Intervention de Christian Mouhanna

Réunion du mercredi 14 octobre 2020 à 15h00
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Christian Mouhanna, chargé de recherche au CNRS, directeur du centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales :

S'agissant de l'amélioration des relations entre la police et la population, je serai un peu caricatural, mais au moins cela présentera-t-il l'avantage de la clarté. Jusqu'au début des années 2000, la police française de maintien de l'ordre fonctionnait plutôt bien, à l'inverse de la relation de la police du quotidien et de la population dans certains quartiers, notamment dans les quartiers sensibles.

Le diagnostic d'une dégradation des relations entre la police et la population a été dressé la première fois en 1977 par la commission Peyrefitte ; l'exercice a été réitéré avant la création de la police de proximité à la fin des années 90 et a fait l'objet d'analyses, y compris par des personnes comme le préfet Lambert et d'autres encore quand ils dressaient le bilan de leur carrière.

Selon les témoignages de mes collègues, la police du quotidien, qui ne marchait pas trop bien, ne s'est pas inspirée de la police du maintien de l'ordre ; on a plutôt assisté au phénomène inverse. Cela s'est traduit notamment par l'utilisation des brigades anti-criminalité unités assez controversées dans leur action dans les quartiers dits sensibles. Ces brigades anti-criminalité sont désormais utilisées au maintien de l'ordre. Il en va de même des LBD. Les unités de maintien de l'ordre s'inspirent de doctrines et de pratiques utilisées dans les banlieues, qui n'ont fait qu'accentuer la difficulté des relations entre la police et la population.

Les caméras, la technologie en général, ne sont pas inutiles, mais elles ne suffiront pas et ne seront pas la solution miracle pour l'apaisement de toutes les tensions. En effet, ce n'est pas parce que l'on équipera les policiers de caméras que les tensions en seront pour autant apaisées. La méthode a été évaluée en Suisse, au Canada et dans d'autres pays encore. Nous pourrions mener une évaluation en France si on nous en donnait des moyens et si on nous demandait de le faire. Si la technologie peut contribuer à diminuer les tensions, cela ne suffit pas, tout simplement parce qu'il est nécessaire de recréer ce lien à travers des campagnes de communication.

J'en viens à un point essentiel de votre question qui tient à la judiciarisation du maintien de l'ordre. Beaucoup de discours, encore maintenant, portent sur la justice rapide. Il s'avère que je travaille sur l'institution judiciaire depuis un grand nombre d'années. La notion de justice rapide mériterait d'être approfondie dans la mesure où l'on s'aperçoit que la comparution immédiate ne permet pas un travail de justice de qualité, du point de vue tant des auteurs que des victimes. J'insiste sur les victimes qui en sont très insatisfaites. Je reprends votre exemple du bijoutier dont la vitrine a été brisée et qui constate que les personnes interpellées passent en comparution immédiate. Surtout si elle est blessée, cette personne n'ira pas témoigner à l'audience et pensera que ses droits de victime n'ont pas été respectés.

Instaurer des procédures de justice rapide ne résoudra pas la question des manifestations ; au contraire, juger nécessite de prendre son temps et d'analyser les faits. Quand il y a des fumigènes, du bruit, etc., on voit bien que les images vidéo ne suffisent pas. Un travail de la justice qui passerait par des interpellations sur le long terme de personnes qui ont été reconnues, identifiées sur la base de témoignages, évidemment, est nécessaire. Que l'institution judiciaire sanctionne, certes, mais ce travail ne peut intervenir en réaction immédiate. Au surplus, la participation de la justice à l'écriture de certaines circulaires qui interviennent en amont des manifestations pose question, tant du point de vue du droit et de la justice que du point de vue de l'opérationnalité. Est-ce répondre à l'efficacité que de demander d'interpeller ou de contrôler les personnes qui portent des lunettes de piscine ? La question de l'efficacité nous préoccupe aussi.

Ce n'est donc pas par une justice rapide mais, au contraire, par une justice qui prendra le temps d'analyser, de prendre des décisions, que nous pourrons éventuellement apporter quelque chose, d'autant que la justice, dans le temps immédiat, sera toujours en décalage. On a inventé le traitement en temps réel dans les années 90, mais il est toujours en décalage parce qu'aucun magistrat n'est sur place pour condamner à l'instant T.

Sur le code de déontologie, je me ferai l'écho de questionnements des professionnels : jusqu'où peut-on aller quand un supérieur hiérarchique demande, par exemple, de charger une foule qui semble, du point de vue des professionnels policiers, plutôt calme ? La question s'est posée très concrètement. Nous avons reçu à ce sujet des témoignages de gendarmes, mais également de policiers – qui, sans doute, ont plus de difficultés à l'exprimer. On retrouve cette préoccupation chez des responsables policiers et gendarmes. Peut‑on refuser d'obéir à un préfet ou à un supérieur hiérarchique, non pas parce que tel ou tel aurait des velléités d'anarchisme ou ne respecterait pas les règlements de l'institution mais parce que, pour différentes raisons – panique, volonté de faire plaisir au politique ou déconnexion du terrain – il peut arriver qu'un responsable hiérarchique se trompe ?

Il faut indiquer aux policiers où se situent les limites et énoncer des règles – telle est la fonction d'un code de déontologie –, expliquer jusqu'à quel point il faut à tout prix obéir à sa hiérarchie. Placé dans une zone grise, le sujet mérite une discussion avec la hiérarchie, nécessite de demander la confirmation de l'ordre, une supervision, un contrôle, etc. Il peut arriver que la ligne rouge soit dépassée. Dans cette hypothèse, quand bien même la hiérarchie ordonnerait de faire ceci ou cela, les professionnels pourraient refuser parce que les chefs aussi peuvent se tromper. Telle est la question qu'il convient de poser si on veut parler de déontologie. Pour les policiers qui ne respectent ni les règles ni l'autorité, des règles administratives existent qui permettent de les sanctionner – et ils le sont de manière assez dure. Mais avoir le droit de refuser un ordre au nom de principes supérieurs me paraît essentiel.

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