La réunion

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Mercredi 10 novembre 2021

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Nous concluons aujourd'hui les travaux de la commission d'enquête sur les migrations internationales par l'examen du rapport.

Nous pouvons nous féliciter du travail accompli collectivement sur un sujet trop souvent objet de controverses, pour ne pas dire de débats parfois totalement irrationnels. Je me réjouis de la manière dont nos réunions se sont déroulées et du sérieux avec lequel nous avons mené les travaux.

Nous avons tenu à entendre le plus largement possible l'ensemble des personnes intervenant dans la mise en œuvre des politiques migratoires et auprès des migrants, que ce soit au titre de leurs fonctions ou en raison d'un engagement personnel. Avec la rapporteure, nous avons souhaité accorder une place particulière aux travaux universitaires, en faisant venir à de nombreuses reprises des chercheurs devant la commission. Nous avons aussi tenu à recueillir directement le témoignage de migrants, premiers usagers de ces politiques.

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, le rapport était consultable lundi, mardi et ce matin sous forme papier dans une salle de notre assemblée. Un exemplaire vous est remis pour cette réunion. Je précise toutefois que nous sommes tenus par les règles applicables aux commissions d'enquête : ce rapport ne pourra être publié avant le mardi 16 novembre, un délai de cinq jours francs étant ouvert pendant lequel l'Assemblée nationale pourrait demander à se réunir en comité secret pour se prononcer sur sa publication.

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Nous voilà au terme des six mois de travaux de la commission d'enquête. Nous avons mené quarante-six auditions. Nous nous sommes également rendus sur le terrain en France : à Calais, Menton et Briançon, mais aussi au sein d'une permanence d'accès aux soins et d'un centre d'accueil de Médecins du monde, dans un squat à Aubervilliers, ainsi qu'au musée national de l'histoire de l'immigration.

La dimension européenne n'a pas été négligée. Nous nous sommes déplacés à Bruxelles pour faire un point sur l'état des négociations sur le paquet « migration et asile », et particulièrement sur le règlement Dublin. Je présenterai des propositions sur ce volet de la politique migratoire.

Je remercie toutes les personnes que nous avons pu rencontrer et écouter avec intérêt.

Le sujet des migrations dans leur ensemble peut paraître immense, tout d'abord par ses implications internationales et par le rôle que la France et l'Europe ont à jouer. Ensuite, par l'organisation et les moyens nécessaires pour accueillir dignement ceux qui viennent dans notre pays. Enfin, par l'enjeu que représente la construction quotidienne d'une société dans laquelle chacun, les migrants comme les autres, peut faire valoir ses atouts.

Ce sujet est pourtant loin d'être insurmontable : il faut avant tout revenir à la réalité des migrations pour éviter les faux débats. Tel a été mon premier objectif. J'aurais pu choisir une approche plus polémique, voire journalistique, mais j'ai voulu un document synthétique d'une centaine de pages, assorti d'une trentaine de recommandations. Le but est que ce rapport soit lu et appliqué. Je me suis efforcée d'aborder les principales problématiques et j'assume les choix qui ont conduit à sa rédaction actuelle. C'est un choix équilibré qui essaie d'introduire de la rationalité dans un débat trop souvent hystérisé.

Pour cette présentation, je vais m'en tenir à trois points et à quatre propositions que j'estime essentiels.

Tout d'abord, c'est peut-être une évidence mais il est toujours bon de rappeler que pour qu'il y ait immigration, il faut qu'il y ait eu préalablement émigration. Les déterminants du départ sont donc essentiels ; ils n'ont pas grand-chose à voir avec le modèle social des pays de destination mais tout à voir avec la mauvaise gestion dans les pays de départ, qui y engendre de l'instabilité. On ne quitte pas l'Afghanistan parce qu'on connait le montant de l'aide personnalisée au logement en France. C'est pourquoi j'ai voulu rappeler que les migrations ne sont pas un phénomène transitoire, mais bien structurel. Il est important que l'aide publique au développement obéisse à des objectifs politiques précis, dont celui de fixer des populations dans leur propre territoire, la décision d'émigrer n'étant jamais un choix de facilité. C'est le débat que nous avons eu au sein de la commission des affaires étrangères lors de l'examen du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, débat qui doit être poursuivi.

Ensuite, j'estime qu'il est primordial de cesser de faire de l'immigration l'alpha et l'oméga de nos relations diplomatiques avec les pays de départ et de transit ; les dernières propositions d'un candidat à l'élection présidentielle en font encore la démonstration par l'absurde. Nous ne maîtrisons pas les facteurs déterminants du départ et nous fragilisons notre position diplomatique en demandant trop aux pays de départ. Inutile de bomber le torse.

Enfin, nous devons sortir des postures et des impostures en rétablissant quelques réalités souvent occultées, dont la première est que le migrant est majoritairement une migrante – alors même que les femmes restent trop souvent les invisibles des politiques migratoires. Les migrants ont un niveau d'études plus élevé que la moyenne et ne demandent pas toujours l'asile. Le rapport présente des données chiffrées sur ces points. Il est frappant de constater que sur les 220 000 titres de séjour accordés chaque année, 90 000 concernent des étudiants et seulement 35 000 environ sont délivrés à titre humanitaire. Pourtant, c'est bien cette dernière catégorie qui alimente le débat public. Si ce rapport a une vertu, ce sera d'essayer de susciter un débat plus serein.

Voilà pour les points sur lesquels je souhaitais revenir.

Quatre propositions maintenant, qui partent du constat que les migrations sont un phénomène global qu'il convient de traiter par une politique intégrée et coordonnée. J'insiste sur ce dernier point.

Premièrement, tous les migrants que la commission a rencontrés ont dit vouloir se rendre en Europe – du moins pour ceux qui souhaitent demander l'asile. Je propose donc de créer un véritable service de l'asile européen, avec une clé de répartition entre les États membres – ce qui aura l'immense avantage de mettre un terme aux transferts Dublin, qui sont aussi inefficaces qu'injustes. Il s'agit ni plus ni moins que de pérenniser et d'étendre la déclaration de La Valette, qui prévoyait déjà une répartition des personnes sauvées en mer afin de découpler le sauvetage et la responsabilité de l'asile. La présidence française de l'Union européenne devrait être l'occasion de faire prospérer cette idée, pour mettre fin à un blocage qui dure depuis 2015.

Deuxièmement, nous devons adapter notre appareil politico-administratif pour le faire changer de vision. La coordination des actions est essentielle. Nous le constatons tous : lorsqu'il s'agit d'entrée et de séjour des étrangers dans notre pays, des questions diplomatiques, de logement, de santé et de travail, mais aussi d'école et d'enseignement supérieur se posent. C'est une question d'efficacité d'ensemble de nos politiques publiques. C'est pourquoi je souhaite prolonger la réforme de 2018 qui a mis en place une délégation interministérielle à l'accueil et à l'intégration des réfugiés (DIAIR), en transformant et en renforçant cette dernière. Le rapport propose donc la création d'un Haut-commissariat aux migrations, désormais placé auprès du Premier ministre et non pas du ministre de l'intérieur.

Troisièmement, j'ai été frappée par la plus grande fluidité avec laquelle nos voisins italiens traitaient des questions migratoires, alors qu'en France la polarisation est extrême entre les services de l'État – singulièrement la police –, les collectivités territoriales et les associations. L'absence de médiateurs culturels n'est pas étrangère à cet état de fait. Il est impératif de remettre du liant dans le traitement de la question migratoire, afin que les différents acteurs se parlent. L'actualité récente à Calais nous en montre l'urgence. Je propose donc de créer des filières de médiateurs culturels, issus des associations, des collectivités et des services de l'État, dont la tâche sera de dénouer les situations de conflit ou d'incompréhension entre les acteurs.

