Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Réunion du mercredi 16 septembre 2020 à 16h45

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • escadron
  • gendarme
  • gendarmerie
  • gendarmerie mobile
  • manifestation
  • militaire
  • mobile

La réunion

Source

La séance est ouverte à 17 heures.

Présidence de M. Jean-Michel Fauvergue, président.

La Commission d'enquête entend à l'occasion d'une table ronde, des représentants des associations professionnelles de la gendarmerie :

- M. David Ramos, vice-président de l'Association professionnelle nationale des militaires de la Gendarmerie du XXIe siècle « GENDXXI » ;

- M. Marc Rollang, porte-parole de l'Association professionnelle nationale militaire Gendarmes et citoyens.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, après avoir reçu les policiers nous recevons, logiquement, les gendarmes. Les uns comme les autres sont en effet sollicités pour les missions de maintien de l'ordre. Je remercie M. David Ramos, vice-président de l'Association professionnelle nationale des militaires de la Gendarmerie du XXIe siècle (APNM GENDXXI), et M. Marc Rollang, porte-parole de l'Association professionnelle nationale militaire Gendarmes et citoyens, pour leur disponibilité.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. David Ramos et M. Marc Rollang prêtent successivement serment).

Permalien
Marc Rollang, porte-parole de l'Association professionnelle nationale militaire Gendarmes et citoyens

Permettez-moi de vous saluer. Il est important de rappeler en préambule la définition nominale de la déontologie, telle que nous la percevons au sein de nos professions respectives – en l'espèce, celle de gendarme. La déontologie est la morale de la profession, l'observance des règles et des devoirs qui règlementent et conditionnent les conduites à tenir. De là découlent une stratégie intellectuelle et une stratégie opérationnelle.

La gestion du maintien de l'ordre, voire du rétablissement de l'ordre, voire du rétablissement de l'ordre en situation insurrectionnelle comporte en périphérie, ostensiblement, une lecture politique. L'objectif est de bien mesurer l'engagement pour avoir la possibilité de sortir de la crise par la porte de la négociation. L'enjeu pour le gestionnaire de l'ordre public est de mesurer, sous un delta de forces répondant à des critères d'appréciation de terrain aux niveaux opératif et stratégique, le risque qu'il y a à s'engager et les chances de parvenir à la réalisation de la mission : le retour au calme.

La déontologie est la force et la réflexion que le chef met en œuvre pour garantir à la fois l'expression et le droit à manifester, la sécurité de ses personnels et celle des manifestants. Il est assujetti pour ce faire à plusieurs contraintes régaliennes clairement évoquées, à un cadre légal et à un cadre d'expression en matière opérationnelle qui nécessitent une analyse. Cette analyse est définie comme l'autorisation d'agir de l'autorité civile légitime, qui fixe le degré et l'intensité de l'engagement ainsi que les termes de la mission. Elle est associée aux notions d'absolue nécessité – que l'on retrouve à l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme –, de proportionnalité dans l'engagement, de gradation, de discernement, de respect de la loi et de respect du manifestant.

Permalien
David Ramos, vice-président de l'Association professionnelle nationale des militaires de la Gendarmerie du XXIe siècle « GENDXXI »

Au nom de l'APNM GENDXXI, permettez-moi en préambule de vous remercier pour l'intérêt que vous accordez au regard et aux propositions de notre association.

Il y a un peu plus de cinq ans, en avril 2015, alors que la loi de programmation militaire ayant autorisé les associations professionnelles de militaires n'était pas encore votée, nous participions à notre première audition devant une commission d'enquête de l'Assemblée nationale, déjà sur le thème du maintien de l'ordre.

Les manifestations en France ont connu ces dernières années une progression importante, tant dans leur nombre que dans la violence qui s'y exerce : en 2016, dans les cortèges contre la « loi Travail », qui ont vu le retour de militants très agressifs et organisés – les fameux ultras – ; à Notre-Dame-des-Landes, au contexte très ouvert ; ou encore durant les manifestations des gilets jaunes au cours de l'année écoulée. Ce alors même que le nombre d'escadrons a été réduit à partir de 2008 pour atteindre 109 escadrons de gendarmerie mobile, et que le maintien de l'ordre n'est que l'une des missions des unités de gendarmerie mobile qui œuvrent également à la sécurisation des sites, renforcent les unités territoriales, luttent contre l'immigration irrégulière, et ont des missions outre-mer et des opérations extérieures (OPEX). Les unités ont été plus que jamais sollicitées dans un contexte de moyens humains sous-dimensionnés.

J'aimerais revenir spécifiquement sur les actes successifs, très difficiles, des gilets jaunes qui ont donné lieu à des images parfois très violentes. Ils sont l'aboutissement d'une évolution progressive des manifestations. Auparavant, il survenait parfois des incidents en fin de parcours. Le maintien de l'ordre était un maintien d'accompagnement, très statique. Les affrontements se produisaient généralement en fin de cortège. Aujourd'hui, les choses sont clairement plus chaotiques. Les manifestations ne sont pas structurées, gérées, encadrées par des organisateurs identifiés et expérimentés. L'imprévisibilité prime. L'insécurité et la violence sont monnaie courante. Désormais, de nombreuses manifestations sont uniquement lancées sans autorisation préalable pour détruire et s'en prendre aux forces de l'ordre. Nous devons assurer un rétablissement de l'ordre sur l'ensemble de la manifestation.

Malgré cela, la gendarmerie a tenu bon. Elle a démontré son expertise, sa maîtrise, dans ce contexte parfois insurrectionnel, devant des groupes organisés, équipés, armés. J'aimerais saluer l'engagement des personnels avec un mot particulier pour ceux et celles qui ont été blessés. Cette situation devait entraîner des réformes.

S'agissant des propositions, nous n'aurons pas des mots très différents de ceux tenus en 2015, même si le contexte a changé et s'est durci. Nous attachons toujours une importance particulière à la distinction claire entre autorités civile et opérationnelle, à la traçabilité des instructions et des ordres, ainsi qu'à la distinction des opérations administratives et judiciaires.

Nous ne pouvons que réitérer avec force nos alertes passées sur la situation des effectifs, la gestion du temps de travail, ainsi que sur la situation des matériels. Les choses ont évolué et continuent à évoluer, notamment avec le nouveau schéma national du maintien de l'ordre dont nous avons pu prendre connaissance. Nous y avons trouvé des mesures qui rejoignent celles que nous avons déjà formulées par le passé et auxquelles nous souscrivons totalement. D'autres nous semblent constituer néanmoins des points de vigilance, comme les équipes de liaison et d'information. Enfin, quelques mesures semblent porter davantage à débat, notamment sur l'encerclement.

