Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Réunion du mercredi 7 octobre 2020 à 17h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 17 heures 40.

Présidence de M. Jean-Michel Fauvergue, président.

La Commission d'enquête entend en audition commune M. Michel Tubiana, président d'humeur de la Ligue des droits de l'Homme, et Mme Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer à Amnesty International France.

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Mes chers collègues, nous recevons M. Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme, et Mme Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer à Amnesty International France.

Vos deux organisations ont régulièrement – et encore très récemment s'agissant d'Amnesty International – critiqué certaines pratiques de maintien de l'ordre. Nous sommes précisément ici pour en parler.

L'audition est ouverte à la presse et retransmise sur le site de l'Assemblée nationale.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires imposant aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(M. Michel Tubiana et Mme Anne-Sophie Simpere prêtent successivement serment.)

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Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme

Je vous remercie pour cet accueil que nous regardons presque comme un privilège. À l'inverse, la concertation avec le ministère de l'Intérieur a été totalement réduite, contrairement à ce qu'a dit M. Nuñez : il s'est agi en effet d'une simple audition.

Censée porter sur les observations judiciaires, une réunion a finalement été consacrée au schéma du maintien de l'ordre et s'est tenue brièvement place Beauvau, comme s'il fallait s'en débarrasser pour pouvoir dire qu'une concertation avec les organisations non gouvernementales (ONG) avait eu lieu.

Merci, donc, d'avoir pensé à nous auditionner.

En 1904, la Ligue des droits de l'Homme se félicitait du fait que le préfet de police de Paris ait fait afficher dans les commissariats qu'il n'était pas utile de continuer à battre un homme une fois qu'il avait été arrêté. L'histoire du rapport entre la police et la population est donc ancienne et ne peut être réduite ni à des moments ni à des slogans.

Est-il besoin de le dire ? Nous sommes très attachés à l'existence d'une police républicaine. La police est une nécessité en soi, non un mal nécessaire. Nous sommes extraordinairement préoccupés au sein de la Ligue par la dégradation des rapports entre celle-ci et la population, qui se manifeste au travers de plusieurs items.

Le discours que Bernard Deleplace, que je m'enorgueillis de citer car il a été brièvement membre de la direction de la Ligue, avait tenu au moment de la mort de Malik Oussekine serait impossible et inaudible aujourd'hui, y compris à l'intérieur des syndicats de police. Il est vrai qu'à l'époque la Fédération autonome des syndicats de police (FASP) était l'organisation dominante.

Nous constatons donc une dégradation de ces rapports : je vous renvoie, car il l'illustre bien, à un rapport rédigé il y a près de vingt ans par la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) alors présidée par Pierre Truche, ancien procureur général.

Pour la Ligue, deux items sont extrêmement importants, à commencer par le droit de manifester dont l'exercice soulève – nous le constatons avec Amnesty International – de nombreuses difficultés qui s'accompagnent d'une méconnaissance des droits des journalistes et des associations.

Des observations de manifestations menées par la Ligue ont ainsi eu pour conséquences des poursuites et des coups portés contre les observateurs. La question du droit de manifester dans son ensemble – qui n'est ni simple ni réductible à la question de l'action des forces de l'ordre – est donc essentielle.

À ce titre, nous contestons formellement le schéma national du maintien de l'ordre.

Le Conseil d'État statuera d'ailleurs le 15 octobre, à la requête conjointe de la Ligue et du Syndicat national des journalistes (SNJ), sur un référé suspension concernant notamment la situation des journalistes : nous considérons en effet leurs droits largement bafoués par le fait qu'ils sont censés se disperser avec les manifestants.

Le deuxième item important pour la Ligue est lié, me semble-t-il, à cette perte de confiance. Je ne pensais pas, au cours de ma vie de juriste, voir la Cour de cassation confirmer une décision d'une cour d'appel disant qu'une partie de l'appareil d'État en France exerce des discriminations systémiques.

Pour éviter tout débat, nous ne parlons pas de racisme d'État : ce n'est pas le propos. Cependant, quand la Cour de cassation sanctionne des contrôles d'identité abusifs sur une base systémique, nous sommes amenés à constater que la question des rapports entre la population et les forces de l'ordre est manifestement posée.

L'évolution de ces rapports, oscillant entre « police, je vous aime » et « police, je vous déteste » – jusqu'à l'excès dans la détestation – illustre bien l'attitude ambivalente des uns et des autres.

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Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer à Amnesty International France

Je vous remercie également de recevoir Amnesty International, qui travaille sur les questions de police et de droits humains, dans tous les pays et depuis de nombreuses années.

Nous conduisons notamment aux Pays-Bas un programme sur la police et les droits humains qui veille à ce que les agents chargés de l'application des lois respectent les obligations relatives aux droits humains fixées par le droit international.

Toutes les recommandations que nous formulons valent pour tous les pays, en France et ailleurs. La France ne fait pas exception : elle a en effet signé des engagements internationaux qui protègent le droit à la liberté de réunion pacifique, la liberté d'expression, mais également le droit à la vie et la protection contre les traitements inhumains et dégradants.

Or un usage excessif non nécessaire de la force par les forces de l'ordre peut s'apparenter à un traitement inhumain ou dégradant et, dans les pires des cas, priver des personnes du droit à la vie.

