La réunion

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La réunion débute à seize heures.

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Nous reprenons nos auditions avec Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux du Conseil d'État et président du groupe d'étude sur la simplification du contentieux des étrangers. En effet, par lettre du 31 juillet 2019, le Premier ministre a demandé au Conseil d'État de procéder à une étude de l'ensemble des règles qui régissent le contentieux des étrangers afin de déterminer les mesures réglementaires et législatives susceptibles de simplifier ces procédures et d'en améliorer l'efficacité. Ce rapport a été donc été rendu en mars 2020. Il contient vingt propositions qui visent à simplifier le contentieux des étrangers. Les avocates Mme Hélène Gacon et Mme Laurence Roques, qui vous ont précédé dans cette commission d'enquête, y voient des préconisations très intéressantes.

S'agissant d'une commission d'enquête, il me revient, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jacques-Henri Stahl prête serment.)

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Jacques-Henri-Stahl, président adjoint de la section du contentieux du Conseil d'État

L'étude que nous avons réalisée répond effectivement à une demande du Premier ministre, adressée au Conseil d'État en juillet 2019 dans le cadre des demandes d'études administratives qui lui sont habituellement demandées et pilotées en son sein par la section du rapport et des études. Elle portait sur le contentieux des étrangers devant les juridictions administratives de droit commun, dans une perspective de simplification des procédures, de sorte que leur efficacité globale puisse en être améliorée. Sur la base de cette lettre de mission, un groupe de travail a été installé. Il a été composé pour l'essentiel de magistrats administratifs de toutes les juridictions et appartenant à tous les degrés de juridiction, de magistrats judiciaires, de professeurs des universités.

Ce groupe de travail a ensuite très largement auditionné à l'automne 2019. Étant essentiellement composé de magistrats administratifs, il était homogène et nous avions donc besoin de nous ouvrir très largement aux différents acteurs, de sorte que l'ensemble des expériences, des demandes, des constats et des propositions qui étaient formulées puisse se retrouver dans nos réflexions. Nous avons parallèlement lancé un questionnaire adressé à toutes les juridictions administratives de France, de telle sorte qu'un certain nombre de constats et propositions puissent nous remonter du terrain. Nous nous sommes également déplacés dans certaines administrations en province et à Paris pour observer plus concrètement, sur le terrain, le déroulement et la mise en œuvre des procédures au stade antérieur à l'engagement des actions devant les juridictions.

Ce travail n'est maintenant plus récent puisque le terme assigné à nos travaux par la demande du Premier ministre était le 15 mars 2020. Le rapport a été adopté par l'assemblée générale du Conseil d'État le 5 mars 2020 et il a été transmis au Premier ministre le jour où commençait le premier confinement, le 17 mars 2020. On comprend donc que l'ordre des priorités a changé à ce moment-là et pourquoi nos propositions n'ont pas été examinées dans l'immédiat.

Le champ de l'étude était centré sur les juridictions administratives de droit commun, incluant donc les procédures devant les tribunaux administratifs, les cours administratives d'appel et, subsidiairement, le Conseil d'État. Cependant, le champ ne portait pas sur la juridiction particulière qu'est la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), dont les questions de fonctionnement, d'organisation, d'insertion, et de procédures sont un sujet en soi. Par ailleurs, nous n'avons pas examiné la situation particulière de certaines collectivités d'outre-mer, qui présentent des particularités telles qu'elles constituent également sujet en soi. Les situations de Mayotte et de la Guyane sont notamment si particulières qu'elles méritent un examen particulier et ne rentraient pas dans le cadre de l'étude générale qui nous était assigné.

Celui-ci était un cadre constant, c'est-à-dire que notre réflexion devait s'inscrire dans le cadre constitutionnel, européen et conventionnel existant, sans que l'on puisse réfléchir à des réformes de structure administrative d'ampleur, à des niveaux supérieurs de normes. Le champ est par conséquent très circonscrit par rapport à celui extrêmement vaste de votre commission d'enquête.

Le nombre de décisions qui sont rendues chaque année en matière de droit des étrangers par l'administration est tout à fait conséquent, et donc le nombre de procédures engagées devant les juridictions est également considérable. Les chiffres que je vais mentionner sont ceux que l'on avait identifiés en 2019 lors de notre réflexion. L'année 2020 a ensuite été si particulière qu'il est difficile d'en tirer des enseignements et des chiffres pertinents. Enfin, l'année 2021 n'est pas terminée, même si l'on a constaté une reprise du rythme et de l'ampleur des décisions.

