Intervention de Sonia Krimi

Réunion du mercredi 10 novembre 2021 à 15h00
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSonia Krimi, rapporteure :

Nous voilà au terme des six mois de travaux de la commission d'enquête. Nous avons mené quarante-six auditions. Nous nous sommes également rendus sur le terrain en France : à Calais, Menton et Briançon, mais aussi au sein d'une permanence d'accès aux soins et d'un centre d'accueil de Médecins du monde, dans un squat à Aubervilliers, ainsi qu'au musée national de l'histoire de l'immigration.

La dimension européenne n'a pas été négligée. Nous nous sommes déplacés à Bruxelles pour faire un point sur l'état des négociations sur le paquet « migration et asile », et particulièrement sur le règlement Dublin. Je présenterai des propositions sur ce volet de la politique migratoire.

Je remercie toutes les personnes que nous avons pu rencontrer et écouter avec intérêt.

Le sujet des migrations dans leur ensemble peut paraître immense, tout d'abord par ses implications internationales et par le rôle que la France et l'Europe ont à jouer. Ensuite, par l'organisation et les moyens nécessaires pour accueillir dignement ceux qui viennent dans notre pays. Enfin, par l'enjeu que représente la construction quotidienne d'une société dans laquelle chacun, les migrants comme les autres, peut faire valoir ses atouts.

Ce sujet est pourtant loin d'être insurmontable : il faut avant tout revenir à la réalité des migrations pour éviter les faux débats. Tel a été mon premier objectif. J'aurais pu choisir une approche plus polémique, voire journalistique, mais j'ai voulu un document synthétique d'une centaine de pages, assorti d'une trentaine de recommandations. Le but est que ce rapport soit lu et appliqué. Je me suis efforcée d'aborder les principales problématiques et j'assume les choix qui ont conduit à sa rédaction actuelle. C'est un choix équilibré qui essaie d'introduire de la rationalité dans un débat trop souvent hystérisé.

Pour cette présentation, je vais m'en tenir à trois points et à quatre propositions que j'estime essentiels.

Tout d'abord, c'est peut-être une évidence mais il est toujours bon de rappeler que pour qu'il y ait immigration, il faut qu'il y ait eu préalablement émigration. Les déterminants du départ sont donc essentiels ; ils n'ont pas grand-chose à voir avec le modèle social des pays de destination mais tout à voir avec la mauvaise gestion dans les pays de départ, qui y engendre de l'instabilité. On ne quitte pas l'Afghanistan parce qu'on connait le montant de l'aide personnalisée au logement en France. C'est pourquoi j'ai voulu rappeler que les migrations ne sont pas un phénomène transitoire, mais bien structurel. Il est important que l'aide publique au développement obéisse à des objectifs politiques précis, dont celui de fixer des populations dans leur propre territoire, la décision d'émigrer n'étant jamais un choix de facilité. C'est le débat que nous avons eu au sein de la commission des affaires étrangères lors de l'examen du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, débat qui doit être poursuivi.

Ensuite, j'estime qu'il est primordial de cesser de faire de l'immigration l'alpha et l'oméga de nos relations diplomatiques avec les pays de départ et de transit ; les dernières propositions d'un candidat à l'élection présidentielle en font encore la démonstration par l'absurde. Nous ne maîtrisons pas les facteurs déterminants du départ et nous fragilisons notre position diplomatique en demandant trop aux pays de départ. Inutile de bomber le torse.

Enfin, nous devons sortir des postures et des impostures en rétablissant quelques réalités souvent occultées, dont la première est que le migrant est majoritairement une migrante – alors même que les femmes restent trop souvent les invisibles des politiques migratoires. Les migrants ont un niveau d'études plus élevé que la moyenne et ne demandent pas toujours l'asile. Le rapport présente des données chiffrées sur ces points. Il est frappant de constater que sur les 220 000 titres de séjour accordés chaque année, 90 000 concernent des étudiants et seulement 35 000 environ sont délivrés à titre humanitaire. Pourtant, c'est bien cette dernière catégorie qui alimente le débat public. Si ce rapport a une vertu, ce sera d'essayer de susciter un débat plus serein.

Voilà pour les points sur lesquels je souhaitais revenir.

Quatre propositions maintenant, qui partent du constat que les migrations sont un phénomène global qu'il convient de traiter par une politique intégrée et coordonnée. J'insiste sur ce dernier point.