Nous dressons le même constat que la Ligue des droits de l'Homme sur deux éléments principaux, et tout d'abord sur les entraves au droit de manifester, sur lesquelles nous avons beaucoup travaillé récemment.

Protégé par les conventions internationales de protection des droits humains, ce droit implique que tous les cortèges soient protégés, y compris les cortèges non déclarés. Les forces de l'ordre ont en outre un devoir de facilitation des manifestations.

Ce n'est pas parce que l'on doit gérer une manifestation dans le respect du droit international qu'il faut recourir à la force : le recours à celle-ci ne doit intervenir qu'en dernier ressort, lorsque cela est strictement nécessaire, et il doit être proportionné.

Le bilan français n'est pas bon en la matière. Trop souvent, les violences ou les dégradations commises par une minorité conduisent – nous l'avons constaté à de nombreuses reprises – à priver du droit de manifester un très grand nombre de manifestants pacifiques.

Je ne reviendrai pas sur les chiffres, mais ce bilan fait tout de même état de milliers de manifestants et de policiers blessés dans le cadre du maintien de l'ordre au cours de l'hiver 2018-2019.

S'il n'existe pas de chiffres officiels, on dispose en revanche de nombreux bilans indépendants : nous manquons en effet d'information et de transparence sur l'évaluation du maintien de l'ordre en France.

Ce bilan n'est, donc, pas bon, puisque plus d'une trentaine de personnes ont tout de même perdu un œil ou une main dans les manifestations en France ces derniers mois, même si le nombre de personnes mutilées se réduit.

S'il baisse un peu, on constate que l'usage illégal de la force est en train de s'ancrer dans les pratiques : il peut par exemple prendre la forme d'un usage excessif de gaz lacrymogène contre une manifestation majoritairement pacifique, comme nous l'avons vécu il y a un an lors de la marche pour le climat.

Pour quelques dégradations, que nous n'avons d'ailleurs pas vues, des milliers de manifestants pacifiques – y compris un cortège d'Amnesty – ont alors dû reculer face aux gaz lacrymogènes.

Se pose également le problème des nasses, qui se systématisent et dans lesquelles des observateurs des droits humains sont bloqués, comme des manifestants pacifiques ainsi empêchés de défiler.

Ces pratiques sont en train de s'ancrer. De manière un peu anecdotique, régulièrement, quand mes collègues étrangers recherchent des exemples de mauvais usage de la force ou de certaines armes à létalité réduite, ils nous contactent, car la France est désormais identifiée comme un pays qui ne respecte pas le droit international, ce qui est assez problématique.

La France n'est pas la seule à être confrontée à ces situations : d'autres pays ont fait face à des émeutes et ont parfois fait un usage illégal de la force. On peut en sortir, mais il faut reconnaître le problème et trouver des solutions pour remettre la France en conformité avec le droit international.

Nous nourrissons à l'égard de la reconnaissance de ce problème certaines inquiétudes. Je ne reviendrai pas sur le manque de concertation portant sur le schéma national du maintien de l'ordre, ni sur le fait que nos recommandations sur l'abandon de certaines armes et sur la protection des journalistes et des défenseurs des droits humains aient été complètement mises de côté.

Si certaines améliorations ont certes été apportées en matière de communication, ce schéma ne s'inscrit cependant pas dans une approche de désescalade : il se focalise en effet encore sur certaines armes, sur certaines techniques d'usage de la force ainsi que sur des objectifs d'interpellation qui ont mené à des dérives dénoncées par Amnesty dans son récent rapport.

Il faut donc reconnaître le problème, et, pour cela, entendre toutes les parties prenantes, y compris celles qui n'ont plus confiance en la police : les victimes, les manifestants et leurs avocats. Il est très important, dans ce travail sur les rapports entre la police et la population, d'entendre tous les points de vue afin de publier un rapport crédible qui puisse se targuer d'une certaine indépendance et d'une certaine impartialité.

Il faudrait également fixer des objectifs visant à éviter le recours à la force qui soient liés au respect des droits humains par la France. Nous avons à ce sujet publié de nombreuses recommandations en matière de désescalade et de dialogue qui ne sont pas encore sérieusement prises en compte.

Un tel objectif implique de mettre en œuvre des moyens et des ressources, y compris en matière de formation des forces de l'ordre à ces techniques. Les experts des Nations unies recommandent d'ailleurs qu'elles reçoivent des formations adéquates en négociation et en gestion des conflits, ce qui s'applique à tous les pays, y compris à la France.

Cet objectif de désescalade et d'évitement du recours à la force devrait s'accompagner d'une forme de comptage et de transparence : nous ne disposons en effet pas de chiffres officiels s'agissant des blessés.

Il n'existe pas vraiment non plus de transparence s'agissant de l'usage des armes, de son contexte, des enquêtes conduites en cas d'allégation d'usage illégal de la force et de leurs suites. Nous savons que ces enquêtes aboutissent rarement et que, lorsque c'est le cas, les sanctions sont faibles, ce qui conduit également à une forme de défiance entre la police et la population : des recommandations devraient donc être formulées afin que les objectifs fixés fassent l'objet d'un véritable suivi.