En ce qui concerne l'administration, 4,3 millions de demandes de visa ont été déposées en 2019 par des étrangers. 130 000 demandes d'asile ont été adressées à l'administration et 750 000 décisions ont été prises par l'administration sur des questions relatives à la situation des étrangers, titres de séjour, mesures d'éloignement, etc. Ces 750 000 décisions incluent quelque 123 000 à 125 000 mesures d'éloignement de type obligation de quitter le territoire français (OQTF). Cette masse de décisions administratives tout à fait considérable ne se retrouve pas aisément dans d'autres champs de l'action administrative. Le domaine fiscal conduit certes chaque année à un très grand nombre de décisions, mais leur conflictualité est nettement moindre que dans le cadre de la police des étrangers.

Pour avoir quelques ordres de grandeur, 100 000 affaires liées au contentieux des étrangers sont portées devant les tribunaux administratifs chaque année, ce qui représente 40 % des affaires. Environ 20 000 affaires de contentieux des étrangers sont présentées chaque année devant les cours administratives d'appel, soit plus de 50 % des affaires. Enfin, environ 2 000 affaires sont portées devant Conseil d'État chaque année, soit à peu près 20 % des affaires. La situation du Conseil d'État est toutefois très différente. En effet, intervenant pour l'essentiel en tant que juge de cassation, il dispose d'outils de filtrage et de pourvois, tandis que les cours administratives d'appel n'ont pas d'outils comparables.

Nous avons relevé quatre éléments de constat, qui expliquent les principales propositions que nous avons formulées. Premièrement, comme le pointait déjà la lettre de mission du Premier ministre, les textes et procédures applicables dans ce domaine devant les juridictions administratives de droit commun sont d'une extraordinaire complexité. On constate un empilement, une juxtaposition des procédures qui se sont constamment sophistiquées ou raffinées. Il y a en matière de droit des étrangers des décisions qui relèvent du régime contentieux de droit commun applicable à l'ensemble des affaires portées devant le juge administratif. Ces affaires sont jugées par une formation collégiale au terme d'une instruction écrite, avec des possibilités de recours administratif et un délai de recours de deux mois. Ce droit commun vaut par exemple pour les arrêtés d'expulsion pour des refus de titre de séjour, notamment pour des refus dits « secs » qui ne sont pas accompagnés d'autres mesures. Il vaut également pour des assignations à résidence si elles sont contestées seules.

Beaucoup d'autres affaires relèvent du droit commun de la procédure en matière d'étrangers, ce qui se traduit toujours par une formation collégiale, une instruction écrite et des conclusions éventuelles d'un rapporteur public. Le délai de recours est cependant limité à un mois, et il n'y a pas de possibilité de recours administratif préalable obligatoire (RAPO) qui permettrait de prolonger le délai. Il s'agit ainsi d'un droit commun un peu aménagé.

Force est de constater que l'on trouve par ailleurs aujourd'hui dans le Code d'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) un très grand nombre de procédures. Elles se ressemblent, mais sont au nombre d'une douzaine. Ces procédures sont spécifiquement applicables à des types de décisions, d'hypothèses, et de situations particulières. Elles se distinguent par des caractéristiques différentes en termes d'instruction écrite ou en partie orale. Par exemple, c'est tantôt un juge unique qui se prononce, tantôt une formation collégiale. La procédure détermine également si un rapporteur public prononce ou non des conclusions. Les délais de recours et les délais de jugement sont également différents. Le choix de la procédure appliquée dépend du type d'acte qui est attaqué, mais aussi des circonstances, comme la rétention ou la mesure d'assignation à résidence d'un étranger.