Quatrièmement, la question des conditions de l'accueil et de l'intégration des étrangers sur le territoire français est examinée en détail dans le rapport. J'y insiste sur les situations inacceptables et toujours pas résolues concernant l'accès aux services des préfectures, ainsi que sur la complexité du droit des étrangers. Les règles applicables sont parfois contradictoires, ce qui débouche sur les situations insolubles dont tous les députés ont été saisis à un moment ou à un autre au cours de cette législature. Cette complexité est source de nombreux contentieux, qui encombrent les juridictions.

Le rapport analyse l'accès aux différents droits – aux soins, à l'emploi, à l'hébergement et au logement – et la dimension spécifique de l'accès aux droits au sein des habitats informels, avec une attention spéciale pour la situation à Calais. J'ai souhaité évaluer la politique de sécurisation de ce site et son coût. Il s'élève à 120 millions d'euros par an pour la France si l'on tient compte de la contribution de 40 millions d'euros versée par le Royaume-Uni – pour gérer la présence de 3 000 migrants.

S'agissant de l'accès à l'emploi, je recommande de réaliser un état des lieux systématique et approfondi des qualifications et des compétences des étrangers primo-arrivants. C'est une demande des entreprises et des syndicats. Ce bilan serait réalisé à la suite de la signature du contrat d'intégration républicaine. Cette démarche doit être accompagnée par une individualisation des formations linguistiques proposées, en fonction des besoins et en mettant l'accent sur celles à visée professionnelle.

Le rapport met en lumière les efforts qui ont été réalisés en matière d'intégration, mais aussi sur ce qui doit encore être fait, en soulignant notamment le rôle majeur joué par les associations – toutes les contributions qu'elles nous ont adressées figureront en annexe.

Enfin, une partie du rapport est consacrée aux besoins spécifiques de certains migrants : les femmes, les personnes LGBTQ+, les mineurs et les étudiants étrangers.

Après ces quelques mots qui sont loin d'épuiser le sujet, je suis prête à répondre à vos questions, remarques et suggestions.

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Ce rapport constitue un travail extrêmement sérieux et de qualité, qui peut améliorer la situation. Telle était bien l'ambition à l'origine de la création de cette commission d'enquête. Je suis d'accord avec les deux tiers des propositions et je voterai donc en faveur du rapport. Le fait que la promesse républicaine de l'accès au droit ne soit pas tenue y est bien identifié. C'est un point essentiel.

Dans mon avant-propos, j'ai essayé de reconstituer l'histoire qui part d'une idéologie politique émergente à partir de 2007, visant à restreindre l'immigration, qui trouve ensuite un écho auprès de certains hauts fonctionnaires, puis est intégrée par de nombreux fonctionnaires, pour finir par être relayée par les médias et s'installer dans l'esprit du grand public. Le moment est extrêmement grave et nous faisons face à une idéologie contraire aux lois de la République, qui s'est immiscée dans les esprits et a été progressivement intériorisée. Nous avons eu suffisamment d'auditions au cours desquelles des hauts fonctionnaires ont pris des positions contraires à l'esprit républicain – et en tout cas contraires à leur devoir de respect de la loi – pour mesurer la gravité du problème.

Je me félicite donc que nous ayons entendu les premiers concernés, à savoir les migrants, pour pouvoir redonner un aspect humain à ce débat. Ils sont devenus totalement invisibles, la numérisation supposée magique des procédures d'accueil des migrants ne faisant que renforcer les problèmes. Où que l'on regarde, que ce soit le logement, la justice ou l'accès aux documents administratifs, nous sommes dans un pays qui organise manifestement l'ostracisme des étrangers. Voilà la conclusion à laquelle j'ai abouti.

Je voudrais revenir sur une proposition qui m'est chère et concerne les centres de rétention administrative. Peut-on admettre d'y enfermer des enfants en France au XXIe siècle pour des raisons de commodité ? D'autres solutions sont possibles pour les familles avec enfant, avec l'assignation à résidence, à domicile ou dans des hôtels. Il faut cesser de croire que les gens s'enfuient systématiquement. Une réflexion et une avancée sont nécessaires sur cette question. Le fait que le France soit condamnée tous les ans par la Cour européenne des droits de l'homme est un signal qui ne doit pas être pris à la légère.

Par ailleurs, je constate qu'aucune politique cohérente n'est menée pour les mineurs non accompagnés.

Les constats réalisés par cette commission d'enquête sont assez lourds de conséquences, à l'image du moment que nous vivons. Il ne faut pas se leurrer : les faits observés à Calais ou à Briançon ne concernent pas que les frontières. Ils sont révélateurs d'une situation générale sur l'ensemble du territoire. Il suffit pour s'en convaincre d'avoir assisté à l'évacuation d'un squat, au cours de laquelle on laisse des enfants dormir dehors en pleine nuit, sous la pluie – tout cela pour protéger un bien.

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Je tiens d'abord à remercier la rapporteure pour son travail. Pour avoir participé à beaucoup des auditions de cette commission d'enquête, je sais combien la matière brute est importante. Le champ était très vaste, peut-être trop, et la synthèse est compliquée. Je me demandais comment résumer tout cela en seulement une centaine de pages, et je trouve intéressant d'arriver à sérier les sujets comme la rapporteure le propose. Je me permets juste de regretter que les modalités d'accès au rapport aient été limitées.

Il ressort de vos derniers propos, monsieur le président, une mise en cause de l'administration. Vous avez même parlé d'illégalité. Je suis moi-même intervenue lors d'une audition où une haute fonctionnaire employait l'expression « appel d'air » de façon si directe que j'avais eu besoin d'exprimer un rappel à l'ordre. Je ne pense pas cependant que l'on puisse mettre en cause de façon large et générale l'administration.

Le rapport qui nous est proposé contient trente recommandations. J'en partage la plupart, ainsi que le diagnostic posé. Je vois un point de désaccord dans la recommandation n° 29 sur la rétention des familles avec enfants. Je préférerais que nos conclusions écartent le séjour de ces familles en centre de rétention, et préconisent plutôt l'assignation à résidence. Le centre de rétention affecte en effet profondément les enfants. J'aimerais que nous en discutions, mais je me rangerai à l'avis de Mme la rapporteure.

Le rapport a plusieurs axes forts, à commencer par la recommandation n° 9 sur la dimension interministérielle du sujet. Transformer la DIAIR en Haut-Commissariat est une option intéressante. Nous devons évoluer sur ce sujet. La création d'une agence de l'asile de l'Union européenne et les propos sur l'EASO, le bureau européen d'appui en matière d'asile, qui est en cours de construction, me semblent aussi pertinents, mais je laisse les spécialistes des affaires étrangères développer le sujet.

S'agissant de l'accès aux droits, vous savez peut-être que j'ai travaillé sur le problème majeur de l'accès aux préfectures, avec la dématérialisation de la prise de rendez-vous, ainsi que sur l'accès à la santé. Les recommandations nos 13, 14 et 15 vont tout à fait dans le sens des auditions que j'avais menées. Il nous faut une alternative à la prise de rendez-vous dématérialisée. Il nous faut surtout, parce que c'est le cœur du problème, élargir les créneaux de rendez-vous en préfecture. Je préconise une précision sur ce point, car il n'y a pas d'indicateur en la matière : rien ne permet de constater que M. Untel n'a jamais réussi à se connecter entre telle et telle date. Nous devrions pousser à l'évaluation, par les services de l'État et par le Parlement, de cette question très sensible. Il faut également renforcer les moyens consacrés aux bureaux des étrangers des préfectures. Nous avons adopté, à l'initiative de Jennifer de Temmerman, un amendement au projet de loi de finances qui en augmente les moyens humains.

