Intervention de Christian Mouhanna

Réunion du mercredi 14 octobre 2020 à 15h00
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Christian Mouhanna, chargé de recherche au CNRS, directeur du centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales :

J'ajouterai un élément sur ces différences de perception, sans m'appuyer sur des modèles étrangers ou tirés de l'histoire. Il faut analyser la façon dont est gérée une grande partie des manifestations d'agriculteurs ces dernières années en France. Pour travailler avec la gendarmerie, nous constatons une certaine tolérance. Je ne tiens pas du tout un discours anti-agriculteurs, je veux seulement montrer la différence d'appréciation.

Les agriculteurs manifestent avec du gros matériel et commettent des destructions. Je vous rejoins sur les coûts qui parfois peuvent être élevés. Cela se gère à l'amiable avec les syndicats agricoles et très peu de personnes sont mises en cause ou judiciarisées. On observe une certaine tolérance, je ne dis pas que c'est bien ou mal, comparé à d'autres types de population – c'est que j'entendais quand je parlais de politisation. Un choix est fait de tolérer ou non, on pose le curseur, on décide des limites. Ce n'est pas totalement neutre. On laisse les agriculteurs commettre des actes que l'on considérerait comme intolérables si d'autres populations les commettaient.

Je réagirai sur le monopole de la violence, développé par le sociologue Max Weber, qui soulève la question de la légitimité. À votre argument juridique, on pourrait opposer l'article 12 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, cité abondamment dans les films, et d'autres articles qui affirment que la force publique ne doit pas être utilisée au profit de ceux qui la composent ou la dirigent. Certes, force doit rester à la loi, mais pour parvenir à régler certains problèmes, il arrive que l'on aille un peu trop loin. Ce qui peut être acceptable dans l'interprétation des patrouilles de police dans les banlieues se retrouve dans les questions de maintien de l'ordre. Il convient de poser la question dans le débat public et se demander jusqu'à quel point on peut tolérer certains actes. La poser fait partie de la communication tout comme le débriefing devrait faire partie d'échanges entre les professionnels policiers et la population. On tolère qu'une sous-préfecture soit détériorée, brûlée par certaines populations alors que l'on considère de tels actes intolérables quand une autre population les commet. On pourrait parler de la destruction de commissariats par des populations qui n'appartiennent pas à la catégorie des jeunes de banlieue, non pour dire que c'est mieux ou moins bien, mais pour montrer qu'il existe des différences de traitement.

Retenir certaines des solutions adoptées par les gendarmes pour gérer les manifestations agricoles en les transposant aux manifestations urbaines peut être une source d'inspiration intéressante.

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