Ainsi, pour une même décision d'éloignement de type OQTF, il y aura des procédures différentes selon la nature du motif. La procédure vise toujours à sanctionner le défaut de régularité de la présence d'un étranger en France mais son application dépend de différentes conditions : le fait qu'une personne soit déboutée du droit d'asile ; qu'elle soit restée en France à l'expiration du visa qui avait permis d'y entrer ; ou encore que la personne ait fait l'objet d'un refus de titre de séjour. La procédure dépend également de la portée de l'OQTF : cette OQTF a-t-elle laissé à l'étranger un délai pour quitter volontairement le territoire national ou bien s'agit-il une OQTF sans délai ? En fonction de l'ensemble de ces éléments, les délais de recours seront soit de 48 heures, soit de quinze jours, soit d'un mois. Les délais de jugement pour la juridiction seront quant à eux de 96 heures, de 144 heures, de six semaines ou de trois mois.

Cette très grande complexité du paysage législatif s'explique essentiellement par des raisons historiques, parce qu'une succession d'interventions législatives et réglementaires ont tenté de corriger certains aspects, de mettre l'accent sur un traitement plus rapide de certains actes. Ce maquis procédural finit par perdre et décourager tous les acteurs, mais aussi par engendrer des coûts de compréhension, d'organisation et de mise en œuvre, qui finalement finissent par dépasser les gains d'efficacité espérés lors de la mise en place des changements réglementaires.

Deuxièmement, nous avons relevé un problème affectant le droit à un recours effectif en raison de l'application du délai de recours de 48 heures dans certaines circonstances et dans le cadre de certaines hypothèses. C'est le cas notamment pour les étrangers qui font l'objet d'une mesure d'assignation à résidence, qui accompagne systématiquement une mesure d'éloignement. Conformément à la loi, un délai de recours de 48 heures est alors appliqué. La brièveté de ce délai nous a interpellé, à l'instar de beaucoup d'acteurs avec qui nous avons échangé à ce sujet. En effet, pour des étrangers livrés à eux-mêmes et qui ne bénéficient pas nécessairement d'une assistance immédiatement mobilisable, ce délai est fréquemment trop bref pour leur permettre de saisir utilement la juridiction.

La brièveté de ce délai de recours de 48 heures a également été relevée dans la situation particulière des étrangers qui font l'objet d'une mesure d'éloignement alors même qu'ils sont en prison, dans la perspective de leur sortie. Le Conseil constitutionnel a jugé que, pris globalement avec le délai de jugement, ce délai n'était pas contraire à la Constitution mais il nous a toutefois semblé que sa brièveté, dans beaucoup de cas, exposait des étrangers à une altération de leur droit à un recours effectif.

Troisièmement, nous avons observé un net décalage entre les contraintes qui pèsent sur le juge en termes de délais de jugement et les nécessités réelles de l'action administrative. Le jugement accéléré d'un recours contre une mesure d'éloignement est facilement compréhensible si l'exécution d'office de la mesure est prévue à brève échéance. Il importe dans ce cas que le recours contentieux soit exercé de telle sorte que la mesure d'éloignement effectif intervienne une fois que le recours a été jugé. Dans de nombreux cas, cependant, on observe que des décisions sont prises par l'administration sans perspective réelle d'exécution. De ce point de vue, il suffit de constater le taux d'exécution des mesures d'éloignement. Environ 50 % des mesures d'éloignement sont effectivement mises en œuvre pour les étrangers qui sont placés en rétention. Pour ceux qui sont placés sous assignation à résidence, ce taux d'exécution tombe à 15 %. Enfin, le taux d'exécution des mesures d'éloignement qui ne sont pas accompagnées de mesures de contrainte particulières est d'environ 5 %.

Pourtant, des délais de jugement sont imposés aux juridictions. Ceci entraîne, chez les magistrats administratifs en charge de juger ces recours, un sentiment de perte de sens de leur action. En effet, ils sont conduits à prendre des décisions lourdes de conséquences pour les intéressés, dans des délais de jugement très bref, selon des procédures dérogatoires qui apportent un peu moins de garantie que la procédure de droit commun, tout en ayant conscience que les décisions administratives, confirmées par le juge, ne seront vraisemblablement pas exécutées immédiatement. Il y a donc un décalage entre la contrainte de jugement rapide et les conséquences effectives liées à ce jugement rapide. Ce sentiment de perte de sens de l'action se trouve aggravé par le nombre considérable de jugements que j'ai évoqué précédemment.