Premièrement, tous les migrants que la commission a rencontrés ont dit vouloir se rendre en Europe – du moins pour ceux qui souhaitent demander l'asile. Je propose donc de créer un véritable service de l'asile européen, avec une clé de répartition entre les États membres – ce qui aura l'immense avantage de mettre un terme aux transferts Dublin, qui sont aussi inefficaces qu'injustes. Il s'agit ni plus ni moins que de pérenniser et d'étendre la déclaration de La Valette, qui prévoyait déjà une répartition des personnes sauvées en mer afin de découpler le sauvetage et la responsabilité de l'asile. La présidence française de l'Union européenne devrait être l'occasion de faire prospérer cette idée, pour mettre fin à un blocage qui dure depuis 2015.

Deuxièmement, nous devons adapter notre appareil politico-administratif pour le faire changer de vision. La coordination des actions est essentielle. Nous le constatons tous : lorsqu'il s'agit d'entrée et de séjour des étrangers dans notre pays, des questions diplomatiques, de logement, de santé et de travail, mais aussi d'école et d'enseignement supérieur se posent. C'est une question d'efficacité d'ensemble de nos politiques publiques. C'est pourquoi je souhaite prolonger la réforme de 2018 qui a mis en place une délégation interministérielle à l'accueil et à l'intégration des réfugiés (DIAIR), en transformant et en renforçant cette dernière. Le rapport propose donc la création d'un Haut-commissariat aux migrations, désormais placé auprès du Premier ministre et non pas du ministre de l'intérieur.

Troisièmement, j'ai été frappée par la plus grande fluidité avec laquelle nos voisins italiens traitaient des questions migratoires, alors qu'en France la polarisation est extrême entre les services de l'État – singulièrement la police –, les collectivités territoriales et les associations. L'absence de médiateurs culturels n'est pas étrangère à cet état de fait. Il est impératif de remettre du liant dans le traitement de la question migratoire, afin que les différents acteurs se parlent. L'actualité récente à Calais nous en montre l'urgence. Je propose donc de créer des filières de médiateurs culturels, issus des associations, des collectivités et des services de l'État, dont la tâche sera de dénouer les situations de conflit ou d'incompréhension entre les acteurs.

Quatrièmement, la question des conditions de l'accueil et de l'intégration des étrangers sur le territoire français est examinée en détail dans le rapport. J'y insiste sur les situations inacceptables et toujours pas résolues concernant l'accès aux services des préfectures, ainsi que sur la complexité du droit des étrangers. Les règles applicables sont parfois contradictoires, ce qui débouche sur les situations insolubles dont tous les députés ont été saisis à un moment ou à un autre au cours de cette législature. Cette complexité est source de nombreux contentieux, qui encombrent les juridictions.

Le rapport analyse l'accès aux différents droits – aux soins, à l'emploi, à l'hébergement et au logement – et la dimension spécifique de l'accès aux droits au sein des habitats informels, avec une attention spéciale pour la situation à Calais. J'ai souhaité évaluer la politique de sécurisation de ce site et son coût. Il s'élève à 120 millions d'euros par an pour la France si l'on tient compte de la contribution de 40 millions d'euros versée par le Royaume-Uni – pour gérer la présence de 3 000 migrants.

S'agissant de l'accès à l'emploi, je recommande de réaliser un état des lieux systématique et approfondi des qualifications et des compétences des étrangers primo-arrivants. C'est une demande des entreprises et des syndicats. Ce bilan serait réalisé à la suite de la signature du contrat d'intégration républicaine. Cette démarche doit être accompagnée par une individualisation des formations linguistiques proposées, en fonction des besoins et en mettant l'accent sur celles à visée professionnelle.

Le rapport met en lumière les efforts qui ont été réalisés en matière d'intégration, mais aussi sur ce qui doit encore être fait, en soulignant notamment le rôle majeur joué par les associations – toutes les contributions qu'elles nous ont adressées figureront en annexe.

Enfin, une partie du rapport est consacrée aux besoins spécifiques de certains migrants : les femmes, les personnes LGBTQ+, les mineurs et les étudiants étrangers.

Après ces quelques mots qui sont loin d'épuiser le sujet, je suis prête à répondre à vos questions, remarques et suggestions.

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