Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Réunion du mercredi 28 octobre 2020 à 17h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • SNMO
  • gendarme
  • gendarmerie
  • image
  • manifestant
  • manifestation

La réunion

Source

La séance est ouverte à 17 heures 10.

Présidence de M. Jean-Michel Fauvergue, président.

La Commission d'enquête entend, lors d'une table ronde, des représentants de syndicats des officiers et des commissaires de police :

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous recevons les représentants des principaux syndicats des officiers et des commissaires de police.

Notre commission d'enquête a commencé ses travaux en réunissant les représentants des principaux syndicats de ce que l'on appelle le corps d'encadrement et d'application au sein de la police – c'est-à-dire les gardiens de la paix et les gradés.

Nous avons souhaité compléter notre vision en consultant aussi leurs supérieurs hiérarchiques, qui forment le corps de commandement et le corps de conception et de direction de la police nationale.

Nous accueillons ainsi M. Olivier Boisteaux, président du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP), M. Didier Rendu, secrétaire national du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI), M. Léo Moreau, chargé de mission au sein du SCSI, M. Anthony Lope, conseiller technique pour Synergie-Officiers et M. Claude Fourcaulx, secrétaire général adjoint de l'Union des officiers UNSA.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vous invite donc à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».

(MM. Olivier Boisteaux, Didier Rendu, Léo Moreau, Anthony Lope et Claude Fourcaulx prêtent successivement serment.)

Permalien
Olivier Boisteaux, président du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP)

Le nouveau schéma national du maintien de l'ordre (SNMO) a été élaboré et mis en œuvre à la suite de travaux effectués dans un climat particulièrement lourd et délétère, qui reposait sur le dénigrement systématique des forces de l'ordre. Celles-ci ont été accusées de tous les maux, allant d'une police ultraviolente à une police raciste – j'en passe, je n'irai pas plus loin.

Cet épisode a été particulièrement mal vécu par les policiers, car depuis plusieurs années ils sont sur tous les fronts – que ce soit en matière de lutte contre le terrorisme, de gestion des différentes opérations menées par les Gilets jaunes, et maintenant de contrôle des règles imposées par la loi d'urgence sanitaire liée à la pandémie du covid-19.

Ils sont sur tous les fronts, mais dans quelles conditions ? C'est bien là le paradoxe. On leur reproche d'user d'une force trop importante alors qu'au travers de chacun des événements qu'ils ont eu à gérer, et même des opérations du quotidien, les policiers constatent inéluctablement la montée du niveau de violence auquel ils sont confrontés et la multiplication des attaques à l'encontre de tous ceux et celles qui incarnent l'autorité de l'État.

Le moral des effectifs est d'ailleurs d'autant plus affecté par la réponse judiciaire face à ces agressions récurrentes et toujours plus féroces, car cette réponse est très loin d'être à la hauteur de l'attente des policiers et n'est en aucune manière susceptible d'inverser la tendance.

C'est donc dans ce contexte que nous avons pris acte du contenu du nouveau SNMO. Ce dernier a modifié un certain nombre de règles – notamment les sommations utilisées dans le cadre de la gestion du maintien de l'ordre – et a également réduit les moyens en armement à la disposition des effectifs utilisés dans cette gestion. Je parle bien évidemment de la disparition des grenades lacrymogènes instantanées F4 (GLI-F4), déjà actée en début d'année 2020, mais aussi du remplacement de la grenade à main de désencerclement (GMD) par une grenade moins puissante. Certes, le lanceur de balles de défense (LBD) a été conservé, mais encadré, ce qui complique son utilisation.

Toutes ces mesures ont été la conséquence d'une réelle défiance à l'endroit de tous ceux qui ont été en première ligne et qui ont souvent payé dans leur chair leur engagement pour défendre le bon fonctionnement de nos institutions, et tout simplement, la République.

En tout état de cause, nous ne pouvons que constater que nous sommes confrontés en permanence, sur les opérations de maintien de l'ordre lourdes, à des groupuscules toujours plus violents, toujours mieux équipés et parfaitement entraînés à la guérilla urbaine. Pour autant, ce sont les forces de l'ordre qui ont été pointées du doigt comme trop virulentes. C'est pour le moins curieux, d'autant que, durant la gestion de tous ces épisodes extrêmement difficiles, nous n'avons déploré aucun décès chez les manifestants et assez peu de blessés graves – d'ailleurs, beaucoup moins que chez les forces de sécurité intérieure elles-mêmes.

