Intervention de Michel Tubiana

Réunion du mercredi 7 octobre 2020 à 17h30
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme :

Je vous remercie pour cet accueil que nous regardons presque comme un privilège. À l'inverse, la concertation avec le ministère de l'Intérieur a été totalement réduite, contrairement à ce qu'a dit M. Nuñez : il s'est agi en effet d'une simple audition.

Censée porter sur les observations judiciaires, une réunion a finalement été consacrée au schéma du maintien de l'ordre et s'est tenue brièvement place Beauvau, comme s'il fallait s'en débarrasser pour pouvoir dire qu'une concertation avec les organisations non gouvernementales (ONG) avait eu lieu.

Merci, donc, d'avoir pensé à nous auditionner.

En 1904, la Ligue des droits de l'Homme se félicitait du fait que le préfet de police de Paris ait fait afficher dans les commissariats qu'il n'était pas utile de continuer à battre un homme une fois qu'il avait été arrêté. L'histoire du rapport entre la police et la population est donc ancienne et ne peut être réduite ni à des moments ni à des slogans.

Est-il besoin de le dire ? Nous sommes très attachés à l'existence d'une police républicaine. La police est une nécessité en soi, non un mal nécessaire. Nous sommes extraordinairement préoccupés au sein de la Ligue par la dégradation des rapports entre celle-ci et la population, qui se manifeste au travers de plusieurs items.

Le discours que Bernard Deleplace, que je m'enorgueillis de citer car il a été brièvement membre de la direction de la Ligue, avait tenu au moment de la mort de Malik Oussekine serait impossible et inaudible aujourd'hui, y compris à l'intérieur des syndicats de police. Il est vrai qu'à l'époque la Fédération autonome des syndicats de police (FASP) était l'organisation dominante.

Nous constatons donc une dégradation de ces rapports : je vous renvoie, car il l'illustre bien, à un rapport rédigé il y a près de vingt ans par la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) alors présidée par Pierre Truche, ancien procureur général.

Pour la Ligue, deux items sont extrêmement importants, à commencer par le droit de manifester dont l'exercice soulève – nous le constatons avec Amnesty International – de nombreuses difficultés qui s'accompagnent d'une méconnaissance des droits des journalistes et des associations.

Des observations de manifestations menées par la Ligue ont ainsi eu pour conséquences des poursuites et des coups portés contre les observateurs. La question du droit de manifester dans son ensemble – qui n'est ni simple ni réductible à la question de l'action des forces de l'ordre – est donc essentielle.

À ce titre, nous contestons formellement le schéma national du maintien de l'ordre.

Le Conseil d'État statuera d'ailleurs le 15 octobre, à la requête conjointe de la Ligue et du Syndicat national des journalistes (SNJ), sur un référé suspension concernant notamment la situation des journalistes : nous considérons en effet leurs droits largement bafoués par le fait qu'ils sont censés se disperser avec les manifestants.

Le deuxième item important pour la Ligue est lié, me semble-t-il, à cette perte de confiance. Je ne pensais pas, au cours de ma vie de juriste, voir la Cour de cassation confirmer une décision d'une cour d'appel disant qu'une partie de l'appareil d'État en France exerce des discriminations systémiques.

Pour éviter tout débat, nous ne parlons pas de racisme d'État : ce n'est pas le propos. Cependant, quand la Cour de cassation sanctionne des contrôles d'identité abusifs sur une base systémique, nous sommes amenés à constater que la question des rapports entre la population et les forces de l'ordre est manifestement posée.

L'évolution de ces rapports, oscillant entre « police, je vous aime » et « police, je vous déteste » – jusqu'à l'excès dans la détestation – illustre bien l'attitude ambivalente des uns et des autres.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.