Intervention de Vanessa Codaccioni

Réunion du mercredi 14 octobre 2020 à 15h00
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Vanessa Codaccioni, maîtresse de conférences en science politique à l'Université Paris 8 :

Je voudrais revenir sur la question des images. Vous avez évoqué la possibilité pour les policiers de se filmer ou d'être porteurs de caméras. Mon collègue Christian Mouhanna vous l'a dit, dans plusieurs pays, l'expérience n'est pas concluante, y compris aux États-Unis, où les policiers sont filmés. Les caméras embarquées dans leur voiture n'ont malheureusement jamais empêché ce qu'on appelle, à tort, les bavures policières.

Donc, filmer, pourquoi pas si cela peut offrir des images d'une scène sous un autre angle, mais je tiens à vous alerter sur les dangers que représente la nouvelle stratégie de maintien de l'ordre qui encadrera le droit de filmer les policiers car elle touche à la liberté d'informer. Les journalistes sont actuellement vent debout contre le SNMO, et à raison, puisque leur identité devra être confirmée, ils devront posséder une carte de presse, être accrédités auprès des autorités, mettant en péril le travail de nombreux journalistes qui ne seront pas reconnus comme tels et la mission des observateurs des droits humains censés observer les manifestations.

Pour conclure sur ce point, des caméras sur les policiers pourquoi pas, mais préservons la liberté d'informer des journalistes.

Je veux revenir sur la question de la déjudiciarisation. Nous avons assisté à un fait extrêmement frappant pendant les manifestations des Gilets jaunes : un nombre inédit de 3 000 personnes ont été arrêtées, gardées à vue mais surtout jugées dans le cadre de la comparution immédiate qui, il faut le dire, est indigne de notre système judiciaire.

La comparution immédiate consiste en vingt-neuf minutes d'audience, soit un temps trop court pour que les avocats préparent la défense de leurs clients. Les accusés eux-mêmes ne peuvent se défendre en si peu de temps. C'est une justice punitive ; en effet, on s'aperçoit que le nombre de peines de prison ferme ainsi que celui des mandats de dépôt ont progressé. Ayant assisté à des comparutions immédiates et pu avoir accès à certains dossiers, j'ajoute que l'une des peines les plus appliquées aux Gilets jaunes a été l'interdiction de manifester à Paris pendant plusieurs années. On en revient à une forme de répression préventive.

L'un des grands crimes ou délits des Gilets jaunes a été la participation à « un groupement en vue de commettre des dégradations et des violences. » C'est, dirons-nous, l'héritage de la loi anti-bandes de Christian Estrosi de 2010 qui criminalise des intentions et des actes futurs. C'est ainsi que des Gilets jaunes ont été arrêtés parce qu'ils avaient un gilet jaune dans leur voiture ou parce qu'ils étaient en possession de genouillères ou d'un masque. Être arrêté pour ce type de délit est dangereux dans un régime démocratique.

De nombreux amis ou collègues avocats soulignent également le délit d'outrage, un délit problématique dans notre pays, utilisé par les policiers à la fois pour criminaliser des manifestants mais aussi pour se dédouaner lorsqu'ils sont eux-mêmes accusés d'abus dans l'usage de la force.

Il conviendrait de nous pencher sur ces deux délits. Il y aurait beaucoup à dire, mais je ne suis pas avocate.

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