Comprenez donc que les policiers en général aient le moral en berne, quand ils constatent avec quel mépris ils ont été traités et traînés dans la boue.

Si cet épisode « anti-flics » – si vous me permettez l'expression – semble s'être un peu atténué, ce n'est que parce que le niveau de violence subi par notre institution a atteint des degrés invraisemblables et paroxystiques ces dernières semaines. Je vous rappellerai simplement l'affaire des deux policiers sauvagement agressés dans le Val-d'Oise, à Herblay, et les différents policiers fauchés par des véhicules – dont celui tué au Mans, en août, mais également la victime à Lille en septembre.

Je ne poursuivrai pas cette liste, qui devient une litanie, mais nous nous devons, devant la représentation nationale, de lancer un cri d'alarme face à ce manque de soutien à l'endroit de notre institution qui reste pourtant le dernier rempart républicain face à la barbarie et l'anarchie.

La réponse pénale devrait être implacable et sans le moindre état d'âme à l'égard de ces voyous et meurtriers, mais nous en sommes bien loin.

Nous aimerions également beaucoup que les images, très souvent sorties de leur contexte, qui sont diffusées sur les réseaux sociaux et dans les médias puissent être contrecarrées et recontextualisées par d'autres images à disposition des pouvoirs publics pour démontrer le fréquent bien-fondé des interventions décriées, mais également pour défendre l'honneur et l'image d'une institution qui en a bien besoin.

Enfin, je rappellerai devant cette assemblée – si besoin en était – que la police nationale, qui a été tant décriée, est pourtant l'administration la plus contrôlée qui soit, que ce soit par sa hiérarchie, l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), les préfets, les procureurs de la République, le Défenseur des droits, les parlementaires – et la liste n'est pas exhaustive.

Vous avez, je l'espère, parfaitement compris notre profonde lassitude face à la manière dont nous sommes traités dans notre pays alors que notre institution et les forces de sécurité intérieure n'ont jamais été autant indispensables pour permettre une vie démocratique apaisée, dans un monde où la loi du plus fort semble progressivement faire son chemin.

Permalien
Anthony Lope, conseiller technique pour le Syndicat du corps de commandement de la police nationale Synergie-Officiers

Je m'inscris complètement dans la ligne de la déclaration qui vient d'être faite.

Nous sommes très heureux de pouvoir répondre à vos questions sur ce sujet épineux du maintien de l'ordre, qui a suscité de nombreuses polémiques – pas toujours justifiées. D'autres questions nous paraissent en revanche tout à fait légitimes. Il est légitime que la représentation nationale veuille être informée. Je me tiens, nous nous tenons à votre disposition pour répondre à toutes vos questions.

Permalien
Léo Moreau, chargé de mission au sein du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI)

Au SCSI, syndicat majoritaire du corps de commandement, nous abordons la problématique du maintien de l'ordre et les évolutions en cours de réflexion ou qui peuvent être amenées par le SNMO avec l'objectif qu'il y ait moins de blessés, à la fois dans les rangs des forces de l'ordre, de nos collègues, et dans ceux des manifestants.

Le maintien de l'ordre a pu apparaître comme une matière un peu délaissée, notamment au début des années 2000, par les pouvoirs publics. Plusieurs évolutions se sont produites ces dernières années. Elles aboutissent enfin à une nouvelle doctrine qui, si elle ne révolutionne pas le genre, a au moins le mérite de poser un certain nombre de principes.

Pour être juste, il y a eu des évolutions depuis 2014 et la mort de Rémi Fraisse à Sivens qui avait déjà conduit à la création d'une commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Sous l'autorité de Bernard Canezeuve au ministère de l'Intérieur, il y a eu des débuts d'évolution sur les matériels utilisés et les tactiques. Il y a eu une suite d'opérations de maintien de l'ordre tendus, vous le savez, au moment de la « loi travail » en 2016, de l'épisode des Gilets jaunes par la suite, et dernièrement du mouvement contre la réforme des retraites.

