Intervention de Léo Moreau

Réunion du mercredi 28 octobre 2020 à 17h00
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Léo Moreau, chargé de mission au sein du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI) :

Au SCSI, syndicat majoritaire du corps de commandement, nous abordons la problématique du maintien de l'ordre et les évolutions en cours de réflexion ou qui peuvent être amenées par le SNMO avec l'objectif qu'il y ait moins de blessés, à la fois dans les rangs des forces de l'ordre, de nos collègues, et dans ceux des manifestants.

Le maintien de l'ordre a pu apparaître comme une matière un peu délaissée, notamment au début des années 2000, par les pouvoirs publics. Plusieurs évolutions se sont produites ces dernières années. Elles aboutissent enfin à une nouvelle doctrine qui, si elle ne révolutionne pas le genre, a au moins le mérite de poser un certain nombre de principes.

Pour être juste, il y a eu des évolutions depuis 2014 et la mort de Rémi Fraisse à Sivens qui avait déjà conduit à la création d'une commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Sous l'autorité de Bernard Canezeuve au ministère de l'Intérieur, il y a eu des débuts d'évolution sur les matériels utilisés et les tactiques. Il y a eu une suite d'opérations de maintien de l'ordre tendus, vous le savez, au moment de la « loi travail » en 2016, de l'épisode des Gilets jaunes par la suite, et dernièrement du mouvement contre la réforme des retraites.

Le contexte dans lequel on fait du maintien de l'ordre a évolué, comme vous le savez, avec la pression des chaînes d'information en continu, des réseaux sociaux, et d'un certain nombre de personnes qui viennent essayer de pousser nos collègues à la faute tout en brandissant un téléphone pour pouvoir diffuser les images en direct.

Le contexte a changé, on ne fait plus du maintien de l'ordre exactement de la même manière qu'on pouvait le faire il y a encore dix ou quinze ans. Les attentes du pouvoir politique comme de l'opinion publique ont changé.

Les violences, extrêmement importantes, que nous avons constatées à l'égard des forces de l'ordre dans le cadre de plusieurs manifestations posent aussi un problème démocratique. Affiliés à la Confédération française démocratique du travail (CFDT), nous sommes attachés à la liberté de manifester et souhaitons que ceux qui viennent pour le faire pacifiquement et pour exprimer leur opinion aient la possibilité de le faire, sans que les manifestants et les forces de l'ordre soient pris à partie par des éléments violents qui viennent là pour des motifs qui n'ont souvent rien à voir avec ceux mis en avant par les organisateurs. Nous prenons tout cela en compte.

Nous tenons compte également de la différence entre la police et la gendarmerie. Les unités de gendarmerie départementale ne sont pas engagées en maintien de l'ordre, ce sont les escadrons de gendarmes mobiles qui le sont. Ces gendarmes sont constitués en pelotons, spécialisés. Ils sont l'équivalent de nos compagnies républicaines de sécurité (CRS). Nous avons évidemment nos unités de force mobile qui interviennent.

Cependant, comme nous l'avons vu notamment au moment des Gilets jaunes, lorsqu'il se produit des troubles généralisés ou quand les unités de force mobile sont trop éloignées, des unités de sécurité publique, dont ce n'est pas le métier à la base, sont amenées à intervenir. Or elles ne bénéficient pas toujours de la formation ni de l'équipement adéquats pour ce faire.

À titre d'exemple, et nos représentants locaux dans la zone ouest ont eu l'occasion de le redire au directeur général de la police nationale (DGPN) qui était en déplacement à Nantes cette semaine : les unités de police-secours sont régulièrement engagées sur des opérations de maintien de l'ordre ou de service d'ordre à Nantes, car l'activité y est assez importante dans ce domaine. Or elles ne peuvent pas commander sur Vetipol, notre vestiaire en ligne, les tenues ignifugées réservées aux unités spécialisées en maintien de l'ordre, alors que les collègues qui font partie de ces unités sont aussi exposés que les autres lorsqu'ils sont sur le terrain, même s'ils n'appartiennent pas formellement à une unité de maintien de l'ordre. Ils devraient pouvoir avoir accès à un ensemble de moyens de protection, de tenues et de formations, dès lors qu'on leur demande d'effectuer ces tâches de maintien de l'ordre.

