Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Réunion du mercredi 28 octobre 2020 à 15h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 15 heures 40.

Présidence de M. Jean-Michel Fauvergue, président.

La Commission d'enquête entend en audition commune Mes François Boulo et Thibault de Montbrial, avocats, et M. Nicolas Hervieu, collaborateur du cabinet Spinosi & Sureau.

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Mes chers collègues, madame la rapporteure, nous accueillons M. Thibault de Montbrial, fondateur du cercle de réflexion sur la sécurité intérieure, qui défend régulièrement des membres des forces de l'ordre ; M. Nicolas Hervieu, collaborateur au cabinet Spinosi & Sureau dont les fondateurs se sont souvent exprimés en faveur des libertés publiques, notamment du droit de manifester ; M. François Boulo, avocat à Rouen et l'un des porte-parole des Gilets jaunes. Il nous a semblé très important de réunir des avocats qui puissent nous présenter des points de vue différents.

Notre audition est retransmise en direct sur le site de l'Assemblée nationale.

Avant de vous céder la parole pour une brève intervention liminaire qui précédera nos échanges sous forme de questions-réponses, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Messieurs, je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure. »

(MM. Thibault de Montbrial, François Boulo et Nicolas Hervieu prêtent serment. )

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François Boulo, avocat

Avant d'entrer dans le vif du sujet, je formulerai deux observations liminaires.

D'une part, dans ma pratique professionnelle, je n'ai pas eu à connaître de dossiers de Gilets jaunes ou de policiers. Je ne pratique pas le droit pénal. Je m'exprime aujourd'hui en ma seule qualité de porte‑parole des Gilets jaunes de Rouen. Je suis un Gilet jaune et un citoyen engagé et j'ai participé à un certain nombre de manifestations à Rouen, à Évreux, au Havre et à Paris. Je m'appuie sur ma formation de juriste et ma qualité d'avocat pour conduire des analyses qui éclaireront peut-être votre commission sur les améliorations et les changements à apporter au maintien de l'ordre, ainsi que sur le ressenti d'un certain nombre de citoyens de notre pays.

D'autre part, je veux adresser un avertissement, qui doit être entendu comme un appel à une prise de conscience. La montée des violences dans les manifestations est constatée depuis plusieurs années. Les manifestations contre le contrat première embauche (CPE) en 2006 ne sont pas de même nature que celles de 2016 contre la « loi El Khomri » qui, elles-mêmes, diffèrent des manifestations des Gilets jaunes de 2018. On assiste à une montée de la radicalité.

Selon moi, deux raisons président à cette évolution.

La première tient à une politique qui engendre de plus en plus d'injustices fiscales et sociales, qui accroissent les inégalités. Elle conduit à un chômage structurel de masse depuis des années et à une explosion du taux de pauvreté. Ce constat est issu d'un rapport très récent du comité d'évaluation, conduit sous l'égide de France stratégie, d'où il ressort que les politiques des dernières années ont bénéficié en grande partie à 1,01 % des plus riches. Ce constat est de moins en moins accepté par la population qui rejette de plus en plus ces politiques.

La seconde, qui n'est pas seulement un sentiment, tient au constat d'impuissance de nombreux citoyens à voir changer la politique dans ce pays. De plus en plus de Français pensent, premièrement, que, quels que soient leurs votes depuis quarante ans, la situation reste inchangée, voire empire ; deuxièmement, que quand bien même les manifestations pacifiques réuniraient des millions et des millions de personnes, elles ne servent à rien car les gouvernants n'entendent plus les manifestants. Ce constat d'impuissance amène progressivement toujours plus de citoyens à manifester et, pour certains d'entre eux, à adopter une stratégie consistant à alimenter les violences, voire une stratégie d'affrontement avec les forces de l'ordre pour essayer, en désespoir de cause, de produire un résultat.

On ne réglera pas définitivement la montée des violences tant que nous n'aurons pas changé véritablement de politique. Tant que les politiques économiques échoueront – au-delà des orientations idéologiques présentes à l'Assemblée nationale, au-delà des différentes sensibilités politiques –, la violence, notamment au cours des manifestations, progressera. Je n'y reviendrai pas, car je sais que tel n'est pas le périmètre exact des travaux de cette commission. Pour résumer, nous ne traiterons pas la racine du mal aujourd'hui, ce qui ne nous empêchera pas d'en traiter les symptômes. Venons-en donc aux symptômes !

J'aborde la question avec, à l'esprit, deux objectifs qui me semblent déterminants. Réfléchir au maintien de l'ordre impose de s'interroger, tout d'abord, sur la façon de préserver la liberté de manifestation, ensuite, sur celle d'éviter par tous les moyens les affrontements entre les forces de l'ordre et les manifestants. Tels sont les deux éléments qui doivent conduire notre réflexion.

Je formulerai maintenant trois observations.

La doctrine du maintien de l'ordre nécessite d'opérer un choix. J'ai écouté les analyses d'Alain Bauer, que je rejoins en partie. Au début du mouvement des Gilets jaunes, nous avons assisté à un changement de doctrine. La doctrine de mise à distance des manifestants – maintenir policiers et manifestants le plus éloigné possible – a été abandonnée au profit d'une stratégie de contact. Mais il s'agit d'un choix qu'il convient d'assumer politiquement : plus il y aura de contacts, plus les affrontements se multiplieront, plus il y aura de blessures – et des deux côtés ! Pour preuve, les milliers de blessés, du côté des manifestants comme des policiers, que nous avons eu à déplorer.

Ce changement de stratégie pouvait se comprendre dans un climat insurrectionnel où certains manifestants créaient, de fait, le contact avec les policiers. Voulant rejoindre des lieux sensibles, des manifestants ont rendu inévitable le contact avec les forces de l'ordre. Dans ce cas exceptionnel, un changement de stratégie pouvait se comprendre. Le problème tient plutôt à sa généralisation. Dans les mois qui ont suivi ces premières manifestations insurrectionnelles, alors que la plupart des manifestations, autorisées ou non, consistaient classiquement à se rendre d'un point A à un point B, sans que la présence des manifestants au point A ou au point B ne pose problème, on a continué d'appliquer cette doctrine de mise au contact entre manifestants et forces de l'ordre. Je pense que c'est une erreur majeure parce que l'on a ainsi favorisé les blessures des policiers comme des manifestants.

Prévenir la casse matérielle est l'argument souvent utilisé pour justifier cette façon d'agir. Je ne suis pas certain que l'une ou l'autre des doctrines ait une influence sur le degré des dommages matériels, mais si elle doit en avoir une, de mon côté, le choix est vite fait : entre une voiture brûlée et l'œil crevé d'un innocent, je considère que notre pays se doit de protéger l'intégrité des personnes. Je dirai un mot de la pratique de la nasse, que j'ai personnellement vécue et qui doit être absolument condamnée. Je le souligne, parce que cette pratique est autorisée par le dernier document récemment publié par le ministre de l'Intérieur sur la doctrine du maintien de l'ordre. Certes, la pratique de la nasse est autorisée avec toutes les précautions sémantiques d'usage, mais, de fait, elle est autorisée.

Lorsque les manifestants se retrouvent dans l'impossibilité de sortir de la nasse, la peur monte instantanément, le niveau de tension s'élève. En outre, des gaz lacrymogènes sont généralement lancés. C'est le moyen assuré de créer des affrontements et de faire dégénérer rapidement la situation. On nous oppose l'argument d'une sortie possible, par laquelle les manifestants sont filtrés. Dans la réalité, entre le moment où l'autorisation est donnée aux policiers de faire sortir les manifestants et le moment où cette possibilité devient effective, il se passe de très longues minutes, parfois des heures. Lorsque les personnes sur la zone sont en grand nombre, le filtrage prend tellement de temps qu'elles sont bloquées une heure ou deux et qu'un tel délai ne fait qu'engendrer de graves blessures.

Je rejoins l'analyse d'Alain Bauer qui a évoqué la nécessité pour les policiers d'être formés. La présence de la brigade anti-criminalité (BAC) dans les manifestations est extrêmement dangereuse. Pour avoir assisté à certaines actions, je considère, je le dis comme je le pense, que ce sont des dangers publics. Je ne mets pas en cause les personnes, mais le fait qu'elles ne sont pas formées à de telles missions ; elles sont formées pour appréhender des délinquants, non pour gérer des manifestants. Il faut absolument que la BAC cesse d'intervenir dans les manifestations. Deux corps des forces de l'ordre sont prévus à cet effet : les compagnies républicaines de sécurité (CRS) et les gendarmes mobiles, les deux seules forces de l'ordre aptes à intervenir dans le cadre des manifestations, parce que les seules à être formées au maintien de l'ordre.

S'agissant de l'usage des grenades de désencerclement (GMD), la question se pose de leur retrait. Les suggestions d'Alain Bauer à cet égard sont très pertinentes, qui privilégient des armes de type marquage ou à l'eau, évitant ainsi d'infliger des blessures graves, qui se sont révélées extrêmement nombreuses lors des manifestations du mouvement des Gilets jaunes.