Le contexte dans lequel on fait du maintien de l'ordre a évolué, comme vous le savez, avec la pression des chaînes d'information en continu, des réseaux sociaux, et d'un certain nombre de personnes qui viennent essayer de pousser nos collègues à la faute tout en brandissant un téléphone pour pouvoir diffuser les images en direct.

Le contexte a changé, on ne fait plus du maintien de l'ordre exactement de la même manière qu'on pouvait le faire il y a encore dix ou quinze ans. Les attentes du pouvoir politique comme de l'opinion publique ont changé.

Les violences, extrêmement importantes, que nous avons constatées à l'égard des forces de l'ordre dans le cadre de plusieurs manifestations posent aussi un problème démocratique. Affiliés à la Confédération française démocratique du travail (CFDT), nous sommes attachés à la liberté de manifester et souhaitons que ceux qui viennent pour le faire pacifiquement et pour exprimer leur opinion aient la possibilité de le faire, sans que les manifestants et les forces de l'ordre soient pris à partie par des éléments violents qui viennent là pour des motifs qui n'ont souvent rien à voir avec ceux mis en avant par les organisateurs. Nous prenons tout cela en compte.

Nous tenons compte également de la différence entre la police et la gendarmerie. Les unités de gendarmerie départementale ne sont pas engagées en maintien de l'ordre, ce sont les escadrons de gendarmes mobiles qui le sont. Ces gendarmes sont constitués en pelotons, spécialisés. Ils sont l'équivalent de nos compagnies républicaines de sécurité (CRS). Nous avons évidemment nos unités de force mobile qui interviennent.

Cependant, comme nous l'avons vu notamment au moment des Gilets jaunes, lorsqu'il se produit des troubles généralisés ou quand les unités de force mobile sont trop éloignées, des unités de sécurité publique, dont ce n'est pas le métier à la base, sont amenées à intervenir. Or elles ne bénéficient pas toujours de la formation ni de l'équipement adéquats pour ce faire.

À titre d'exemple, et nos représentants locaux dans la zone ouest ont eu l'occasion de le redire au directeur général de la police nationale (DGPN) qui était en déplacement à Nantes cette semaine : les unités de police-secours sont régulièrement engagées sur des opérations de maintien de l'ordre ou de service d'ordre à Nantes, car l'activité y est assez importante dans ce domaine. Or elles ne peuvent pas commander sur Vetipol, notre vestiaire en ligne, les tenues ignifugées réservées aux unités spécialisées en maintien de l'ordre, alors que les collègues qui font partie de ces unités sont aussi exposés que les autres lorsqu'ils sont sur le terrain, même s'ils n'appartiennent pas formellement à une unité de maintien de l'ordre. Ils devraient pouvoir avoir accès à un ensemble de moyens de protection, de tenues et de formations, dès lors qu'on leur demande d'effectuer ces tâches de maintien de l'ordre.

Le SNMO a été rendu public en septembre. Nous regrettons que les organisations syndicales n'aient pas pu être associées davantage en amont à son élaboration. Il comporte cependant quelques éléments positifs, que nous avons salués.

Ce schéma opère tout d'abord un début de rattrapage sur les effectifs des unités de force mobile. C'est bien, mais ce n'est pas suffisant, car nous ne sommes pas encore revenus au schéma d'emploi qui prévalait avant la révision générale des politiques publiques (RGPP). Cette évolution a été assez problématique, les gendarmes ayant choisi de supprimer des escadrons dans la plupart des compagnies. Même si les compagnies ont été maintenues, elles sont souvent passées de quatre à trois sections. Cela posait problème s'agissant de la force de manœuvre que l'on pouvait déployer sur le terrain. La force de frappe étant réduite, il était plus difficile pour les unités de la montrer pour ne pas avoir à l'utiliser.

Je rappelle que notre syndicat est favorable au fait que quatre officiers, quatre membres du corps de commandement, soient toujours présents par compagnie de CRS, alors que l'on tend vers un modèle à trois officiers. La problématique de l'encadrement des unités de maintien de l'ordre est importante.

