Intervention de Anne-Sophie Simpere

Réunion du mercredi 7 octobre 2020 à 17h30
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer à Amnesty International France :

Je vous remercie également de recevoir Amnesty International, qui travaille sur les questions de police et de droits humains, dans tous les pays et depuis de nombreuses années.

Nous conduisons notamment aux Pays-Bas un programme sur la police et les droits humains qui veille à ce que les agents chargés de l'application des lois respectent les obligations relatives aux droits humains fixées par le droit international.

Toutes les recommandations que nous formulons valent pour tous les pays, en France et ailleurs. La France ne fait pas exception : elle a en effet signé des engagements internationaux qui protègent le droit à la liberté de réunion pacifique, la liberté d'expression, mais également le droit à la vie et la protection contre les traitements inhumains et dégradants.

Or un usage excessif non nécessaire de la force par les forces de l'ordre peut s'apparenter à un traitement inhumain ou dégradant et, dans les pires des cas, priver des personnes du droit à la vie.

Nous dressons le même constat que la Ligue des droits de l'Homme sur deux éléments principaux, et tout d'abord sur les entraves au droit de manifester, sur lesquelles nous avons beaucoup travaillé récemment.

Protégé par les conventions internationales de protection des droits humains, ce droit implique que tous les cortèges soient protégés, y compris les cortèges non déclarés. Les forces de l'ordre ont en outre un devoir de facilitation des manifestations.

Ce n'est pas parce que l'on doit gérer une manifestation dans le respect du droit international qu'il faut recourir à la force : le recours à celle-ci ne doit intervenir qu'en dernier ressort, lorsque cela est strictement nécessaire, et il doit être proportionné.

Le bilan français n'est pas bon en la matière. Trop souvent, les violences ou les dégradations commises par une minorité conduisent – nous l'avons constaté à de nombreuses reprises – à priver du droit de manifester un très grand nombre de manifestants pacifiques.

Je ne reviendrai pas sur les chiffres, mais ce bilan fait tout de même état de milliers de manifestants et de policiers blessés dans le cadre du maintien de l'ordre au cours de l'hiver 2018-2019.

S'il n'existe pas de chiffres officiels, on dispose en revanche de nombreux bilans indépendants : nous manquons en effet d'information et de transparence sur l'évaluation du maintien de l'ordre en France.

Ce bilan n'est, donc, pas bon, puisque plus d'une trentaine de personnes ont tout de même perdu un œil ou une main dans les manifestations en France ces derniers mois, même si le nombre de personnes mutilées se réduit.

S'il baisse un peu, on constate que l'usage illégal de la force est en train de s'ancrer dans les pratiques : il peut par exemple prendre la forme d'un usage excessif de gaz lacrymogène contre une manifestation majoritairement pacifique, comme nous l'avons vécu il y a un an lors de la marche pour le climat.

Pour quelques dégradations, que nous n'avons d'ailleurs pas vues, des milliers de manifestants pacifiques – y compris un cortège d'Amnesty – ont alors dû reculer face aux gaz lacrymogènes.

Se pose également le problème des nasses, qui se systématisent et dans lesquelles des observateurs des droits humains sont bloqués, comme des manifestants pacifiques ainsi empêchés de défiler.

Ces pratiques sont en train de s'ancrer. De manière un peu anecdotique, régulièrement, quand mes collègues étrangers recherchent des exemples de mauvais usage de la force ou de certaines armes à létalité réduite, ils nous contactent, car la France est désormais identifiée comme un pays qui ne respecte pas le droit international, ce qui est assez problématique.

La France n'est pas la seule à être confrontée à ces situations : d'autres pays ont fait face à des émeutes et ont parfois fait un usage illégal de la force. On peut en sortir, mais il faut reconnaître le problème et trouver des solutions pour remettre la France en conformité avec le droit international.

Nous nourrissons à l'égard de la reconnaissance de ce problème certaines inquiétudes. Je ne reviendrai pas sur le manque de concertation portant sur le schéma national du maintien de l'ordre, ni sur le fait que nos recommandations sur l'abandon de certaines armes et sur la protection des journalistes et des défenseurs des droits humains aient été complètement mises de côté.

Si certaines améliorations ont certes été apportées en matière de communication, ce schéma ne s'inscrit cependant pas dans une approche de désescalade : il se focalise en effet encore sur certaines armes, sur certaines techniques d'usage de la force ainsi que sur des objectifs d'interpellation qui ont mené à des dérives dénoncées par Amnesty dans son récent rapport.

Il faut donc reconnaître le problème, et, pour cela, entendre toutes les parties prenantes, y compris celles qui n'ont plus confiance en la police : les victimes, les manifestants et leurs avocats. Il est très important, dans ce travail sur les rapports entre la police et la population, d'entendre tous les points de vue afin de publier un rapport crédible qui puisse se targuer d'une certaine indépendance et d'une certaine impartialité.

Il faudrait également fixer des objectifs visant à éviter le recours à la force qui soient liés au respect des droits humains par la France. Nous avons à ce sujet publié de nombreuses recommandations en matière de désescalade et de dialogue qui ne sont pas encore sérieusement prises en compte.

Un tel objectif implique de mettre en œuvre des moyens et des ressources, y compris en matière de formation des forces de l'ordre à ces techniques. Les experts des Nations unies recommandent d'ailleurs qu'elles reçoivent des formations adéquates en négociation et en gestion des conflits, ce qui s'applique à tous les pays, y compris à la France.

Cet objectif de désescalade et d'évitement du recours à la force devrait s'accompagner d'une forme de comptage et de transparence : nous ne disposons en effet pas de chiffres officiels s'agissant des blessés.

Il n'existe pas vraiment non plus de transparence s'agissant de l'usage des armes, de son contexte, des enquêtes conduites en cas d'allégation d'usage illégal de la force et de leurs suites. Nous savons que ces enquêtes aboutissent rarement et que, lorsque c'est le cas, les sanctions sont faibles, ce qui conduit également à une forme de défiance entre la police et la population : des recommandations devraient donc être formulées afin que les objectifs fixés fassent l'objet d'un véritable suivi.

Une commission d'enquête a travaillé sur le même sujet en 2015. Si nous n'aurions pas soutenu l'intégralité des recommandations qui avaient été faites à l'époque, certaines étaient intéressantes. Or cinq ans après, une grande partie d'entre elles n'a pas été suivie d'effet : des mesures allant en sens inverse ont même parfois été prises. Il serait intéressant que le Parlement joue pleinement son rôle de contrôle, formule des propositions et évalue leur application par le Gouvernement.

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