En décembre 2018 s'est posée la question de l'arbitrage entre la protection statique des sites et l'intervention. Or, le principe même d'une force mobile est d'être prévue pour être mobile et non statique. Malheureusement, depuis que, il y a un peu plus de vingt-cinq ans, on a demandé aux CRS – qui ne servaient pas suffisamment – de se territorialiser et de jouer les « bouche-trous » dans les quartiers qui posaient problème, on a commencé à transformer la fonction même d'une force mobile. C'est vrai que lorsqu'il ne se passe rien en matière de maintien de l'ordre, l'idée de les utiliser à autre chose n'est pas absurde. Néanmoins dans la mesure où cela a conduit à modifier les conditions de leur utilisation, puis à se demander s'il ne fallait pas supprimer les unités de CRS puisqu'elles ne servaient à rien, cela équivalait à se demander pourquoi renouveler le stock de masques puisqu'il n'y a pas d'épidémie. Puis on se réveillait brutalement un matin, en se disant : « C'est bizarre, il n'y en a plus ! ». Il y a donc, je crois, une nécessité à revenir aux fondamentaux.
Par ailleurs, la préfecture de police a eu, pendant longtemps, une vision arrogante et dénuée de tout respect pour les opérateurs de terrain sur l'art et la manière de maintenir l'ordre à Paris. Son processus d'instruction était à sens unique, sans plus aucune intervention d'opérateurs intermédiaires qui auraient pu suggérer de procéder autrement. La salle de commandement a toujours eu une grande difficulté à admettre qu'on pouvait discuter du maintien de l'ordre, et non pas seulement ordonner le maintien de l'ordre. C'est pour cela que j'ai expliqué qu'il fallait absolument arrêter ce processus qui niait la compétence et l'expérience des opérateurs de terrain, qu'il s'agisse de la direction centrale des compagnies républicaines de sécurité (DCCRS), de la gendarmerie mobile ou même des responsables territoriaux qui étaient relativement formés et capables de faire des choix.
Le choix d'utiliser les forces mobiles de manière très statique a été motivé par la confiance placée en elles pour protéger l'Assemblée nationale, la Présidence de la République et quelques endroits symboliques, toutefois en oubliant le Sénat à l'époque. Cette omission a été réparée de justesse par des initiatives personnelles, ce qui prouve qu'elles ne sont pas totalement inutiles. Ce choix avait mis en exergue la nécessité de rétablir une logique de dialogue.
Les erreurs stratégiques de décembre 2018 sont celles-ci. Depuis lors, les choses ont beaucoup évolué. Je connais pour des raisons historiques le préfet Lallement, dont le caractère n'est peut-être pas toujours facile. Je note que du point de vue des modes opératoires de terrain, l'amélioration est visible.
Pour ce qui est de l'armement, j'ai indiqué que la transformation du flash-ball en LBD posait deux problèmes : que cela tirait deux fois plus vite d'une part, et que le palet avait été réduit au diamètre d'un œil d'autre part. Cela n'a pas été fait volontairement, mais il ne faut jamais laisser les comptables s'occuper des missions opérationnelles. Ils sont là pour défendre les deniers publics, pas pour devenir opérateurs de maintien de l'ordre. Le constat vaut tant pour les motos il y a quelques années, que pour les LBD.
Le LBD est un mauvais outil. Il est extrêmement dangereux. Plus on l'utilise pour le maintien de l'ordre, avec des gens qui n'ont pas la compétence de savoir à quoi il sert (ce n'est pas un outil d'autodéfense ou d'agression mais un outil de mise à distance) plus on provoque des problèmes comme ceux qui ont été constatés.
Pour la grenade GLI-F4, c'est exactement la même chose. Elle est expressément prévue pour ne pas être utilisée en maintien de l'ordre, et avait déjà été supprimée. Le stock est maintenant écoulé, et on est passé à un autre modèle. Le nouveau produit semble être de bonne qualité, à la fois pour la cuillère et la partie explosive. On peut considérer qu'il y a là un progrès. À mon avis, il faudrait plutôt s'orienter vers des dispositifs de moindre puissance, faisant moins de dégâts et tout à fait efficaces. Le benchmark international sur les outils de maintien de l'ordre le montre. Il existe des unités modernisées, de plus grande mobilité, plus rapides et efficaces, à l'instar des lanceurs d'eau, y compris colorée. Il y a de nombreuses options, mais je pense que le marquage et la puissance de l'eau suffisent largement en désarmant d'une partie importante des outils conservés à des fins insurrectionnelles. De tels outils n'ont plus rien à voir avec la liberté de manifester, même quand elle se traduit par de la violence.
Pour ce qui est des outils de téléphonie mobile, ils existent. La pensée magique, qui voudrait croire qu'ils vont disparaître et que plus personne ne prendra de photos, (et que d'ailleurs les éventuelles photos ne se retrouveront pas je ne sais où) est tout à fait étonnante ! Je suis plutôt favorable à la prise en compte de ces milliers de vidéastes amateurs, et à ce que la sécurité publique dispose des mêmes moyens. Il faut reconnaître que c'est un outil extrêmement utile, tant pour protéger des policiers en situation d'autodéfense ou agressés, que pour leur imposer des règles de déontologie qu'ils ont apprises mais qui se sont peut-être perdues. Quand on a un geste d'humeur après avoir reçu des cailloux, des excréments ou des boulons dans la figure pendant quatre heures ou six heures à prendre, on pourrait au moins montrer davantage que les trois minutes du geste d'humeur. On aurait l'ensemble de l'opération, ce qui est le principe fondateur pour juger d'éventuelles circonstances atténuantes ou aggravantes en fonction de ce qui s'est réellement passé, et pas uniquement de la mise en scène de l'épisode final.
Inutile de croire qu'on va supprimer la visibilité citoyenne des actions de maintien de l'ordre. Au contraire, je pense que la police doit se mettre à niveau et user des mêmes moyens, pour que nous ayons les deux versions d'un même évènement, pas seulement en trois minutes mais dans la durée. Vous l'avez vu d'ailleurs récemment dans un épisode tout à fait emblématique où une infirmière se disait agressée par des policiers. Elle-même avait pris un malin plaisir à y aller de bon cœur, ce qui ne justifiait rien mais expliquait beaucoup... Par conséquent, je suis très favorable à ce qu'on utilise positivement la présence de ces dispositifs plutôt que de les interdire, ce qui de toute façon n'arrivera jamais et ne servira pas à grand-chose. La protection de l'identité individuelle des policiers peut être un enjeu de vie privée, mais cela n'est pas un enjeu de maintien de l'ordre, d'exactions ou de lutte contre des exactions de policiers ou de gendarmes.
Enfin, je suis pour que toutes les unités soient formées. Néanmoins, le fait d'avoir une formation basique ne doit pas transformer les bénéficiaires de cette formation en spécialistes « bouche-trous ». Le fait d'avoir suivi une formation aux premiers secours est très souhaitable, mais cela ne vous transforme pas en chirurgien. Il faut donc être très attentif à ce que toutes les règles de déontologie soient clairement rappelées, pas seulement une fois au début de la carrière pendant une demi-heure, mais également au moment de cycles obligatoires de formation permanente et continue. De tels cycles me paraissent tout à fait indispensables, même s'ils ne doivent ni être trop lourds ni désorganiser les services. Il me paraît important que les bases puissent être données à tout le monde, mais avec les limites de l'exercice. Les opérations de maintien de l'ordre dynamiques, mobiles doivent être réservées à des opérateurs formés et spécialisés pour ces missions.