Intervention de Thibault de Montbrial

Réunion du mercredi 28 octobre 2020 à 15h30
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Thibault de Montbrial, avocat :

Madame la rapporteure, vous demandez si les conditions de l'exercice du maintien de l'ordre contreviennent au droit de manifester. Selon moi, le problème ne se pose pas en ces termes. Il convient de définir la façon dont les manifestants peuvent continuer à manifester sans que leur intégrité physique soit menacée et sans que l'exercice du droit de manifester aboutisse à ce que d'autres intégrités physiques ou matérielles soient touchées. Le SNMO a davantage vocation à protéger contre les casseurs qu'à empêcher de manifester.

J'en viens à votre question sur le faible nombre de poursuites à l'encontre des personnes dépositaires de l'autorité publique. J'aurais évoqué la neutralité des parquets. Je ne suis pas certain d'avoir employé ce terme, mais si je l'ai fait, cela ne m'empêche pas de vous répondre. En France, le parquet a l'opportunité des poursuites. En cas de suspicion d'infraction pénale, en l'occurrence une suspicion de violence illégitime commise par un policier ou un gendarme, les premiers éléments sont portés à la connaissance du parquet qui a le choix d'ouvrir ou non une enquête. Actuellement, contre les forces de l'ordre – et pas seulement en maintien de l'ordre –, des individus pratiquent une politique consistant à noyer les parquets sous les plaintes contre les policiers pour essayer de paralyser l'action de la police, et incidemment l'action de l'IGPN. Je ne dis pas que la manœuvre est systématique mais ce sont des faits que nous observons et qui contraignent le parquet à faire des choix. Lorsque le parquet choisit de ne pas poursuivre, cela ne signifie pas qu'il violerait une obligation de neutralité, mais qu'il considère qu'il n'y a pas, dans le dossier considéré, d'éléments suffisants pour poursuivre, ce qui est souvent le cas dans les plaintes portées contre les policiers et les gendarmes.

Pour les dossiers qui justifient une enquête, le nombre de poursuites est faible, dites-vous. Ce n'est pas exact. Pour plusieurs raisons sur lesquelles je ne reviens pas, les enquêtes sont plus longues car il faut se poser la question concrète de la légitimité ou non de l'acte de violence, dans la mesure où sa seule manifestation ne permet pas en soi de conclusions. S'ajoute un facteur que l'on oublie souvent dans l'équation – je l'ai moi-même oublié tout à l'heure, c'est vous dire ! – : les enquêtes sur les actes commis par des policiers, par exemple, sont confiées à l'IGPN, un service d'enquête spécialisé, qui ne traite pas uniquement des questions de maintien de l'ordre, mais de toutes les difficultés de l'exercice du métier de policier. Les services de l'IGPN n'étant pas extensibles à l'infini, on assiste à un effet d'embouteillage, qui contribue à donner l'impression de ralentissement.

N'oublions pas la crise du covid. À mon cabinet, de mémoire, deux dossiers qui ont été audiencés à la fin de l'hiver ont été renvoyés à la fin de 2020, voire au début de l'année 2021. Aussi, lorsque vous déclarez que très peu de policiers ont été condamnés, la vraie question porte sur les policiers qui ont été jugés – car on n'est jamais à l'abri qu'ils soient relaxés. Mais il est vrai que de très peu de policiers ont été jugés. À Paris et dans certaines grandes villes de province, une série de procès sera audiencée dans les mois qui viennent. À l'été 2021, à supposer que les périodes de reconfinement ne soient pas trop longues, nous devrions disposer de statistiques sensiblement différentes sur la façon dont la justice aura traité les dossiers de violences illégitimes, excessives, de policiers.

Maître Boulo a indiqué que 3 000 manifestants avaient été condamnés. En cumulé, on comptabilise des centaines de milliers, voire des millions de manifestants, dans la mesure où, pour les seuls Gilets jaunes, des manifestations étaient organisées tous les samedis pendant dix‑huit mois. Si, pour finir, le ratio est de 3 000 sur plusieurs millions de manifestants, le chiffre ne me paraît pas particulièrement choquant. Heureusement que l'on ne compte pas 3 000 policiers ou gendarmes ayant commis des violences illégitimes ; si c'était le cas, on parlerait d'un autre pays que de la République française !

En conséquence, dénombrer quelques dizaines de dossiers litigieux sur la façon dont les forces de l'ordre ont exercé leur mission sur la base d'un tel ratio – je reprends le chiffre de mon confrère, ne disposant pas du chiffre précis –, me semble prévisible au regard du sujet.

Madame la rapporteure, vous avez ensuite demandé si le code pénal était suffisamment précis pour traiter un certain nombre de délits, dont les outrages. Ma réponse sera très simple : il me semble que c'est le cas. Ensuite, il appartient aux juges de faire leur travail.

Je répondrai enfin d'un mot à mon confrère. Monsieur Boulo, si vous voulez que je dise que le budget de la justice a besoin d'être significativement augmenté, bien plus encore que des 8 % annoncés, qui constituent déjà un bel effort, je suis d'accord à 100 % avec vous. Nous serons tous d'accord. D'une manière générale, en ces temps troublés où son autorité est fortement bousculée, avec un risque de fracture de notre société, je pense que l'État doit se reconcentrer sur les grands budgets régaliens dont la justice fait partie. Je quitte le terrain politique que j'ai abordé un quart de seconde pour retrouver celui de notre débat du jour.

L'accréditation des observateurs, dont il faut clarifier le statut, est une excellente idée. Si le statut de journaliste ne convient plus, il faut le modifier. Je n'ai pas de compétences professionnelles sur la question. Je puis seulement avancer, de mon point de vue d'avocat des forces de l'ordre, la nécessité de pouvoir identifier clairement les personnes au cours des manifestations, car nombreuses sont celles qui sont dans une logique de violence et qui tirent argument d'une prétendue qualité qui n'existe pas juridiquement. Si le droit ne correspond plus à l'évolution de la société, ce que je peux tout à fait entendre, il appartient à la représentation nationale de s'emparer du sujet. Mais on ne peut demander aux policiers de distinguer entre les bons et les mauvais journalistes, entre les vrais et les faux journalistes. Certains journalistes ont un statut, d'autres non. Aussi, clarifions la situation !

En conclusion, parce que mon confrère a déclaré que des personnes n'allaient plus manifester par peur d'être blessées, j'ajoute qu'il ne faut pas confondre la cause et les conséquences. Les personnes sont blessées parce qu'il y a de la violence dans les manifestations ; or ce ne sont jamais les forces de l'ordre qui la commettent en premier.

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