L'accès à l'emploi des étrangers est un véritable parcours du combattant. Il convient d'y remédier. Merci à Mme la rapporteure d'avoir mentionné les études nombreuses qui démontrent les conséquences positives du travail des étrangers pour notre économie et nos emplois, et pour eux-mêmes bien sûr. Il est difficile de lutter contre les idées reçues, mais nous avons vraiment matière à argumenter : nous avons tout intérêt à faciliter le travail des étrangers présents sur notre territoire.

Je termine avec la recommandation n° 22, qui concerne Calais. Vous préconisez de petites unités de vie le long du littoral. J'ai moi-même pu faire ce type de proposition en travaillant sur le sujet, bien que n'étant pas de la région – car c'est un problème qui nous concerne tous et qui se produit à toutes nos frontières. La crise particulière qui se déroule à Calais a entraîné un travail de médiation, mené sous la responsabilité de Didier Leschi, directeur général de l'OFII (Office français de l'immigration et de l'intégration), qui sera très intéressant à suivre. La mise en place d'un dispositif permettant d'héberger les étrangers une nuit et de les orienter pour la suite va dans le bon sens. Ce ne sont pas des petites unités de vie le long du littoral, mais c'est tout de même une étape qui mérite d'être expérimentée, même si je sais que la municipalité de Calais y est tout à fait opposée. Je pense qu'il ne faut pas avoir peur de se remettre en cause là-bas, compte tenu des difficultés observées. La médiation permanente est difficile, mais nécessaire. Nous pourrions compléter cette recommandation n° 22 en insistant sur l'absolue nécessité d'organiser les discussions, la collaboration, la coopération dans ce secteur, tout en sachant combien c'est difficile.

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S'agissant des modalités de consultation du rapport, il ne tient qu'à nous de changer le règlement de l'Assemblée nationale.

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Effectivement, nous devons faire évoluer cette méthode de travail sur le rapport, à la fois frustrante et intellectuellement peu défendable. Nous n'avons pas le temps de travailler sur le rapport.

Je ne peux pas laisser dire que des hauts fonctionnaires agiraient de façon contraire aux principes de la République. Je respecte trop la fonction publique pour cela. Les fonctionnaires ne sont que des gens qui exécutent une commande politique : c'est donc cette commande politique qu'il faut remettre en cause. Si un fonctionnaire déroge aux principes de la République, l'administration doit en être informée et il doit immédiatement être sanctionné, parce que ce n'est pas tolérable.

Pour le reste, le principe de la commission d'enquête parlementaire est aussi que les gens puissent s'exprimer librement devant elle. Si certains propos interpellent, comme l'expression « appel d'air » qui avait été employée, c'est à nous de demander à la personne auditionnée ce qu'elle entend par là – et Stella Dupont l'avait très bien fait. Mais je n'aimerais pas voir figurer dans le rapport cette remise en cause désagréable et malvenue des fonctionnaires.

Notre travail s'est trouvé confronté à un double écueil. D'abord, le champ exploratoire était considérable, et constitué de sujets très divers, même s'ils sont tous liés. Par exemple, nous avons beaucoup parlé du départ mais très peu du retour, qui pour moi est un sujet essentiel. Il y a des personnes qui sont là depuis vingt ans et qui ont envie de retourner chez eux, nous devons les aider.

Ensuite, ce sujet fait intervenir le cœur et la raison. Quand on entre dans cette matière-là, éminemment vivante, qui touche à des êtres humains, forcément, ça transperce le cœur, ça touche, ça fait pleurer. Mais en même temps, quand on fait de la politique, qu'on doit construire des politiques publiques, on doit garder le cap de la raison. Nous devons nous situer entre les deux, et prendre garde à la confusion.

Ainsi, nous parlons d'asile, de réfugiés, d'immigration irrégulière, mais nullement du migrant légal, de l'étudiant étranger entré régulièrement en France. Or ces catégories-là connaissent aussi des problématiques, qu'il faut absolument traiter. Je ferai une contribution sur ce sujet majeur. Nous devons en particulier améliorer encore l'accueil des étudiants africains dans les années qui viennent : cela ne va pas assez loin.

Je m'interroge aussi sur le type de gouvernance que vous envisagez pour cette politique publique. Quelle est, madame la rapporteure, l'architecture administrative que vous avez en tête ? L'interministériel, il y en a déjà beaucoup : c'est imparfait certes, mais les préfets dans les territoires, c'est bien de l'interministériel. Comment positionnez-vous les acteurs ?

Vous évoquez très justement, dans la recommandation n° 2, le renforcement des équipes diplomatiques et consulaires, en Lybie par exemple. Je pense que cette politique-là doit être appréhendée par tous les corps de notre fonction publique, y compris les ambassadeurs. J'ai proposé, dans un rapport au Premier ministre qui portait sur notre articulation avec l'Afrique, de renforcer la triade ambassadeur-préfet-territoire. Vous préconisez pour votre part de contractualiser avec les départements. Oui, mais il faut également mieux associer tous les acteurs, associations et conseils départementaux compris, à la définition comme à la réalisation de ces politiques. C'est essentiel.

C'est un peu comme le plan de relance : s'il a fonctionné dans nos départements, comme le dit mon préfet de région, c'est parce qu'il a été territorialisé. De la même façon, je pense qu'il faut territorialiser au maximum la politique de la migration, la mener au plus proche des gens – parce que de toute façon, la réaction épidermique, ce sont nos concitoyens qui l'éprouvent. Bien sûr, monsieur le président, madame la rapporteure, vous avez raison, nous sommes environnés de fumée, conditionnés par des discours qui ont été travaillés depuis de nombreuses années pour nous accoutumer à penser dans un certain sens, pour créer des réactions automatisées. Il faut remettre un peu de réalité dans tout cela. Mais j'aimerais bien avoir des précisions sur l'architecture de la gouvernance de cette politique.

Car nous avons déjà tous les ingrédients : des préfets à l'immigration, des conseillers diplomatiques auprès des préfets… Pour avoir Calais dans ma région, je pense qu'on pourrait associer un peu plus étroitement ces derniers, d'une autre manière. La question est donc de savoir comment on met dans une même dynamique tous ces acteurs qui sont déjà dans nos territoires et qui pourraient mieux collaborer.

Sur l'état des lieux des métiers en tension, je suis mille fois d'accord. Nous avons peiné à les réviser, la procédure est longue et compliquée. J'ai moi-même constaté que des obligations de quitter le territoire français (OQTF) peuvent être prononcées contre des gens qui travaillent dans des métiers en tension, comme la restauration. C'est ridicule !

Enfin, je pense que nous avons un véritable problème en matière de politique du retour. Nous ne sommes pas bons et nous ne communiquons pas bien. Comment aider quelqu'un qui est sur notre territoire et qui se dit qu'il s'est trompé, qu'il veut retourner chez lui ? Comment améliorer le retour des irréguliers, mais aussi de ceux qui sont légalement sur notre territoire ? Comment accompagner un projet d'entreprise dans le pays d'origine ? Nous n'avons aucun dispositif destiné à ceux qu'on appelle les « repatriés ». Des Franco-Maliens ou Franco-Sénégalais qui ont envie de faire le lien entre les deux continents ne sont pas aidés.

Quoi qu'il en soit, bravo pour ce travail, qui était une gageure. Au moins, nous n'avons pas hystérisé le débat, nous avons conservé de la rationalité.

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Je commencerai par les centres de rétention. Vous savez que s'il ne tenait qu'à moi, je supprimerais les frontières de 2015 et j'intégrerais les migrants dans le marché du travail, surtout dans les métiers en tension. Mais il faut tenir compte de l'acceptabilité sociale.

Je fais partie des signataires de la proposition de loi Boudié visant à encadrer la rétention administrative des familles avec mineurs. Nous sommes allés sur le terrain, jusqu'à Mayotte, nous avons énormément auditionné. Cette proposition de loi pousse à créer des centres dédiés. Pour moi, soit on décide que les familles avec enfants sont « inéloignables », soit on trouve d'autres solutions que le centre de rétention, comme un appartement. En Allemagne, on ne décide d'éloigner que les gens qui sont « éloignables ».

