Intervention de Emmanuel Blanchard

Réunion du mercredi 14 octobre 2020 à 15h00
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Emmanuel Blanchard, maître de conférences au département de science politique de l'Université de Versailles-Saint-Quentin et à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye :

Je vous remercie de votre intervention à double titre : d'une part, cela me permet de préciser mes propos qui auraient pu être mal compris ; d'autre part, parce que la question que vous dites poser en sociologue est très intéressante sociologiquement mais assez insoluble – je vais y revenir.

Contrairement à ce qui est indiqué en introduction du SNMO, il est compliqué de postuler a priori que les manifestants actuels seraient plus violents que ceux d'autrefois, « autrefois » renvoyant à des périodes très différentes. Qu'il y ait des violences, des violences extrêmes, des phénomènes émeutiers, bien sûr, et l'on peut trouver des moments paroxystiques de violence à chacune des époques. Nous pourrions citer les manifestations de 1934 ou la manifestation contre le général Ridgway en 1952.

J'ai constaté qu'une partie des manifestants est aujourd'hui équipée de façon relativement spectaculaire, qu'il s'agisse de leurs attributs de manifestant ou de leur manière de se protéger. Ils ne viennent pas manifester habillés comme ils le sont tous les jours. Ils viennent équipés. Ce sont avant tout des équipements défensifs alors que dans les manifestations qui avaient lieu jusqu'aux années 80, les manifestants étaient équipés de matériels offensifs. Je n'ai pas justifié leur attitude dans mes propos, je n'ai pas porté un point de vue légal sur la question, je me suis contenté d'observer.

Le débat visant à déterminer qui est le plus violent entre le Gilet jaune de 2019, le sidérurgiste de 1979, le viticulteur de 1976, le communiste de 1952 ou le manifestant d'extrême droite de 1934 est quasiment insoluble. Du point de vue matériel, monsieur Gouttefarde, vous étiez sur une piste extrêmement intéressante, mais elle devient une impasse dans la mesure où les biens ne sont plus assurés de la même façon. Nous ne pouvons pas trouver la réponse dans les polices d'assurance, puisqu'on a connu une élévation du taux d'assurance des biens ; en outre, la façon dont nous défendons nos biens aujourd'hui est de les assurer et de réclamer leur remboursement en cas de dommage, ce qui n'était pas le cas à d'autres époques.

La question des violences physiques est également très compliquée à mesurer. Même si nous sortons d'épisodes extrêmement douloureux pour les forces de l'ordre, nous ne mesurons pas d'élévation tendancielle d'atteinte à l'intégrité physique grave des policiers et des gendarmes dans notre pays. C'est difficile à dire quand la police est en deuil et a subi ce que je considère comme des outrages extrêmes, mais il convient de le rappeler, ce qui ne revient pas pour autant à justifier les comportements qui conduisent à ces atteintes graves quand bien même seraient-elles relativement rares.

Les sociologues posent une question, à laquelle je ne répondrai pas : la violence progresse-t-elle ou notre sensibilité à la violence évolue-t-elle en raison même du régime des images, qui lui-même change ? Les images de 1934, quand il y en a – elles sont rares – sont des images fixes, ce ne sont pas des images filmées et ne sont pas des images en temps réel. Un ensemble de facteurs a évolué. In fine, la façon d'analyser de la représentation parlementaire et de la société en général détermine si la violence est tolérable.

Un problème grave tient à la distorsion entre les analyses de fractions croissantes de la société. Voilà dix ans, les personnes qui mettaient en cause les violences policières appartenaient à des champs très circonscrits et très honorables – il ne s'agit pas de considérer qu'ils ne le sont pas – de l'espace politique.

Avant d'aller manifester, des personnes, parce qu'elles partageaient le quotidien des membres des forces de l'ordre ou par positionnement politique, étaient en faveur des forces de l'ordre ; elles se sont retournées ensuite, tenant des discours bien plus « radicaux » – j'utilise le terme parce qu'il est très souvent utilisé – que ceux des personnes qui, depuis des années, tenaient un discours critique des forces de l'ordre. C'est cela qui est problématique. Nous touchons là à des questions de représentations. Si les représentations entre les forces de l'ordre et des fractions de plus en plus larges de la société se creusent, il arrivera un moment où il sera compliqué que le maintien de l'ordre soit la coproduction de l'ordre que j'ai évoquée précédemment.

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