Quatrièmement, les conditions dans lesquelles l'administration accomplit sa mission en amont des procédures juridictionnelles influent très fortement sur l'activité des juridictions. Par exemple, si l'administration s'est focalisée sur un seul aspect de la situation de l'étranger pour une demande de titre de séjour, lorsque le juge administratif est saisi de la décision, le contrôle qu'il exerce ne portera que sur celui-ci. Or on observe que les étrangers peuvent avoir la tentation de cibler successivement leur demande : ils demandent un titre de séjour pour une première raison puis pour une autre, une fois que la première séquence administrative et juridictionnelle est terminée. Par exemple, certains étrangers font une première demande de titre fondée sur une demande d'asile puis, une fois que la question de l'asile a été définitivement traitée, une autre demande justifiée par des raisons de santé ou d'activité salariée puis, une fois que cette question-là a également été traitée, ils effectuent une autre demande dans le cadre de la vie privée et familiale ou encore dans le cadre d'une mesure de régularisation. Cette instruction successive par l'administration et des décisions administratives qui se succèdent dans le temps, aboutit non pas un examen global de la situation de l'étranger à un instant donné, mais à des itérations, des décisions et donc des contentieux successifs, échelonnés et étalés dans le temps, qui concernent la même personne.

La question des difficultés d'accès des étrangers aux guichets de l'administration et aux procédures administratives est une difficulté circonstancielle, mais dont l'ampleur finit par susciter des contentieux qui parasitent les juridictions administratives. L'administration rencontre des difficultés à accueillir les demandes qui lui sont présentées, pour organiser l'accès à ses locaux pour les demandes de titres de séjour, pour enregistrer les demandes d'asile, ainsi que pour la mise en œuvre de ces différentes procédures. En conséquence, les démarches des étrangers sont devenues, en pratique, très difficiles dans un certain nombre d'endroits et les juridictions sont saisies par un nombre croissant de demandes, notamment par référés. Celles-ci s'accumulent pendant deux ou trois ans, alors qu'elles portent simplement sur la possibilité d'obtenir un rendez-vous en préfecture, d'obtenir l'enregistrement d'une demande d'asile ou le respect des délais qui sont impartis par la législation européenne et la législation nationale.

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Nous avons souhaité recevoir un membre du Conseil d'État parce que le sujet nous semble très complexe sur le plan juridique. Un échange constructif a-t-il été noué avec les administrations auxquelles vous préconisez des réformes administratives ? Comment et à quelle vitesse seront mises en œuvre vos propositions ? D'un côté, je vois des associations qui me disent qu'il faut absolument appliquer les conventions internationales et qu'elles sont attaquées par la Cour de justice, mais qui se demandent d'un autre côté ce qu'elles doivent faire sur leur terrain ?

Je tends à croire qu'Emmanuel Macron sera le président de la République en janvier 2022. Or le Pacte européen sur la migration et l'asile est en préparation depuis 2015 et nous n'avons pas réussi à le mettre en place pour des raisons très électoralistes et en raison de la pression migratoire de 2015. Le Pacte européen sur la migration et l'asile sera, je l'espère, mis en place en 2021 ou 2022, malgré la réticence de quelques pays de d'Europe du Sud. Enfin, quelle est la part du contentieux Dublin dans le contentieux global de l'entrée et du séjour des étrangers ?

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Je me suis penchée, à travers différents rapports, aux côtés de Jean-Noël Barrot, qui travaille également à la commission des finances, sur différents sujets que vous abordez. Je partage votre point de vue sur la perte de sens. On peut finalement parler d'incohérence pour tous les acteurs. J'ai le sentiment que cette incohérence ne s'estompe pas malgré les alertes pourtant nombreuses de votre part, de la part d'acteurs associatifs et parlementaires, ou encore du Conseil national des barreaux (CNB). Au contraire, d'une part le parcours d'obstacles, la densification et la complexité du Ceseda se confirment ; d'autre part, les outils que vous évoquez à propos de la difficulté d'accès au guichet génèrent un contentieux de masse. Dans notre dernier rapport du mois d'octobre, nous nous sommes penchés sur le sujet et nous avons également constaté un coût engendré significatif. Quel est votre regard sur cette évolution difficile et sur les perspectives ? Quels espoirs pouvez-vous identifier ?