Ma deuxième observation tient à l'impunité des violences policières qui est en soi un grave problème. Dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes, nous avons enregistré trente mutilés : vingt-cinq personnes ont perdu un œil, cinq une main. Pas une seule n'avait fait l'objet de poursuites judiciaires antérieurement, encore moins de condamnations. Ces personnes blessées sont des innocents.

Nous avons enregistré des centaines de blessés graves. Sur le site lemurjaune.fr, vous pouvez voir des centaines de photos de blessures graves infligées à la tête par des LBD et des grenades. Les conditions d'utilisation interdisent que l'on blesse les manifestants à la tête. Or on compte d'innombrables blessures qui n'auraient pas dû être. Par ailleurs, si l'on a enregistré des milliers de condamnations judiciaires à l'encontre des Gilets jaunes, il n'y en a quasiment pas eu contre les policiers. Le lien de confiance est désormais anéanti entre une partie de la population française et les forces de l'ordre, tout simplement parce que de nombreuses personnes, dont je fais partie, ont compris qu'en allant manifester, alors même qu'elles ne commettaient aucune infraction pénale, elles pouvaient être blessées injustement, illégitimement, à tout moment, parfois jusqu'à recevoir un coup grave qui fait basculer une vie. Des drames humains en attestent.

Je vous livrerai maintenant quelques pistes.

Premièrement, le constat est fait que de nombreux policiers ne portent pas leur relevé d'identité opérateur (RIO), qu'aucune discipline n'est imposée et qu'aucune sanction n'est appliquée en la matière ; en outre, si les manifestants le font remarquer aux policiers, ceux-ci leur rient au visage. Il faut trouver des solutions pour qu'ils le portent.

Au cours de l'audition de M. Bauer, j'ai entendu une remarque intéressante sur la multiplication des vidéos et sur le fait que les manifestants peuvent désormais filmer et photographier les policiers. À cet égard, une mesure de bon sens doit être prise. Selon moi, il ne convient pas d'interdire les vidéos ou les photos, surtout pas. Beaucoup de policiers portent des cagoules, ce qui n'est pas interdit, parce qu'ils ne veulent pas être reconnus ni être ennuyés dans leur vie personnelle, ce que je peux comprendre. Mais en contrepartie, ils doivent porter leur numéro d'identification, qu'il n'y ait pas d'impunité et que des procédures disciplinaires et pénales soient mises en œuvre en cas d'usage excessif de la force.

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Je précise que le port de la cagoule par les forces de l'ordre est interdit, excepté pour certaines unités spécialisées qui sont protégées par l'anonymat. Mais se masquer le visage au cours de missions de maintien de l'ordre n'est pas autorisé.

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François Boulo, avocat

Je vous remercie de cette information, monsieur le président. J'avais fait des recherches pour vérifier ce point. À cette occasion, j'ai trouvé plusieurs articles de journalistes qui affirment le contraire.

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François Boulo, avocat

Je vous crois davantage, monsieur le président, que Libération ou je ne sais quel autre journal.

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Les unités de maintien de l'ordre n'ont-elles pas cette possibilité ?

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Non, les unités d'intervention que j'évoquais ne sont pas les unités de maintien de l'ordre, mais celles des services de recherche, assistance, intervention, dissuasion (RAID), et du groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) dont l'anonymat est totalement garanti par les textes.

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François Boulo, avocat

Je ne veux pas trancher sur le port de la cagoule, mais, en tout état de cause, les forces de l'ordre doivent porter leur numéro d'identification. Dans ma bouche, les termes de « violences policières » signifient un usage excessif, disproportionné de la force qui constitue une infraction pénale. Je ne vise pas les usages autorisés de la force pour appréhender des individus délinquants qui commettent des infractions.

Deuxième observation : l'inspection générale de la police nationale (IGPN) ne fait pas, ou peut-être ne peut pas faire correctement son travail, et il est un fait que très peu de procédures aboutissent. Dans le cadre des procédures, nombre de témoins ne sont pas entendus par l'IGPN ; cela pose un vrai problème. Il faut soit réformer cette institution pour qu'elle devienne indépendante, soit, au moins, comme le suggère Alain Bauer, qu'une tierce personne indépendante intervienne pour garantir l'impartialité de la procédure. Cette institution, qui dysfonctionne et rend effective l'impunité des infractions commises par certains policiers dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre, ne peut rester en l'état.

Une autre remarque s'inscrit dans le même sens : nombre des plaintes pénales qui sont déposées par les Gilets jaunes ou les manifestants de manière plus générale sont classées par les procureurs de la République. C'est lié à un véritable problème : les procureurs ne sont pas indépendants dans notre pays. La Cour européenne des droits de l'homme l'a jugé : ils sont sous l'autorité du ministre de la Justice. Prenons-en acte et confions directement ce type de procédures très particulières à des juges d'instruction, statutairement indépendants. Cela permettrait d'instruire à charge et à décharge les enquêtes dans cette matière assez sensible.

Je prends pour exemple le procureur de Nice dans l'affaire Geneviève Legay, sur laquelle Emmanuel Macron avait émis un commentaire. Le procureur avait reconnu avoir menti pour protéger le Président de la République, anéantissant la confiance que les citoyens pouvaient avoir dans leur justice.

Une réforme de l'IGPN s'impose pour que cette institution devienne indépendante ; parallèlement, il faut que les enquêtes judiciaires soient menées par des juges d'instruction plutôt que par des procureurs. Telle est ma suggestion.

Ma troisième observation porte sur le rôle des journalistes pendant les manifestations. Les journalistes sont, pour une large part, à l'origine de la connaissance que nous avons des dysfonctionnements qui surviennent au cours des manifestations. Ils jouent un rôle clé ; aussi faut-il les protéger, leur permettre eux-mêmes d'être protégés par des équipements de protection sans être inquiétés par les policiers, ce qui n'a pas toujours été le cas.

J'ai lu une préconisation préoccupante dans le changement de doctrine de maintien de l'ordre. En effet, le document prévoit que les journalistes ne bénéficient plus désormais d'un statut à part dans le cadre des opérations de dispersion. Or c'est précisément lors des opérations de dispersion que le risque de l'usage excessif de la force est le plus prégnant. Il faut permettre aux journalistes de faire leur travail. Ils sont identifiés comme tels, portent des équipements et le brassard « presse ». Ils doivent être en mesure de faire des images en photographiant et en filmant pour contrôler l'usage de la force. Les journalistes ont ce rôle prépondérant et il est essentiel de protéger leur statut.

Telles étaient les trois observations d'ordre général que je voulais vous présenter avant d'entrer dans la discussion.

Je me permets de vous dire que je suis réellement inquiet pour la suite. Je pense que nombreux sont ceux qui partagent mon inquiétude car en raison de la crise sanitaire et de la crise économique qui s'annonce, nous risquons d'assister à une nouvelle montée de la radicalité et des violences. Je le dis pour que tout soit dit, ici, aujourd'hui. Beaucoup des personnes qui ont manifesté sont convaincues que le pouvoir exécutif a volontairement organisé une stratégie de répression policière et judiciaire dans le cadre des manifestations. Aussi, les conclusions des travaux de votre commission et la loi qui en résultera permettront d'infirmer ou de confirmer les soupçons et les pensées de ces Français. Vous avez un rôle capital à jouer pour montrer aux Français que des mesures sont prises pour garantir la liberté de manifester en l'état – je dis bien « en l'état ».

Au cours des deux dernières années, l'État de droit a disparu dans les manifestations. Il est temps de le réinstaurer.

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Nicolas Hervieu, collaborateur au cabinet Spinosi & Sureau

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, merci de votre invitation.

J'interviens ici au titre de mes fonctions au cabinet Spinosi & Sureau, du nom de ses deux fondateurs. Ainsi que vous l'avez souligné, Patrice Spinosi et François Sureau ont introduit une série de contentieux sur les questions de maintien de l'ordre, pour l'essentiel, au nom de la Ligue des droits de l'homme, mais aussi, récemment, du syndicat national des journalistes sur ces questions touchant à l'usage des techniques de maintien de l'ordre, tels que le lanceur de balles de défense ou les grenades, touchant à l'interdiction des manifestations ou à des sanctions pénales en cas de non-respect de cette interdiction administrative. En outre, récemment, un recours a été lancé contre le schéma national du maintien de l'ordre (SNMO) qui réforme la doctrine en matière de maintien de l'ordre.

La position que j'exposerai sera plutôt une position équilibrée, dans la mesure où elle est celle de la Ligue des droits de l'homme, tout comme celle du syndicat national des journalistes. Je trouve assez intéressant d'ailleurs que ce soit également celle des protagonistes manifestants, des Gilets jaunes en particulier. Cette position repose sur la volonté d'un équilibre entre l'exercice de la liberté de manifestation et la préservation de l'ordre public. Évitons les oppositions caricaturales, la préservation de l'ordre public tient grandement à cœur à tous ceux qui ont à l'esprit la protection de la liberté de manifestation. Rien n'est plus intolérable que des actes de délinquance et les infractions commis au sein des manifestations. Il n'est nullement question de remettre ici en cause les membres des forces de l'ordre ni même de nier plus que des dérapages ou des débordements, à savoir de véritables tentatives insurrectionnelles qui ont pu avoir lieu lors de ces manifestations. La question qui se pose est de savoir comment faire pour réduire la pression et éviter que cela ne se reproduise de façon aussi massive.