Une commission d'enquête a travaillé sur le même sujet en 2015. Si nous n'aurions pas soutenu l'intégralité des recommandations qui avaient été faites à l'époque, certaines étaient intéressantes. Or cinq ans après, une grande partie d'entre elles n'a pas été suivie d'effet : des mesures allant en sens inverse ont même parfois été prises. Il serait intéressant que le Parlement joue pleinement son rôle de contrôle, formule des propositions et évalue leur application par le Gouvernement.

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Merci, Monsieur Tubiana, d'avoir fait référence à M. Deleplace et à la FASP. Nous savons de quelle manière cela s'est terminé : mal, pour l'un comme pour l'autre. Ce n'était pourtant pas une heure de gloire pour la police nationale non plus, il ne faut pas exagérer !

Madame Simpere, vous dites que les enquêtes judiciaires aboutissent rarement, affirmation nette, franche, sans doute documentée : pourriez-vous nous dire sur quoi elle repose ? Il s'agit en effet d'une affirmation importante et qui vous engage.

Ces enquêtes sont menées par l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) pour la police nationale et par l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) pour la gendarmerie nationale, et toujours sous le contrôle d'un magistrat. Avez-vous en tête une autre manière de faire, comme le système d'enquête interne de la police et de la gendarmerie du Royaume-Uni qui été présenté comme plus indépendant ?

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Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer à Amnesty International France

Je pourrais vous retourner la question et vous demander ce qui nous permettrait d'affirmer que les enquêtes aboutissent.

J'ai évoqué le problème de la transparence, puisque nous disposons d'assez peu d'informations sur le nombre de plaintes déposées et la manière dont elles aboutissent. Nous nous y sommes heurtés récemment en demandant des informations à l'IGPN sur…

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Vous pourriez me retourner la question, mais c'est vous qui êtes invitée pour nous répondre !

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Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer à Amnesty International France

Tout à fait. Je retourne la question pour souligner le manque de transparence qui prévaut sur ce point : il serait intéressant qu'il y ait une communication beaucoup plus claire à ce sujet. Récemment, nous nous y sommes heurtés en demandant des informations sur les suites des plaintes déposées par des personnes s'estimant victimes de violences policières dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes.

Nous n'avons pas réussi à obtenir de chiffres au-delà des enquêtes clôturées par l'IGPN ni, ensuite, d'informations sur les suites judiciaires : il y a là, clairement, une perte d'information.

Le dernier rapport d'Amnesty International sur cette problématique date un peu – la Ligue des droits de l'Homme aura probablement davantage de données récentes. Nous avions suivi cinq cas de personnes décédées aux mains de la police : nous avons recensé quatre non-lieux – qui de mémoire ont abouti à trois condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) – et à une condamnation à une peine de sursis.

S'il ne s'agit évidemment que d'un échantillon, il montre que, dans les cas les plus graves, il est très compliqué pour les victimes de violences policières d'obtenir justice. Les procédures sont excessivement longues et demandent énormément de ressources : de ce fait, beaucoup abandonnent.

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Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme

Vous connaissez comme moi l'adage : « La femme de César doit être insoupçonnable ». À Strasbourg, au Conseil de l'Europe, il se traduit par la maxime selon laquelle la justice ne doit pas être simplement indépendante, elle doit donner l'apparence de l'indépendance en plus d'être, dans sa représentation, indépendante. Vous ne convaincrez jamais les gens, même s'ils ont tort, que le processus judiciaire est indépendant lorsque des policiers ou des gendarmes enquêtent sur leurs homologues.

Le système anglais est à considérer, moyennant toutes les adaptations possibles, car nous sommes français et ils sont anglais, et que par conséquent les situations psychologiques varient et le rapport aux communautés n'est pas le même. Il s'agit néanmoins d'un élément à prendre en considération, que je ne comprends pas qu'on écarte d'un revers de main depuis des décennies, tous gouvernements confondus, car une telle attitude participe des mauvais rapports entre la population et la police, à partir du moment où l'entre-soi prime – dans l'apparence, du moins.

Votre question est révélatrice : le législateur, les ONG, comme le Gouvernement sont dans l'ignorance des chiffres exacts dans ce domaine.

Il se trouve que la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH), dans laquelle je siège au nom de la Ligue des droits de l'Homme, travaille également sur les rapports entre la police et la population. Nous avons auditionné le parquet de Paris. Une chose m'a frappé : lorsqu'il s'agit de comportements « ripoux » de policiers, c'est-à-dire de corruption, nous avons l'impression que l'IGPN fait son boulot. En revanche, dès lors qu'il s'agit de comportements des forces de l'ordre dans l'exercice de leurs fonctions, nous avons quelques doutes sur ce point.

Un exemple : le parquet de Paris a convenu au cours de son audition qu'il y avait un problème lorsque nous avons souligné que nous n'avions pas connaissance de plus de deux exemples de violences policières accompagnées de la circonstance aggravante de racisme. Or dans le lot de ces mêmes violences, il ne s'agit pas d'une chose extraordinaire, et je ne dis pas que la police est raciste. Or en la matière, nous n'avons rien, aucun élément !

J'ai vu avec bonheur – enfin, si je puis dire, on n'est jamais heureux que quelqu'un soit sanctionné – que le ministre de l'Intérieur avait tiré les conséquences de l'affaire du groupe WhatsApp. Cependant, pour le reste, nous ne disposons d'aucun chiffre : or ce n'est pas sain en démocratie.