L'esprit de mon rapport, c'est un accompagnement maximal. Il n'y a pas plus simple pour moi que d'écrire dans la recommandation n° 29 qu'il faut interdire totalement les centres aux familles avec mineurs. Je peux travailler à une modification pour que cette recommandation colle plus à ce que je souhaite profondément tout en restant conforme à ce que j'ai porté avec Florent Boudié. Quoi qu'il en soit, ce rapport doit être lu et appliqué.

Merci à Stella Dupont pour ses commentaires sur les recommandations nos 13, 14 et 15. Je suis d'accord pour l'ajout d'un indicateur qui fasse apparaître ce qui a été a bien fait ou pas. Pour ce qui est des modalités d'application, je les laisserai définir par l'exécutif.

Je suis également d'accord avec ce qui a été dit sur l'accès à l'emploi et sur les propos tenus par certaines personnes que nous avons auditionnées. Il y a en France, à un haut niveau de responsabilités, des gens qui ont une vision qu'on sait fausse du sujet, et qui appliquent donc de fausses solutions. Didier Leschi, directeur de l'OFII, expliquait ainsi qu'il faut trouver du travail pour les Français avant de trouver du travail pour les migrants. Il ne s'agit pas de mettre les x millions d'emplois à pourvoir en France en face des x millions de chômeurs : il y a tout un processus à prendre en compte entre les deux. C'est pour cela qu'il faut porter une grande attention au choix des personnes chargées de ces matières, quel que soit le ministère. Nous avons besoin de personnes qui ont compris le système, dans toutes ses difficultés et toute son interdisciplinarité.

Si je recommande de sortir les politiques migratoires de la seule compétence du ministère de l'intérieur, c'est parce que, depuis 2007 et l'arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir, elle ont été réduites à une dimension totalement sécuritaire. Certes nous savons agir en interministériel mais, d'une part il n'y a de conseiller diplomatique qu'auprès des préfets de région, et d'autre part le préfet, s'il représente l'État sur le terrain, dépend fonctionnellement du ministère de l'intérieur.

Le Gouvernement sait travailler en interministériel, sauf que s'agissant de l'immigration, il faut aussi travailler avec les associations et les collectivités territoriales. Médecins du monde, par exemple, explique qu'il y a dix ans, ils pouvaient parler sur le terrain à des gens de l'agence régionale de santé. En tant que médecins, ils pouvaient parler à d'autres médecins et arrivaient à des solutions meilleures qu'ils ne le font avec des personnes qui émanent du seul ministère de l'intérieur. Je ne dis pas que tout est de la faute du ministère de l'intérieur, mais qu'il ne sait faire que ce qui est de sa compétence : du sécuritaire.

Il faut absolument réduire les compétences du ministère de l'intérieur en matière d'immigration. Je considère qu'on peut revenir sur ce qui a été fait en 2007, quand on a pris une centaine d'équivalents temps plein au ministère des affaires étrangères pour les donner au ministère de l'intérieur. Ouvrons un peu les portes. Le ministère des affaires étrangères demande à avoir plus la main sur les visas, parce qu'il sait exactement ce qu'il faut faire ou non. Que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) dépende du ministère de l'intérieur, moi, cela me dérange.

Les associations, les collectivités territoriales – encore une fois, l'État n'est pas le seul à traiter la question des migrants – veulent aussi avoir d'autres interlocuteurs. La dimension interministérielle ne résoudrait pas tous les problèmes, mais elle serait perçue comme un facteur d'apaisement et elle rétablirait un lien perdu en raison de la volonté du ministère de l'intérieur d'avoir la main sur l'ensemble de cette politique. Du reste, celui-ci est le seul à estimer que tout va bien. Si l'on met d'autres acteurs autour de la table, les choses prendront peut-être plus de temps, mais on gagnera en visibilité et on pourra proposer des solutions au niveau approprié.

Cela me conduit à évoquer la recommandation relative aux médiateurs culturels. Les associations doivent pouvoir avoir accès à tous les lieux dans lesquels se trouvent des migrants. C'est la rareté des échanges entre police, État et associations qui crée la crispation dont certains partis politiques, quels qu'ils soient, font leur miel en vue des élections.

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Le rapport est fort et subtil, sans être provocant ; je souscris entièrement à sa philosophie.

Un mot sur la gouvernance. Lorsque j'étais directeur des affaires internationales au ministère de l'emploi, j'avais, face à moi, une direction de la population et des migrations. Il y avait, au quai d'Orsay, un véritable service des étrangers en France ; il n'y a plus désormais qu'une boîte aux lettres. La situation actuelle est une exception si l'on considère l'histoire sur le temps long de l'État français. Du reste, dans aucun autre État, les affaires étrangères sont dépossédées du pouvoir d'émettre des visas. Ne partons donc pas battus. De fait, la DGEF n'est pas interministérielle. La réponse se trouve-t-elle dans la création d'un haut-commissariat ? Je l'ignore. Mais le fait de conférer à cette question un caractère fondamental lui donnera de l'écho. Par ailleurs, je sais que ce point n'est pas consensuel, mais il me paraissait important de replacer le Parlement au cœur du sujet.

S'agissant du comportement des fonctionnaires, on ne peut pas dire à la fois qu'il existe des dénis de droit et que personne n'est responsable. Il y a, en la matière, quelques péchés par omission et beaucoup de péchés par action. Plus on monte dans la hiérarchie, plus il y en a. Soit on change le droit, soit on l'applique. Ce qui est dit à propos du déni de droit est intéressant, mais on doit aller plus loin.

J'appelle votre attention sur le fait que certaines de nos recommandations peuvent être manipulées. Je n'en citerai qu'un exemple : la recommandation n° 13 – dont la formulation devrait peut-être corrigée. Au sujet de la prise de rendez-vous par internet, le directeur de la DGEF nous a en effet indiqué, lors de son audition, qu'il distinguait les renouvellements de titres, des régularisations. Je comprends que, du point de vue de l'urgence et de l'accès au droit, le renouvellement soit un impératif – car ne pas y procéder constituerait un déni de droit –, mais le fait de ne pas pouvoir demander une régularisation est également un déni de droit. Il faut donc aller un peu plus loin, si cela est possible, en précisant que renouvellements et régularisations ne doivent pas être distingués, de manière à éviter toute mésinterprétation.

En ce qui concerne la recommandation n° 2, mieux vaut s'appuyer sur le fait que la stratégie de l'Agence française de développement en matière de migrations doit s'inscrire dans des priorités politiques – un programme consacré à la Lybie est nécessaire – plutôt que de se mettre dix-neuf pays à dos. Un ajustement serait donc bienvenu.

Peut-être faudrait-il expliciter la recommandation n° 6 : « Revenir pleinement au droit commun de la gestion de la frontière franco-italienne ». Si, comme je le comprends, il s'agit de supprimer les contrôles internes, pourquoi mentionner cette frontière-ci et pas les autres ? C'est trop ou trop peu. Cela me paraît un peu dangereux.

Quant à la rédaction de la recommandation n° 8, elle me semble contradictoire. On propose de créer une agence européenne de l'asile, sans préciser qu'elle doit pouvoir accorder l'asile, tout en indiquant un peu plus loin que les États membres doivent pouvoir retrouver le droit d'accorder l'asile en cas de nécessité. Si l'on avance cette proposition, il faut l'assumer.