Dans le prolongement des propositions qui ont été présentées, il est intéressant de réfléchir à ce qu'il est possible d'envisager, notamment à votre niveau, en tant que législateurs. Qu'est-il possible de faire évoluer pour abaisser la tension et permettre que la radicalisation ne s'implante pas parmi les manifestants ?

Plusieurs pistes ont déjà été évoquées que nous rejoignons en partie au regard des actions menées.

Je souhaite appeler votre attention sur deux points essentiels, à commencer par l'exigence de transparence de l'action des forces de l'ordre comme de l'action des manifestants, car il faut relater les manifestations telles qu'elles se déroulent.

Parmi les exigences de transparence, il faut assurer l'identification des personnes qui participent au maintien de l'ordre sans les mettre en danger – cela est une évidence. À ce titre, le numéro RIO est essentiel. Or, concrètement, nous constatons que cette exigence n'est pas respectée et que ce non-respect n'est pas sanctionné.

Se pose également la question de la couverture des manifestations par des acteurs clés que sont les observateurs au sens général du terme. Vous avez évoqué les journalistes, qui jouent un rôle essentiel, mais il y a aussi les observateurs, lesquels ne prennent pas part à la manifestation mais documentent ce qui se passe, dans les deux sens au demeurant, et non à charge des forces de l'ordre, contrairement à ce qui est souvent décrit. Il est assez sain que le déroulement des opérations dans les manifestations soit documenté afin que nous-mêmes puissions en tirer toutes les conséquences et que des menaces à l'encontre des membres des forces de l'ordre soient mieux réprimées, mieux gérées et anticipées.

À cet égard, on ne peut pas dire que le SNMO apporte beaucoup d'éléments positifs. Certes, ainsi que l'a indiqué le ministre, la volonté est affirmée d'assurer la protection des journalistes lors des manifestations mais cette affirmation est suivie de restrictions préoccupantes, à commencer par le fait de conditionner le droit de se protéger dans les manifestations à la nécessité de prouver que l'on est journaliste, sous-entendu être détenteur de la carte de presse, ainsi que cela ressort de la lettre du schéma national du maintien de l'ordre et des arguments défendus par le ministre de l'Intérieur à l'occasion du recours actuellement devant le Conseil d'État. Le ministre de l'Intérieur l'a déclaré lorsqu'il est intervenu sur France Inter quelques jours après la publication du SNMO : on ne peut être journaliste sans carte de presse.

Lorsque l'on passe en revue les exceptions qui sont prévues dans le schéma national, on a le sentiment que l'on cherche à exclure certains journalistes qui gênent tout particulièrement, à savoir ceux qui n'ont pas la carte de presse et qui ont tendance à relater très abondamment les dérapages et violences des forces de l'ordre. La première question porte donc sur la protection effective des journalistes, notamment sur l'application du délit d'attroupement. Dans le SNMO, il est affirmé que le délit d'attroupement s'applique à tous, journalistes comme observateurs.

Je rappelle que le délit d'attroupement est le fait de se maintenir dans une situation alors que les forces de l'ordre ont demandé la dispersion parce que l'attroupement crée un risque de troubles à l'ordre public. Or les journalistes et les observateurs ne sont jamais en situation de participer à ces troubles ; ils ne sont qu'observateurs. Le ministre de l'Intérieur d'ailleurs ne nie pas que leur présence ne crée pas de trouble à l'ordre public ni davantage une gêne à l'action des forces de l'ordre. Dès lors, nous comprenons mal que le délit d'attroupement s'applique en ces termes.

Aussi est-ce à votre niveau que cela peut se jouer, ainsi que l'a rappelé hier le Conseil d'État dans sa décision sur le recours en référé, qu'il a rejeté faute d'urgence, laissant intacte la question. Par là même, le Conseil d'État a signifié qu'il revenait éventuellement au législateur de modifier la notion de délit d'attroupement. Le sujet est intéressant : protéger ceux qui relatent les opérations de maintien de l'ordre afin d'en tirer les conséquences et de disposer d'observateurs indépendants, surtout lorsque les situations d'attroupement dégénèrent.

Le second sujet qui me semble important, au regard de ce que nous avons pu observer dans le contentieux, a trait à la lutte contre les possibles détournements de procédure. Je vous renvoie au rapport d'Amnesty international qui a relativement bien documenté ces questions. Vous avez évoqué une radicalisation parmi les manifestants. Il est intéressant de noter, plus encore que l'arbitraire, le sentiment d'arbitraire qu'ils ressentent ; ils ont l'impression que l'on utilise des armes pénales non adaptées, telles que des incriminations taillées grossièrement pour placer en garde à vue des personnes qu'on libère immédiatement après la manifestation, autrement dit que l'on use des gardes à vue à des fins détournées. Normalement, on se sert de la garde à vue lorsque l'on constate une infraction. Elle doit donc être utilisée dans une majorité des cas à des fins de poursuites judiciaires ; or ce n'est pas ce que nous constatons dans les pratiques que nous avons observées, notamment lors des différents épisodes des Gilets jaunes.

Toujours pendant la crise des Gilets jaunes, une contravention a été créée sanctionnant le non-respect de l'interdiction administrative de manifestation, le préfet décrétant que la manifestation n'était pas autorisée. L'interdiction administrative préexiste ; ce qui est nouveau, c'est le fait de l'assortir d'une contravention.

La décision administrative du préfet crée une situation d'illégalité et ne peut pas être contestée à temps dans la mesure où les préfets annoncent l'interdiction d'une manifestation sans publier l'arrêté d'interdiction, ou alors en le faisant quelques heures à peine avant la manifestation, rendant impossible le contrôle de cet arrêté par le juge. L'enjeu est de faire en sorte que l'interdiction administrative de manifestation – tout à fait possible et légale – donne lieu à un contrôle juridictionnel effectif de la situation juridique de ceux qui participent à la manifestation interdite. Les manifestants qui persisteraient à se maintenir sur les lieux agiraient le cas échéant en contradiction avec une décision de justice.

Je ne m'étendrai pas davantage, mais je tenais à insister sur l'idée que le bilan de ces derniers mois ne doit pas être manichéen : ceux qui défendent la liberté de manifestation ne doivent en aucun cas être caricaturés comme des anarchistes ou des partisans de violences à l'encontre des forces de l'ordre, ce qui est absolument inconcevable. Tout le monde a intérêt à ce que la pression redescende.

Je ne m'aventurerai pas sur des terrains politiques, mais il est nécessaire que les citoyens conservent une confiance absolue à la fois dans l'État et dans les forces de l'ordre, même lorsqu'il s'agit pour eux de protester contre les choix politiques et économiques qui sont retenus. Il y a beaucoup à faire et, en tant que législateur, vous disposez de leviers d'action particulièrement utiles et efficaces.

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Thibault de Montbrial, avocat

La parole est à la défense !

Un mot de contexte : vos travaux sont essentiels pour garantir l'un des piliers de notre vie démocratique qu'est le droit de manifester. Encore faut-il être vigilants et s'assurer que l'exercice du droit de manifester ne concoure pas à paralyser l'action politique.

Nous vivons dans une société de plus en plus violente – c'est un fait que tout le monde peut constater. Pour ce qui concerne le maintien de l'ordre, si la France a toujours eu une culture de la « baston de fin de manif », depuis le printemps 2016 et les manifestations contre la loi dite El Khomri, nous assistons à une intensification des violences et à un changement des modes opératoires extrêmement inquiétants.

Sans des réflexions comme celle que vous menez, la démocratie pourrait être paralysée par l'exercice de violences pendant les manifestations. Dès lors qu'un projet de loi susciterait le mécontentement d'une fraction de la population plus particulièrement concernée, il suffirait que 1 000 ou 1 500 personnes infiltrent systématiquement les manifestations pour que le gouvernement recule ; il aurait alors pour seul choix de laisser casser ou, au contraire, d'aller à des affrontements qui généreraient une problématique politique plus préoccupante que la question du retrait ou non du texte. Nous sommes confrontés à un double enjeu démocratique entre la liberté de manifestation et le fait que la loi reste l'expression de la volonté populaire prévue par la Constitution, car il n'est pas question que des groupuscules infiltrant des manifestations viennent bloquer le processus constitutionnel.

Dans 99 % des cas – je parle de 99 % des cas, mais je n'ai pas un seul contre-exemple à l'esprit –, les violences ne sont pas le fait de ceux qui ont appelé à l'organisation de la manifestation. La loi sur les questions de maintien de l'ordre a une triple vocation protectrice : protéger l'ordre public ; protéger les manifestants qui sont les premières victimes des violences commises pendant les manifestations ; protéger les fonctionnaires de police et de gendarmerie, en charge de l'exercice du maintien de l'ordre.