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Selon vous, même si les enquêtes sont menées, et bien menées, sous l'autorité de magistrats indépendants, l'entre-soi, c'est-à-dire le fait qu'elles soient instruites par des policiers, pose problème ? Vaudrait-il mieux qu'un service indépendant les conduise ?

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Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme

Dans mon esprit, l'entre-soi ne concerne pas simplement la police, mais aussi les magistrats. Qui est le bras armé des magistrats pour exécuter leurs décisions ou enquêter ? La police ! Or le parquet, qui est directement et quotidiennement lié, y compris la nuit, avec la police, est censé poursuivre les policiers. Cet entre-soi ne concerne donc pas seulement les forces de l'ordre, mais aussi l'institution judiciaire : c'est pour cette raison que le système anglais mériterait à mon sens des adaptations, car leur système judiciaire est complètement différent du nôtre.

Nous viendrons probablement plus loin à la question des observateurs dans les manifestations. À Montpellier, une des observatrices de la Ligue des droits de l'Homme, dûment identifiée, est devenue la tête de Turc des forces de l'ordre locales et a fait l'objet de deux poursuites. La première s'est terminée par une relaxe. Le procureur, qui n'était pas à l'origine de la décision de poursuite, a déclaré qu'il aurait été tout compte fait possible de ne pas poursuivre – sous-entendu, après avoir vu le dossier autrement que sous le seul angle de ce qui avait été rapporté par les policiers. Dans le second cas, qui s'est également terminé par une relaxe, des réquisitions de relaxe ont été prononcées de la même manière sur une partie des faits, ce qui montre que les décisions du parquet ont été prises uniquement sur la base des dires des policiers.

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Il nous faut en effet parvenir à rétablir un lien de confiance entre les forces de sécurité, dont nous avons absolument besoin dans notre démocratie, et une partie de la population qui, à tort ou à raison, pense n'être pas traitée comme il le faudrait.

J'ai interrogé le préfet de police lors de son audition le 30 septembre et il m'a répondu qu'il n'y avait aucun problème. Or un rapport du Sénat de 2018 fait état d'un véritable malaise au sein des forces de sécurité, qui se manifeste notamment par un taux de suicide élevé.

Parmi les motivations relevées dans ce rapport figure un sentiment d'incompréhension et de divorce avec la population. Le Sénat signalait déjà que cette situation était niée par la hiérarchie qui ne prenait pas en compte les témoignages des hommes du rang.

Un travail comme celui que nous menons pour interroger ce malaise et formuler des préconisations pour y répondre est dans l'intérêt de la démocratie, de la population et des forces de sécurité elles-mêmes qui souffrent d'être mal appréciées par la population.

Avez-vous établi un bilan des dernières lois ou des derniers décrets visant à renforcer et à garantir le maintien de l'ordre public dans les manifestations ? À la suite des attentats, une série de lois sur la sécurité a essayé de rendre plus difficile la situation des délinquants qui se mêlent aux manifestants : a-t-elle été efficace ?

Par ailleurs, le rapport d'Amnesty énumère un certain nombre d'infractions retenues contre les manifestants. Pourquoi certaines d'entre elles vous semblent-elles problématiques ? Avez-vous d'autres exemples que celui du harcèlement d'observateurs cité à l'instant ?

Le rapport d'Amnesty considère que le délit de participation à un groupement en vue de la préparation de violences est une formulation vague qui permet de mettre des manifestants de côté ou de les placer en garde à vue. Comment pourrions-nous selon vous modifier la rédaction des articles en question pour éviter certains abus ?

Le délit d'attroupement n'est plus retenu par les parquets – ce qui est regretté par les syndicats de police – car il serait assimilé à un délit politique. Est-ce exact ?

Enfin, plusieurs restrictions au droit de manifester, à propos desquelles nous avons à nous interroger aux termes des textes internationaux, sont intervenues pendant l'état d'urgence sanitaire. Qu'en pensez-vous ?

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Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer à Amnesty International France

Pour Amnesty International, le modèle anglais contient des éléments intéressants sur le plan du contrôle de la police. Il en va de même du modèle irlandais, qui comporte notamment un Ombudsman médiateur. La Suède dispose également d'un système de contrôle de la police plus indépendant que ce que l'on constate en France : il y a donc des exemples à étudier à l'étranger.

Nous avons effectivement publié récemment un important rapport sur l'utilisation du droit dans le cadre des manifestations, dans lequel nous pointons du doigt plusieurs délits qui sont soit en contradiction avec le droit international, soit définis de manière tellement vague qu'ils sont utilisés arbitrairement.

Dans la première catégorie figure le délit, trop général, de dissimulation du visage. S'il n'a plus aucun sens dans le contexte du Covid-19, en dehors de ce dernier on peut avoir des raisons tout à fait légitimes de dissimuler son visage. Au regard du droit international, il aurait fallu qu'il soit défini de manière plus étroite, puisque seule l'interdiction de se dissimuler le visage en vue de commettre des violences sans être reconnu aurait été acceptable.

Nous avons également mentionné dans le rapport la pénalisation de l'organisation d'une manifestation non déclarée. Or en droit international, les rassemblements spontanés et les manifestations non déclarées bénéficient également d'une protection. Si l'on peut évidemment demander aux participants de notifier les manifestations afin de faciliter leur organisation, il faut également trouver des moyens de les gérer sans en aucun cas poursuivre leurs organisateurs, d'autant que de nombreux témoignages montrent que des personnes ont été désignées comme organisatrices pour avoir simplement partagé des publications sur les réseaux sociaux, c'est-à-dire sur la base d'éléments de preuve assez faibles.