De nombreux points préconisés par le Défenseur des droits sont intégrés dans le schéma national du maintien de l'ordre. Il nous paraît important de prendre en compte l'analyse et les recommandations qui ont pu être faites. Dans un État démocratique, le questionnement, la critique même parfois, par une autorité administrative indépendante doivent être perçus comme une chance. Ces recommandations doivent être néanmoins lues au travers du prisme d'une réalité parfois dure, mais le point à atteindre nous paraît légitime.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Notre intention est de mieux comprendre comment se déroule votre activité, quelles sont les contraintes ou les difficultés que vous rencontrez, et comment faire pour limiter les dérapages ou les incidents qui sont souvent regrettés.

Nous sommes conscients de la difficulté de votre tâche et de l'importance d'un maintien de l'ordre réussi pour la société entière, notamment pour le public.

Vous avez évoqué les questions relatives à l'évolution du profil des manifestants et de l'organisation des manifestations. Une sorte de spontanéisme se développe. Comment concevez-vous la réponse à apporter à cette évolution ?

Dans le code de déontologie qui vous concerne et dont vous avez évoqué quelques grands principes, y aurait-il des choses à modifier pour que vous puissiez gagner en efficacité ?

Enfin, il a beaucoup été question des techniques d'étranglement et de plaquage ventral, dont l'abandon a été demandé. Cette demande semble avoir rencontré une résistance, plusieurs responsables syndicaux pointant l'absence de techniques de remplacement. Comment pourrions-nous remplacer ces techniques qui ont suscité un certain nombre de critiques ?

Permalien
Marc Rollang, porte-parole de l'Association professionnelle nationale militaire Gendarmes et citoyens

La difficulté du maintien de l'ordre tient à la juxtaposition sur un seul et même compartiment de terrain de forces de nature différente. C'est la traçabilité et la compréhension des ordres donnés du haut vers le bas, puis du bas vers le haut au titre du compte rendu, qui sont en jeu. La piste majeure d'amélioration, dont la mise en œuvre serait relativement aisée, est de compartimenter la responsabilité des forces de l'ordre sur le terrain.

L'idée est de laisser des compartiments de terrain – des zones, des quartiers, des places, des rues – sous la responsabilité exclusive d'une force régalienne. De telle rue à telle autre, de tel quartier à tel autre, la responsabilité incombe à la police. Pour telle rue, tel quartier, telle place, elle incombe à la gendarmerie. Vous y gagneriez en lisibilité, nos chefs y gagneraient en confort de commandement, et il y aurait une cohérence dans la formation des unités présentes. C'est une demande forte de nos chefs et, j'en suis persuadé, de la part de toutes les personnes qui concourent à l'effort de sécurité publique. C'est une mesure qui s'impose car elle va dans le bon sens, celui de la lecture de l'action comme de l'identification formelle des forces engagées et à engager.

La technique de l'étranglement n'existe pas dans les protocoles et manuels d'emploi de la force dans l'intervention professionnelle – telle qu'elle est déclinée au titre de la formation initiale ou complémentaire dans la gendarmerie. Il existe des mesures de contrainte physique, de préhension, d'appréhension, mais le plaquage au sol tel que vous le concevez, avec l'étranglement en sus ou à côté, n'existe pas dans nos protocoles.

En matière de maintien de l'ordre, vous pensez bien que l'adversaire est particulièrement virulent. Il va tout faire pour se soustraire à la contrainte de l'autorité légitime liée au droit d'arrestation. Dans le cas d'espèce, l'action première de l'unité constituée et la responsabilité première de l'autorité en place, ce n'est pas forcément d'interpeller, c'est de ramener la paix, le calme, au besoin par la dispersion. L'interpellation individuelle répond à des normes techniques. La police a dans ses protocoles d'emploi – avec des restrictions que nous connaissons, qui font suite à différents incidents – l'étranglement et le plaquage au sol. La gendarmerie préférera peut-être utiliser des techniques moins dynamiques – appréhension, clés de bras, neutralisation des vecteurs inférieurs par des coups de bâton télescopiques. Cependant, l'intérêt premier est de garantir l'intégrité physique de la personne interpellée et celle des personnes qui l'interpellent.

N'oublions jamais que le curseur de l'intensité de l'intervention n'est jamais du fait de l'agent interpellateur. C'est toujours la personne concernée par l'interpellation qui détermine par son action, sa réaction, sa rébellion, le niveau du curseur pour pouvoir agir en toute sécurité.

Permalien
David Ramos, vice-président de l'Association professionnelle nationale des militaires de la Gendarmerie du XXIe siècle « GENDXXI »

Un mot essentiel me vient immédiatement pour répondre à l'ensemble des points que vous avez évoqués : celui de formation.

Si une mesure d'interpellation inappropriée survient, c'est avant tout parce que la pression est excessive, parce que la durée est excessive, et parce que des personnels n'ayant pas eu un niveau de formation suffisant n'ont pas un niveau de compétence qui leur permet d'agir sereinement. Un défaut de compétence entraîne potentiellement une réponse inappropriée dans les mesures d'interpellation.

Or la formation est en partie compromise par le niveau d'engagement des unités de gendarmerie mobile. Ces derniers mois, j'irai même jusqu'à dire cette dernière année, le niveau d'engagement a été extrêmement important et, de fait, cela a mis en suspens certaines séances de formation car le besoin était sur le terrain. Le cycle de bon fonctionnement d'un escadron de gendarmerie mobile comprend la formation, l'engagement et la récupération. Or, notamment en raison des problèmes d'effectifs, les cycles se raccourcissent. Les engagements sont de plus en plus importants et, de fait, il est difficile d'arriver à tenir la formation. Pourtant, sur les interpellations comme sur la déontologie, pour les retours d'expérience, les temps de formation sont essentiels.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Comment s'effectue une interpellation sur un individu particulièrement violent, qui veut se soustraire à l'autorité ? Par quels moyens le contraignez-vous ? J'ai bien compris qu'il existait une différence entre police et gendarmerie, que nous connaissions d'ailleurs déjà. Cependant, il nous faudrait des réponses claires sur ce point. Comment faites-vous pour interpeller un individu particulièrement excité, brutal, plus fort physiquement que l'interpellateur ?

Par ailleurs, dans le manuel de formation que j'ai pu consulter, le plaquage au sol est dessiné. Ce n'est donc pas une technique qui n'est pas employée, puisqu'elle est dessinée dans votre manuel de formation.

Permalien
Marc Rollang, porte-parole de l'Association professionnelle nationale militaire Gendarmes et citoyens

Pour être précis, elle n'est pas du tout encouragée !