J'appelle maintenant votre attention sur un problème de vocabulaire. L'intervention de M. Boulo l'illustre de façon limpide. Comme toujours, si l'on ne pose pas les mots pour définir une situation avant de réfléchir à ladite situation, on risque d'adopter une position idéologique. Les termes de « violences policières » ne sont pas les termes idoines pour débattre de la légitimité du recours à la force par les forces de l'ordre dans la mesure où la police et la gendarmerie ont, en France, le monopole de la violence légitime. Si l'on parle de violences policières, on ne sait si l'on parle de violences policières légitimes ou non. Il faut soit modifier les termes, soit ajouter le mot « légitimes » ou, en l'occurrence, « illégitimes » et parler de la question de violences policières illégitimes. Je ne nie pas qu'il y en ait, mais poser le débat en termes de violences policières revient à postuler que la police et la gendarmerie ne peuvent utiliser la violence, ce qui est absurde.

Cela a également des conséquences sur la procédure. Depuis toujours, j'entends l'argument, exposé ici même, selon lequel il existerait une différence de traitement au cours des enquêtes. Elle porterait sur la légitimité des violences commises par les fonctionnaires d'une part, sur les violences commises à leur encontre d'autre part.

Tout d'abord, il n'existe pas de différence de traitement dans la décision de poursuivre ou non. La différence de traitement tient à la différence de régime. Je pense au traitement des violences contre les personnes dépositaires de l'autorité publique qui sont des infractions spécifiques avec circonstances aggravantes. Le simple constat matériel, identifié, de l'existence d'une violence commise à l'encontre d'une personne dépositaire de l'ordre public suffit à caractériser l'infraction. Dans ces conditions, dès lors que l'on est certain de l'identité de l'auteur de l'infraction – en cas d'incertitude, le tribunal prononce la relaxe, ainsi que cela se produit très souvent après les manifestations –, et que l'aspect matériel de la violence commise contre une personne dépositaire de l'ordre public est acté, on peut rapidement déférer l'auteur au tribunal par la procédure de la convocation par officier de police judiciaire (COPJ), voire en comparution immédiate. Au contraire, dans le cas d'une allégation de violences illégitimes commises par un policier ou un gendarme, le simple constat de l'existence de la violence ne suffit pas, puisque se posera la question de savoir si elle est ou non légitime et impliquera une enquête bien plus longue, plus complexe, qui nécessite d'entendre des témoins, de visionner des vidéosurveillances, autrement dit de mener un travail d'enquête.

En raison de la différence inhérente aux deux infractions – violence illégitime éventuelle commise par les forces de l'ordre d'un côté et violences commises contre les personnes dépositaires de l'autorité publique de l'autre –, il est normal que le traitement ne soit pas le même. Que les durées d'enquête soient si différentes est intrinsèquement lié à cette différence structurelle entre les infractions.

Je réponds à la suggestion émise par mon confrère quant à la possibilité de confier directement tout débat sur la légitimité de la violence d'un policier ou d'un gendarme à un juge d'instruction. Pour des raisons techniques, c'est le prototype d'une fausse-bonne idée. En effet, en France, les juges d'instruction sont des magistrats débordés. Aux termes de la loi, ils s'occupent des affaires de crimes – tous les crimes sont nécessairement confiés à un juge d'instruction – et des délits les plus graves. Confier à des juges d'instruction l'enquête sur une violence présumée illégitime d'un fonctionnaire de police n'accélérera pas la procédure. Que l'enquête soit efficace et l'affaire portée le plus rapidement possible au tribunal est, en soi, un objectif très légitime. Aussi peut-on réfléchir à la possibilité de nommer, par région, voire en se calquant sur la carte des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), un procureur spécialisé dans les affaires de violences illégitimes commises par les fonctionnaires de police. Il aurait également des compétences techniques, ce qui, en l'espèce, revêt une certaine importance. Mais confier l'affaire à un juge d'instruction n'apporterait, dans les faits, aucune amélioration notoire par rapport à l'objectif poursuivi par la réflexion.

Il convient d'avoir à l'esprit un second élément : puisque la police et la gendarmerie ont le monopole de la violence légitime, l'illégitimité éventuelle de l'acte ne découle pas de la matérialité des faits. Autrement dit, ce n'est pas parce que vous avez perdu un œil ou la main que l'acte du policier ou du gendarme qui a abouti à cette perte est nécessairement un acte fautif. Il faut, me semble-t-il, replacer l'église au centre du village et donc bien comprendre où se situe le cœur du débat. D'où l'intérêt de l'enquête et de la procédure, renvoyant ainsi à mes propos précédents.

Il convient de ne pas tomber dans le gouvernement de l'émotion. Ce n'est pas parce que l'on connaît le nombre des personnes qui ont perdu un œil ou une main qu'il faut en déduire que ces personnes n'ont pas commis d'infractions. J'entends l'argument selon lequel elles n'ont pas été poursuivies. Mais le fait de ne pas l'avoir été tient à une raison très simple : lorsqu'une personne ramasse une grenade, ce n'est pas pour la ramener chez elle en souvenir, mais pour la renvoyer sur les forces de l'ordre et commettre mécaniquement une violence illégitime par essence, puisque l'action est tournée contre les personnes dépositaires de l'autorité publique. Par malchance, si la grenade lui explose dans la main, la pratique des parquets, telle que je la connais, vise à considérer qu'il est inutile d'ajouter à un vrai changement de vie une comparution en correctionnelle alors que l'individu a déjà subi un préjudice physique, qui est terrible, que personne ne conteste car il ne s'agit pas de contester le caractère dramatique du dommage. En tout cas, il convient de bien avoir à l'esprit que ce n'est pas le résultat de la violence commise par la police ou la gendarmerie qui en détermine ou non la légitimité.

Je dirai maintenant quelques mots rapides sur le schéma national du maintien de l'ordre. En tant qu'avocat et président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure, je considère que la doctrine qui sous-tend le texte s'inscrit dans la bonne direction.

À mon sens, une plus grande concertation en amont est essentielle. Ainsi que je l'ai souligné précédemment, les organisateurs ne sont pas responsables des violences qui sont commises dans le cadre de leur manifestation. Le dialogue au cours de la manifestation est un élément crucial et les pistes proposées par le Gouvernement sont plutôt bonnes. Pourquoi ne pas améliorer encore ces échanges qui permettraient en temps réel ou quasi réel d'informer les manifestants présents au milieu de la foule ou qui ne voient pas vraiment ce qui se passe à deux cents ou trois cents mètres lorsqu'il s'agit de grandes manifestations ? Il faut toujours améliorer ce qui peut autoriser un dialogue et informer les manifestants de ce qui est en train de se passer.

Sur la mobilité du maintien de l'ordre, le contact est inévitable pour les raisons déjà évoquées. On ne peut considérer que quiconque commettrait un acte violent ne serait pas sanctionné au motif que l'autorité de l'État aurait une répugnance de principe à recourir à l'intervention des forces de l'ordre. Ce n'est pas possible. La question réside dans le glissement du curseur. Je rejoins totalement les propos de mes deux confrères lorsqu'ils soulignent que le maintien de l'ordre est une spécialité. Placer en situation de mobilité des personnes dont ce n'est pas le métier – les fonctionnaires de la BAC ou des compagnies de sécurité et d'intervention (CSI) – revient à prendre le risque que, maîtrisant moins les techniques propres à ce genre d'événements, elles ne commettent des imprudences susceptibles de conduire à des violences illégitimes. Le cœur du problème tient donc à la spécialité. Je crois que le directeur général de la police nationale (DGPN) et le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN) vous l'ont dit. Nous sommes tous d'accord sur ce sujet.

Je conclurai mon propos en évoquant quelques points de détail qui permettront peut-être de lancer le débat.

Un problème d'identification des délinquants se pose lors des manifestations. À la fin du confinement, a été publiée la décision du Conseil d'État d'interdire l'utilisation des drones. Un débat est lancé sur la façon dont les drones peuvent être utilisés pour procéder à des contrôles de foule. Je ne vois pas comment la technologie formidable qu'offre le drone pourrait ne pas être employée. Il convient donc de réfléchir à la façon légale et la plus adaptée de le faire, mais je ne conçois pas que l'État se prive d'un tel outil, qui est aussi dans l'intérêt des manifestants puisqu'il évite les erreurs judiciaires.

S'agissant des journalistes, depuis que je sais lire et encore moins depuis que je suis avocat, je n'ai vu nulle part que la qualité de journaliste exonère de l'obligation de respecter la loi.

