Intervention de Jacques Toubon

Réunion du mercredi 14 octobre 2020 à 18h30
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Jacques Toubon, ancien Défenseur des droits :

Cela implique la remise en cause de deux dogmes. Le premier est celui de la mise à distance ; ce dogme a été, d'une certaine façon, balayé par l'attitude des nouveaux manifestants. Le second est celui du passage à l'affrontement en cas d'échec de la mise à distance. Nous avons trop tendance à considérer que l'on a préparé une manifestation si l'on a passé trois ou quatre heures de réunion avec les responsables du service d'ordre de la CGT à la préfecture de police. Il s'agit de savoir, dans un consensus préalable, ce qu'on veut faire de la manifestation. Cela permettrait de mieux juguler le phénomène des black blocs ou des manifestants les plus violents. Il faut un travail préalable, maintes expériences le démontrent. Ainsi, lors des manifestations à Hambourg, au moment du G 20, il y a eu un échec, parce que les forces n'ont pas appliqué au préalable les méthodes de désescalade appliquées à Berlin.

D'autre part, il faut toujours essayer de privilégier la loi du nombre à l'usage de la force. Les unités dédiées au maintien de l'ordre doivent toujours agir collectivement et pas individuellement. Au cours des manifestations, il est possible d'introduire des éléments, sinon de négociation, du moins de dialogue et de communication, afin que la dispersion se passe mieux qu'aujourd'hui. On se souvient de la fameuse manifestation du 1er mai, place de la Nation : c'est lorsqu'on demande aux manifestants de partir, en employant les moyens pour ce faire, que se produisent les incidents les plus graves.

Le Défenseur des droits n'est pas ni spécialiste du maintien de l'ordre, ni une autorité exécutive, policière, ni un magistrat, mais il est capable de dire, à partir de ses saisines, de l'expérience, du droit, les trois ou quatre points qui n'ont pas été suffisamment pris en compte dans le schéma national du 16 septembre dernier. Celui-ci contient quelques mots, notamment sur le dialogue, allant dans le bon sens. Avant la présentation du schéma, nous avons entendu le ministre tenir des propos allant dans le sens d'une pacification des rapports, mais il n'y a pas eu de changement de doctrine. Le rapport de 2018 et la décision-cadre que nous avons prise au mois de juillet 2020 en appellent à des avancées sur le plan de la doctrine plus importantes que celles contenues dans le schéma national.

J'aimerais que votre commission d'enquête, plus encore que la commission constituée après la tragédie de Sivens, qui avait apporté un certain nombre d'éléments positifs, soit à même d'exposer une évolution de notre doctrine. Le moment est venu. J'en sais quelque chose puisque les réseaux sociaux, et même certains responsables syndicaux, n'ont cessé d'insulter le Défenseur des droits sur ce sujet. Je vois bien l'état de tension dans lequel s'inscrivent ces sujets. Une commission d'enquête comme la vôtre et la représentation nationale devraient avoir la capacité de faire avancer la philosophie du maintien de l'ordre. Les principes républicains sont intangibles, les lois sont les lois, y compris la dernière loi sur la légitime défense, qui a représenté pour les policiers un progrès important par son alignement sur le statut des gendarmes. Appliquons les lois, mais faisons-le dans un esprit qui marque, entre la police et la population, le retour de la confiance. Nous avons très souvent constaté un climat d'hostilité et de défiance. Il faut, pour le maintien de l'ordre, reconstruire la confiance entre les forces de sécurité et la population.

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