La réponse que je vais apporter au nom de l'association Gendarmes et citoyens a bien sûr, au-delà de l'aspect technique, des résonnances hautement politiques. Vous évoquiez l'idée d'un rapprochement entre les formations. C'est un débat qui a déjà eu lieu il y a longtemps, mais qui n'a pas eu de résonnance particulière.
Si l'on peut penser que le cœur de métier est le même, les modes d'action des différentes formations ne sont pas du tout identiques et leurs zones d'expression varient. Le gendarme a un statut militaire. Il est capable de travailler sur un continuum paix-crise-guerre. J'ai le souvenir d'escadrons déplacés en Afghanistan, en Irak ou dans des pays situés en bordure de la mer Adriatique. L'armée de terre avait un temps donné la mission compliquée et sensible de conserver a minima un degré d'engagement inférieur à l'usage des armes. Or la gendarmerie s'est adaptée à ce processus, car elle était capable par sa militarité et sa réversibilité de passer d'une situation de crise à une situation de guerre et inversement. C'est sa formation militaire, ses gènes militaires – aguerrissement, endurance, militarité, discipline, obéissance au chef, gestion de l'ouverture du feu, capacité de résilience, chaîne hiérarchique, chaîne sanitaire, chaîne opérationnelle – qui ont contribué à garantir à la fois la sécurité des populations et celle de nos camarades gendarmes déployés à l'étranger.
À l'instar des motocyclistes en matière de sécurité routière, nous avons des compétences communes. Pourtant, il y a des cas particuliers qui nécessitent, le jour j, d'être traités par le bon service – en zone police, la police nationale, et en zone gendarmerie, la gendarmerie nationale – si l'on ne veut pas se heurter à d'importantes difficultés. J'ai toujours peur de ces idées de rapprochement. Elles partent toujours d'un bon sentiment associant un esprit d'économie des moyens à la concentration des forces et à la liberté d'action – ce qui est complètement audible. Cependant, mon expérience de 32 ans de « boutique » me fait penser que, si nominalement nous sommes différents, c'est qu'il existe dans l'exercice et le cœur de la mission suffisamment d'éléments et d'arguments qui montrent que nous sommes différents, car nous avons parfois des missions différentes nécessitant des engagements et des matériels différents.
Vous évoquiez la surveillance par des services de sécurité privée, autrement dit le continuum que l'on retrouve entre sécurité privée et sécurité publique. Il s'agit d'un sujet de discussion considérable, d'actualité. La porte est ouverte. Il y a un important travail d'analyse et de proposition à mener, mais cela est tout à fait audible. Cette idée a déjà été évoquée à de nombreuses reprises. On trouve désormais des gens armés pour garantir la sécurité des biens voire des personnes. La première génération de ce profil de gens armés, souvent constituée d'anciens policiers, d'anciens militaires et d'anciens gendarmes, est relativement récente.
L'on peut donc, pour des missions particulières, dont la sensibilité est clairement mesurée et la capacité de résistance et de résilience évaluée, envisager une réflexion sur le continuum de partage de l'espace entre sécurité publique et sécurité privée – dans le but de dégager de la masse salariale et de l'opérationnel. L'association n'y est pas du tout hostile.
Le taser reste un moyen de force intermédiaire avec ses fragilités. Tout miser sur un seul et unique vecteur reste dangereux. C'est un outil. Le gendarme, comme le policier, dispose d'une boîte à outils – bombe lacrymogène, bâton télescopique, taser, etc. Mais il s'agit d'un outil comme un autre, avec ses performances et ses fragilités. C'est confortable pour interpeller quelqu'un à distance par le tir des ardillons. Lorsque l'on est à bras-le-corps pour choquer en mode « contact », il y a du confort car il y a de la sécurité, pour la personne et pour nous. Cependant, le chef de la colonne ne peut écarter le risque d'incident matériel, la résistance physique de l'intéressé et sa protection « balistique » – l'épaisseur des vêtements – ou encore le risque de tir raté. Ainsi, si un ardillon part dans le mur alors qu'un autre perfore le blouson et arrive à atteindre les chairs, la connexion électrique n'est pas faite, et cela aboutit à un échec.