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En tant que députée de Mayotte, j'ai bien pris acte du fait que les travaux commandés par le Premier ministre n'avaient pas vocation à intégrer la Guyane et Mayotte. Avec la simplification des procédures que je regrette quelque peu, votre analyse nous concerne cepedant. Permettez-moi de revenir sur les fondamentaux du droit des étrangers. Avant la simplification du droit, il y a l'accès à la règle de droit et aussi l'intelligibilité de cette règle. Le recours aux interprètes à ce moment précis est-il suffisant ? Y a-t-il un intérêt à rendre accessible les règles de procédure en une autre langue que le français, notamment en anglais ?

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Jacques-Henri Stahl

Mon sentiment personnel rejoint le vôtre : la situation au regard de la complexité, de la lisibilité et de l'accessibilité des règles applicables en matière de droit des étrangers n'a pas eu tendance à s'améliorer au cours des dernières années. La complexité des textes est un sujet délicat parce que différents arguments s'opposent. En effet, la réécriture ou la modification des textes part très souvent d'un bon sentiment, d'une volonté de régir au mieux les situations, de la façon la plus précise possible, mais aussi de façon à protéger au mieux les intéressés. L'objectif est de faire en sorte que les textes soient appliqués, de manière égale sur l'ensemble du territoire et avec l'ensemble des acteurs qui sont chargés de les mettre en œuvre.

Cependant, certaines difficultés proviennent du fait que, dans un monde de plus en plus interdépendant et interconnecté sur le plan juridique, les règles que nous devons appliquer en matière de droit national des étrangers s'inscrivent dans un cadre européen, qui est aujourd'hui bien plus précis et plus contraignant que dans les années 1980 ou 1990. C'est la conséquence du renforcement de la construction européenne sur ces sujets, mise en place depuis le milieu des années 1990. La législation est de plus en plus compliquée, mais pas pour de mauvaises raisons ni pour des raisons que l'on pourrait écarter d'un revers de main. La situation actuelle devient si complexe que l'on finit par se dire que les inconvénients de la sophistication l'emportent sur les avantages que l'on recherchait en les déployant.

De même, l'accumulation de procédures particulières du contentieux des étrangers devant le juge administratif part d'une bonne intention. On a constamment cherché à améliorer le dispositif existant de manière à traiter mieux et plus vite les contentieux, et à rendre le système plus performant. Il revient donc de se demander avec lucidité quels sont les éléments de cadrage nécessaires pour réarticuler un paysage plus lisible et plus facilement accessible. Lorsque l'on aura accompli ce travail, il serait sage et lucide de ne plus changer en permanence le dispositif pendant un certain temps, parce qu'il est nécessaire de le laisser évoluer de manière assez constante afin que tout le monde puisse se l'approprier. Il faudra alors résister à la tentation de corriger la législation si l'on y découvre un manquement.

Partant de ce constat, nous proposons de simplifier résolument cette situation complexe en mettant en place seulement trois procédures devant le juge administratif de droit commun sur ces affaires de contentieux des étrangers. En effet, la diversité des situations et des conséquences ne permet pas de se contenter d'une seule procédure, ni même deux. Bien que nous ayons rencontré des hésitations à ce sujet, certaines situations relèvent de l'urgence, ce qui nous a finalement conduits à penser qu'il fallait trois procédures, et seulement trois.

Il y aurait ainsi une procédure ordinaire, habituelle devant les juridictions administratives, avec une formation collégiale, un rapporteur public et une instruction écrite. La particularité historique qui existe en matière de contentieux des étrangers par rapport au droit commun est la réduction du délai de recours de deux mois à un mois. En dehors de ces réserves, cette première procédure serait une procédure ordinaire de droit commun, que les avocats et les juges maîtrisent et qui structure la vie quotidienne des juridictions.

Les deux autres procédures seraient plus urgentes. L'une d'entre elles, dont la durée se compterait en heures, s'appliquerait aux situations dans lesquelles on a besoin très rapidement qu'une décision de justice soit rendue. Cette procédure s'appliquerait uniquement en cas de privation de liberté et de rétention administrative pour l'étranger, ce qui justifie la brièveté d'un délai de recours de 48 heures. Il ne devrait ainsi pas y avoir de conséquences trop dommageables sur le droit au recours parce que les étrangers qui sont placés en rétention bénéficient d'une assistance par les associations, impliquant un contact avec les avocats. Il est important que le délai soit bref parce que tant que le jugement n'a pas eu lieu, les intéressés sont privés de liberté et maintenus en rétention. Le délai de jugement serait alors de 96 heures.