Certes, nombre des images spectaculaires qui ont été tournées proviennent de journalistes, mais la notion de journaliste non titulaire d'une carte de presse me laisse pantois ; cela reviendrait à parler d'un avocat qui n'a pas de carte professionnelle d'avocat ! Les diplômes et les exigences légales sont faits pour les protéger. Si l'on veut être journaliste, on devient journaliste mais on ne peut s'autoproclamer journaliste parce que l'on utilise une caméra au service du militantisme politique. On peut être journaliste et militant, mais si l'on est militant sans être journaliste, on n'est pas journaliste !

Troisièmement, il me semble indispensable de conserver un armement intermédiaire. On ne peut être dans la logique du tout ou rien. Un armement intermédiaire doit permettre de maintenir à distance. Si le choix oscille entre l'utilisation d'un outil collectif tel que le lanceur d'eau et le contact, il faut avoir conscience que le contact engendrera de la casse des deux côtés. Je pense que la grenade de désencerclement, qui évite bien des drames, est un outil indispensable, pas uniquement en maintien de l'ordre. Il est à noter qu'une grenade à éclats non létaux est venue remplacer la précédente.

Tout le monde est d'accord sur un point : la décision du tireur de LBD sera désormais soumise à l'accord d'un « superviseur » ; c'est un pas dans la bonne direction. Je ne suis pas sûr que beaucoup d'avocats tirent au LBD. C'est pourtant mon cas. On dénombre un taux élevé d'accidents de LBD. Viser un individu qui est en train de commettre une infraction – il s'agit souvent de jets de projectiles sur les forces de l'ordre –situé à vingt ou trente mètres dans la foule, est extrêmement délicat. Nous ne sommes pas au stand de tir, la cible n'est pas en carton à attendre tranquillement le projectile. Si la cible se baisse pour ramasser un projectile au moment du tir, il peut arriver que la personne située derrière reçoive la balle. Le sujet est extrêmement compliqué. On ne peut se résoudre à avoir comme choix uniquement l'abstention de la mise à distance ou l'utilisation d'une arme létale qui n'a évidemment pas de sens, sauf événement gravissime.

Quatrièmement, le respect de la déontologie passe par l'identification des fonctionnaires. Je suis favorable au port du RIO, qui, en général, est trop petit pour qu'on le voie vraiment. Dans le schéma national, il est demandé la généralisation du marquage dorsal, à l'instar des sportifs, par le port d'un numéro de grande taille et d'une lettre identifiant les fonctionnaires et leur unité. C'est la solution idoine, me semble-t-il, pour les identifier sur les images.

En tant qu'avocat, j'émets une réserve sur l'identification par le visage. La réflexion que nous conduisons s'inscrit dans le contexte actuel. De nos jours – et je ne parle plus de maintien de l'ordre –, un grand nombre de personnes cèdent à une logique de chasse aux policiers et aux gendarmes, qui va jusqu'à vouloir les atteindre dans leur vie privée. C'est ainsi que de plus en plus de policiers et de gendarmes sont agressés hors service. Des sites internet les ciblent par le biais d'images prises au cours de leur exercice professionnel, dont le maintien de l'ordre.

Il faut réfléchir à la question de l'identification des fonctionnaires, sur laquelle je suis évidemment d'accord, en mettant également dans la balance leur protection physique. Aussi, il est, selon moi, préférable d'identifier les fonctionnaires par lettres ou par chiffres que par le visage. Le SNMO interdit le port de la cagoule en maintien de l'ordre. Personnellement, que les fonctionnaires de police et de gendarmerie portent une cagoule ne me choquerait pas, dès lors que les autres éléments d'identification évoqués seraient présents. Si l'on maintient l'interdiction du port de la cagoule pendant le maintien de l'ordre, il faut se poser la question de l'interdiction de diffuser des images où l'on reconnaît les fonctionnaires. Dès lors, la diffusion publique d'images serait soit purement et simplement interdite, soit assortie de l'obligation de flouter les visages, de même que l'on floute les menottes des personnes entravées.

Je termine par un clin d'œil : si la seule motivation de ceux qui diffusent des vidéos de violences policières illégitimes résidait dans la sanction de gestes éventuellement punissables, les vidéos seraient directement envoyées à l'IGPN et au parquet et ne seraient pas diffusées massivement sur les réseaux sociaux en étant souvent, au surplus, tronquées. Je pense donc que la question de l'identification des policiers et des gendarmes en maintien de l'ordre est une question d'importance qui dépasse très largement le sujet du maintien de l'ordre et porte sur la sécurité physique de nos policiers et gendarmes.

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Je vous remercie, messieurs, de ces précisions importantes et intéressantes, qui ne vont pas toutes dans le même sens, mais c'est tout l'intérêt de ce débat à la fois technique, éthique et déontologique. Nous ne le voulions surtout pas politique. Cela dit, monsieur Boulo, vous avez introduit un élément politique, une sorte de doxa que nous entendons souvent répéter à l'envi, comme autant de mantras – le chômage de masse, l'explosion du taux de pauvreté –, qui ignore que la France est l'un des pays où le taux de pauvreté est le plus bas. Cela se passait avant la pandémie, car, malheureusement, le covid rebat les cartes de manière rapide et sauvage. Il n'en reste pas moins que, avant le covid, le chômage baissait, et de belle manière. Vous avez relevé l'échec des politiques économiques. C'est votre avis. Nous sommes loin du débat que nous voulons instaurer aujourd'hui, et allons donc le recentrer.

Monsieur Hervieu, si nous savons ce qu'est un journaliste, avec ou sans carte, nous ne savons pas trop ce qu'est un observateur ; nous ignorons s'il existe un statut des observateurs, s'ils ont le droit d'être présents aux manifestations et la façon de les gérer.

J'ai bien entendu vos précisions sur l'utilité des drones. Sachez que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) demande au législateur de s'emparer du sujet car il n'existe pas de loi qui réglemente leur usage. Nous allons, par conséquent, nous saisir de cette question dont le traitement devient urgent.

Avant de céder la parole à Mme la rapporteure, j'aimerais avoir des précisions sur les observateurs.

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Nicolas Hervieu, collaborateur au cabinet Spinosi & Sureau

Il existe un statut juridique des observateurs qui résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme. Dans un arrêt de 2009 contre la Hongrie, elle qualifie les observateurs des droits humains, pour le cas précis des manifestations, à l'instar de la presse, de « chiens de garde publics ». En vertu de la Convention européenne des droits de l'homme, ils bénéficient de la même protection que celle accordée à la presse. En tant que tels, on estime que les observateurs sont des observateurs passifs et qu'ils ne participent donc pas à la manifestation. Leur fonction consiste à la documenter et ils occupent toujours une posture passive dans le déroulement de la manifestation.

Le fondement et le statut juridiques existent dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, mais ils n'ont pas encore donné lieu à des développements en droit interne, précisément parce que nous n'avons pas encore eu à connaître de contentieux. Mais ce sera le cas à l'occasion du recours concernant le schéma national du maintien de l'ordre.

Cette réponse me donne l'occasion de faire le lien avec la remarque portant sur les journalistes qui n'en auraient pas le titre parce qu'ils ne seraient pas titulaires d'une carte de presse. Pourquoi cette différence ? Les règles légales d'attribution de la carte de presse par la profession sont liées à une définition du statut du journaliste fixée par le code du travail, en son article L. 7111-3. Cette définition réserve l'attribution de la qualité de journaliste et, partant, l'attribution de la carte de presse, au fait d'être rémunéré à titre salarié, soit par un contrat à durée indéterminée, soit par un contrat à durée déterminée – ce qui inclut les piges. Nous savons que, dans notre société, de plus en plus d'activités ne relèvent pas du salariat mais du recours à des sociétés sous-traitantes ou à l'auto-entreprenariat. Les personnes non salariées exercent fonctionnellement la mission propre aux journalistes, notamment au regard de la définition posée par la loi de 2010 sur la protection des sources des journalistes, alors même que l'attribution des cartes de presse est en France conditionnée à une définition insuffisamment large. Je souligne à nouveau que ce constat n'est pas le mien, mais celui du ministre et des services du ministère de l'Intérieur qui l'ont indiqué devant le Conseil d'État. Dans ce contexte, la restriction n'est pas légitime.

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Il s'agit donc d'une jurisprudence issue d'un jugement rendu par la Cour européenne des droits de l'homme.

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Nicolas Hervieu, collaborateur au cabinet Spinosi & Sureau

Une affaire contre la Hongrie du 14 avril 2009.

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Nicolas Hervieu, collaborateur au cabinet Spinosi & Sureau

Je relève votre étonnement sur la Hongrie. On a coutume en France de tiquer lorsque des affaires sont rendues contre d'autres États. Nous avons signé la Convention européenne des droits de l'homme, dont l'article 46 dispose que tous les États doivent respecter les arrêts rendus par la Cour. Il peut être gênant de ne pas suivre les arrêts rendus contre d'autres États comme on l'a vu en 2008, à la suite d'une affaire contre la Turquie sur la question du droit à l'assistance d'un avocat en garde à vue. Pendant deux ans, la France, notamment sa garde des Sceaux, avait estimé que cela ne concernait pas notre pays. Pour finir, le Conseil constitutionnel en a tiré les conséquences.

