renvoi que vous avez évoqués sont insupportables. Comment doit-on communiquer avec la CNDA et comment cela doit-il être encadré, éventuellement par le biais de conventions ? Ces bonnes pratiques doivent être appliquées de la même manière par tous les présidents. Il est terrible de devoir rappeler qu'un avocat a le droit de demander un renvoi, mais soyons pragmatiques et faisons-le apparaître dans les conventions. Certains aspects de la dématérialisation fonctionnent néanmoins très bien, comme les demandes de CNI et de passeports, les demandes simplifiées de rendez-vous, ou encore certaines commissions du titre de séjour. Il faut peut-être demander à l'administration ce qui fonctionne ou non. Il est en tout cas aujourd'hui difficile de le savoir parce que nous n'avons plus de dialogue avec l'administration, sauf lorsque nous nous rendons dans les juridictions.

La sous-direction des naturalisations constitue une exception. Les recours administratifs préalables obligatoires (RAPO) fonctionnent encore plutôt bien. En cas de refus de naturalisation ou un ajournement, il est possible de ne pas aller au tribunal. Cette sous-direction a la culture du RAPO et réexamine réellement ce qu'a déclaré la préfecture et recherche s'il est possible ou non d'éviter un contentieux. Malgré une certaine fragilité de ses moyens, ce service a pour l'instant été préservé et a conservé des moyens pour faire des RAPO.

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Hélène Gacon, avocate et membre de la commission Libertés et droits de l'homme du CNB

Il se trouve que je pratique beaucoup depuis vingt-cinq ans les droits sociaux des étrangers (retraite, prestations familiales, etc.). Il est vrai que j'étais assez hésitante lorsque le RAPO a été institué par la loi de 2016, qui est entrée en en vigueur en 2019. En effet, si les personnes ne sont pas informées, l'occasion de former un recours risque d'être perdue. Encore une fois, nous retrouvons le problème de l'information en amont. En tant que praticienne je constate qu'il y a des médiations. On se retrouve à régler des litiges au stade du RAPO, ou bien une fois qu'on a saisi la juridiction dans le cadre de la médiation. Les avocats ont dans ces cas-là droit à une double indemnité, l'une pour la procédure que l'on a engagée et l'autre pour la médiation. C'est donc un peu la « médaille en chocolat » quand on s'est montré conciliant, sachant qu'on ne l'est que si l'on obtient satisfaction.

La réunion s'achève à seize heures.