S'agissant du délit d'attroupement, le simple risque de trouble à l'ordre public justifie la qualification d'attroupement puis la dispersion d'une manifestation. Or la non-déclaration d'une manifestation est considérée comme favorisant un tel risque. Les manifestations non déclarées ont été dispersées quasi systématiquement et n'ont donc pas bénéficié de la protection que leur offre normalement le droit international.

S'il ne s'agit pas de dire qu'il ne faut jamais utiliser la force, il ne faut l'utiliser qu'en cas de violences généralisées ne pouvant être contenues autrement : la dispersion ne doit en effet intervenir qu'en dernier recours. Or elle a été utilisée de manière beaucoup trop systématique en France.

Concernant le délit de groupement en vue de la préparation de violences, nous avons reçu de nombreux témoignages de personnes placées en garde à vue et, bien souvent, non poursuivies – hormis quelques cas – parce qu'elles étaient en possession de matériel de protection contre les gaz lacrymogènes. Compte tenu de l'usage assez disproportionné qui est fait de ces gaz dans les manifestations en France, on comprend que les manifestants, comme les journalistes et les observateurs, éprouvent le besoin de se protéger. Pour nous, de tels éléments ne sont pas suffisants pour qualifier l'intention de préparer des violences. Il faut donc donner des instructions sur la manière d'utiliser ce délit.

Nous avons également relevé des cas d'utilisation du délit d'outrage, parfois pour de simples slogans : ainsi pendant le confinement, une banderole « non au Macronavirus » a conduit une jeune femme en garde à vue à Toulouse. Un syndicaliste a également été condamné pour outrage en réunion pour un slogan crié par un cortège lors d'une manifestation.

Nous dénonçons ce phénomène dans tous les pays, comme toutes les organisations de défense des droits humains. Un rapport du Comité des droits de l'homme sur le Bélarus critiquait ainsi sa législation en ce qu'elle interdit les pancartes et les banderoles contenant des propos insultants et portant atteinte à la dignité des représentants de l'État. Si ce n'est certes pas agréable, cela ne devrait pas être pénalisé car cela relève de la liberté d'expression tant qu'il n'y a pas d'appel à la haine, à la discrimination, à la violence ou à l'hostilité.

De nombreuses lois ont été adoptées avec l'objectif annoncé d'arrêter les manifestants violents. Nous nous sommes donc interrogés sur l'identité des personnes arrêtées, placées en garde à vue et poursuivies sur la base de cette législation. Or des milliers d'entre elles n'avaient pas commis de violences ! Il paraît donc essentiel de revenir sur cette législation, de constater qu'elle ne fonctionne pas, qu'elle est soit contraire au droit international, soit trop large, et qu'elle constitue une entrave au droit de manifester pacifiquement de milliers de personnes.

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Vos organisations ont demandé l'interdiction du lanceur de balles de défense (LBD) et des grenades de désencerclement. Le nouveau schéma propose de nouvelles grenades : cette solution convient-elle ?

Quelles garanties permettraient une utilisation du LBD dans le cadre du maintien de l'ordre ? Les caméras mobiles sont-elles par ailleurs de nature à apaiser les tensions et à favoriser un meilleur encadrement des manifestations ?

Le ministre de l'Intérieur souhaite interdire la diffusion de vidéos de policiers quand leur visage n'est pas flouté. Que pensez-vous de cette suggestion ? Il a enfin beaucoup été question du plaquage ventral : avez-vous une opinion à son sujet ? Peut-on se passer de cette technique ?

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Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme

La logique à l'œuvre dans toutes les hypothèses que vous avez citées fait primer non la protection des personnes, mais celle des forces de l'ordre et leur activité.

Je ne comprends toujours pas le rôle du LBD dans une manifestation puisqu'il s'agit d'une arme individuelle permettant de tirer sur un individu à des distances relativement courtes. Cette arme avait pourtant été présentée – on l'appelait alors le flash-ball – comme une arme non létale utilisée dans un rapport individuel, et non collectif, de violence.

Concernant les grenades, nous ne pratiquerons pas la politique du pire : c'est une bonne chose si elles sont moins violentes. Elles risquent néanmoins toujours d'entraîner des blessures totalement disproportionnées par rapport aux faits reprochés et peuvent viser des gens qui ne sont pas concernés. Nous verrons à l'usage.

Les techniques de plaquage ventral sont, pour certaines d'entre elles, interdites et prohibées.

Par ailleurs, que je sache, le ministère de l'Intérieur ne floute pas les visages des manifestants lorsqu'il diffuse des images de manifestation.

Le recours aux caméras serait extrêmement positif. Il serait intéressant à ce propos d'établir une typologie des oublis, des pannes et des indisponibilités de caméras qui surviennent dans les procédures concernant l'intervention des forces de l'ordre. Nous serions extraordinairement surpris du nombre de cas relevés.

J'observe – et je m'en félicite ! – que le ministre de l'Intérieur a rappelé dans le schéma l'obligation de porter le référentiel des identités et de l'organisation (RIO). M. Castaner, comme son prédécesseur, l'avait fait avant lui : or l'on voit encore des policiers qui ne le portent pas.

