Intervention de Jacques-Henri Stahl

Réunion du mercredi 6 octobre 2021 à 16h00
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Jacques-Henri Stahl :

Mon sentiment personnel rejoint le vôtre : la situation au regard de la complexité, de la lisibilité et de l'accessibilité des règles applicables en matière de droit des étrangers n'a pas eu tendance à s'améliorer au cours des dernières années. La complexité des textes est un sujet délicat parce que différents arguments s'opposent. En effet, la réécriture ou la modification des textes part très souvent d'un bon sentiment, d'une volonté de régir au mieux les situations, de la façon la plus précise possible, mais aussi de façon à protéger au mieux les intéressés. L'objectif est de faire en sorte que les textes soient appliqués, de manière égale sur l'ensemble du territoire et avec l'ensemble des acteurs qui sont chargés de les mettre en œuvre.

Cependant, certaines difficultés proviennent du fait que, dans un monde de plus en plus interdépendant et interconnecté sur le plan juridique, les règles que nous devons appliquer en matière de droit national des étrangers s'inscrivent dans un cadre européen, qui est aujourd'hui bien plus précis et plus contraignant que dans les années 1980 ou 1990. C'est la conséquence du renforcement de la construction européenne sur ces sujets, mise en place depuis le milieu des années 1990. La législation est de plus en plus compliquée, mais pas pour de mauvaises raisons ni pour des raisons que l'on pourrait écarter d'un revers de main. La situation actuelle devient si complexe que l'on finit par se dire que les inconvénients de la sophistication l'emportent sur les avantages que l'on recherchait en les déployant.

De même, l'accumulation de procédures particulières du contentieux des étrangers devant le juge administratif part d'une bonne intention. On a constamment cherché à améliorer le dispositif existant de manière à traiter mieux et plus vite les contentieux, et à rendre le système plus performant. Il revient donc de se demander avec lucidité quels sont les éléments de cadrage nécessaires pour réarticuler un paysage plus lisible et plus facilement accessible. Lorsque l'on aura accompli ce travail, il serait sage et lucide de ne plus changer en permanence le dispositif pendant un certain temps, parce qu'il est nécessaire de le laisser évoluer de manière assez constante afin que tout le monde puisse se l'approprier. Il faudra alors résister à la tentation de corriger la législation si l'on y découvre un manquement.

Partant de ce constat, nous proposons de simplifier résolument cette situation complexe en mettant en place seulement trois procédures devant le juge administratif de droit commun sur ces affaires de contentieux des étrangers. En effet, la diversité des situations et des conséquences ne permet pas de se contenter d'une seule procédure, ni même deux. Bien que nous ayons rencontré des hésitations à ce sujet, certaines situations relèvent de l'urgence, ce qui nous a finalement conduits à penser qu'il fallait trois procédures, et seulement trois.

Il y aurait ainsi une procédure ordinaire, habituelle devant les juridictions administratives, avec une formation collégiale, un rapporteur public et une instruction écrite. La particularité historique qui existe en matière de contentieux des étrangers par rapport au droit commun est la réduction du délai de recours de deux mois à un mois. En dehors de ces réserves, cette première procédure serait une procédure ordinaire de droit commun, que les avocats et les juges maîtrisent et qui structure la vie quotidienne des juridictions.

Les deux autres procédures seraient plus urgentes. L'une d'entre elles, dont la durée se compterait en heures, s'appliquerait aux situations dans lesquelles on a besoin très rapidement qu'une décision de justice soit rendue. Cette procédure s'appliquerait uniquement en cas de privation de liberté et de rétention administrative pour l'étranger, ce qui justifie la brièveté d'un délai de recours de 48 heures. Il ne devrait ainsi pas y avoir de conséquences trop dommageables sur le droit au recours parce que les étrangers qui sont placés en rétention bénéficient d'une assistance par les associations, impliquant un contact avec les avocats. Il est important que le délai soit bref parce que tant que le jugement n'a pas eu lieu, les intéressés sont privés de liberté et maintenus en rétention. Le délai de jugement serait alors de 96 heures.

La dernière procédure, également urgente mais un peu moins rapide que la précédente, aurait une durée qui se compte en jours, et permettrait de traiter des situations plus rapidement que la procédure de droit commun, dans les cas où une décision de justice est attendue assez rapidement. Nous proposons pour cela un délai de recours de sept jours et un délai de jugement de quinze jours, et donc un temps total de traitement des affaires de trois semaines. Cette procédure concernerait certains contentieux qui nécessitent un règlement assez rapide, notamment dans le cas des étrangers assignés à résidence. C'est par ailleurs le cas pour la procédure de Dublin, qui est enserrée dans des délais européens.

C'est précisément parce que nous sommes convaincus qu'il faut simplifier drastiquement le paysage législatif, que nous avons eu des difficultés à convaincre l'administration que le dispositif que nous préconisons, le plus simple et le plus robuste possible, pouvait être directement mettre en place.

Après que dans un premier temps la conjoncture sanitaire a mis à l'écart notre réflexion, à la fin de l'année 2020, on a tenté de traduire législativement notre rapport. En effet, pour modifier les procédures contentieuses dans une telle mesure, il est nécessaire de modifier des dispositions législatives du Ceseda. Cependant, nous ne sommes pas parvenus à trouver un accord qui permettrait de proposer au Parlement un projet de loi. Bien entendu, le calendrier politique et la fin de législature sont des éléments qui rendent cet exercice difficile. En effet, cette période offre peu de temps pour l'écriture des textes, et peu de fenêtres parlementaires sont susceptibles d'être utilisées. La tentation de vouloir faire apparaître dans les textes de nouveaux cas particuliers montre que l'exercice de la simplification résolue n'est pas aisé.

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