La dernière procédure, également urgente mais un peu moins rapide que la précédente, aurait une durée qui se compte en jours, et permettrait de traiter des situations plus rapidement que la procédure de droit commun, dans les cas où une décision de justice est attendue assez rapidement. Nous proposons pour cela un délai de recours de sept jours et un délai de jugement de quinze jours, et donc un temps total de traitement des affaires de trois semaines. Cette procédure concernerait certains contentieux qui nécessitent un règlement assez rapide, notamment dans le cas des étrangers assignés à résidence. C'est par ailleurs le cas pour la procédure de Dublin, qui est enserrée dans des délais européens.

C'est précisément parce que nous sommes convaincus qu'il faut simplifier drastiquement le paysage législatif, que nous avons eu des difficultés à convaincre l'administration que le dispositif que nous préconisons, le plus simple et le plus robuste possible, pouvait être directement mettre en place.

Après que dans un premier temps la conjoncture sanitaire a mis à l'écart notre réflexion, à la fin de l'année 2020, on a tenté de traduire législativement notre rapport. En effet, pour modifier les procédures contentieuses dans une telle mesure, il est nécessaire de modifier des dispositions législatives du Ceseda. Cependant, nous ne sommes pas parvenus à trouver un accord qui permettrait de proposer au Parlement un projet de loi. Bien entendu, le calendrier politique et la fin de législature sont des éléments qui rendent cet exercice difficile. En effet, cette période offre peu de temps pour l'écriture des textes, et peu de fenêtres parlementaires sont susceptibles d'être utilisées. La tentation de vouloir faire apparaître dans les textes de nouveaux cas particuliers montre que l'exercice de la simplification résolue n'est pas aisé.

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Lors d'un déplacement à Mayotte, le Président de la République a évoqué à plusieurs reprises l'objectif de 100 % que notre pays allait atteindre en termes d'OQTF. Pensez-vous que cet objectif peut être atteint d'ici la fin du quinquennat au mois d'avril, date annoncée pour arriver à 100 % ? Vous êtes à même d'évaluer si cette injonction de l'exécutif est atteignable ou non.

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Jacques-Henri Stahl

Je vous dirai simplement que les chiffres que nous avons pu observer jusqu'ici en ce qui concerne les mesures d'éloignement sont très loin de cet objectif. Certes, les possibilités effectives de mise à exécution des mesures d'éloignement dépendent du degré de contrainte que l'on est susceptible d'exercer à l'égard des étrangers. Toutefois, les chiffres montrent que l'on observe un taux d'exécution des mesures d'éloignement de l'ordre de 50 % pour les étrangers qui font l'objet d'une mesure de rétention administrative. Or il s'agit de la situation dans laquelle il est le plus facile pour l'administration de mettre à exécution une mesure d'éloignement. Pour les étrangers qui font l'objet d'une mesure d'assignation à résidence, le taux d'exécution constaté était plutôt de l'ordre de 15 %. Enfin, pour les mesures d'éloignement sans dispositif de contrainte particulier, le taux est plutôt de l'ordre de 5 %. On est donc, du point de vue de la réalité de la pratique administrative, très loin des chiffres que vous indiquez.

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Pardonnez-moi, mais nous sommes dans le cadre d'une commission d'enquête, où l'on contrôle l'action du gouvernement. Peut-on, en définitive, atteindre l'objectif fixé par le gouvernement ?

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Jacques-Henri Stahl

Je ne le crois pas. Je ne suis toutefois pas particulièrement spécialiste de cette question, ni chargé de l'exécution de ce domaine de l'action administrative. Je conçois tout à fait qu'il s'agisse pour l'administration d'un exercice particulièrement difficile que de mettre à exécution des mesures d'éloignement, parce que les étrangers ne coopèrent pas spontanément avec ce type de mesures pour des raisons évidentes. Par ailleurs, les pays d'origine de ces ressortissants étrangers ne coopèrent pas toujours avec les autorités françaises pour faciliter la mise en œuvre de ces mesures. D'autres difficultés et des contraintes pratiques sont rencontrées en termes de moyens d'acheminement, d'organisation des transports, etc. Pour conclure, je ne crois pas qu'il soit possible d'aboutir à brève échéance à la réalisation de l'objectif de 100 % d'exécution des OQTF.