Certains d'entre eux sont en outre cagoulés, alors que le ministère souligne bien dans le schéma qu'il n'est pas question qu'ils le soient. Je pense que la démocratie se vit à visage découvert.

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Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer à Amnesty International France

Nous demandons l'interdiction des grenades de désencerclement en raison de leur caractère indiscriminé et disproportionné, puisqu'elles peuvent crever un œil : elles contiennent en effet des plots qui partent dans tous les sens, sans contrôle. Des manifestants ont ainsi perdu un œil en recevant un plot alors qu'ils n'étaient pas visés initialement par le tir. Par principe, on ne peut donc pas viser avec de telles grenades.

Les objectifs opérationnels de la grenade modulaire deux effets lacrymogène (GM2L), grenade lacrymogène à effet assourdissant, sont par ailleurs contradictoires. Une grenade lacrymogène est faite pour disperser, une grenade assourdissante pour désorienter. On ne peut pas désorienter des personnes à qui l'on demande de se disperser : nous considérons donc que leur utilisation en maintien de l'ordre n'est pas légitime. Les polices européennes se passent d'ailleurs de telles grenades de désencerclement : nous ne comprenons pas bien pourquoi la police française devrait continuer à les utiliser.

Nous n'étions pas opposés aux LBD dans la perspective où ils pouvaient se substituer à des armes plus dangereuses, notamment aux armes à feu : or ils ont en réalité conduit à élever le niveau de violence. Compte tenu de la gravité et du nombre de blessures constatées, nous demandons leur suspension.

Si le plaquage ventral pourrait être, en soi, acceptable, il faut le replacer dans le contexte du recours à la force : il s'agit d'une technique potentiellement létale, qui ne peut donc être utilisée qu'en cas de menace grave et imminente sur la vie d'une autre personne. Or nous constatons – et nous l'avons documenté à partir de plusieurs contrôles liés au confinement – que le plaquage ventral est utilisé pendant un très long laps de temps sur des individus déjà maîtrisés. Dans de nombreux cas, cela aboutit à leur décès. L'usage de ce plaquage pose donc problème en France : nous demandons donc également sa suspension. L'usage de la force doit être strictement nécessaire et proportionné. Une force potentiellement létale ne peut donc être utilisée qu'en cas de menace imminente et grave sur l'intégrité physique d'une autre personne : or ce n'est pas dans ce contexte qu'il est utilisé.

Nous considérons par ailleurs que la non-diffusion d'images non floutées n'est ni nécessaire ni proportionnée. Si nous comprenons tout à fait que des policiers se sentent menacés – c'est lié au déficit de confiance dont nous parlions –, rien ne démontre cependant que des policiers seraient spécialement menacés pour avoir été identifiés sur une vidéo. Le problème est bien plus large. Cela n'est donc pas vraiment nécessaire, et ce n'est pas proportionné puisque cela entraverait la possibilité de documenter les pratiques de la police. Or c'est ce travail de documentation qui a permis de mettre en lumière un certain nombre de violations des droits humains. Cette disposition serait donc non nécessaire et non proportionnée : nous nous y opposerions.

Enfin, toutes les questions que vous avez posées se rapportent à l'usage de la force, mais le travail des forces de l'ordre n'est pas uniquement de l'utiliser. Que leur fait-on faire autrement ? Mieux appuyer leur rôle de protection et de respect des droits humains de tous aiderait probablement à améliorer les rapports entre la police et la population.

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Si je suis, Madame Simpere, impressionné par vos connaissances encyclopédiques sur tout, en particulier sur les armes, les méthodes, ce qu'il faut faire, ce qu'il ne faut pas faire, elles vont en général toujours dans le même sens.

Je note au fur et à mesure de vos propos des choses qui n'existent pas ou qui sont fausses.

Monsieur Tubiana, vous comparez un manifestant avec un policier qui demande à être flouté. S'il est clair qu'actuellement, dans les reportages, personne n'est flouté, si les policiers et les gendarmes demandent à l'être, c'est en raison d'un précédent terroriste et de menaces qu'ils reçoivent de la part de manifestants envers eux-mêmes et leurs familles. C'est pourquoi il ne faut pas écarter de telles demandes d'un revers de main.

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Je ne peux qu'être touché par les principes – que nous avons en commun puisque j'ai prêté le même serment et porté jadis la même robe que Michel Tubiana – évoqués dans vos témoignages. Vous tenez à la notion de proportionnalité dans les moyens appliqués.

Madame Simpere, vous êtes apparemment hostile à l'obligation de déclarer une manifestation et vous avez évoqué des textes internationaux selon lesquels une manifestation non déclarée et une manifestation déclarée doivent être protégées de manière similaire. Toutefois, si une manifestation n'est pas déclarée, comment l'organisateur des forces de l'ordre peut-il anticiper son parcours et mobiliser les moyens nécessaires pour éviter éventuellement que cela ne dégénère ? C'est un vrai problème, à moins de faire du renseignement de façon extrêmement poussée, ce qui porterait atteinte à d'autres libertés individuelles.

Vous parlez régulièrement d'usage disproportionné de la force concernant l'interpellation et la neutralisation des fauteurs de troubles. Que proposez-vous pour qu'on les interpelle efficacement ?