Permalien
Marc Rollang, porte-parole de l'Association professionnelle nationale militaire Gendarmes et citoyens

La nuance est importante. Avec le taux d'inhibition que nous avons au niveau de l'action, nous avons plutôt l'impression que les gens se disent que, moins ils en font, plus ils rentrent intacts à la maison. En effet, les gendarmes qui prennent des initiatives au cours d'une interpellation ont de fortes chances d'être blessés, alors que d'autres ferment les yeux.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pourriez-vous développer ? Je n'ai pas bien compris.

Permalien
Marc Rollang, porte-parole de l'Association professionnelle nationale militaire Gendarmes et citoyens

Je voulais dire qu'il y a des nuances entre ce qui existe et ce qui est appliqué. L'inhibition que l'on a à agir tient souvent à la crainte que nous avons d'être impliqués a posteriori dans un contentieux administratif ou judiciaire.

Le nombre peut permettre de submerger puis d'interpeller un adversaire violent. Il faut, sinon, recourir à la technique, ou aux outils. Idéalement, les trois sont réunis. Pour interpeller quelqu'un avec un minimum de dommages périphériques pour lui et pour autrui, nous avons constaté que le taser constituait un moyen de force intermédiaire très opportun. Il permet en effet dans de nombreux cas – pas tous, malheureusement – d'appréhender un individu en garantissant à la fois son intégrité physique et celle des agents interpellateurs. Le schéma de contrainte physique que nous suivons s'appuie sur des outils que vous connaissez – le bâton télescopique, par exemple, ou encore la bombe lacrymogène – mais le taser constitue l'arme de force intermédiaire idéale pour interpeller quelqu'un. Cela doit se faire dans des conditions particulières d'emploi, et sous le régime de la nécessité. Il doit s'agir par exemple d'un individu récalcitrant en état de rébellion.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma première question porte sur la clé de contrôle de tête, que vous et la rapporteure avez appelé « clé d'étranglement ». J'ai demandé au personnel du commissariat de Fréjus de pratiquer une arrestation sur ma personne, afin de comprendre à quoi cela correspondait. J'ai bien compris que cette clé permettait de protéger l'individu interpellé de certains mouvements potentiellement fatals pour ses vertèbres.

Comme vous l'avez souligné, cela ne fait pas partie de vos instructions. Je souhaiterais que cela soit bien précisé, de manière à bien voir que l'appellation « clé d'étranglement » ou « méthode ou technique d'étranglement » appartient à un vocabulaire qui ne correspond pas au réel.

Dans nos déplacements, peut-être pourrions-nous tester cette méthode, monsieur le président ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous en discuterons avec la rapporteure et tous ensemble, mais il était bien dans nos intentions de faire des déplacements en police et en gendarmerie pour voir comment se passait ce type d'interpellation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma deuxième question a trait à l'augmentation des violences dont vous faites l'objet et de l'emploi de certains instruments blessants qui la matérialisent, ainsi qu'à la hausse de la menace visant, par l'intermédiaire des réseaux sociaux, vos personnels et leurs familles. Cela provoque-t-il une attrition dans les rangs des forces de l'ordre, un départ de certains personnels qui « posent le sac » car ils ne supportent plus cet état de fait, ou au contraire cela fait-il arriver des gens qui demandent à intégrer la gendarmerie ou la police nationale car ils ne l'acceptent pas ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La mission du maintien de l'ordre ou du rétablissement de l'ordre consiste à assurer la sécurité des personnes et des biens et à limiter le risque pour les forces de l'ordre, notamment les gendarmes – nous savons le prix que vous avez payé. Dans ces conditions, l'interpellation en temps réel n'est pas la priorité. Cela dit, si l'on veut éviter que cela ne se reproduise tous les samedis ou tous les dimanches, il est souhaitable que la justice passe, d'où l'intérêt de la judiciarisation.

Selon vous, par quels outils ou quelles procédures pourrait-on améliorer l'efficacité de la judiciarisation – en espérant que la suite de la chaîne pénale fonctionne, ce qui reste à prouver – afin que l'on puisse amener l'auteur présumé des faits de la justice avec des éléments de certitude suffisants ?

Quelles sont les limites techniques à l'usage du taser ?

Permalien
David Ramos, vice-président de l'Association professionnelle nationale des militaires de la Gendarmerie du XXIe siècle « GENDXXI »

En gendarmerie, la technique de la clé de contrôle de tête ou de l'étranglement n'est pas utilisée. Les moniteurs d'intervention professionnelle définissent des zones d'action sur lesquelles nous pouvons agir dans le cadre d'une interpellation. La tête et les parties génitales sont clairement des zones rouges, que l'on ne peut atteindre avec les moyens de force intermédiaire dont nous disposons.

Vous évoquiez l'augmentation des violences et de l'usage des armes par destination, et l'effet de cette violence nouvelle, démultipliée. La gendarmerie mobile a une capacité de résilience remarquable. Elle s'appuie en cela notamment sur la jeunesse de ses effectifs. La gendarmerie mobile est constituée essentiellement d'éléments jeunes, qui y restent pendant un certain temps et doivent suivre une formation spécifique pour pouvoir y être maintenus. Ce temps peut durer entre cinq et dix ans pour une grande partie d'entre eux. C'est quelque chose d'extrêmement exigeant, rustique, qui nécessite une résilience remarquable.

Cette formation, le diplôme d'arme, permet de se maintenir au niveau des escadrons de gendarmerie mobile. Les personnels qui la suivent sont les piliers des escadrons, éléments moteurs vecteurs d'expérience et de formation pour leurs camarades, car ils ont fait le choix de rester et de se former en pleine conscience et en pleine connaissance des faits.

Les retours d'expérience (RETEX) suscitent beaucoup d'interrogations. On ne constate pas de départs à proprement parler, même si certains doivent évidemment partir car ils ont atteint des limites à ce qu'ils peuvent endurer. L'engagement est effectivement important, les deux tiers de l'année étant passés en déplacement. Les conditions dans lesquelles le maintien ou le rétablissement de l'ordre s'exécutent sont en outre difficiles. Cependant, les RETEX sont aussi l'occasion de confirmer la position de la gendarmerie mobile avec à des postes d'expérience des personnes ayant acquis ces compétences.

J'en viens à l'interpellation en temps réel et à la judiciarisation, qui est une grande question, extrêmement importante et sensible. La judiciarisation nécessite l'interpellation, laquelle requiert des moyens. Quand vous sollicitez une interpellation, une équipée est projetée pour aller interpeller l'individu identifié. De fait, vous réduisez l'emprise au sol au niveau de vos positions. C'est un choix qui doit être fait par les autorités de commandement de la force publique et c'est un choix qui a des incidences.

