Intervention de Vanessa Codaccioni

Réunion du mercredi 14 octobre 2020 à 15h00
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Vanessa Codaccioni, maîtresse de conférences en science politique à l'Université Paris 8 :

En fait, vous connaissez déjà les propositions qui iraient dans le sens d'une amélioration du maintien de l'ordre, tel qu'éviter de radicaliser le mécontentement lors des manifestations. Comme l'a relevé Fabien Jobard, est-il nécessaire d'interpeller quelqu'un qui brise une vitrine, autrement dit peut-on mettre en balance l'atteinte à des biens et l'intégrité physique des manifestants ? Une vitrine vaut-elle un œil, une main, un pied ? Je le dis de manière un peu abrupte, mais telle est la vraie question. Je rappelle que les États doivent protéger la vie des manifestantes et des manifestants.

L'une des solutions pour éviter l'atteinte au droit à la vie serait d'exceptionnaliser des pratiques de violence qui radicalisent les mécontentements lors des manifestations. Par exemple, des pays européens n'interpellent pas systématiquement des individus afin de ne pas radicaliser les manifestants.

On sait aussi que la pratique de la nasse radicalise les mécontentements, voire peut déboucher sur d'autres violences et des débordements. Le Défenseur des droits s'est d'ailleurs exprimé sur cette pratique, dont il doute des fondements légaux. Je rappelle que la Cour européenne des droits de l'Homme s'est pronocée en 2012 sur ce sujet, rappelant que cette pratique ne pouvait être autorisée que dans des circonstances très exceptionnelles, lorsque de graves troubles sont sur le point d'éclater. Or, nous constatons que cette pratique de la nasse s'est banalisée et qu'elle radicalise le mécontentement. Après avoir manifesté pendant des heures, les manifestants ne repartent pas tranquillement dans des conditions apaisées.

Nous pourrons dire la même chose du type d'armement utilisé par la police. La police française est l'une des plus armées, voire elle est surarmée ; elle utilise des armes de guerre dont les autres pays européens ne disposent pas. Le nouveau schéma de maintien de l'ordre institue un superviseur pour autoriser les tirs de LBD, mais les LBD n'en restent pas moins une arme de guerre. Par ailleurs, en termes d'image, voyez dans quelles conditions sont utilisés les LBD, marquant à vie des personnes dans leur chair ! Il n'est pas étonnant que leur utilisation puisse paraître inacceptable. Je dirai exactement la même chose des grenades de désencerclement. Certes, on en a supprimé une pour la remplacer par un autre, la GM2L, mais elle n'en reste pas moins une grenade de désencerclement qui, au surplus, déstabilisera sensoriellement les manifestants. Là encore, dans quel but conserve-t-on ce type d'arme, classée arme de guerre ?

Les conditions de jugement des forces de l'ordre me semblent occuper une place essentielle. L'un des objectifs de ce débat est, prétendument, de restaurer la confiance entre la police et la population. Une partie de la population a peur de la police et considère que les policiers restent impunis et que leurs violences ne sont pas sanctionnées, qu'il y a deux poids, deux mesures. La question des procédures judiciaires, en cas de plaintes d'abus policiers, est centrale. Là encore, on est loin du compte si nous nous référons aux préconisations du commissaire aux droits de l'homme européen ou aux critères de procédures et de jugement des policiers établis par la Cour européenne des droits de l'homme. C'est un sujet qui mériterait que l'on s'y attarde parce que, même si, personnellement, je ne suis pas favorable à des sanctions pénales ni à la répression, nous savons que des peines dissuasives sont susceptibles de ramener à la raison certains membres des forces de l'ordre.

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