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Je vous remercie pour la manière dont vous avez conduit les travaux de la commission et pour la qualité du rapport, qui traduit un volontarisme et une énergie fidèles à l'état d'esprit qui fut le nôtre. Dans la situation actuelle, qui est assez désagréable – je pense à la campagne présidentielle –, cela fait du bien. J'appelle cependant votre attention sur la communication qui en sera faite. Il est très important de faire œuvre de pédagogie et, sinon d'être exhaustif, du moins de faire en sorte que la trace que laissera le rapport soit celle que vous avez voulue. Compte tenu du nombre des propositions, il faudra faire des choix.

L'un des éléments qui font la qualité du rapport réside dans le fait qu'il dépeint la réalité des migrations sur le territoire français et en identifie les différents types. Il aurait peut-être été plus lisible si l'on avait présenté des recommandations pour chaque profil de personnes. Traiter les choses de manière globale a davantage de sens, mais cela peut compliquer la communication.

Plusieurs éléments me semblent devoir être mis en avant. Le premier est la dimension européenne, que je vous remercie d'avoir placée au cœur de nos recommandations ; je pense en particulier à la proposition de créer une agence de l'asile européenne. Je suis moins optimiste que vous quant aux avancées que l'on peut attendre de la présidence française de l'Union européenne, mais j'espère me tromper.

Je vous remercie également d'avoir souligné la nécessité de remettre le Parlement au cœur de la politique migratoire, notamment en organisant un débat annuel sur la question des quotas et de la liste des pays sûrs.

Il me semble que nous devrions expliciter davantage ce que nous attendons de la numérisation des procédures et insister sur la nécessité de maintenir un guichet, donc une présence physique.

Je souscris entièrement à la recommandation n° 30 : si nous voulons mener une politique de rayonnement, les frais d'inscription dont les étudiants étrangers doivent s'acquitter ne peuvent pas continuer à augmenter. J'ajoute, à propos de la recommandation n° 29, qu'il conviendrait de reprendre les termes de la Défenseure des droits, de manière à s'inscrire dans le cadre de la jurisprudence et à adopter une ligne qui nous rassemblera.

Par ailleurs, je m'interroge sur la recommandation n° 4. S'il convient en effet d'insister sur le fait que le rapport de force instauré par certains pays – je pense à la Turquie et à l'Égypte – n'est pas acceptable dans la mesure où ils instrumentalisent la question des migrants, il me paraît un peu illusoire de souhaiter que cette question ne soit pas l'alpha et l'oméga de notre politique vis-à-vis de ces pays.

Enfin, je suis dubitative quant à la recommandation de ne pas utiliser l'arme que peut constituer la délivrance des visas contre les pays qui rechignent à délivrer des laissez-passer consulaires. J'ai bien conscience que les populations ne doivent pas souffrir d'une politique de rétorsion qui concerne surtout les États, mais cet outil me paraît pas intéressant.

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Tout d'abord, il me paraît effectivement important d'avancer au niveau européen dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne.

Surtout, je remercie Mme la rapporteure pour les recommandations nos 16, 18 et 19, relatives à l'accès à l'emploi. Je suis notamment favorable à la recommandation d'offrir la possibilité pour les demandeurs d'asile de travailler dès le dépôt de leur demande. Il me semble que cette possibilité existe en Allemagne – même si les délais peuvent être différents selon l'origine des migrants. Le travail est en effet le meilleur vecteur d'intégration, et il est préférable que les demandeurs d'asile travaillent de manière légale, y compris, s'ils sont finalement déboutés de leur demande, pendant les trois ans que dure la procédure. Au demeurant, on ne peut pas nier la réalité économique : dans certains secteurs, l'emploi est sous tension. Je pense notamment au BTP, qui emploie de toute façon des migrants, ou à l'aide aux personnes. Au reste, ces migrants perçoivent l'allocation pour demandeur d'asile (ADA), dont le montant est de 200 euros par mois. Je ne critique pas cette politique d'aide, mais l'intégration par le travail me paraît plus émancipatrice.

La question de la territorialisation de la politique migratoire, en particulier la contractualisation avec les collectivités territoriales, me paraît très intéressante et mérite d'être discutée. En matière de logement, je privilégierais le logement de suite pour les migrants qui ont obtenu leur titre de séjour et basculent vers le RSA. Ces logements, dans lesquels ils sont encadrés, me semblent plus appropriés que le logement social, où ils seront moins accompagnés. Toutefois, il faut éviter de saturer davantage encore le logement social en Ile-de-France et de créer des phénomènes de concentration en banlieue.

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous sur la gratuité, pour les étudiants étrangers, de l'inscription à l'université. Si nous voulons valoriser notre enseignement, nous devons permettre à nos universités d'atteindre les standards internationaux. Par principe, les étudiants extra-européens doivent donc payer plus cher, des exceptions pouvant être prévues, comme l'a indiqué la ministre de l'enseignement supérieur, sous la forme d'exonérations pour les doctorants, de bourses délivrées par le ministère des affaires étrangères ou d'exonérations accordées par les ambassades. Du reste, certains étudiants africains sont riches. Il faut aider ceux qui en ont besoin.

Pour conclure, je remercie Mme la rapporteure d'avoir abordé la question des femmes migrantes. Nous devons les aider à s'insérer dans la société en leur permettant de suivre une formation professionnalisante, en les autorisant à travailler et en facilitant la garde ou la scolarisation de leurs enfants.

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Plutôt que de passer en revue les nombreux éléments positifs du rapport, je me concentrerai sur ceux qui me paraissent pouvoir être améliorés.

Premièrement, je ne vois mentionner nulle part les termes « politique publique ». Or la France pourrait reconnaître qu'elle doit mener une politique publique d'accompagnement du fait migratoire, qui serait en tant que telle soumise à évaluation selon des indicateurs préalablement définis. Je suggère donc un ajout en ce sens.

Deuxièmement, je regrette l'absence de la question de l'exécution des obligations de quitter le territoire français. C'est l'éléphant dans la pièce : ne pas aborder le sujet risque d'affaiblir l'ensemble du rapport. Si les OQTF ne sont pas exécutées, nombre des mesures préconisées ne sont pas réalistes, notamment en matière de logement. Du reste, lorsqu'on discute avec les acteurs impliqués dans l'accompagnement des migrants, cette question est rapidement abordée.

Troisièmement, il est dommage que ne soit pas non plus abordé le pouvoir discrétionnaire des préfets – je pense à la circulaire Valls. Je supporte de moins en moins les injonctions paradoxales auxquelles ils sont soumis. Ils se voient en effet assigner des objectifs implicites : moins ils régularisent, mieux ils sont notés. Comment nous, parlementaires, pouvons-nous supporter de telles contradictions ? Et comment accepter qu'on laisse entendre aux étrangers faisant l'objet d'une OQTF que, s'ils parviennent à se faire oublier pendant cinq ans et qu'ils ont des enfants scolarisés ainsi que des témoignages favorables, ils seront éligibles à une régularisation ?

Enfin, je veux évoquer le cas des deux pays des Balkans occidentaux candidats à l'intégration européenne – l'Albanie et la Macédoine du Nord –, qui est rapidement abordé dans le rapport. Je déposerai une contribution à ce sujet car il me semble que nous pourrions susciter une aide au retour, avec un projet, dans une perspective européenne. Il s'agit d'inciter les ressortissants de ces pays à retourner chez eux, sachant que, dans un certain délai, il est possible qu'ils soient des citoyens européens.

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Traiter la question du retour des ressortissants albanais, par exemple, dans la perspective de l'adhésion de leur pays à l'Union européenne est une piste intéressante qui mérite d'être discutée.

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L'idée est en effet intéressante. Peut-être faut-il améliorer l'efficacité du retour des ressortissants de certains pays dans le cadre du processus d'adhésion de ces derniers à l'Union européenne.

Je vous propose de formuler la recommandation n° 29, relative à la rétention des mineurs, qui figure à la page 100 du rapport, de la manière suivante : « Prévoir systématiquement des alternatives à la rétention des familles avec des enfants ».

