Intervention de Didier Lallement

Réunion du mercredi 30 septembre 2020 à 17h40
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Didier Lallement, préfet de police :

En ce qui concerne les sujets d'ordre public, ce sont l'ensemble des préfets qui en ont la responsabilité sur le territoire national : je n'ai à cet égard aucune spécificité. La seule spécificité de ma fonction est mon autorité directe sur l'ensemble des services de police. Les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie nationales, que vous avez entendus précédemment, sont des autorités organiques : ils fixent la doctrine et sont chargés du recrutement, de la formation et de la fourniture aux préfets des forces de renfort.

Quelques mots sur le volume d'activité actuel de la préfecture de police en matière d'ordre public. En 2019, il y a eu 7 000 événements de voie publique à Paris et dans les départements périphériques – car le préfet de police que je suis n'est pas préfet de police de Paris, comme je l'entends souvent dire, mais de l'agglomération, même si l'essentiel des manifestations ont lieu à Paris intra-muros –, soit 19 par jour en moyenne, dont 5 600 « maintien de l'ordre » – dans notre jargon, cela veut dire manifestation –, 810 « service d'ordre » – par exemple un match de football, un grand événement culturel – et 490 voyages officiels, que nous faisons également entrer dans cette catégorie parce qu'ils nécessitent une mobilisation assez importante de fonctionnaires et de militaires et qu'ils peuvent susciter des manifestations.

Chaque jour, en moyenne, plus de 28 000 personnes participent à des événements ainsi encadrés par la préfecture de police à Paris. Cela a représenté 10,5 millions de participants en 2019, à comparer aux 5,3 millions qu'ils étaient en 2008. De ces chiffres, on peut au moins tirer un enseignement objectif : en onze ans, le nombre de manifestants à Paris a doublé, ce qui prouve que la liberté d'expression est toujours aussi dynamique dans notre pays et ne régresse pas du tout, contrairement à ce que j'entends dire.

En onze ans, l'augmentation du nombre d'événements a été particulièrement marquée. Un tiers des manifestations dans l'année concerne des protestations ou des contestations relatives à des pays étrangers ; en ce moment, il y en a chaque week-end qui concernent l'Arménie, l'Azerbaïdjan, la Côte d'Ivoire… La France est vraiment le pays des droits de l'homme : il accueille tous ceux qui s'estiment persécutés dans le leur et peuvent librement manifester dans le nôtre. Il faut s'en réjouir. C'est la seconde réponse que j'adresse à ceux qui pensent parfois vivre ici en dictature.

L'an dernier, 75 manifestations seulement ont fait l'objet d'une mesure d'interdiction, soit 1 % des événements : c'est une proportion très faible. Ces quelques interdictions sont quelquefois très médiatisées, et le bruit des médias peut donner l'impression que l'interdiction est une règle de droit commun, alors qu'il s'agit vraiment d'une exception.

En 2019, 236 policiers et gendarmes ont été blessés dans des événements de maintien de l'ordre, et 2 444 personnes ont été interpellées à l'occasion de ces manifestations.

Un mot sur le système propre à la préfecture de police. J'entends souvent parler des CRS, des gendarmes mobiles... En fait, la préfecture de police dispose de forces d'ordre public, les compagnies d'intervention, qui ne sont pas comparables aux compagnies d'intervention de province, dépendant de la sécurité publique, mais qui relèvent de la direction de l'ordre public et de la circulation, la DOPC ; elles sont l'équivalent des CRS par leur formation et leur mode d'organisation. Ce système spécifique gère 75 % des manifestations parisiennes. Dans les autres cas, des renforts viennent des CRS et des escadrons de gendarmerie mobile, mais la préfecture de police possède bien sa structure propre, composée de sept compagnies.

J'en terminerai par ce que j'ai entrepris depuis mon arrivée. Le schéma national du maintien de l'ordre, le SNMO, reprend d'ailleurs plusieurs des idées que nous avons dernièrement mises en œuvre en matière d'ordre public. Le SNMO procède à un ajustement de doctrine : à possibilités d'emploi égales, il se distancie vis-à-vis de la proximité maximale avec les manifestants lorsqu'il existe un risque de débordement, de sorte que les contestations les plus radicales évitent de se former. Cela a déjà été dit, je crois, devant votre commission : il est particulièrement important d'empêcher des regroupements où l'on procède à des destructions. Ce que nous faisons à Paris vise essentiellement à cela.

Il faut le faire sur le fondement du renseignement, même si, dans notre pays de liberté, on ne surveille pas une organisation sans raison juridique préétablie. Le renseignement en la matière est donc très limité : il vise surtout des individus très susceptibles de violence radicale. Nous ne surveillons pas d'organisations – je le dis au cas où certains le penseraient. Nous nous renseignons pour tenter de détecter des signaux faibles de ce qui peut se produire et de l'anticiper.

On nous demande souvent pourquoi nous n'empêchons pas les black blocs de venir. Tout simplement parce que nous ne le pouvons pas ! Dans ce pays de liberté, nous n'intervenons que si des délits ou des infractions sont commis. Il n'y a pas d'interventions ou d'arrestations préalables. Cela existe dans certains films de science-fiction ou dans l'imagination débridée de certaines personnes, mais dans la réalité juridique française, ce n'est pas possible et cela ne se fait pas.

Un autre phénomène à signaler : il existe de plus en plus de manifestations inopinées, c'est-à-dire non déclarées ; en 2019, il y en a eu 353 sans organisateurs identifiés. Cette caractéristique est permise par le développement des réseaux sociaux : des appels sont lancés, et des gens viennent. Il est alors impossible de trouver des organisateurs, et notre vieux système juridique fondé sur le délit d'attroupement trouve là l'une de ses limites. Les gens qui viennent ne sont pas les organisateurs, même s'il y en a vraisemblablement certains parmi eux, mais que l'on ne peut identifier.

Le SNMO nous donne plusieurs éléments beaucoup plus structurants. Les éléments de doctrine sont ainsi clarifiés. Je note toutefois que la doctrine, avant ma nomination, avait été précisée dès le mois de décembre 2018 par le précédent ministre de l'Intérieur et son secrétaire d'État, MM. Castaner et Nuñez, réaffirmée quelques jours avant ma nomination – de mémoire, le 19 mars 2019 – par le précédent Premier ministre, et confirmée dans le discours d'installation prononcé par M. Castaner lors de ma nomination. Ces éléments m'avaient donc été donnés ; ils figurent d'ailleurs dans une feuille de route que la presse a eu la gentillesse de publier… Le SNMO les consolide en leur donnant une actualité nouvelle et en permettant de les mettre en œuvre dans l'ensemble du territoire.

Je suis prêt à répondre à l'ensemble de vos questions.

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