Intervention de François Boulo

Réunion du mercredi 28 octobre 2020 à 15h30
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

François Boulo, avocat :

Je ne veux pas trancher sur le port de la cagoule, mais, en tout état de cause, les forces de l'ordre doivent porter leur numéro d'identification. Dans ma bouche, les termes de « violences policières » signifient un usage excessif, disproportionné de la force qui constitue une infraction pénale. Je ne vise pas les usages autorisés de la force pour appréhender des individus délinquants qui commettent des infractions.

Deuxième observation : l'inspection générale de la police nationale (IGPN) ne fait pas, ou peut-être ne peut pas faire correctement son travail, et il est un fait que très peu de procédures aboutissent. Dans le cadre des procédures, nombre de témoins ne sont pas entendus par l'IGPN ; cela pose un vrai problème. Il faut soit réformer cette institution pour qu'elle devienne indépendante, soit, au moins, comme le suggère Alain Bauer, qu'une tierce personne indépendante intervienne pour garantir l'impartialité de la procédure. Cette institution, qui dysfonctionne et rend effective l'impunité des infractions commises par certains policiers dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre, ne peut rester en l'état.

Une autre remarque s'inscrit dans le même sens : nombre des plaintes pénales qui sont déposées par les Gilets jaunes ou les manifestants de manière plus générale sont classées par les procureurs de la République. C'est lié à un véritable problème : les procureurs ne sont pas indépendants dans notre pays. La Cour européenne des droits de l'homme l'a jugé : ils sont sous l'autorité du ministre de la Justice. Prenons-en acte et confions directement ce type de procédures très particulières à des juges d'instruction, statutairement indépendants. Cela permettrait d'instruire à charge et à décharge les enquêtes dans cette matière assez sensible.

Je prends pour exemple le procureur de Nice dans l'affaire Geneviève Legay, sur laquelle Emmanuel Macron avait émis un commentaire. Le procureur avait reconnu avoir menti pour protéger le Président de la République, anéantissant la confiance que les citoyens pouvaient avoir dans leur justice.

Une réforme de l'IGPN s'impose pour que cette institution devienne indépendante ; parallèlement, il faut que les enquêtes judiciaires soient menées par des juges d'instruction plutôt que par des procureurs. Telle est ma suggestion.

Ma troisième observation porte sur le rôle des journalistes pendant les manifestations. Les journalistes sont, pour une large part, à l'origine de la connaissance que nous avons des dysfonctionnements qui surviennent au cours des manifestations. Ils jouent un rôle clé ; aussi faut-il les protéger, leur permettre eux-mêmes d'être protégés par des équipements de protection sans être inquiétés par les policiers, ce qui n'a pas toujours été le cas.

J'ai lu une préconisation préoccupante dans le changement de doctrine de maintien de l'ordre. En effet, le document prévoit que les journalistes ne bénéficient plus désormais d'un statut à part dans le cadre des opérations de dispersion. Or c'est précisément lors des opérations de dispersion que le risque de l'usage excessif de la force est le plus prégnant. Il faut permettre aux journalistes de faire leur travail. Ils sont identifiés comme tels, portent des équipements et le brassard « presse ». Ils doivent être en mesure de faire des images en photographiant et en filmant pour contrôler l'usage de la force. Les journalistes ont ce rôle prépondérant et il est essentiel de protéger leur statut.

Telles étaient les trois observations d'ordre général que je voulais vous présenter avant d'entrer dans la discussion.

Je me permets de vous dire que je suis réellement inquiet pour la suite. Je pense que nombreux sont ceux qui partagent mon inquiétude car en raison de la crise sanitaire et de la crise économique qui s'annonce, nous risquons d'assister à une nouvelle montée de la radicalité et des violences. Je le dis pour que tout soit dit, ici, aujourd'hui. Beaucoup des personnes qui ont manifesté sont convaincues que le pouvoir exécutif a volontairement organisé une stratégie de répression policière et judiciaire dans le cadre des manifestations. Aussi, les conclusions des travaux de votre commission et la loi qui en résultera permettront d'infirmer ou de confirmer les soupçons et les pensées de ces Français. Vous avez un rôle capital à jouer pour montrer aux Français que des mesures sont prises pour garantir la liberté de manifester en l'état – je dis bien « en l'état ».

Au cours des deux dernières années, l'État de droit a disparu dans les manifestations. Il est temps de le réinstaurer.

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