Natalia Pouzyreff a évoqué l'intégration par le travail et l'existence de secteurs en tension. Le Gouvernement a su intégrer 750 000 jeunes en une année, pendant le confinement, grâce à des dispositifs tels que « un jeune, une solution ». On pourrait imaginer un dispositif « un migrant, une solution ». De fait, je suis perplexe lorsque j'entends des personnes parler de l'immigration sans prendre en considération la situation de notre pays. L'économie se porte très bien ; on a besoin de main-d'œuvre; de nombreux métiers sont sous en tension et je n'ai pas de retour précis des administrations concernant les actions menées pour intégrer les jeunes. C'est l'objet des recommandations n°s 13, 14 et 15, ainsi que de la recommandation n° 10. Dès que des migrants arrivent, nous devons être beaucoup plus efficaces pour les orienter sur le chemin de l'emploi. Nous savons le faire, puisque le Gouvernement a réussi à intégrer 750 000 jeunes en un an. Mais nous n'avons pas été assez efficaces sur l'apprentissage, le permis et les autres freins qui empêchent un jeune de trouver un travail, et sur le chômage structurel.

Je reviens sur la remarque concernant l'Agence de l'asile européen. Va-t-elle être en charge des demandes d'asile et l'accorder ? Cela me semble implicite, mais nous pouvons préciser qu'elle serait l'équivalent d'un OFPRA européen, traitant tous les dossiers de la même façon, que l'on demande l'asile à Rome, à Marseille, à Nice ou au Portugal. Cela permettrait de mettre fin à l'actuelle et inhumaine situation de ces êtres humains, baladés en Europe pendant des années.

Madame Gatel, je suis plus optimiste que vous quant à la capacité du Président de la République à défendre ce dossier. À Bruxelles, les services de l'ambassade et ceux de l'Union européenne nous ont confirmé travailler fortement sur ce thème.

M. Maire m'a interrogée sur la recommandation n° 6. Pourquoi évoquer spécifiquement la frontière à Menton, et non les autres ? Parce que je les ai toutes passées en voiture – vers l'Espagne, à Dunkerque ou à Briançon, où l'on doit faire un petit arrêt – et elles n'ont rien de commun avec ce qui a été mis en place à Menton, où la frontière est extrêmement sécurisée et où des Algécos y ont été installés. Même si je me fais reprendre à chaque fois, car le mot n'est pas très juridique, je le répète, on y pratique le refoulement des mineurs. Je l'indique d'ailleurs dans le rapport.

L'expression politique politiques publique est présente à plusieurs reprises dans le rapport, madame Clapot, notamment pages 11, 46, 50 et 70. En outre, il ne s'agit pas de faire des propositions d'ordre administratif mais politique. Quand nous recommandons la création d'un Haut-commissariat ou l'interdiction de retenir des mineurs en centre de rétention, nous énonçons des solutions politiques. Même si je fais partie de la majorité, j'ai essayé de produire trente recommandations applicables, issues d'expériences réussies dans d'autres pays, susceptibles de faire évoluer cette politique publique. Mais je peux le préciser plus clairement, si vous le souhaitez.

S'agissant de l'Albanie, vous avez raison, je vais ajouter ce point. Il faut faire le lien avec le processus d'intégration pour que cela ne soit pas vain, et inefficace.

J'ai pris le parti de ne pas évoquer les OQTF, puisque tout le monde en parle en brandissant des chiffres, alors que leur taux d'efficacité est extrêmement faible. Chacun a des idées pour faire mieux, notamment les candidats à la Présidence de la République. Il aurait été vain, et contraire à la philosophie du rapport, d'aller dans le même sens. En outre, j'estime qu'il faudrait arrêter de prendre des OQTF.

Monsieur Ledoux m'a interrogée sur les politiques de retour. Je ne connais aucun Franco-Tunisien ou Franco-Algérien ayant passé vingt ans en France qui veuille ensuite rentrer au pays. Il s'agit probablement de cas isolés. La plus grosse erreur des Maghrébins, Sénégalais ou Camerounais arrivés à partir des années trente en France pour participer à la construction de notre pays a été de penser qu'ils rentreraient chez eux, car ce n'a pas été le cas. Ils ont fait des enfants et ces enfants sont totalement français. Un Français doté d'un Guide du routard connaît mieux le Maroc qu'un enfant de Marocains vivant en France, qui ne parle en outre pas la langue ! Ces immigrés sont restés dans des HLM et n'ont pas investi, contrairement à l'immigration actuelle, celle de ma génération, celle des trentenaires qui arrivent en France, s'intègrent très rapidement, achètent un logement puis, trois ou quatre ans plus tard, demandent la nationalité française, exercent leurs droits et ressemblent à madame et monsieur tout le monde. C'est pourquoi j'ai du mal à faire le lien avec les Chibanis – dont vous parlez probablement –, qui veulent rentrer chez eux.

En tant que femme politique, il me semble important de construire le futur, mais votre question sur l'aide au retour est intéressante. Nous l'avons d'ailleurs évoqué avec Mme Dupont et un interlocuteur du ministère de l'intérieur. On nous a confirmé que c'est un axe important de travail. Les montants ont d'ailleurs considérablement augmenté – nous sommes d'ailleurs très attaqués par l'extrême droite sur ce point – afin que les personnes puissent réellement s'installer et développer un projet dans leur pays. Quand on donne 600 ou 1 000 euros à des migrants qui il faut le rappeler ont parfois payé 20 000 euros pour venir en France et sont très endettés.

Nous n'avons pas eu le temps de nous pencher sur les filières de départ et la collaboration policière avec les pays, notamment par le biais d'Europol. Il ne sert à rien de démanteler les filières quand les migrants – surtout des hommes – ont déjà tout payé et sont à Calais… De la même façon, nous n'évoquons pas Mayotte. Il était malheureusement difficile de rédiger un rapport exhaustif.

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J'aborde les OQTF dans mon avant-propos car la situation actuelle constitue une tromperie coupable. Il nous faut soit diminuer le nombre d'OQTF, soit comprendre, et faire comprendre, qu'une OQTF ne dépend pas uniquement d'une volonté franco-française mais doit être le fruit d'un dialogue et d'une volonté partagée avec le pays vers lequel on veut expulser. Avant de prendre des OQTF par milliers en direction d'un pays dont on sait pertinemment qu'il ne voudra pas recevoir ses ressortissants, il faut y réfléchir. Cela ne doit pas rester un impensé car le problème est évident et très largement relayé par les médias et une frange de l'extrême droite, d'une manière tout à fait pernicieuse. Ce n'est pas satisfaisant.

Monsieur Ledoux, aucun pays de l'Union européenne n'a été capable d'apporter une réponse cohérente aux phénomènes migratoires circulaires des pays du Maghreb et du Sahel. Nos systèmes politico-administratifs doivent structurer de nouvelles voies migratoires légales, avec des contreparties.

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Je vous remercie pour ce rapport très clair sur une situation très complexe. Je reviendrai sur quelques recommandations. Je suis entièrement d'accord avec celles qui concernent l'Agence de l'asile européen et le renforcement de la dimension interministérielle des politiques migratoires. Vous avez raison concernant la recommandation n° 13 sur les titres de séjour : il faut ré-humaniser les rendez-vous en préfecture.

Mme Dupont, la recommandation du rapport spécial que vous avez rédigé avec Jean-Noël Barrot sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2020 du 26 mai 2021 me semble intéressante – peut-être pourrions-nous l'ajouter au présent rapport ? Il faudrait effectivement développer les titres pluriannuels. Tout le monde serait gagnant. Mais cela implique de changer de mentalité.