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Merci. Il est important de souligner la nécessité de mettre des moyens adéquats face à certains engagements extrêmement forts.

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Je pense que vous avez à ce sujet une expertise et une connaissance de ce qui se pratique à l'échelle de l'Union européenne. L'Allemagne a un taux d'exécution des obligations de quitter le territoire bien meilleur que la France, mais en définitive, elle en délivre beaucoup moins. La délivrance des obligations de quitter le territoire allemand se concentre sur les personnes dont la reconduite est objectivement possible. Ne pensez-vous pas que la concentration de nos OQTF vers un public objectivement tourné vers la reconduite serait bénéfique pour l'ensemble des acteurs et pour simplifier le travail de chacun ?

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Jacques-Henri Stahl

Je partage tout à fait votre point de vue. J'évoquais tout à l'heure le décalage ressenti par les magistrats administratifs entre les délais de jugement imposés aux juridictions et la réalité des suites des mesures d'éloignement. Du point de vue des juridictions, on peut tout d'abord se demander pourquoi il y a autant d'actes alors qu'aucune suite concrète ne leur sera donnée. C'est notamment le cas pour de nombreuses demandes de titre de séjour, dont le rejet est accompagné d'une mesure d'OQTF, alors même que l'administration sait pertinemment qu'aucune conséquence concrète et effective n'en sera tirée. Ces mesures étaient par le passé notifiées par voie postale, sans aucune autre forme de suivi administratif des personnes concernées. À la question de savoir pourquoi ces mesures d'éloignements sont tout de même prises, l'administration donne deux types de réponses. La première est celle de la cohérence administrative : puisque l'on refuse le droit au séjour en France, l'intéressé doit quitter le territoire français. L'OQTF constitue alors une mesure cohérente avec la décision de refus de titre. Il serait incohérent de refuser le titre de séjour sans en tirer les conséquences. La deuxième réponse est la suivante : dès lors que l'OQTF est enregistrée, si l'étranger est contrôlé sur la voie publique d'une façon inopinée, la décision d'éloignement sera alors susceptible d'être mise en œuvre. En conséquence, il faudrait au moins que le délai de jugement devant les juridictions ne soit pas autant contraint. Cependant, pourquoi l'administration prend-elle de telles mesures alors que les perspectives effectives d'éloignement ne sont pas susceptibles d'être réunies ?

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Je pense que le pouvoir exécutif mettra en place ce qui a été évoqué pour réussir une exécution de 100 % des OQTF. Cela fait quatre ans que je travaille sur ce sujet et que je me rends sur le terrain. Plus le temps passe, plus je constate que les personnes ne se parlent pas. La gestion de l'immigration devient non pas un problème de moyens mais plutôt de cohérence. En effet, lorsqu'une personne qui travaille dans un service des étrangers a un nombre considérable de textes à prendre en compte.

L'une des raisons de tout cela est, à mes yeux ,une vision de plus en plus sécuritaire de l'immigration. Or nous avons tous besoin, pour le bien des Françaises et des Français, mais également celui des migrantes et des migrants, de changer de cette manière de gérer. Je sais très bien que la vision d'Éric Zemmour attire énormément de personnes car la peur permet de fédérer. Depuis 2007, la compétence de l'immigration appartient au ministère de l'intérieur. N'est-il pas possible de revenir à une conception beaucoup plus apaisée, afin de produire un effet sur les nombreuses incompréhensions et difficultés que nous avons avec les collectivités ? Cela ne signifie pas pour autant que l'on va ouvrir grand les portes et que les Français ne vont plus percevoir leur retraite à cause des migrants. Ne gagnerait-on pas à revenir à un système tel qu'il était avant 2007, à donner la compétence de l'immigration, entre autres, au ministère des affaires étrangères, au ministère des solidarités et du logement parce que les migrants doivent également se loger et trouver un travail. Ne serait-il pas intéressant de revenir à une gestion qui serait réellement interministérielle ? On m'a objecté qu'il existe déjà des collaborations interministérielles, mais les acteurs extérieurs au gouvernement et aux administrations, tels que les collectivités territoriales, les associations, et toutes les personnes qui travaillent sur l'immigration dans notre pays ont besoin d'une vision différente et d'une autre manière de gérer ces questions.