Le SNMO a été rendu public en septembre. Nous regrettons que les organisations syndicales n'aient pas pu être associées davantage en amont à son élaboration. Il comporte cependant quelques éléments positifs, que nous avons salués.

Ce schéma opère tout d'abord un début de rattrapage sur les effectifs des unités de force mobile. C'est bien, mais ce n'est pas suffisant, car nous ne sommes pas encore revenus au schéma d'emploi qui prévalait avant la révision générale des politiques publiques (RGPP). Cette évolution a été assez problématique, les gendarmes ayant choisi de supprimer des escadrons dans la plupart des compagnies. Même si les compagnies ont été maintenues, elles sont souvent passées de quatre à trois sections. Cela posait problème s'agissant de la force de manœuvre que l'on pouvait déployer sur le terrain. La force de frappe étant réduite, il était plus difficile pour les unités de la montrer pour ne pas avoir à l'utiliser.

Je rappelle que notre syndicat est favorable au fait que quatre officiers, quatre membres du corps de commandement, soient toujours présents par compagnie de CRS, alors que l'on tend vers un modèle à trois officiers. La problématique de l'encadrement des unités de maintien de l'ordre est importante.

Le schéma comporte également plusieurs points positifs concernant l'autonomie des commissaires et des officiers sur le terrain, et leurs possibilités de réagir – dans le cadre, bien sûr, du schéma global décidé par le préfet et le directeur du service d'ordre. Il est important que nous disposions d'une capacité d'adaptation et que nous n'ayons pas toujours à attendre les ordres de la salle, y compris pour des « micro-manœuvres ».

Les éléments relatifs à la communication avec les manifestants de bonne foi nous semblent aussi aller dans le bon sens, notamment le dispositif de liaison et d'information. Ces missions ne sont pas nouvelles, elles ont longtemps été prises en compte dans un certain nombre de départements par les renseignements généraux – à l'époque où ils existaient – et par leurs successeurs du renseignement territorial. L'important est que ce cadre puisse exister pour que des policiers assurent la liaison avec les organisateurs tout au long de la manifestation. Les organisateurs nous disent en effet parfois que, s'ils ont un échange avant la manifestation, celui-ci ne se poursuit pas forcément durant celle-ci pour expliciter ce qu'il s'y passe. Sur ce point, le SNMO comporte donc des éléments positifs.

Nous saluons certains éléments relatifs à la judiciarisation. Nous pourrions probablement aller plus loin, notamment sur l'utilisation de drones, même si le cadre juridique devra être adapté pour permettre une exploitation pleine et entière des images, ou encore sur l'utilisation de produits de marquage codés (PMC) ou d'ADN synthétique. Des réflexions sont en cours sur certains de ces points.

Nous regrettons en revanche qu'il n'y ait pas davantage de mutualisation entre les deux forces, police et gendarmerie, sur certains matériels, notamment les engins lanceurs d'eau, et que l'on parte encore chacun de son côté. Cela nous semblait important, de même que pour les équipements blindés.

Comme le SNMO le prévoit, nous ferons le bilan d'ici un an, en ayant bien conscience de l'aspect particulier de la période en matière de maintien de l'ordre. En effet, compte tenu des conditions sanitaires, les opérations de maintien de l'ordre ont forcément été moins nombreuses en 2020 que durant l'année 2019, où plus de 30 000 manifestations se sont produites.

Il convient de rappeler que dans plus de 90 % des manifestations, cela se passe bien. Il ne se produit pas nécessairement de trouble à l'ordre public, et les collègues ne sont pas pris à partie.

Il faudra donc faire le bilan de cette nouvelle doctrine et des moyens qui seront donnés aux collègues.

Pour assurer l'efficacité de ce schéma, nous espérons que la direction générale de la police nationale (DGPN), la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et la préfecture de police se l'approprieront de la même manière. Nous avons pu voir que ces différentes entités avaient parfois des conceptions de la doctrine et des idées de manœuvre qui n'étaient pas exactement les mêmes, ce qui entraînait un risque de confusion sur le terrain.

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