Intervention de Vincent Ledoux

Réunion du mercredi 10 novembre 2021 à 15h00
Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux de la france

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVincent Ledoux :

Effectivement, nous devons faire évoluer cette méthode de travail sur le rapport, à la fois frustrante et intellectuellement peu défendable. Nous n'avons pas le temps de travailler sur le rapport.

Je ne peux pas laisser dire que des hauts fonctionnaires agiraient de façon contraire aux principes de la République. Je respecte trop la fonction publique pour cela. Les fonctionnaires ne sont que des gens qui exécutent une commande politique : c'est donc cette commande politique qu'il faut remettre en cause. Si un fonctionnaire déroge aux principes de la République, l'administration doit en être informée et il doit immédiatement être sanctionné, parce que ce n'est pas tolérable.

Pour le reste, le principe de la commission d'enquête parlementaire est aussi que les gens puissent s'exprimer librement devant elle. Si certains propos interpellent, comme l'expression « appel d'air » qui avait été employée, c'est à nous de demander à la personne auditionnée ce qu'elle entend par là – et Stella Dupont l'avait très bien fait. Mais je n'aimerais pas voir figurer dans le rapport cette remise en cause désagréable et malvenue des fonctionnaires.

Notre travail s'est trouvé confronté à un double écueil. D'abord, le champ exploratoire était considérable, et constitué de sujets très divers, même s'ils sont tous liés. Par exemple, nous avons beaucoup parlé du départ mais très peu du retour, qui pour moi est un sujet essentiel. Il y a des personnes qui sont là depuis vingt ans et qui ont envie de retourner chez eux, nous devons les aider.

Ensuite, ce sujet fait intervenir le cœur et la raison. Quand on entre dans cette matière-là, éminemment vivante, qui touche à des êtres humains, forcément, ça transperce le cœur, ça touche, ça fait pleurer. Mais en même temps, quand on fait de la politique, qu'on doit construire des politiques publiques, on doit garder le cap de la raison. Nous devons nous situer entre les deux, et prendre garde à la confusion.

Ainsi, nous parlons d'asile, de réfugiés, d'immigration irrégulière, mais nullement du migrant légal, de l'étudiant étranger entré régulièrement en France. Or ces catégories-là connaissent aussi des problématiques, qu'il faut absolument traiter. Je ferai une contribution sur ce sujet majeur. Nous devons en particulier améliorer encore l'accueil des étudiants africains dans les années qui viennent : cela ne va pas assez loin.

Je m'interroge aussi sur le type de gouvernance que vous envisagez pour cette politique publique. Quelle est, madame la rapporteure, l'architecture administrative que vous avez en tête ? L'interministériel, il y en a déjà beaucoup : c'est imparfait certes, mais les préfets dans les territoires, c'est bien de l'interministériel. Comment positionnez-vous les acteurs ?

Vous évoquez très justement, dans la recommandation n° 2, le renforcement des équipes diplomatiques et consulaires, en Lybie par exemple. Je pense que cette politique-là doit être appréhendée par tous les corps de notre fonction publique, y compris les ambassadeurs. J'ai proposé, dans un rapport au Premier ministre qui portait sur notre articulation avec l'Afrique, de renforcer la triade ambassadeur-préfet-territoire. Vous préconisez pour votre part de contractualiser avec les départements. Oui, mais il faut également mieux associer tous les acteurs, associations et conseils départementaux compris, à la définition comme à la réalisation de ces politiques. C'est essentiel.

C'est un peu comme le plan de relance : s'il a fonctionné dans nos départements, comme le dit mon préfet de région, c'est parce qu'il a été territorialisé. De la même façon, je pense qu'il faut territorialiser au maximum la politique de la migration, la mener au plus proche des gens – parce que de toute façon, la réaction épidermique, ce sont nos concitoyens qui l'éprouvent. Bien sûr, monsieur le président, madame la rapporteure, vous avez raison, nous sommes environnés de fumée, conditionnés par des discours qui ont été travaillés depuis de nombreuses années pour nous accoutumer à penser dans un certain sens, pour créer des réactions automatisées. Il faut remettre un peu de réalité dans tout cela. Mais j'aimerais bien avoir des précisions sur l'architecture de la gouvernance de cette politique.

Car nous avons déjà tous les ingrédients : des préfets à l'immigration, des conseillers diplomatiques auprès des préfets… Pour avoir Calais dans ma région, je pense qu'on pourrait associer un peu plus étroitement ces derniers, d'une autre manière. La question est donc de savoir comment on met dans une même dynamique tous ces acteurs qui sont déjà dans nos territoires et qui pourraient mieux collaborer.

Sur l'état des lieux des métiers en tension, je suis mille fois d'accord. Nous avons peiné à les réviser, la procédure est longue et compliquée. J'ai moi-même constaté que des obligations de quitter le territoire français (OQTF) peuvent être prononcées contre des gens qui travaillent dans des métiers en tension, comme la restauration. C'est ridicule !

Enfin, je pense que nous avons un véritable problème en matière de politique du retour. Nous ne sommes pas bons et nous ne communiquons pas bien. Comment aider quelqu'un qui est sur notre territoire et qui se dit qu'il s'est trompé, qu'il veut retourner chez lui ? Comment améliorer le retour des irréguliers, mais aussi de ceux qui sont légalement sur notre territoire ? Comment accompagner un projet d'entreprise dans le pays d'origine ? Nous n'avons aucun dispositif destiné à ceux qu'on appelle les « repatriés ». Des Franco-Maliens ou Franco-Sénégalais qui ont envie de faire le lien entre les deux continents ne sont pas aidés.

Quoi qu'il en soit, bravo pour ce travail, qui était une gageure. Au moins, nous n'avons pas hystérisé le débat, nous avons conservé de la rationalité.

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