Merci à tous pour votre invitation.
J'irai dans le même sens que mes collègues et camarades, et permettez-moi tout d'abord de souligner que, pour la CGT, les organisations syndicales ne font rien d'autre que manifester. Elles ne sont en aucun cas présentes pour veiller au maintien de l'ordre et à la protection des biens ou des personnes, qui doivent être assurés par la police ou toute représentation de l'État. Et il serait bon que chaque acteur reste dans son rôle. Nous sommes tous d'accord sur ce point : chacun selon son rôle !
Donc, pour répondre à l'une des questions que vous posiez en introduction comme piste de réflexion, je rappelle que nous organisons des rassemblements ou des manifestations. Même si la manifestation est notre sujet aujourd'hui, le rassemblement est aussi une question importante, car les rassemblements se multiplient. Ils peuvent être spontanés, en réaction à un événement, et nos syndicats y participent dans des moments difficiles et graves, mais il n'empêche que leur organisation doit être mise en œuvre et partagée.
Nos militantes et militants veillent simplement à l'organisation d'une manifestation au préalable, sa mise en place, son cheminement entre les points de départ et d'arrivée, et la fin de la manifestation, afin que chacun puisse rentrer chez lui dans de bonnes conditions. Tout cela est encadré puisque le parcours est déposé. De plus, comme le disait Jean-Marc Cicuto, il fait l'objet d'une discussion préalable entre les syndicats organisateurs de la manifestation. Chacun part déposer un parcours en préfecture, qui est validé.
Ce parcours n'est donc pas imposé, il donne donc lieu à une discussion, à un premier échange car il est fonction de l'actualité, des travaux et de ce qui se passe dans la municipalité dans laquelle nous allons défiler. Puis, à partir de là, que ce soit en intersyndicale ou pas, notre rôle est de permettre à ceux qui nous rejoignent et participent à la manifestation de cheminer en toute liberté et sécurité, tout au long du parcours.
Plusieurs points nous posent problème car, effectivement, la situation s'est dégradée ces dernières années, plus précisément à partir des manifestations contre la « loi travail », et ce, pour différentes raisons.
D'une part, la fréquence des manifestations a été très soutenue puisque, de mémoire, ce sujet a donné lieu à seize manifestations en 2016, multipliant le nombre de rendez-vous, donc le risque que les choses se passent mal parce qu'elles étaient organisées très rapidement. Pour notre part, nous avons fait le maximum et nous avons tous consenti, à l'époque, à discuter intelligemment en amont.
D'autre part, pour répondre à votre question, ce qui manque est non pas tant le contact que l'on peut avoir à ce moment-là, que le fait d'entretenir un échange permanent, y compris pendant la manifestation. Il ne s'agit pas d'être les auxiliaires les uns des autres : une manifestation est un objet vivant et, selon les endroits par lesquels elle va cheminer, il arrive, depuis deux ou trois ans, qu'une autre population vienne s'associer aux manifestants habituels.
Ces personnes se positionnent souvent en amont de ce que nous appelons le « carré de tête », où sont rassemblés les représentants des organisations et, bien évidemment, les journalistes pour le point presse, qui va attirer du monde. Elles cheminent non seulement en amont de la manifestation, mais également derrière, ce qui pose un problème de tension. Je ne parle même pas du schéma national du maintien de l'ordre. Comme le disait Céline Verzeletti, ce sont des questions que nous avons exposées à maintes reprises. Nous avons même été reçus par le Défenseur des droits sur la question de l'utilisation du LBD. Il a rendu un rapport sur l'utilisation des moyens accordés au maintien de l'ordre. Nous avions répondu à ses questions sur la sensation d'encagement que vous évoquiez, la sensation d'être « nassés », que la manifestation est mise sous cloche, tout à la fois par des éléments perturbateurs et par une disposition des forces de l'ordre très particulière.
Je prendrai deux secondes pour expliquer cela. Premièrement, nous arrivons à identifier la représentation des forces de l'ordre – celles-ci portent un uniforme que nous identifions et, assez souvent, sont positionnées en amont – qui nous flanc-gardent, pour utiliser le mot qui me semble le plus juste puisqu'elles se positionnent sur les côtés de la manifestation et encadrent le carré de tête, qui est susceptible d'attirer les violences. Elles peuvent aussi être sur le parcours, identifiées par leur uniforme ou identifiables comme étant des forces de l'ordre. Mais, parfois, elles apparaissent aux yeux des manifestants comme un groupe constitué, étrange et anxiogène parce que l'on ne comprend pas qui elles sont mais on voit bien qu'elles sont organisées.
La question qui se pose est celle des consignes données en temps réel. Nous sommes trop souvent confrontés à une suractivité. Un mouvement se produit qui n'est pas forcément grave dans une manifestation, celle-ci peut s'arrêter brutalement puis redémarrer, un espace se crée et des véhicules en profitent pour passer. Une continuité dans l'échange permettrait de savoir qu'en tournant place de la Bastille, un décrochage a eu lieu, que la population est entrée dans la manifestation ou que des voitures sont passées. Or, nous n'avons pas le temps d'en discuter avant. Souvent, nos services d'ordre ou d'organisation assurent le virage par une chaîne humaine. Cela peut poser des problèmes parce qu'ils ne sont pas gardiens de l'ordre et n'ont pas le même effet qu'une personne en uniforme sur un citoyen parfois excédé, dans son véhicule.
Peut-être faudrait-il choisir de réfléchir au positionnement. Nous ne donnons pas de leçons, simplement des idées.
La difficulté tient à la multiplicité de la représentation de l'encadrement par les forces de l'ordre et au manque d'échanges pendant la manifestation. L'avant, nous le maîtrisons. L'après fait rarement l'objet d'un bilan partagé, ni sur les chiffres, bien évidemment, ni sur l'appréciation que l'on en a.
Vous demandiez des exemples, je citerai celui de deux 1er mai. Lors du 1er mai 2019, nous avons connu, avant même que la manifestation ne soit lancée, un moment de violence incroyable. Malgré mon grand âge, je n'ai jamais connu une violence aussi soudaine et d'une telle puissance. Elle a éclaté sur le carré de tête, qui a été disloqué avant même de se mettre en place. Il s'agissait d'attaques physiques...