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Nicolas Hervieu, collaborateur au cabinet Spinosi & Sureau

Je répondais à votre remarque sur la Hongrie.

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Je n'ai pas fait de remarque, j'ai simplement dit « Hongrie ». Il s'agit donc d'une jurisprudence tirée d'un jugement rendu par la Cour européenne des droits de l'homme. Très bien.

Dans le nouveau schéma national, un paragraphe porte sur l'encagement, aux termes duquel : « Sans préjudice du non‑enfermement des manifestants, condition de la dispersion, il peut être utile, sur le temps juste nécessaire, d'encercler un groupe de manifestants aux fins de contrôle, d'interpellation et de prévention d'une poursuite des troubles. Dans ces situations, il est systématiquement laissé un point de sortie contrôlé aux personnes. » La règle pose donc le principe du non‑enfermement des manifestants. Je livre ces éléments pour votre information.

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Je vous remercie, messieurs, de nous avoir apporté votre expérience et vos réflexions sur un sujet qui, ainsi que vous l'avez souligné, est important dans notre société car il soulève des difficultés liées à la confiance entre une partie de l'opinion et les forces de l'ordre, dont nous connaissons le rôle très important.

Parmi les éléments que vous avez relevés, des prises de position me semblent non négligeables. Ainsi, comme vous l'avez déclaré, la politique du maintien de l'ordre ne peut pas, à elle seule, être une réponse aux difficultés économiques et sociales que rencontre un certain nombre de nos concitoyens et qui les poussent à manifester dans la rue. La hiérarchie de la gendarmerie et de la police nous l'a dit : les forces de l'ordre ne peuvent pas tout régler dans une société. Elles interviennent à un moment donné, mais d'autres réponses sont à apporter pour résoudre les difficultés que vous avez évoquées.

Par ailleurs, je ne dois pas avoir la même connaissance des manifestations que le président de la commission car je sais que des observateurs sont présents depuis très longtemps. Je me souviens que la Ligue des droits de l'homme, en relation avec les Casques bleus, envoyait des personnes pour observer ce qui se passait sur le terrain sans prendre parti. Les échanges entre vous le montrent : peut-être serait-il utile de mieux caractériser le rôle de l'observateur, voire leurs droits et prérogatives. C'est là un élément non négligeable que le législateur peut contribuer à définir.

Vous avez évoqué, les uns et les autres, des incidents dont on a parlé ces temps derniers. Peut-on en conclure que le dispositif de maintien de l'ordre porte atteinte au droit de manifester ? Amnesty international semble dire que la manière quelque peu militaire dont les choses se passent dissuade de nombreuses personnes de manifester, ce qui est dommage.

Il a été rapporté que de nombreuses interpellations, parfois assez brutales, débouchaient rarement sur des poursuites judiciaires. J'ai bien entendu l'argumentation de maître de Montbrial qui a expliqué la différence entre violence légitime et violence illégitime. Dès lors que la violence est établie, on peut poursuivre le manifestant qui en est l'auteur ; dans le cas de violences provenant des forces de l'ordre, la procédure est plus compliquée et plus longue, car il faut reconstituer les faits pour juger de leur caractère légitime ou pas. Si nous comprenons la question des délais, il n'en reste pas moins que nous devrions, pour finir, enregistrer des poursuites. Comment expliquez-vous que le nombre de personnes poursuivies pour violences policières illégitimes soit si faible ?

Maître de Montbrial, vous avez parlé d'une forme de neutralité des parquets quand les affaires portaient sur des difficultés entre forces de l'ordre et interpellés. Pourriez-vous illustrer votre propos qui expliquerait peut-être les raisons pour lesquelles nous relevons un faible nombre de poursuites ?

Parmi les questions que se posent les associations, relevons que les articles du code pénal utilisés en l'espèce revêtent souvent une formulation assez vague. On nous a cité dans d'autres occasions l'article 222‑14‑1 du code pénal et le délit d'outrage. Qu'en pensez-vous ?

Monsieur Hervieu, en tant que défenseur de la LDH et du syndicat national des journalistes, vous observez que le nouveau schéma du maintien de l'ordre porte atteinte à la liberté de la presse et à la liberté individuelle. Le Conseil d'État a rejeté le référé, en l'absence d'urgence. Un recours au fond a-t-il été déposé et sur quels fondements ?

Enfin, le développement des échanges entre les forces de l'ordre et les manifestants font partie des pistes qui sont développées par le nouveau schéma de maintien de l'ordre. Pourriez-vous nous livrer votre avis sur le dispositif de liaison et d'information prévu dans ce schéma ?

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François Boulo, avocat

Maître de Montbrial, je ne veux pas trancher sur le débat sémantique pour savoir s'il faut parler de violences policières ou de violences policières illégitimes. Sous le terme de violences, j'entends un usage excessif de la force, autrement dit une infraction. À vous de trancher sur les termes qu'il conviendrait d'utiliser dans le débat public pour que tout le monde s'accorde et que ne subsiste aucun point de désaccord d'ordre sémantique.

Vous avez instillé le doute, en demandant si les manifestants blessés n'avaient pas commis des infractions. Dans certains cas, le doute ne subsiste pas, que ce soit pour Jérôme Rodrigues ou pour Manu, le Gilet jaune qui a perdu un œil place d'Italie. Dans ces deux cas, les vidéos le montrent : Jérôme Rodrigues, parce qu'il était en train de filmer, et Manu, parce qu'il était filmé, n'étaient nullement en train de commettre une infraction. Nous le savons, nous n'avons pas à faire à des délinquants, mais à des personnes qui ont été mutilées sans aucune raison. Pour Manu, ce n'est ni la justice ni l'IGPN qui a mené l'enquête, mais Le Monde. Les journalistes ne devraient pas avoir à se substituer aux institutions pour mener les enquêtes lorsque des violences policières se produisent.

Cela m'amène à un autre point. Mon confrère de Montbrial essaie d'expliquer le décalage des chiffres. Je veux bien le concevoir, tant il est vrai que les dossiers sont plus difficiles à appréhender pour les policiers, car il convient de déterminer s'il y a eu ou non un usage excessif de la force. Si l'on se réfère aux chiffres au 30 juin 2019, on note plus de 3 000 condamnations judiciaires prononcées contre les Gilets jaunes. Aujourd'hui, les condamnations prononcées contre les policiers ne se comptent même pas sur les doigts de la main, à peine trois ou quatre. Le décalage ne se justifie pas, ce qui a engendré un sentiment d'impunité.

Je suggère de confier – d'autres pistes sont possibles – les procédures aux juges d'instruction plutôt qu'aux procureurs. Si l'argument, c'est de mettre en avant leur surcharge de travail et l'impossibilité, par conséquent, de leur confier une charge supplémentaire, la solution consisterait à embaucher des juges d'instruction ! Allons‑nous sacrifier l'État de droit faute de crédits ? Combien de temps encore allons-nous raisonner ainsi ? Si nous abordions le sujet, je sais très bien qu'il nous mènerait à des désaccords politiques de fond. Je n'y viens donc pas. Mais il faut assumer les conséquences. Soit nous confions les procédures aux magistrats qui sont statutairement indépendants, soit nous faisons le choix assumé de ne pas faire respecter l'État de droit dans notre pays, ce qui emportera des conséquences, qui se traduiront par des montées de radicalité ainsi que par des violences dans les mouvements de protestation.

Monsieur le président, sur les nasses, vous avez rappelé que le texte du SNMO prévoyait des points de sortie filtrés. J'en ai fait l'expérience, lors de la Marche pour le climat du 21 septembre 2019, à laquelle participaient des Gilets jaunes. Nous avons été bloqués pendant plus d'une heure. Les personnes qui n'ont pas réussi à se rapprocher des grilles du Palais du Luxembourg et qui étaient dans les rues adjacentes ont subi des jets de gaz et des violences, alors qu'elles ne faisaient pas toutes partie de groupuscules violents. De telles stratégies conduisent nécessairement à blesser des innocents.

Par ailleurs, le 16 novembre 2019, date anniversaire du début de la mobilisation des Gilets jaunes, j'ai réussi à m'échapper de la nasse, place d'Italie, parce que, après en avoir fait tout le tour, j'ai constaté que seule une rue n'était pas bloquée. J'étais positionné à ce point de jonction au moment où instruction a été donnée aux policiers de fermer cette dernière rue. Avec d'autres, j'ai eu le temps de sortir de la nasse. Pendant au moins deux heures, les manifestants ont été bloqués place d'Italie. Cela a donné lieu à des affrontements, à des blessures, notamment à l'encontre du Gilet jaune nommé Manu.

S'agissant des observateurs, il ne convient pas de les balayer d'un revers de la main. Ces personnes jouent un rôle essentiel : elles sont là pour observer ce qui se passe, d'un côté comme de l'autre. Peut-être pourrions-nous envisager une accréditation qui serait accordée par l'autorité administrative. Ces personnes font partie d'Amnesty international ou de la Ligue des droits de l'homme, autrement dit d'organisations structurées. On peut envisager qu'une accréditation particulière, administrative, leur soit accordée pour autoriser leur présence lors des manifestations, ce qui faciliterait le travail des policiers sur le terrain.