Dans votre recommandation n° 22, il faudrait aussi parler de médiation permanente. Avec Mme Dupont, nous sommes en lien permanent avec les acteurs qui travaillent à Calais. Cet après-midi, Didier Leschi, directeur général de l'OFII et médiateur du Gouvernement, devait rencontrer la préfecture et les associations. Ces dernières ont refusé d'un bloc, même si certaines, ou leur direction nationale, y étaient favorable. La situation est extrêmement complexe et s'est considérablement durcie depuis septembre 2020, quand on a interdit aux associations de distribuer de la nourriture aux migrants et d'avoir des contacts avec eux.

Une médiation permanente, ou la présence d'un collège d'observateurs avec la préfecture, la police, les élus et les associations, serait donc utile. J'insiste sur l'importance d'associer la police, dans un esprit de consensus. Pendant la grève de la faim des trois personnes à Calais, des policiers en civil sont venus témoigner de leur désarroi, soulignant que ce qu'on leur demandait était contraire à leur éthique.

Votre recommandation n° 26 aborde la problématique des mineurs non accompagnés, ni majeurs ni mineurs, également appelés « mijeurs », qui évoluent dans une sorte no man's land. Je soutiens entièrement votre proposition de récépissé afin qu'ils accèdent à l'école et au logement. Ma contribution écrite insistera d'ailleurs sur la différence de traitement de ces mineurs, selon qu'ils arrivent avant ou après seize ans. Lorsqu'ils ont plus de seize ans, ils ne bénéficient pas d'un titre de séjour vie privée et familiale et doivent justifier de six mois de formation destinée à une qualification professionnelle. Or ils n'ont pas eu le temps d'apprendre le français et les formations de langue française de l'éducation nationale, comme les formations préqualifiantes, ne sont pas reconnues.

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Je vous remercie pour ce rapport. Arriver à une synthèse de cette qualité est un exploit. Je suis extrêmement favorable à la recommandation n° 9 visant à transformer la DIAIR en Haut-commissariat aux politiques migratoires.

Je suis également pleine d'espoir concernant l'Agence de l'asile européen, sans en attendre de miracles – si ce n'est une plus grande harmonisation – car il s'agit d'un chantier de très long terme, compte tenu des divergences européennes.

Pourriez-vous revenir sur la recommandation n° 10 relatives à la médiation culturelle, qui vous tient à cœur. Qu'en attend-on ? Un renforcement de la présence d'interprètes ? Une meilleure maîtrise des arcanes administratives pour mieux accueillir et accompagner les migrants ? S'agira-t-il de médiation interculturelle afin de mieux comprendre et de mieux accompagner les migrants dans leur intégration culturelle ? S'agira-t-il de faire en sorte que les différents intervenants dans le champ de la migration s'écoutent et se respectent plus ? Des formations existent en médiation interculturelle, mais je ne sais pas si c'est ce que l'on vise. Il faudrait peut-être le clarifier.

Concernant les OQTF, n'oublions pas les préalables : l'accès des migrants au droit doit être effectif et il faut qu'ils puissent entreprendre leurs démarches correctement, que nous soyons capables de les accompagner – notamment sur le plan linguistique et culturel – afin qu'elles les réalisent dans les meilleurs délais, sans partir du principe que cela va constituer un appel d'air ! Nous aurions alors moins d'états d'âme à mettre en œuvre les OQTF…

Monsieur Nadot, la négociation de contreparties à la délivrance de visas me semble un outil pertinent, notamment avec certains pays du Maghreb à partir desquels il n'y a pas de raison qu'il y ait autant de migrations.

Je suis d'accord avec vous, madame la rapporteure. Il faut mieux évaluer les compétences des personnes migrantes, et les valoriser. D'ailleurs, un rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR), dont je suis membre, pointe leur sous-emploi au regard de leurs qualifications. Il est regrettable de se priver de telles ressources.

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Vous avez raison, il faut mieux connaître les migrants. C'est pourquoi je plaide pour une modernisation du contrat d'intégration républicaine (CIR), déjà rénové à la suite du rapport de la mission sur la refonte de la politique d'accueil et d'accompagnement des étrangers en France, dit rapport Taché. Qu'ils restent ou non en France, il faut notamment que les migrants apprennent rapidement et mieux le français.

Pourquoi n'entend-on jamais parler de la jungle de Cherbourg à la différence de celle de Calais ? L'ancien ministre, Gérard Collomb, se demandait pourquoi je m'intéresse à ces questions car il n'y a pas de problème à Cherbourg. Pourtant, nous ne mettons pas des millions d'euros dans la sécurité ou dans le recrutement de nouveaux policiers aux frontières (PAF). Alors, pourquoi tout se passe bien ? Tout simplement parce que les passeurs n'ont jamais eu la main sur les migrants car, s'ils ont besoin d'un logement, ils sont logés. Quand ils ont besoin d'un téléphone, l'association Itinérance leur en fournit un. Quand il leur faut des cours de français en accéléré, des associations, voire les collèges, s'en chargent. Nous travaillons donc main dans la main à leur intégration, avec la mairie et les associations, mais aussi avec l'appareil judiciaire. Le procureur de la République ne se focalise pas sur les OQTF, ni sur les migrants, mais plutôt sur le trafic d'héroïne…

Si j'ai voulu aller plus loin que ce que propose le rapport d'Aurélien Taché, c'est parce que l'intégration républicaine, pour moi, ce n'est pas seulement « bleu, blanc, rouge » ou « liberté, égalité, fraternité ». Les mineurs non accompagnés, chez moi, ont dérangé des femmes dans la rue. Il a fallu leur expliquer que ce n'est pas parce qu'une femme met une mini-jupe que c'est une prostituée : ce sont des questions basiques, mais qui se posent sur le terrain. C'est pourquoi je crois utile de sortir d'une approche trop théorique. Enfin, je pense qu'il faut effectivement faire aussitôt le lien avec les métiers en tension. Les associations arrivent à faire des miracles avec peu de moyens. Si nous organisons un peu mieux nos politiques publiques, nous obtiendrons aussi des résultats.

Madame Gatel, vous dites ne pas comprendre pourquoi nous continuons à faire de la question sécuritaire l'alpha et l'oméga de nos relations avec des pays comme la Turquie et l'Égypte. Mais ce sont des dictatures, comme le Maroc ! Je vous invite à regarder les drapeaux de tous les pays membres de l'ONU et à compter ceux qui ne sont pas des dictatures. Vous verrez que les démocraties ne sont pas très nombreuses. Est-il normal de laisser à quelqu'un comme Erdogan la main sur notre politique migratoire ? Et que dire de l'Égypte, où 60 000 personnes sont emprisonnées ?

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Je me suis mal exprimée : j'ai voulu dire qu'il ne faut pas tout accepter de ces régimes, sous prétexte qu'ils « gèrent » les migrants que nous ne voulons pas voir arriver dans notre territoire. Je posais la question des droits de l'homme.

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Nous sommes donc d'accord pour dire que l'immigration ne doit pas être le premier sujet à traiter avec ces dictatures. Je pense aussi à ce qui se passe actuellement à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Lorsque je me suis rendue en Pologne et en Lituanie, il y a quelques mois, j'ai vu les migrants qui commençaient à arriver. Les Irakiens ont d'ailleurs arrêté les vols directs vers la Biélorussie, car ils ne veulent pas que leurs ressortissants soient instrumentalisés et utilisés comme une arme hybride, ce qui pourrait nuire à leurs relations avec l'Union européenne.

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Le rapport précise que lorsqu'on a délégué la prise en charge des migrants à la Turquie, trois conditions ont été posées : une aide financière, la relance du processus d'adhésion à l'Union européenne et une libéralisation de l'octroi des visas pour les ressortissants turcs. Où en est-on sur ces points ?

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Il y a des hauts et des bas dans notre relation avec la Turquie, comme avec beaucoup de dictatures dans le monde. On est dans une autre phase de notre rapport avec la Turquie, d'autant que la relation du président Macron avec Erdogan n'est pas très amicale.