Souvent, le choix est fait de ne pas interpeller immédiatement, car une tolérance s'exerce autour des différentes dégradations constatées – en fonction de leur gravité et des opérations menées. Néanmoins, il existe des solutions parallèles. De nouvelles technologies peuvent notamment aider à la judiciarisation a posteriori. J'évoquerai particulièrement les drones, moyens nouveaux que la gendarmerie a pu mettre en œuvre, entre autres, à Notre-Dame-des-Landes. Les drones permettent de suivre, de tracer, l'activité d'un groupe ou d'une personne. Il est possible également d'envisager le traçage par marquage chimique d'un individu.

Vous évoquiez les difficultés relatives à la chaîne pénale. La chaîne pénale est un moteur qui a besoin de carburant. Ce carburant, ce sont des éléments matériels probants, indiscutables, qui permettront d'amener un individu devant la justice et de faire en sorte qu'il soit condamné. L'objectif est de s'assurer que les moyens mis en œuvre dans le cadre de la judiciarisation sont efficaces, reconnus, et pensés pour la phase du procès pénal.

Permalien
Marc Rollang, porte-parole de l'Association professionnelle nationale militaire Gendarmes et citoyens

Il y a quelque temps de cela j'étais officier de renseignement. Nous travaillions en amont de l'infraction. Il m'avait été donné l'occasion, dans un hémicycle proche, mais différent, de rapporter l'élément suivant : le renseignement est la réduction de l'incertitude, contrairement au judiciaire où la preuve se doit d'être consolidée. Il faut amener des éléments probants, du carburant, pour que le moteur judiciaire puisse tourner.

La convergence des images – celles de la caméra piéton, celles du dispositif local assorti du système autonome de retransmission d'images pour la sécurisation d'événements (SARISE) des compagnies républicaines de sécurité (CRS), celles tirées des cellules image ordre public (CIOP) des escadrons mobiles, ainsi que celles issues de la cellule nationale observation exploitation de l'imagerie légale (CNOEIL) et de la vidéoprotection de la ville ou du quartier concerné – fait partie des éléments qui peuvent abonder dans le sens de la production de la preuve. Le témoignage humain présente une fragilité conséquente et régulière à la barre, à l'audience – que ce soit sous le régime de la flagrance, de la comparution immédiate, ou a posteriori.

L'image doit donc contribuer à produire, à consolider la preuve pénale pour que le juge puisse apprécier en son âme et conscience la gravité de l'implication de l'intéressé, son identification formelle et son rattachement à l'infraction dénoncée.

Je voudrais revenir sur l'usage du taser. Il existe effectivement des mesures restrictives liées à l'environnement de l'individu. On ne tase pas quelqu'un qui se trouve sur une balustrade ni quelqu'un qui est imbibé d'essence ou susceptible de se blesser gravement lors de la chute. Ce sont des limites opérationnelles que l'opérateur doit analyser en temps réel et qui constituent un frein à l'emploi de cet instrument.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Certains de vos collègues policiers ont évoqué la faible durée de vie des batteries des cameras. Êtes-vous confrontés au même problème ?

Permalien
David Ramos, vice-président de l'Association professionnelle nationale des militaires de la Gendarmerie du XXIe siècle « GENDXXI »

Cela a été le cas. Toutefois, du nouveau matériel a été testé récemment. Les retours sont plutôt positifs, et ils ne portent pas uniquement sur la gestion de la batterie. Se pose aussi la question du déclenchement. En effet, dans un environnement dégradé, marqué par les fumées lacrymogènes et le port du masque et des gants de sécurité, le déclenchement de la caméra pouvait s'avérer difficile avec l'ancienne génération de matériels. Or les retours que nous avons sur le nouveau matériel – dont je me garderai de vous donner les caractéristiques techniques, car je ne les ai pas en tête – sont extrêmement positifs concernant l'image, la capacité de la batterie, la facilité de mise en œuvre et la conscience que l'on a de son bon démarrage.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je me concentrerai pour ma part sur la singularité de la gendarmerie relativement à ses actions de maintien de l'ordre. Ma première question porte sur le statut militaire, qui n'est pas neutre pour les gendarmes départementaux – disponibilité constante, vie en caserne, etc. Ce statut a-t-il un impact sur vos missions en matière de maintien de l'ordre ? Je pense notamment à la culture de la planification et du RETEX.

J'ai eu l'occasion de voir de l'intérieur ce que pouvait vivre un gendarme mobile au Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie (CNEFG), à Saint-Astier. J'ai pu constater la très bonne qualité de cette infrastructure, dotée d'un village intégré où l'on peut effectuer des simulations, de parcours d'audace et de parcours de tir. L'hébergement y est en revanche un peu rustique. Comment jugez-vous cette infrastructure ? Des pistes de mutualisation avec les policiers sont-elles envisagées, ces derniers ayant souligné qu'ils ne disposaient pas de telles installations ?

Enfin, les conditions d'engagement sont particulièrement rustiques et rugueuses dans les outre-mer – tant compte tenu du climat et des conditions d'hébergement que du niveau de violence lié à l'usage courant des armes à feu. Depuis une vingtaine d'années, seuls les escadrons de gendarmerie mobile y sont déployés. Cela représente une part importante de votre capacité – il me semble qu'un tiers des capacités des escadrons y sont projetés. Souhaiteriez-vous attirer notre attention sur un point particulier concernant les opérations de maintien de l'ordre en outre-mer ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pouvez-vous nous dire ce que vous avez tiré des travaux de la commission d'enquête de 2015 et comment vous les avez perçus ? Cela peut en effet nous éclairer. Nous refaisons un peu le même type de travail, mais il ne s'agit pas de faire exactement la même chose car cela n'aurait pas grand sens. Je faisais partie de cette commission et avais trouvé ce travail très intéressant.

Pouvez-vous nous rappeler le parcours de formation d'un gendarme ? Nous savons qu'il existe plusieurs corps – gendarmerie mobile, gendarmerie territoriale, brigades motorisées (BMO), etc. – mais pourriez-vous nous rappeler quel est le parcours de formation initiale, puis professionnelle, d'un gendarme au cours de sa vie d'engagement ?

Permalien
Marc Rollang, porte-parole de l'Association professionnelle nationale militaire Gendarmes et citoyens

Je reviens sur la particularité de la gendarmerie et de son statut militaire. Il m'a été donné l'occasion il y a quelque temps de saluer l'intelligence, en l'espèce, de la Ve République et la chance qu'elle a d'avoir deux forces régaliennes de statut différent, complémentaires et toujours en adéquation. Ces forces disposent en effet de capacités intrinsèques différentes, mais complémentaires.