Je me permets deux dernières remarques. Au-delà des violences, qui sont les événements les plus graves, l'impunité à l'œuvre a conduit certains policiers à faire preuve de zèle dans l'application de la loi, voire dans la compréhension de l'esprit de la loi. Ainsi, le 14 juillet 2019, nous avons vu des policiers crever les ballons jaunes de personnes qui étaient venues pacifiquement et symboliquement porter des ballons jaunes en signe de contestation de la politique d'Emmanuel Macron. Je ne crois pas que la loi permette ce genre d'actes. Manifestement, il y a là une atteinte à la liberté d'expression. De la même manière, certains policiers se sont crus autorisés à conditionner la sortie des nasses, en tout cas des lieux de manifestations, au fait que les manifestants enlèvent tout vêtement jaune qu'ils portaient : pour l'un une cravate jaune, pour l'autre un chapeau. Nous en arrivons à des dérives qui ne peuvent être comprises ni par les citoyens ni par les manifestants. Il faut prendre la mesure de toutes les conséquences nées de l'impunité des policiers, qui a présidé au cours de cette période.

Sur la question du droit de manifester, parmi tous ceux qui ont été amenés à manifester, deux catégories de citoyens se détachent : ceux qui se sont radicalisés, qui ont intégré les black blocs et qui désormais sont convaincus que rien ne pourra s'obtenir autrement que dans la violence, et tous ceux qui ne viennent plus manifester par peur d'être blessés. Une telle situation, en France, au pays des droits de l'Homme, est anormale. D'aucuns pourraient penser sans le dire que, finalement, c'est une bonne chose que ces personnes restent chez elles et ne manifestent plus. Mais si nous ne permettons plus aux personnes de s'exprimer pacifiquement dans la rue, la frustration et la colère rejailliront tôt ou tard et à un degré de violence supérieur.

Il faut adopter une vision à long terme et prendre du recul, afin d'abaisser la tension en essayant de rendre à nouveau effective la liberté de manifester. Je ne nie pas que la montée des violences complique encore la tâche. Nous essayons de livrer aujourd'hui des pistes pour le permettre, sans non plus ignorer les impératifs de préservation de l'ordre public.

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Nicolas Hervieu, collaborateur au cabinet Spinosi & Sureau

Madame la rapporteure, un recours au fond a été déposé devant le Conseil d'État. C'est d'ailleurs une exigence pour que le recours en référé puisse être examiné. À cette occasion, une série de questions a été soulevée. Les sujets placés au cœur du référé sont relatifs à l'implication des journalistes et des observateurs dans un délit d'attroupement, à la question de conditionner le droit pour les journalistes d'être protégés au fait de disposer d'une carte de presse et de ne pas commettre de provocations. La notion de provocation pourrait conduire à priver un journaliste du droit d'être protégé ; on comprend mal ce que cela signifie. Enfin, le troisième point concernait le fait de privilégier l'accès à l'information au cours de la manifestation aux seuls journalistes porteurs d'une carte de presse.

La question de la nasse, quant à elle, fait actuellement l'objet d'un contentieux pendant devant la Cour de cassation, dont l'enjeu est central. D'autres questions pourront être soulevées au cours de cette procédure. Enfin, le Conseil d'État a vocation à statuer sous dix à douze mois sur le recours en annulation contre ce schéma national du maintien de l'ordre.

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Thibault de Montbrial, avocat

Madame la rapporteure, vous demandez si les conditions de l'exercice du maintien de l'ordre contreviennent au droit de manifester. Selon moi, le problème ne se pose pas en ces termes. Il convient de définir la façon dont les manifestants peuvent continuer à manifester sans que leur intégrité physique soit menacée et sans que l'exercice du droit de manifester aboutisse à ce que d'autres intégrités physiques ou matérielles soient touchées. Le SNMO a davantage vocation à protéger contre les casseurs qu'à empêcher de manifester.

J'en viens à votre question sur le faible nombre de poursuites à l'encontre des personnes dépositaires de l'autorité publique. J'aurais évoqué la neutralité des parquets. Je ne suis pas certain d'avoir employé ce terme, mais si je l'ai fait, cela ne m'empêche pas de vous répondre. En France, le parquet a l'opportunité des poursuites. En cas de suspicion d'infraction pénale, en l'occurrence une suspicion de violence illégitime commise par un policier ou un gendarme, les premiers éléments sont portés à la connaissance du parquet qui a le choix d'ouvrir ou non une enquête. Actuellement, contre les forces de l'ordre – et pas seulement en maintien de l'ordre –, des individus pratiquent une politique consistant à noyer les parquets sous les plaintes contre les policiers pour essayer de paralyser l'action de la police, et incidemment l'action de l'IGPN. Je ne dis pas que la manœuvre est systématique mais ce sont des faits que nous observons et qui contraignent le parquet à faire des choix. Lorsque le parquet choisit de ne pas poursuivre, cela ne signifie pas qu'il violerait une obligation de neutralité, mais qu'il considère qu'il n'y a pas, dans le dossier considéré, d'éléments suffisants pour poursuivre, ce qui est souvent le cas dans les plaintes portées contre les policiers et les gendarmes.

Pour les dossiers qui justifient une enquête, le nombre de poursuites est faible, dites-vous. Ce n'est pas exact. Pour plusieurs raisons sur lesquelles je ne reviens pas, les enquêtes sont plus longues car il faut se poser la question concrète de la légitimité ou non de l'acte de violence, dans la mesure où sa seule manifestation ne permet pas en soi de conclusions. S'ajoute un facteur que l'on oublie souvent dans l'équation – je l'ai moi-même oublié tout à l'heure, c'est vous dire ! – : les enquêtes sur les actes commis par des policiers, par exemple, sont confiées à l'IGPN, un service d'enquête spécialisé, qui ne traite pas uniquement des questions de maintien de l'ordre, mais de toutes les difficultés de l'exercice du métier de policier. Les services de l'IGPN n'étant pas extensibles à l'infini, on assiste à un effet d'embouteillage, qui contribue à donner l'impression de ralentissement.

N'oublions pas la crise du covid. À mon cabinet, de mémoire, deux dossiers qui ont été audiencés à la fin de l'hiver ont été renvoyés à la fin de 2020, voire au début de l'année 2021. Aussi, lorsque vous déclarez que très peu de policiers ont été condamnés, la vraie question porte sur les policiers qui ont été jugés – car on n'est jamais à l'abri qu'ils soient relaxés. Mais il est vrai que de très peu de policiers ont été jugés. À Paris et dans certaines grandes villes de province, une série de procès sera audiencée dans les mois qui viennent. À l'été 2021, à supposer que les périodes de reconfinement ne soient pas trop longues, nous devrions disposer de statistiques sensiblement différentes sur la façon dont la justice aura traité les dossiers de violences illégitimes, excessives, de policiers.

Maître Boulo a indiqué que 3 000 manifestants avaient été condamnés. En cumulé, on comptabilise des centaines de milliers, voire des millions de manifestants, dans la mesure où, pour les seuls Gilets jaunes, des manifestations étaient organisées tous les samedis pendant dix‑huit mois. Si, pour finir, le ratio est de 3 000 sur plusieurs millions de manifestants, le chiffre ne me paraît pas particulièrement choquant. Heureusement que l'on ne compte pas 3 000 policiers ou gendarmes ayant commis des violences illégitimes ; si c'était le cas, on parlerait d'un autre pays que de la République française !

En conséquence, dénombrer quelques dizaines de dossiers litigieux sur la façon dont les forces de l'ordre ont exercé leur mission sur la base d'un tel ratio – je reprends le chiffre de mon confrère, ne disposant pas du chiffre précis –, me semble prévisible au regard du sujet.

Madame la rapporteure, vous avez ensuite demandé si le code pénal était suffisamment précis pour traiter un certain nombre de délits, dont les outrages. Ma réponse sera très simple : il me semble que c'est le cas. Ensuite, il appartient aux juges de faire leur travail.

Je répondrai enfin d'un mot à mon confrère. Monsieur Boulo, si vous voulez que je dise que le budget de la justice a besoin d'être significativement augmenté, bien plus encore que des 8 % annoncés, qui constituent déjà un bel effort, je suis d'accord à 100 % avec vous. Nous serons tous d'accord. D'une manière générale, en ces temps troublés où son autorité est fortement bousculée, avec un risque de fracture de notre société, je pense que l'État doit se reconcentrer sur les grands budgets régaliens dont la justice fait partie. Je quitte le terrain politique que j'ai abordé un quart de seconde pour retrouver celui de notre débat du jour.

