Je poursuis sur la doctrine Grimaud car il est important de la resituer dans le contexte historique afin de rendre leur rôle aux élus et au ministre de l'Intérieur. En 1968, le préfet Grimaud a été défait politiquement. Nous évoquons différentes visions du maintien de l'ordre qui traversent la société, les gouvernements et les forces de police. Les visions du maintien de l'ordre sont très différentes. Certes, Maurice Grimaud restera préfet de police jusqu'en 1971, mais le nouveau ministre de l'Intérieur, Raymond Marcellin, sera favorable à une vision tout autre du maintien de l'ordre : un maintien de l'ordre spectaculaire, judiciarisé, caractérisé par des interpellations, un maintien de l'ordre dans lequel force reste à la loi, selon les termes qui sont utilisés, même s'il s'agit de contourner le droit pour que force reste à la loi.
Ici, la doctrine Grimaud fait plutôt référence à une vision patrimoniale du maintien de l'ordre où le capital le plus important est le capital humain, où l'intégrité physique des policiers est considérée comme précieuse car il faut savoir que Marcel Grimaud était très attaché à ses policiers. S'il a pu écrire la lettre envoyée aux policiers parisiens en mai 1968, c'est parce qu'il était soutenu par le principal syndicat de police de l'époque. Cela ne l'empêchera pas d'être défait politiquement les années suivantes, comme le montrent l'affaire des viticulteurs dans les Corbières à Montredon à la fin des années 70 et l'affaire Malik Oussekine en 1986.
Nous voyons bien le balancement entre le maintien de l'ordre qui doit être, j'ose le mot, « viriliste », spectaculaire, où ce qui compte n'est pas tant que la manifestation se déroule le moins mal possible que l'image donnée de forces de l'ordre non mises en péril. Marcel Grimaud concevait le maintien de l'ordre comme la capacité à supporter ce qui serait insupportable pour des non-professionnels du maintien de l'ordre, à l'image des injures ou des lancers de projectiles. D'où la question de la formation que nous avons soulevée.
Dans le cadre du SNMO, il est évident que le ton qui sera donné par le ministre de l'Intérieur est primordial. Depuis quelques décennies, le ministre de l'Intérieur se présente comme le premier flic de France, ce qui n'a pas été le cas pendant longtemps. Si cette tonalité n'est pas contrebalancée par d'autres visions portées notamment à l'Assemblée nationale par les élus de la nation, les professionnels qui seront en mesure de se faire entendre seront plutôt ceux qui seront en faveur de l'interpellation, de la judiciarisation et de l'armement puisque le SNMO repose sur un dialogue entre professionnels du maintien de l'ordre, la société civile ayant très largement été mise à l'écart. Ceux qui sont pour la patrimonialisation, la mise à distance, la préservation de l'intégrité physique seront mis en difficulté s'ils ne se peuvent pas s'appuyer sur des paroles politiques fortes puisque, in fine, c'est bien ce qui arbitrera entre des visions qui ont toujours cohabité au sein même du corps policier au fil des décennies.