Le statut militaire est une richesse pour la République. Ce régime particulier permet de rappeler les principes absolus de la hiérarchie, de la rusticité, de l'aguerrissement des individus, de l'obéissance et de la discipline – cette discipline de l'action et de l'ouverture du feu qui s'applique dans les phases les plus dégradées que nous pouvons connaître en temps de crise, de paix ou de guerre. Le militaire de la gendarmerie agit en effet sur ces trois spectres : en temps de paix, en temps de crise ou en temps de guerre. C'est toute la militarité qui s'exprime sur ces trois thématiques.

Oui, c'est une richesse. C'est une manière d'aborder avec rigueur et déontologie la gestion d'une situation d'ordre public dégradée.

Saint-Astier est un centre d'excellence qui vise à former et à aguerrir les gendarmes mobiles, mais pas exclusivement. Nous y retrouvons en effet des policiers municipaux, des agents de la SNCF qui composent la surveillance générale (SUGE), nos formateurs et moniteurs en intervention professionnelle ainsi que nos instructeurs et experts. Ce centre d'excellence vise à consolider des acquis dans l'intervention professionnelle et dans la gestion du maintien de l'ordre en général, au moyen de mises en situation appuyées sur des capacités techniques et urbanistiques.

Son côté un peu rustique, ou vieillot, n'est pas gênant, car il entre parfaitement dans la thématique que nous recherchons. Nous ne sommes pas non plus à l'époque des hommes des cavernes ! Cependant, il peut être difficile pour quelqu'un qui est habitué à dormir dans un lit confortable d'aborder, par exemple, Mayotte, qui a connu 300 % d'augmentation de la délinquance en un an. C'est une poudrière ! Les gendarmes mobiles y font du maintien de l'ordre tous les jours. La situation est gravement dégradée. Le côté rustique et militaire que vous avez peut-être pu connaître au cours de votre service militaire s'exprime pleinement dans ces zones d'opération.

L'outre-mer est une prérogative de la gendarmerie mobile pour des raisons et du fait de choix politiques.

Permalien
David Ramos, vice-président de l'Association professionnelle nationale des militaires de la Gendarmerie du XXIe siècle « GENDXXI »

Les conclusions et les propositions de la commission d'enquête de 2015 allaient dans le bon sens. Certaines d'entre elles transparaissent dans le nouveau schéma national du maintien de l'ordre.

Il y a eu des difficultés avec les unités périphériques qui sont intervenues au cours des dernières manifestations des gilets jaunes alors qu'elles n'avaient pas d'équipement ou de formation particulière. Or une recommandation de 2015 portait justement sur l'habilitation de certaines unités hors « maintien de l'ordre » à pouvoir effectuer du maintien de l'ordre. Les problématiques ne sont donc pas nouvelles. Elles ont été examinées progressivement et cet examen a donné lieu à des propositions qui, cohérentes en 2015, le sont encore aujourd'hui. La différence essentielle porte sur l'urgence qu'il y a à agir et à réagir pour s'adapter.

Nous parlions plus haut de la nécessité de s'adapter aux nouvelles formes que prennent les manifestations, notamment à la mobilité accrue qui s'y exerce. Cela me permet de rebondir sur la culture du retour d'expérience, entretenue particulièrement à Saint-Astier. Il a fallu en effet identifier les nouveaux processus – tracé des manifestations devenu imprévisible, etc. – et trouver des axes de mobilité au niveau du commandement et des pelotons formés pour y répondre.

La commission de 2015 répondait donc déjà à des problématiques toujours d'actualité.

Permalien
Marc Rollang, porte-parole de l'Association professionnelle nationale militaire Gendarmes et citoyens

La formation initiale délivrée à l'école de sous-officiers de la gendarmerie nationale (ESOG) rassemble le volet militaire – par le biais de la formation PROTERRE –, la formation de la gendarmerie mobile et la formation de la gendarmerie territoriale – formation agent de police judiciaire (APJ). Une fois affecté en unité d'escadron, le gendarme mobile suit un cursus spécifique.

Hors période de covid-19 – où la durée des formations initiales a été raccourcie pour des raisons sanitaires –, la formation initiale d'un gendarme dure neuf mois en milieu scolaire et trois mois sous forme de stage – généralement sur la base de sa future affectation, en gendarmerie départementale ou en gendarmerie mobile. Ce stage implique une mise en situation concrète assortie d'une période d'observation et permet de valider le diplôme de gendarme monogalon sous contrat.

La gendarmerie mobile s'entraîne à Saint-Astier, lors d'un rendez-vous important de quinze jours fixé tous les deux ans. La formation est cependant complémentaire au niveau zonal voire au niveau départemental. Le gendarme se forme au secourisme, au tir avec toute arme, à la conduite des véhicules poids lourds, des véhicules de transport en commun et des super poids lourds pour le véhicule blindé à roues de la gendarmerie (VBRG), ainsi qu'à l'entretien des véhicules techniques. Telles sont les formations que l'on trouve de façon délocalisée. S'agissant du maintien de l'ordre, la connaissance de sa dotation individuelle et collective constitue un préalable indispensable. Cela se gère au niveau départemental, au niveau de l'escadron même.

La formation est donc plurielle, graduelle, et s'inscrit sur des compartiments de terrain permettant d'offrir pour l'instruction concernée un potentiel d'expression maximal.

Permalien
David Ramos, vice-président de l'Association professionnelle nationale des militaires de la Gendarmerie du XXIe siècle « GENDXXI »

Les officiers de gendarmerie passent deux semaines à Saint-Astier dans le cadre du tronc commun de leur formation. Un mois supplémentaire de spécialisation est ensuite prévu, destiné notamment à ceux qui seront appelés à servir en qualité de commandant dans un escadron de gendarmerie mobile.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La formation relative au statut d'officier de police judiciaire (OPJ) est-elle incluse dans la formation initiale de neuf mois dont vous avez parlé ?

Permalien
Marc Rollang, porte-parole de l'Association professionnelle nationale militaire Gendarmes et citoyens

Non.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez dit que la formation spécifique était plurielle et graduelle, mais elle court sur une période très limitée – neuf mois. S'agissant du maintien de l'ordre et particulièrement des techniques de corps à corps et d'engagement physique, quelle est sa nature et est-elle à la hauteur de ce qui est demandé aux gendarmes, sachant que vous êtes de plus en plus confrontés physiquement à des personnes pouvant avoir des comportements violents ?

Vous avez évoqué par ailleurs une amélioration des mises en œuvre effectives qui serait rendue possible en compartimentant le terrain. Cela fait écho à certains travaux sociologiques relatifs aux mouvements de foule et aux manifestations. Je trouve votre approche très intéressante. Il s'agirait de mettre des personnes sur le terrain, physiquement, facilement repérables pour les manifestants. Pourriez-vous préciser vos propos ?