Enfin, vous avez dit que les plaquages ventraux avaient causé des morts et donné des chiffres extrêmement importants. N'y aurait-il pas confusion entre le plaquage ventral et la technique de l'étouffement ? Il existe en effet deux méthodes distinctes : le fait de mettre une personne à terre, et le fait d'appliquer des pressions, notamment sur le cou, susceptibles d'avoir de très graves conséquences.

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Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer à Amnesty International France

Nous ne sommes pas hostiles à la déclaration des manifestations, dont nous comprenons tout à fait l'intérêt, notamment s'agissant de leur préparation. Toutefois, si une manifestation spontanée a lieu, certains textes internationaux la protègent. Je n'y peux rien, c'est le droit international !

Comment la police peut-elle s'organiser ? Les forces de l'ordre parvenant à retrouver les manifestations spontanées pour les disperser, nous espérons qu'elles arriveront à les retrouver pour les encadrer. Souvent d'ailleurs, les cortèges spontanés partent de manifestations en cours.

Comment interpeller efficacement les fauteurs de troubles ? Nous ne sommes pas là pour donner des conseils opérationnels. Nous avons cependant noté que les personnes interpellées n'étaient pas des fauteurs de troubles et soulevons donc la question de l'efficacité et de l'application de certaines lois. Notre rapport ne porte pas sur les personnes qui ont commis des violences, mais sur toutes celles qui n'en ont pas commis.

Je n'ai pas donné de nombre de décès dus au plaquage ventral. Un rapport assez ancien d'Amnesty International porte sur ce sujet, mais il traite de plusieurs techniques : plaquage ventral, techniques de pliage et clés d'étranglement. Je ne connaissais pas le terme de « technique d'étouffement ».

Je suis désolée par ailleurs d'avoir l'air de savoir de quoi je parle, mais j'imagine qu'autrement vous ne m'auriez pas invitée.

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Il y a des tas de gens qui connaissent des tas de choses sur des tas de sujets à l'Assemblée nationale et en dehors, cela ne vous aura pas échappé.

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Posez donc votre question, Monsieur Bernalicis, au lieu de faire des commentaires sur le commentaire du commentaire.

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Je commenterai autant que je le voudrais, Monsieur le président.

Le nouveau schéma national du maintien de l'ordre prévoit de doter les tireurs de LBD de superviseurs. Ma première réaction a été positive, car je me suis dit qu'ainsi ces tireurs arrêteraient de tirer n'importe quand et n'importe comment. Une distinction très nette s'observe d'ailleurs sur ce point entre la police et la gendarmerie, justement en raison de la présence, non constante mais prévue dans la doctrine, de superviseurs chez les gendarmes. Cependant, cette évolution ne revient-elle pas à valider l'usage offensif du LBD en manifestation, alors qu'il est censé, selon la doctrine, être uniquement défensif et utilisé pour maintenir l'ordre, lorsqu'il est employé au cours de manifestations ? Quelle est votre analyse sur ce point ?

Lorsque des enquêtes sur la police sont menées par la police avec le parquet, cela peut effectivement poser problème. Quelles sont vos propositions concernant le rôle de l'autorité judiciaire en cas d'enquête sur la police ? Faudrait-il une information judiciaire automatique ?

Cela soulève également des questions de proportionnalité des poursuites judiciaires dont les manifestants peuvent faire l'objet et de traitement de la manifestation. Le schéma national porte une grande attention sur ce point et exprime notamment une volonté de judiciariser un maximum de choses : s'agit-il selon vous d'une entrave à la liberté de manifester ? Peut-on l'interpréter de la sorte ?

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Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme

Le principe même de l'usage du LBD en maintien de l'ordre paraît incongru. S'il y a un superviseur de plus, pourquoi pas ? Cependant, des superviseurs existent déjà au sein des compagnies républicaines de sécurité (CRS) et de la gendarmerie.

Cela pose d'ailleurs indirectement un autre problème : quand il ne s'agit pas de ces deux corps, qui s'ils ne sont pas exempts de critiques ont tout de même reçu un minimum de formation, nous avons affaire à du tout-venant. Il ne faut pas prendre cette remarque de manière dévalorisante : à l'intérieur de la police, il s'agit de gens non formés. Or si l'on ajoute un superviseur non formé à des gens non formés, cela fait deux fois zéro, c'est-à-dire zéro ! Le risque reste par ailleurs le même.

J'en viens aux enquêtes sur la police : si l'organe d'enquête pouvait agir selon sa propre initiative, entreprendre ses propres démarches et être indépendant de manière institutionnelle des forces de l'ordre, il se trouverait dans la position d'un tiers. Un exemple ? Le traitement que le parquet réserve à aux procès-verbaux dressés par l'inspection du travail : cela ne donne pas grand-chose. Il n'empêche que cela nous donne l'occasion de dire qu'il existait, sur tel sujet, un tel procès-verbal.

Avant de se poser la question, tout à fait d'actualité, de l'indépendance du parquet, traitons au moins celle-ci.

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Monsieur Tubiana, je vous remercie car vous avez eu, au nom de la Ligue des droits de l'Homme, des paroles importantes. Dans le cadre de cette commission d'enquête, qui vise à rétablir la confiance, il me semble bon de le souligner.