L'accréditation des observateurs, dont il faut clarifier le statut, est une excellente idée. Si le statut de journaliste ne convient plus, il faut le modifier. Je n'ai pas de compétences professionnelles sur la question. Je puis seulement avancer, de mon point de vue d'avocat des forces de l'ordre, la nécessité de pouvoir identifier clairement les personnes au cours des manifestations, car nombreuses sont celles qui sont dans une logique de violence et qui tirent argument d'une prétendue qualité qui n'existe pas juridiquement. Si le droit ne correspond plus à l'évolution de la société, ce que je peux tout à fait entendre, il appartient à la représentation nationale de s'emparer du sujet. Mais on ne peut demander aux policiers de distinguer entre les bons et les mauvais journalistes, entre les vrais et les faux journalistes. Certains journalistes ont un statut, d'autres non. Aussi, clarifions la situation !

En conclusion, parce que mon confrère a déclaré que des personnes n'allaient plus manifester par peur d'être blessées, j'ajoute qu'il ne faut pas confondre la cause et les conséquences. Les personnes sont blessées parce qu'il y a de la violence dans les manifestations ; or ce ne sont jamais les forces de l'ordre qui la commettent en premier.

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Tout d'abord, j'admire l'équilibre du panel des hommes de loi présents cet après-midi. Les points de vue sont nombreux et divers, ce qui fait tout l'intérêt du débat.

Je partage assez les propos introductifs de maître Thibault de Montbrial. Lors des auditions, je pose souvent la question de la banalisation du statut des forces de l'ordre et du regard que notre société porte sur elles et sur leur pouvoir, théoriquement exorbitant, qui est souvent contesté. Il est vrai que l'expression de « violences policières » sous‑entend de plus en plus souvent que toute répression par la police devient une violence policière. La question de la banalisation est intéressante.

Dans la mesure où je suis face à trois hommes de loi, je leur poserai une question strictement juridique. Il ne s'agit pas d'une question piège. Elle s'adresse plus spécifiquement à maître Boulo. M. Hervieu y a en partie répondu, mais je voudrais la creuser.

Si, demain, le préfet de police de Paris interdisait une manifestation sur les Champs Élysées et que je m'y rendais pour manifester, pouvez-vous nous rappeler, au regard de la loi, dans quelle situation je me place ? Vous y avez en partie répondu, mais j'y reviens, parce que vous avez dit, monsieur Boulo, qu'une grande partie des manifestants n'étaient pas en infraction et que les Français ne comprenaient pas qu'ils reviennent blessés, alors qu'ils n'étaient pas en infraction. Vous officiez à Rouen ; je suis élu de l'Eure. L'agriculteur ou la commerçante de mon village de mille habitants ne comprennent pas non plus vraiment pourquoi des personnes vont manifester quand une manifestation est interdite.

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Pardon, mais des agriculteurs manifestent sans autorisation !

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J'ai cité les agriculteurs, parce qu'ils sont nombreux dans mon secteur, mais ce peut être une commerçante ou une autre personne. Il est arrivé que le préfet interdise la manifestation et que celle-ci ait lieu aux endroits mêmes où elle était interdite. Souvent, le préfet a proposé des lieux plus propices au maintien de l'ordre, comme le Champ de Mars.

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S'agissant du nouveau schéma national de maintien de l'ordre, nous avons entendu plusieurs d'entre vous vous exprimer sur la question des journalistes, des observateurs, de leur rôle et du statut qui pourrait leur être reconnu. Je ne vous ai pas entendu sur le volet relatif à la communication et à l'information, qui font partie des apports nouveaux, me semble-t-il. Je pense à l'information des organisateurs et des manifestants, qui passe par un nouveau dispositif de liaison et d'information, ainsi que par la modernisation des sommations. Ce chapitre sur les sommations, l'information et les liaisons vous semble-t-il de nature à réduire les tensions dans les manifestations ainsi que les menaces pesant sur l'intégrité physique des manifestants et des membres des forces de l'ordre ?

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Messieurs, merci de nous donner des réponses rapides, même si l'exercice est peut‑être nouveau pour vous, nous sommes contraints par l'horaire !

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Nicolas Hervieu, collaborateur au cabinet Spinosi & Sureau

Je ne vais pas commencer par dire que je serai concis, sinon je ne le serai pas... Le schéma contient des aspects très positifs. Lorsque l'on porte la parole de ceux qui le contesteront, on pointe généralement les éléments négatifs. Sans vouloir préjuger l'avis de mes collègues, je pense que notre avis est commun sur l'introduction d'éléments utiles, telles que la discussion et l'amélioration de la communication. La question de la modernisation des sommations prête, quant à elle, à débat car on peut s'interroger sur leur pleine efficacité. Nous verrons le contenu du décret que le schéma annonce.

Juridiquement, depuis la parution du décret de février 2018, se rendre à une manifestation qui a été interdite revient à commettre une contravention. Se pose la question de son interdiction administrative et des conditions dans lesquelles on peut envisager de contester sa proportionnalité. Dans certains cas, le préfet dit juste et fait correctement son travail d'encadrement ; dans d'autres, on peut en discuter. Il y a eu des hypothèses de suspension d'interdiction administrative de manifestation, sous réserve que l'arrêté soit publié suffisamment de temps à l'avance pour en saisir un juge.

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François Boulo, avocat

Monsieur le président, la concision est devenue une habitude. En effet, désormais, nous n'avons plus tout à fait le temps de plaider dans les prétoires... Si M. Hervieu vous a répondu du point de vue juridique sur l'interdiction des manifestations, je vous ferai, pour ma part, une réponse plus circonstanciée, qui me semble plus juste. Pendant le mouvement des Gilets jaunes, les ronds-points ont été systématiquement évacués au bout de quelques jours. C'est ce qui a déplacé le mouvement de protestation, notamment en centre-ville dans les grandes villes de province. Puis est arrivé un moment où les préfectures ont interdit systématiquement les manifestations. Dès lors que l'on interdit aux gens d'exercer leur droit de manifester, ils bravent l'interdiction. Dans certains cas particuliers, tel l'anniversaire des Gilets jaunes, place d'Italie, la manifestation autorisée avait été organisée en lien avec la préfecture. J'étais sur place. Une demi-heure avant la manifestation, ses organisateurs ont appris qu'un arrêté d'interdiction venait d'être pris. La place d'Italie était bondée. Selon moi, ce fut là une décision très inconséquente car elle a placé tout le monde dans une situation impossible.

Face à la stratégie d'affrontement de certains groupes de manifestants contre les policiers, à Rouen, nous avons adopté des dispositifs différents. Lorsque les policiers avaient des cordons de fixation, empêchant la circulation fluide du cortège de manifestants, nous connaissions des heurts dès onze heures ou onze heures et demie du matin. En revanche, lorsque des dispositifs plus souples et plus larges ont été déployés, afin de protéger uniquement les lieux sensibles, et que le maximum de liberté de circulation a été laissé aux manifestants, nous n'étions confrontés à des heurts qu'en toute fin de manifestation, vers dix-sept heures ou dix-huit heures. Les manifestants, pour une très large majorité, viennent pour manifester et non pour affronter les forces de l'ordre. Ils ne s'arrêtent pas. Si des provocations interviennent, le cortège continue de défiler, et ceux qui étaient venus pour affronter les forces de l'ordre sont obligés d'y rester, pour être protégés. Plus on met de distance, moins on connaît de points de fixation, tout en interdisant aux personnes venues pour affronter les forces de l'ordre de le faire. Au mois de février, à Rouen, les policiers ont ainsi été positionnés très à distance, ce qui a permis d'éviter énormément d'affrontements et d'abaisser le niveau de tension en manifestation.

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Thibault de Montbrial, avocat

Madame la députée, l'équipe de liaison et d'information, qui est au contact du directeur du service d'ordre selon le nouveau schéma, est un vrai progrès. Il convient aussi de noter l'utilisation de tous les moyens de communication, les mégaphones et les sms. Ce sont des éléments qui vont dans la bonne direction. Certes, il faut éduquer les manifestants afin qu'ils prennent l'habitude de consulter sur leur portable les informations qui les concernent. Cela évoluera avec le temps. Il ne faut rien s'interdire pour renforcer la fluidité de l'information, car cela ne peut qu'être vertueux.

Aux sommations « première sommation », « dernière sommation » et « nous allons faire usage de la force », a été ajoutée la formule « quittez immédiatement les lieux ». La dernière sommation est plus claire encore, assortie du rappel « nous allons faire usage de la force ». Ceux qui n'ont pas envie de partir ne partiront pas, mais l'immense majorité des manifestants pacifiques qui viennent exercer leur droit constitutionnel à manifester pourront se dire que le moment est venu de partir vite et loin. J'ai été concis, monsieur le président !

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Merci d'avoir respecté la consigne ; j'ignorais que vous aviez de l'entraînement dans les prétoires ! Je vous remercie beaucoup. Il est toujours intéressant d'échanger. Merci d'être venus jusqu'à nous par ces temps incertains – je parle du covid !

La séance est levée à 17 heures 05.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Michel Fauvergue, M. Fabien Gouttefarde, Mme Constance Le Grip, Mme George Pau-Langevin