Comment s'effectue le travail dans les zones mixtes police/gendarmerie ? Comment travaillez-vous ensemble ? Les deux forces régaliennes ont-elles les moyens de travailler en bonne intelligence, en co-intervention ?

Certains manifestants sont très jeunes, et n'ont parfois jamais manifesté de leur vie. Ils n'ont peut-être pas une connaissance suffisante de leurs droits et de ce qu'ils ont le droit de faire et de ne pas faire. Selon vous, l'information relative à la légalité des manifestations est-elle suffisante à l'égard du grand public ?

Permalien
David Ramos, vice-président de l'Association professionnelle nationale des militaires de la Gendarmerie du XXIe siècle « GENDXXI »

Je réponds tout d'abord à votre question relative à la nature de la formation consacrée à l'intervention professionnelle et aux techniques de corps à corps – maîtrise sans arme ou avec arme de l'adversaire. Des moniteurs d'intervention professionnelle sont chargés d'effectuer ce type de formation. Ils sont présents en formation initiale dans les écoles de gendarmerie, mais également, pour la gendarmerie départementale, dans les pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG), ainsi que dans les escadrons. Ils sont chargés de la formation continue de l'ensemble de ces effectifs.

La formation à l'intervention professionnelle est adaptée, tant sur le fond que sur la forme. Ce qui est inadapté, c'est, encore et toujours, le temps alloué à ce type de mission. Si l'on veut vraiment que les personnels maîtrisent un geste, il faut impérativement qu'il y ait du drill. En gendarmerie mobile, comme je l'ai indiqué, les temps de formation ont tendance à se raccourcir. En gendarmerie départementale, il est extrêmement difficile de les sacraliser. Il y a là des marges de progression importantes, pour que l'on arrive à dégager des heures « gendarmes » allouées à la formation, à l'exercice et à l'entraînement.

Comment se passe le travail en commun police/gendarmerie lors des opérations de maintien de l'ordre ? Un commandement commun coordonne les opérations. Les ordres sont donnés aux différents chefs de groupe, qui organisent et adaptent les opérations en conséquence. C'est donc l'échelon supérieur qui est chargé de coordonner. Quand les effectifs ont des ordres clairs, et que les compétences de chacun sont respectées, le travail s'effectue en très bonne intelligence.

J'en viens ensuite à la formation des manifestants et à l'information relative à la légalité des manifestations. Il faut prendre en compte un élément très important sur ce point : le vecteur. Nous ne pouvons pas ignorer que les vecteurs d'information ont changé. Avant, il y avait le journal télévisé, voire, pour les générations précédentes, le journal papier. L'information passe désormais, avant tout, par les réseaux sociaux. Le schéma national comporte des dispositions intéressantes concernant l'information des manifestants, qui s'inspirent visiblement des techniques de désescalade pratiquées en Allemagne. Ces techniques impliquent des personnes clairement identifiées – porteuses d'un uniforme et balisées comme étant des sources d'information – qui peuvent s'adresser directement aux manifestants.

Il paraît également important de faire des rappels sur les réseaux sociaux, concernant à la fois la légalité et l'évolution des opérations. Le schéma national comporte donc des dispositions très modernes, qui pourront, je l'espère, proposer des choses intéressantes à l'épreuve des manifestations à venir.

Néanmoins, ce sujet a attiré notre attention. Nous revenons ici sur de vieux chevaux de bataille. Les effectifs sont déjà en tension pour avoir une emprise au sol suffisante. Or, si de nouvelles missions sont abordées et si l'on envisage notamment de déployer des personnels formés à la communication pour aller au-devant des manifestants et échanger avec eux afin de constituer un continuum d'information tout au long de la manifestation, cela signifie que ces personnels ne seront pas dans les rangs, ils ne seront pas en train de tenir le terrain. C'est pour nous un sujet de préoccupation.

Permalien
Marc Rollang, porte-parole de l'Association professionnelle nationale militaire Gendarmes et citoyens

En gendarmerie mobile, on mesure la puissance de la formation non à l'échelle de l'individu mais à l'échelle du groupe, au minimum. C'est la puissance de l'unité déclinée en « groupe », « peloton » ou « escadron » qui sert d'unité comptable. Il ne s'agit pas d'additionner des compétences individuelles, mais de mettre en œuvre une compétence et une capacité de manœuvre collectives, une capacité d'action et de réaction afin d'appréhender la pression de l'adversaire dans les schémas les plus dégradés et d'y apporter la réponse la plus adaptée. L'échelon d'appréciation n'est donc pas l'opérateur, le gendarme, entité individuelle. On mesure la qualité de l'action au moins au niveau du peloton, idéalement au niveau de l'escadron ou de la compagnie.

J'en viens à la question de la compartimentation. Même s'il ne se présente pas de problème majeur et si la gendarmerie mobile est privilégiée en zone gendarmerie et la CRS en zone police nationale (ZPN), il ne me semble pas inopportun de vous rappeler que, sur la plaque parisienne, au moins 70 % de l'activité de maintien de l'ordre est assurée par la gendarmerie mobile – pour la garde des institutions, par exemple, comme le Sénat ou l'Assemblée nationale.

L'idée de la compartimentation consiste à identifier la force capable de manœuvrer et surtout à augmenter la lisibilité et la facilité de communication par des moyens radioélectriques. La police nationale travaille sur des fréquences à 400 mégahertz, quand la gendarmerie travaille sur des fréquences à 80 mégahertz. Pour résumer, le 400 mégahertz est un sprinter, qui va très vite sur de petites distances, quand la gendarmerie s'installe sur de longues distances et est capable, comme un marathonien, de résilience dans la durée. L'idéal est d'additionner les deux. Cependant, sur le terrain, additionner des systèmes de radio et des strates hiérarchiques différents complexifie les opérations comme la tâche du décideur. Mettre en place, sur un compartiment de terrain donné – quartier, zone, rue, place – une unité ou un profil régalien identique simplifierait à la fois l'action opérative et l'action stratégique.

