Intervention de Anne-Sophie Simpere

Réunion du mercredi 7 octobre 2020 à 17h30
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Anne-Sophie Simpere, chargée de plaidoyer à Amnesty International France :

Pour Amnesty International, le modèle anglais contient des éléments intéressants sur le plan du contrôle de la police. Il en va de même du modèle irlandais, qui comporte notamment un Ombudsman médiateur. La Suède dispose également d'un système de contrôle de la police plus indépendant que ce que l'on constate en France : il y a donc des exemples à étudier à l'étranger.

Nous avons effectivement publié récemment un important rapport sur l'utilisation du droit dans le cadre des manifestations, dans lequel nous pointons du doigt plusieurs délits qui sont soit en contradiction avec le droit international, soit définis de manière tellement vague qu'ils sont utilisés arbitrairement.

Dans la première catégorie figure le délit, trop général, de dissimulation du visage. S'il n'a plus aucun sens dans le contexte du Covid-19, en dehors de ce dernier on peut avoir des raisons tout à fait légitimes de dissimuler son visage. Au regard du droit international, il aurait fallu qu'il soit défini de manière plus étroite, puisque seule l'interdiction de se dissimuler le visage en vue de commettre des violences sans être reconnu aurait été acceptable.

Nous avons également mentionné dans le rapport la pénalisation de l'organisation d'une manifestation non déclarée. Or en droit international, les rassemblements spontanés et les manifestations non déclarées bénéficient également d'une protection. Si l'on peut évidemment demander aux participants de notifier les manifestations afin de faciliter leur organisation, il faut également trouver des moyens de les gérer sans en aucun cas poursuivre leurs organisateurs, d'autant que de nombreux témoignages montrent que des personnes ont été désignées comme organisatrices pour avoir simplement partagé des publications sur les réseaux sociaux, c'est-à-dire sur la base d'éléments de preuve assez faibles.

S'agissant du délit d'attroupement, le simple risque de trouble à l'ordre public justifie la qualification d'attroupement puis la dispersion d'une manifestation. Or la non-déclaration d'une manifestation est considérée comme favorisant un tel risque. Les manifestations non déclarées ont été dispersées quasi systématiquement et n'ont donc pas bénéficié de la protection que leur offre normalement le droit international.

S'il ne s'agit pas de dire qu'il ne faut jamais utiliser la force, il ne faut l'utiliser qu'en cas de violences généralisées ne pouvant être contenues autrement : la dispersion ne doit en effet intervenir qu'en dernier recours. Or elle a été utilisée de manière beaucoup trop systématique en France.

Concernant le délit de groupement en vue de la préparation de violences, nous avons reçu de nombreux témoignages de personnes placées en garde à vue et, bien souvent, non poursuivies – hormis quelques cas – parce qu'elles étaient en possession de matériel de protection contre les gaz lacrymogènes. Compte tenu de l'usage assez disproportionné qui est fait de ces gaz dans les manifestations en France, on comprend que les manifestants, comme les journalistes et les observateurs, éprouvent le besoin de se protéger. Pour nous, de tels éléments ne sont pas suffisants pour qualifier l'intention de préparer des violences. Il faut donc donner des instructions sur la manière d'utiliser ce délit.

Nous avons également relevé des cas d'utilisation du délit d'outrage, parfois pour de simples slogans : ainsi pendant le confinement, une banderole « non au Macronavirus » a conduit une jeune femme en garde à vue à Toulouse. Un syndicaliste a également été condamné pour outrage en réunion pour un slogan crié par un cortège lors d'une manifestation.

Nous dénonçons ce phénomène dans tous les pays, comme toutes les organisations de défense des droits humains. Un rapport du Comité des droits de l'homme sur le Bélarus critiquait ainsi sa législation en ce qu'elle interdit les pancartes et les banderoles contenant des propos insultants et portant atteinte à la dignité des représentants de l'État. Si ce n'est certes pas agréable, cela ne devrait pas être pénalisé car cela relève de la liberté d'expression tant qu'il n'y a pas d'appel à la haine, à la discrimination, à la violence ou à l'hostilité.

De nombreuses lois ont été adoptées avec l'objectif annoncé d'arrêter les manifestants violents. Nous nous sommes donc interrogés sur l'identité des personnes arrêtées, placées en garde à vue et poursuivies sur la base de cette législation. Or des milliers d'entre elles n'avaient pas commis de violences ! Il paraît donc essentiel de revenir sur cette législation, de constater qu'elle ne fonctionne pas, qu'elle est soit contraire au droit international, soit trop large, et qu'elle constitue une entrave au droit de manifester pacifiquement de milliers de personnes.

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