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Jacques-Henri Stahl

Il s'agit là d'une question difficile. Il y a des mouvements de balancier dans la vie administrative et dans la vie politique sur ces sujets. En 2007, l'objectif était d'accroître l'efficacité administrative, en concentrant des leviers qui étaient considérés comme exagérément répartis. Les différents départements ministériels rencontraient à l'époque des difficultés se coordonner et se mettre d'accord. Cette recherche d'efficacité a donc conduit en 2007 à la réorganisation administrative que vous décrivez. Je crois que périodiquement, on est tenté d'aller dans une direction puis dans l'autre : au bout d'un certain temps, les inconvénients de la structure unique finissent par l'emporter sur les avantages qu'on y trouvait au départ, et on réfléchit alors à une autre forme d'organisation.

Je pense tout de même que la multiplicité des acteurs administratifs complique l'exercice. Elle présente certes l'avantage de permettre davantage de diversité de points de vue et engendre donc une décision administrative et gouvernementale plus équilibrée, plus sensible à des nuances ou à des sentiments différents. Néanmoins, un éclatement des centres de décision conduit nécessairement à un besoin de coordination entre les différents acteurs, ce qui rend l'action publique plus difficile à mettre en œuvre. Il s'agit donc d'arbitrer entre des facteurs de diversité et des vecteurs d'efficacité.

L'état d'esprit des structures administratives compte également. Ce que vous disiez précédemment m'a fait penser à des remontées de terrain que nous avions entendues de la part de différents acteurs. Ils faisaient part du fait que, dans la dernière décennie, le sujet de la situation des étrangers est devenu si conflictuel que les capacités de dialogue entre les services administratifs et les différents acteurs ont progressivement disparu. Autrefois, les situations individuelles particulièrement difficiles pouvaient faire l'objet d'échanges directs entre des associations, des avocats et l'autorité préfectorale, ce qui pouvait ponctuellement permettre de dépasser les difficultés. Cela ne relève pas de la question de la structure administrative, mais de l'état d'esprit des administrations et des contraintes politiques qui pèsent sur elles et de l'attitude des leurs partenaires. Il faut réfléchir aux questions d'état d'esprit de sorte qu'un dialogue constructif et utile puisse se renouer.

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Je précise juste que l'idée n'est pas de dire qu'il y a d'une part les méchants du ministère de l'intérieur et d'autre part les gentils du ministère des affaires étrangères. Nous avons mis des moyens sur l'hébergement d'urgence et sur les minimums sociaux. Il s'agit aujourd'hui de se demander comment mieux mettre en œuvre ces moyens. Par exemple, à Calais, la mairie refuse de parler à la préfecture, qui refuse elle-même de parler aux associations. Un puits sera mis en place par les associations, puis par les travailleurs sociaux de la mairie, etc.

Nous avons les moyens, mais il s'agit plutôt d'arrêter de mieux l'argent public et d'accompagner mieux les migrants, d'éviter qu'ils puissent errer dans les rues tout en assurant la sécurité de Français. Ce point d'équilibre est loin d'être facile à trouver.

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Merci beaucoup, Monsieur Stahl. Les auditions de cette commission d'enquête s'achèvent avec vous. Plus d'une centaine de personnes ont été auditionnées, dont font partie les principaux concernés, les migrants. Certains territoires spécifiques, comme Mayotte ou la Guyane, ainsi que les questions éducatives et le rôle des médias, n'ont pas été suffisamment abordés. Je souhaiterais conclure en évoquant le rôle des médias puisque la situation actuelle est particulière à ce sujet et qu'un débat public de qualité doit être mené sur le sujet des migrations. La Chaîne parlementaire LCP n'a jamais évoqué notre commission d'enquête, alors même qu'elle diffuse tous les jours des sujets migratoires, et ce malgré les heures d'auditions que nous avons réalisées, ainsi que les déplacements effectués dans des camps de réfugiés au Kurdistan, dans le hotspot de Lampedusa, à Briançon, à Calais, à Menton, jusqu'aux squats d'Aubervilliers. C'est l'objet d'un réel constat d'étonnement. LCP, comme la plupart des médias, semble avoir abandonné le terrain du débat et de la réflexion construite tant nécessaires sur ce sujet, certes brûlant, mais qui mérite un traitement médiatique plus approfondi.

La réunion s'achève à dix-sept heures quinze.