Enfin, vous parliez de l'information du jeune public manifestant. Je me souviens – et je le dis avec beaucoup de malice – d'avoir vu récemment circuler des fascicules distribués à la sortie du métro décrivant la réaction que devait avoir le manifestant face aux forces de l'ordre – en cas d'arrestation, comment se passe une garde à vue, etc. Or ce document avait été co-produit et co-écrit par le Syndicat de la magistrature. C'était le guide du bon manifestant : celui qui se fait interpeller, appréhender, celui qui encourt des charges pénales, etc. Le manifestant, aussi jeune et aussi peu aguerri soit-il, est à mon sens largement au courant des sanctions pénales qu'il encourt en cas de désordre de sa part. Je ne suis pas du tout inquiet sur ce point.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les schémas actuels de maintien de l'ordre s'appuient sur les spécificités des forces – spécificités techniques, de manœuvre, de formation, etc. –, lesquelles doivent être coordonnées en fonction de celles-ci. Ne pourrait-on inverser les choses ? En cas de problème, un maintien de l'ordre serait mis en place, et en fonction de cela l'ensemble des formations concernées – police, gendarmerie, préfecture de police, etc. – utiliserait alors les mêmes moyens, les mêmes vecteurs radio, les mêmes véhicules, et les mêmes méthodes. Ne pourrions-nous, logiquement, fonctionner ainsi plutôt que de tordre les choses à chaque fois en fonction de ce qu'ont les uns et les autres, sachant qu'ils ont évolué de manière différente, avec peu d'échanges entre eux ?

La problématique de la formation a été soulevée par les syndicats de police. De nombreuses personnes sont formées à Saint-Astier. Or on compte visiblement peu de policiers parmi elles. De même, il y a peu de gendarmes dans les endroits où les policiers sont formés, ce qui est assez dommageable. Ne pourrait-on travailler différemment, de manière plus cohérente, plutôt que de s'orienter systématiquement en fonction des forces dont on dispose ?

Vous parliez de la garde des institutions par la gendarmerie nationale. D'autres gardes sont assurées par la police nationale. Pourrions-nous dans l'avenir faire garder ces institutions par des services privés de sécurité ? Pour mémoire, je rappelle que la direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) est gardée par des services privés de sécurité armés.

Enfin, le taser est visiblement plus et mieux utilisé en gendarmerie que dans la police nationale, la gendarmerie disposant en la matière d'une certaine antériorité. N'est-ce pas le taser qui vous permet de ne pas utiliser la technique d'étranglement ? Ne s'agit-il pas d'une manière d'interpeller d'avenir qu'il faudrait généraliser – en prenant, bien sûr, toutes les précautions que vous avez mentionnées, et à l'aune d'un protocole d'utilisation répondant à la dangerosité de l'arme ?

Permalien
Marc Rollang, porte-parole de l'Association professionnelle nationale militaire Gendarmes et citoyens

La réponse que je vais apporter au nom de l'association Gendarmes et citoyens a bien sûr, au-delà de l'aspect technique, des résonnances hautement politiques. Vous évoquiez l'idée d'un rapprochement entre les formations. C'est un débat qui a déjà eu lieu il y a longtemps, mais qui n'a pas eu de résonnance particulière.

Si l'on peut penser que le cœur de métier est le même, les modes d'action des différentes formations ne sont pas du tout identiques et leurs zones d'expression varient. Le gendarme a un statut militaire. Il est capable de travailler sur un continuum paix-crise-guerre. J'ai le souvenir d'escadrons déplacés en Afghanistan, en Irak ou dans des pays situés en bordure de la mer Adriatique. L'armée de terre avait un temps donné la mission compliquée et sensible de conserver a minima un degré d'engagement inférieur à l'usage des armes. Or la gendarmerie s'est adaptée à ce processus, car elle était capable par sa militarité et sa réversibilité de passer d'une situation de crise à une situation de guerre et inversement. C'est sa formation militaire, ses gènes militaires – aguerrissement, endurance, militarité, discipline, obéissance au chef, gestion de l'ouverture du feu, capacité de résilience, chaîne hiérarchique, chaîne sanitaire, chaîne opérationnelle – qui ont contribué à garantir à la fois la sécurité des populations et celle de nos camarades gendarmes déployés à l'étranger.

À l'instar des motocyclistes en matière de sécurité routière, nous avons des compétences communes. Pourtant, il y a des cas particuliers qui nécessitent, le jour j, d'être traités par le bon service – en zone police, la police nationale, et en zone gendarmerie, la gendarmerie nationale – si l'on ne veut pas se heurter à d'importantes difficultés. J'ai toujours peur de ces idées de rapprochement. Elles partent toujours d'un bon sentiment associant un esprit d'économie des moyens à la concentration des forces et à la liberté d'action – ce qui est complètement audible. Cependant, mon expérience de 32 ans de « boutique » me fait penser que, si nominalement nous sommes différents, c'est qu'il existe dans l'exercice et le cœur de la mission suffisamment d'éléments et d'arguments qui montrent que nous sommes différents, car nous avons parfois des missions différentes nécessitant des engagements et des matériels différents.

Vous évoquiez la surveillance par des services de sécurité privée, autrement dit le continuum que l'on retrouve entre sécurité privée et sécurité publique. Il s'agit d'un sujet de discussion considérable, d'actualité. La porte est ouverte. Il y a un important travail d'analyse et de proposition à mener, mais cela est tout à fait audible. Cette idée a déjà été évoquée à de nombreuses reprises. On trouve désormais des gens armés pour garantir la sécurité des biens voire des personnes. La première génération de ce profil de gens armés, souvent constituée d'anciens policiers, d'anciens militaires et d'anciens gendarmes, est relativement récente.

L'on peut donc, pour des missions particulières, dont la sensibilité est clairement mesurée et la capacité de résistance et de résilience évaluée, envisager une réflexion sur le continuum de partage de l'espace entre sécurité publique et sécurité privée – dans le but de dégager de la masse salariale et de l'opérationnel. L'association n'y est pas du tout hostile.

Le taser reste un moyen de force intermédiaire avec ses fragilités. Tout miser sur un seul et unique vecteur reste dangereux. C'est un outil. Le gendarme, comme le policier, dispose d'une boîte à outils – bombe lacrymogène, bâton télescopique, taser, etc. Mais il s'agit d'un outil comme un autre, avec ses performances et ses fragilités. C'est confortable pour interpeller quelqu'un à distance par le tir des ardillons. Lorsque l'on est à bras-le-corps pour choquer en mode « contact », il y a du confort car il y a de la sécurité, pour la personne et pour nous. Cependant, le chef de la colonne ne peut écarter le risque d'incident matériel, la résistance physique de l'intéressé et sa protection « balistique » – l'épaisseur des vêtements – ou encore le risque de tir raté. Ainsi, si un ardillon part dans le mur alors qu'un autre perfore le blouson et arrive à atteindre les chairs, la connexion électrique n'est pas faite, et cela aboutit à un échec.

Permalien
David Ramos, vice-président de l'Association professionnelle nationale des militaires de la Gendarmerie du XXIe siècle « GENDXXI »

Je reviens sur la notion de mutualisation, notamment au niveau de la formation. Le centre national de formation est le fruit d'une longue expérience, développée dans le cadre de contraintes particulières – statutaires ou environnementales. Ce centre forme également de nombreux militaires issus de la Force de gendarmerie européenne (FGE). Il ne forme pas forcément des policiers issus d'autres pays, même si certains y sont passés, mais il forme la FGE de manière régulière. Il existe en effet des similarités au niveau des contraintes de statut, d'environnement de travail, etc., dans lesquelles ce centre d'excellence s'est précisément développé.