Vous avez notamment dit que la police n'était pas raciste et qu'il n'y avait pas de racisme d'État. Or la perte de confiance tient parfois à certaines généralités que l'on peut faire sur les uns et les autres.

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En tant qu'observateurs, êtes-vous en mesure d'opérer des distinctions entre les interventions, les comportements et les résultats des forces de l'ordre au cours de manifestations selon qu'elles soient ou non spécialisées dans le maintien de l'ordre, qu'il s'agisse donc de la police, des CRS, de la gendarmerie mobile, ou d'autres corps ?

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Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer à Amnesty International France

Nous n'avons pas mené de recherche spécifique sur ce sujet. Cependant, les données disponibles relatives au nombre de plaintes ou au nombre de tirs laissent à penser qu'il y aurait beaucoup plus de retenue chez les forces spécialisées que chez celles qui ne le sont pas.

Le rapport de la commission d'enquête de 2015 recommandait d'ailleurs de confier le maintien de l'ordre à des forces spécialisées ou spécialement formées : cela fait partie des recommandations qui n'ont pas vraiment été suivies d'effet.

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Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme

Je ne parlerai jamais de racisme d'État dans ce pays.

Je ne dirai pas non plus que la police est raciste de manière générale, ce qui ne veut pas dire qu'il n'existe pas de comportements systémiques racistes de l'État ni de manifestations de racisme à l'intérieur de la police, qui relèvent d'ailleurs d'une certaine forme de culture policière inscrite dans l'histoire et dont nous n'avons pas réussi à nous débarrasser.

Cela m'amène à un dernier point : je reste totalement insatisfait de l'ensemble des travaux que vous menez et que nous conduisons à la CNCDH sur cette thématique. Pourquoi ? Parce que derrière, il y a un responsable : le politique, car c'est lui qui a déterminé des choix, et qui s'est servi des forces de l'ordre dans telle ou telle perspective.

Vous savez ce qui s'est passé pendant la guerre d'Algérie. Cela a un nom – il s'agissait de crimes de guerre – et des responsables : avant les gens sur le terrain, le gouvernement de la République.

Nous aurons donc un jour à nous interroger sur la responsabilité des politiques.

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Il s'agit d'un vaste sujet qui remonte à loin.

Selon un article du Monde du 30 septembre 2020, Amnesty International « dénonce l'usage de la loi française » – cela tombe bien, vous êtes ici dans la fabrique de la loi : merci pour nous – « et le recours aux procédures judiciaires ».

Je ne comprends pas, car dans d'autres circonstances et dans d'autres commissions, j'ai entendu Amnesty International, ou d'autres organisations internationales de défense des droits, nous demander, notamment lors de discussions sur l'antiterrorisme, de respecter le rôle de garant des libertés individuelles du juge judiciaire. Or ce rôle du juge est mis en porte-à-faux par Amnesty International.

Si l'on met en cause la loi et cette institution indépendante qu'est la justice, à qui confie-t-on le contrôle ? Pas aux ONG, ce n'est pas possible ! Leur financement est trop occulte pour que l'on puisse leur faire confiance là-dessus.

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Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme

Le budget de la Ligue des droits de l'Homme est sur son site !

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Je n'ai pas parlé de la Ligue des droits de l'Homme.

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Michel Tubiana, président d'honneur de la Ligue des droits de l'Homme

Vous parlez des ONG. Abstenez-vous, Monsieur le président, de généralités de ce genre.

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Comment fait-on pour exercer un contrôle si l'on rejette la loi et le système de justice indépendant français ?

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Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer à Amnesty International France

Si certaines lois – et seulement certaines d'entre elles – posent problème en droit français, notamment parce qu'elles sont contraires au droit international, il ne faut pas le prendre personnellement. Amnesty International a ainsi travaillé sur de nombreuses lois problématiques dans différents pays : en Espagne, en Pologne, ou encore à Hong Kong, sur la loi relative à la dissimulation du visage.

Pour l'essentiel, les manifestants sur le cas desquels nous avons travaillé dans le cadre du rapport sur le maintien de l'ordre n'avaient pas commis de violences. Placés en garde à vue, plus de la moitié d'entre eux n'a ensuite pas fait l'objet de poursuites et même lorsque cela a été le cas, la plupart des affaires se sont soldées par une relaxe. Si le filtre de la justice fonctionne donc relativement bien, elle se trouve cependant parfois contrainte d'appliquer des lois contraires au droit international, ce qui aboutit à des condamnations que nous critiquons.

Nous ne la critiquons donc pas de façon générale. Notre rapport, que je vous encourage à lire, s'appuie sur des recherches, sur plusieurs dizaines d'entretiens ainsi que sur des analyses juridiques conduites pendant une année par un chercheur indépendant basé à Londres. Il vaut donc mieux le lire plutôt que de le résumer en une phrase trouvée dans un article : je vous en laisserai donc un exemplaire.

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Je vous remercie d'avoir répondu franchement à des questions franches.

La séance est levée à 18 heures 40.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Valérie Bazin-Malgras, M. Ugo Bernalicis, M. Jean-Michel Fauvergue, Mme Camille Galliard-Minier, M. Jérôme Lambert, Mme George Pau-Langevin, M. Stéphane Peu, Mme Cécile Rilhac, M. Jean-Louis Thiériot

Excusés. - Mme Aude Bono-Vandorme, M. Didier Le Gac, M. Christophe Naegelen