Il existe une seule formation au métier de médiateur culturel : c'est le diplôme interuniversitaire « Hospitalité, médiation, migration (H2M) : reconnaître les compétences des exilés, changer le regard sur les exilés ». Le médiateur, tel que je le conçois, doit avoir toutes les compétences que vous avez évoquées : il doit connaître la langue et la culture du pays d'origine des migrants, il peut avoir lui-même fait le parcours de migration et il doit pouvoir expliquer aux migrants les difficultés qu'ils vont rencontrer. En Italie, j'ai vu des médiateurs monter sur les bateaux des garde-côtes italiens : les gendarmes, lorsqu'ils vont faire des sauvetages en mer, prennent des médiateurs avec eux. Entre la police, les gendarmes et les migrants, il y a toujours un médiateur, qui sert notamment d'interprète, et qui est capable de donner des explications aux arrivants. Il importe que le premier accueil soit pris en charge par des gens qui connaissent la langue des migrants.

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Bien que nos approches soient différentes, on voit se dessiner un large consensus. La création d'un Haut-Commissariat aux migrations est, de mon point de vue, la proposition clé de ce rapport, celle qu'il faudra mettre en avant.

Vous avez évoqué la création d'une Agence de l'asile européen mais vous ne parlez pas de son articulation avec les autres dispositifs existants, notamment avec l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex. Le fonctionnement de Frontex est une question à part entière. Il est problématique que cette agence ne rende de comptes à personne, ni au Parlement européen, ni aux parlementaires français.

Il a été question de la responsabilité politique de l'administration et je suis d'accord avec notre collègue Jacques Maire : une orientation politique est donnée, que les fonctionnaires traduisent. La formation est essentielle, pas seulement dans la police, mais dans toute la fonction publique, dont les agents sont en contact quotidien avec les personnes migrantes. C'est en améliorant leur formation que l'on améliorera les conditions de l'accueil.

S'agissant de la formation linguistique, les associations m'ont beaucoup parlé du fait que les ateliers sociolinguistiques ne sont ouverts qu'aux primo-arrivants, ce qui exclut une partie des personnes étrangères vivant en France depuis de nombreuses années, notamment des femmes, souvent mères de famille, qui ont besoin de cette formation pour s'intégrer. Il faut évidemment prêter attention aux primo-arrivants, mais ne pas oublier que de nombreuses personnes étrangères présentes dans notre pays depuis plus longtemps ont également besoin d'apprendre le français.

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Sur la question des soins, vous notez que les dispositifs de prise en charge sont globalement satisfaisants, ce qui m'a surprise. Il est vrai que les dispositifs sont satisfaisants, notamment les permanences d'accès aux soins de santé (PASS). En revanche, il faut absolument souligner le manque de moyens et l'inégale répartition de ces services sur le territoire national. Vous soulignez d'ailleurs que le délai de carence de l'aide médicale de l'État, l'AME, est un autre problème, qui ne permet pas de suppléer à l'absence de PASS dans certains territoires.

Nous avions par ailleurs évoqué la possibilité que des antennes de l'OFII soient ouvertes un peu partout en France Ce serait une bonne chose, car des expériences positives ont montré que le regard des Français sur les étrangers change lorsqu'ils sont en contact direct avec eux.

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Je salue moi aussi l'ouverture qui a caractérisé nos débats, même si l'entre-soi me dépasse : je ne comprends pas que l'opposition n'ait pas pris part à nos travaux. C'est presque un problème structurel : on ne sait pas faire participer les oppositions à nos débats, et c'est dommage. Je suis curieuse de découvrir l'accueil qui sera réservé à notre rapport dans la société, dans les médias et dans le débat politique, et de voir le poids qu'il aura.

L'essentiel est de gagner la bataille de l'opinion publique, en renversant l'image des personnes migrantes : c'est la clé. La médiation culturelle, que vous avez découverte en Italie, est vraiment un outil dont il faut s'emparer. Je suis chargée d'une mission sur les obstacles à la scolarisation et j'ai pu constater l'intérêt des médiateurs scolaires qui, dans les bidonvilles, sont les seuls à pouvoir ramener les enfants à l'école. Sans eux, on a 70 % d'échec. Comme il y a une forme d'incompréhension entre les associations et la préfecture, la personne qui arrive est elle aussi dans l'incompréhension la plus totale.

Il faut évidemment travailler à mettre en lumière la valeur intrinsèque des personnes migrantes, leurs qualités et leur apport, mais il faut aller plus loin et montrer qu'elles peuvent devenir des interlocuteurs essentiels. J'ai poussé et aidé une mère de famille qui faisait de l'aide aux devoirs dans des hôtels sociaux à créer une association. Aujourd'hui, elle est la porte-parole de toutes ces familles et l'interlocutrice des agents de la préfecture et de l'agence régionale de santé (ARS). Les élus et les administrations sont souvent trop éloignés de la réalité et ce contact-change radicalement les choses. Désormais, ce n'est pas moi qu'on écoute, c'est elle. J'ai aussi en tête des associations qui se chargent du premier accueil à la mairie. Tout cela est très innovant et il faudrait le conceptualiser davantage.

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S'agissant de l'augmentation des frais d'inscription à l'université pour les étudiants extra-communautaires, je ne pense pas que ce soit une bonne mesure. L'essentiel des étudiants étrangers que nous recevons continue de venir d'Afrique, qu'on le veuille ou non. Je ne suis pas d'accord avec l'idée selon laquelle certains pays auraient les moyens de financer des bourses. Cette politique nous a fait perdre des étudiants francophones, notamment africains, mais elle ne nous a pas fait gagner d'étudiants venant d'autres aires géographiques, par exemple du Brésil. Je préconise donc de ramener les frais d'inscription à leur niveau antérieur, ce qui ne signifie pas la gratuité. Lorsque je suis arrivée en France pour étudier, en 2005, j'ai payé 675 euros de frais d'inscription. Sur le terrain, le programme « Welcome to France » n'a pas marché.

On ne peut pas obliger les membres du groupe Les Républicains ou l'extrême droite à assister à nos réunions, mais je saurai vendre ce que nous avons fait, pourquoi pas au ministre de l'intérieur lui-même. L'important, c'est de faire un rapport qui nous ressemble. Nous pensons tous qu'il faut mener une réflexion sur le moyen et le long terme. Il est vrai que j'ai préféré éviter les deux ou trois points qui nous opposent – les OQTF, par exemple, pour mettre l'accent sur des solutions plus modestes que l'exécutif était susceptible de mettre en œuvre.

Je ne partage pas la ligne selon laquelle il faudrait « accueillir moins et mieux », tout simplement parce qu'on n'est pas en mesure d'accueillir moins. On ne peut pas obliger les gens à ne pas venir. La politique qui consiste à bomber le torse ne donne pas de résultat : s'agissant des OQTF, par exemple, on arrive seulement à humilier des pays comme l'Algérie. C'est peut-être parce que nous avons rejeté cette posture que nos travaux n'ont pas intéressé nos collègues de droite et d'extrême droite.

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Je vais mettre aux voix le rapport. Je note l'abstention de M. Vincent Ledoux.

La commission adopte le rapport.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la France

Présents. - Mme Ramlati Ali, Mme Mireille Clapot, Mme Stella Dupont, Mme Maud Gatel, M. Fabien Gouttefarde, Mme Chantal Jourdan, Mme Sonia Krimi, M. Vincent Ledoux, M. Fabrice Le Vigoureux, M. Jacques Maire, Mme Sandrine Mörch, M. Sébastien Nadot, Mme Danièle Obono, Mme Bénédicte Pételle, Mme Natalia Pouzyreff, Mme Cathy Racon-Bouzon, Mme Michèle de Vaucouleurs, Mme Michèle Victory