Il peut effectivement être très bienvenu que les policiers fassent des passages au centre national, notamment parce que la gendarmerie et la police sont amenées régulièrement à travailler sur la plaque parisienne. Or des synergies, cela se travaille. C'est du drill. Il faut se connaître, apprendre à manœuvrer ensemble. Un travail peut être fait sur ce point.

Cependant, en définitive, quelqu'un qui fait du maintien de l'ordre, qui fait comme un gendarme mobile et qui a la formation d'un gendarme mobile, cela s'appelle un gendarme mobile.

Concernant la garde des institutions, je rejoins le capitaine. Les tâches indues – en dehors de quelques éléments spécifiques – doivent avoir vocation à être retirées des charges de la gendarmerie nationale et de la police nationale également. Il existe des marges de dégagement « d'heures gendarmes » qui pourraient être utilement réinvesties, par exemple, dans la formation.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci à nos intervenants pour leurs propos de très bonne qualité qui nous ont beaucoup appris.

Comment les sommations pourraient-elles évoluer pour gagner en clarté ?

J'ai compris par ailleurs qu'il n'était pas souhaitable selon vous de mélanger des unités différentes.

Comment voyez-vous les nouveaux équipements, notamment les nouvelles grenades à main ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les sommations font l'objet d'une étude dans le nouveau schéma national, à des fins de simplification me semble-t-il.

Permalien
Marc Rollang, porte-parole de l'Association professionnelle nationale militaire Gendarmes et citoyens

Les sommations sont un élément majeur pour signaler aux personnes présentes le caractère délictuel de leur présence sur place, et permettre éventuellement une réponse appropriée de la force publique. C'est un vaste débat, effectivement en cours. C'est peut-être le moment de réfléchir à une nouvelle mouture des sommations, comportant des mots, des phrases, des verbes, audibles pour le plus grand nombre en quantité comme en qualité – en multipliant les supports audio. En effet, je ne suis pas persuadé que, dans une manifestation importante rassemblant plusieurs milliers de personnes, la personne située au bout du cortège comprenne ce qui a été dit au premier rang.

Cela est donc en cours de réflexion. Obéissance à la loi, oui ; autorisation à faire usage de la force, oui – mais quelle force ? Quand ? Comment ? Quelqu'un qui est dans une démarche naïve ne comprendra rien. Dans le doute, on envoie même une fusée rouge dans le ciel pour consolider la dernière sommation, mais personne ne comprend ce que c'est : s'agit-il d'un feu d'artifice, d'un lacrymogène ? Le naïf découvre la vie, et la personne située au dernier rang, qui vient d'arriver sur les lieux, ne sait même pas ce qu'il se passe alors que cela fait une heure que les choses durent. Il y a donc effectivement une grande réflexion à avoir là-dessus.

Je suis très confiant. Pour avoir discuté avec quelques grands chefs notamment chargés du maintien de l'ordre, de premières pistes se dégagent sur le phrasé – un phrasé audible, intelligible, compréhensible par le plus grand nombre et qui ne souffre pas de contestation ou d'analyse. C'est extrêmement bienvenu pour l'annonce sommative à présenter à la population manifestante.

Tous les moyens mis à disposition des forces de l'ordre ont une seule et même vocation : la capacité défensive. Il n'y a pas de moyen offensif. Que ce soit la grenade jetée à la main, ou propulsée par un lanceur, la vague de refoulement, ou encore l'emploi du bâton de protection ou du dispositif manuel de protection (DMP) – qui disperse de petits galets en plastique avec un effet sonore majeur –, ces moyens ont une vocation défensive. Ils visent à garantir à la fois la manœuvre de la troupe et sa sécurité.

Je crois savoir que les premiers escadrons ont été dotés très récemment des nouveaux moyens, au plus tard hier. Tout ceci est en cours d'appréhension.

Permalien
David Ramos, vice-président de l'Association professionnelle nationale des militaires de la Gendarmerie du XXIe siècle « GENDXXI »

Les sommations ont été reformulées dans l'objectif de clarifier le propos. La phrase « vous devez vous disperser et quitter les lieux » a notamment été ajoutée. Auparavant, nous disions « dispersez-vous », « première sommation, usage de la force », puis « deuxième sommation, usage de la force ». Les termes « quitter les lieux » figurent désormais expressément dans les sommations.

Les sommations sont appuyées en outre par des moyens sonores, par des panneaux lumineux et par l'envoi de SMS géolocalisés sur une zone donnée, pour que l'information soit diffusée le plus largement possible sur l'ensemble du secteur couvert par la manifestation.

Comme nous l'avons dit, le schéma national tel qu'il est présenté dans les documents de travail qui nous ont été fournis nous paraît contenir des éléments très intéressants, notamment concernant l'information.

Nous n'avons pas eu de retour concernant les caractéristiques factuelles, et non techniques, de la nouvelle grenade à main. D'après le fournisseur, cette grenade présente un risque de blessure amoindri – il y avait eu notamment des retours concernant des blessures aux membres inférieurs subies par des personnes situées à proximité – et un effet dissuasif maintenu. Les retours confirmeront éventuellement l'efficacité de cette nouvelle génération.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Elle a été utilisée sur la dernière manifestation.

Permalien
Marc Rollang, porte-parole de l'Association professionnelle nationale militaire Gendarmes et citoyens

Nous n'avons pas encore eu de retour.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je tiens à vous remercier de vous être déplacés. Au nom de Mme la rapporteure et de toute la commission, je tiens à signaler que nous avons débuté nos auditions par l'audition des forces de l'ordre car il nous semblait important d'avoir votre avis et votre vécu avant d'en recueillir d'autres.

Au nom de la commission toute entière et de tous les députés, je voudrais que vous remerciiez nos amis gendarmes pour leur action au service de la République et des citoyens tout au long de l'année, sur toutes les missions qui leur incombent. Nous avons de la chance d'avoir deux corps ainsi constitués qui œuvrent à cette belle entreprise.

Merci et à très bientôt.

La séance est levée à 18 heures 15.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Michel Fauvergue, M. Thomas Gassilloud, M. Didier Le Gac, Mme Constance Le Grip, M. Nicolas Meizonnet, M. Philippe Michel-Kleisbauer, Mme George Pau-Langevin, M. François Pupponi, Mme Cécile Rilhac, M. Aurélien Taché, M. Jean-Louis Thiériot

Excusés. - Mme Valérie Bazin-Malgras, Mme Alice Thourot