Le schéma comporte également plusieurs points positifs concernant l'autonomie des commissaires et des officiers sur le terrain, et leurs possibilités de réagir – dans le cadre, bien sûr, du schéma global décidé par le préfet et le directeur du service d'ordre. Il est important que nous disposions d'une capacité d'adaptation et que nous n'ayons pas toujours à attendre les ordres de la salle, y compris pour des « micro-manœuvres ».

Les éléments relatifs à la communication avec les manifestants de bonne foi nous semblent aussi aller dans le bon sens, notamment le dispositif de liaison et d'information. Ces missions ne sont pas nouvelles, elles ont longtemps été prises en compte dans un certain nombre de départements par les renseignements généraux – à l'époque où ils existaient – et par leurs successeurs du renseignement territorial. L'important est que ce cadre puisse exister pour que des policiers assurent la liaison avec les organisateurs tout au long de la manifestation. Les organisateurs nous disent en effet parfois que, s'ils ont un échange avant la manifestation, celui-ci ne se poursuit pas forcément durant celle-ci pour expliciter ce qu'il s'y passe. Sur ce point, le SNMO comporte donc des éléments positifs.

Nous saluons certains éléments relatifs à la judiciarisation. Nous pourrions probablement aller plus loin, notamment sur l'utilisation de drones, même si le cadre juridique devra être adapté pour permettre une exploitation pleine et entière des images, ou encore sur l'utilisation de produits de marquage codés (PMC) ou d'ADN synthétique. Des réflexions sont en cours sur certains de ces points.

Nous regrettons en revanche qu'il n'y ait pas davantage de mutualisation entre les deux forces, police et gendarmerie, sur certains matériels, notamment les engins lanceurs d'eau, et que l'on parte encore chacun de son côté. Cela nous semblait important, de même que pour les équipements blindés.

Comme le SNMO le prévoit, nous ferons le bilan d'ici un an, en ayant bien conscience de l'aspect particulier de la période en matière de maintien de l'ordre. En effet, compte tenu des conditions sanitaires, les opérations de maintien de l'ordre ont forcément été moins nombreuses en 2020 que durant l'année 2019, où plus de 30 000 manifestations se sont produites.

Il convient de rappeler que dans plus de 90 % des manifestations, cela se passe bien. Il ne se produit pas nécessairement de trouble à l'ordre public, et les collègues ne sont pas pris à partie.

Il faudra donc faire le bilan de cette nouvelle doctrine et des moyens qui seront donnés aux collègues.

Pour assurer l'efficacité de ce schéma, nous espérons que la direction générale de la police nationale (DGPN), la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) et la préfecture de police se l'approprieront de la même manière. Nous avons pu voir que ces différentes entités avaient parfois des conceptions de la doctrine et des idées de manœuvre qui n'étaient pas exactement les mêmes, ce qui entraînait un risque de confusion sur le terrain.

Permalien
Claude Fourcaulx, secrétaire général adjoint de l'Union des officiers – Union nationale des syndicats autonomes (UNSA)

L'union des officiers – UNSA que je représente remercie la commission d'avoir été invitée afin de pouvoir donner son avis, chose qui n'est pas fréquente pour notre organisation, à notre plus grand regret.

C'est pourquoi nous nous réjouissons de pouvoir faire entendre notre voix au sein de l'Assemblée nationale, devant les représentants de la Nation.

Je souhaiterais tout d'abord saluer la mobilisation totale et le professionnalisme des forces de l'ordre républicaines de notre pays, confrontées à une violence sans précédent ces dernières années.

Ne l'oublions pas, elles sont, comme d'autres acteurs, garantes de la démocratie et de la République. Nous ne le répéterons jamais assez.

L'ordre public est une mission fondamentale de la police nationale et de la gendarmerie nationale depuis 1921, soit il y a près d'un siècle, et la volonté de Georges Clemenceau, alors président du Conseil, de spécialiser une partie des forces de l'ordre dans le maintien de l'ordre public.

Nos institutions, police et gendarmerie, n'ont eu de cesse de s'adapter et d'évoluer en fonction des changements politiques et sociaux, qui ont rendu toujours plus complexe l'exercice de cette mission.

À la suite d'une décennie écoulée particulièrement éprouvante pour les forces de l'ordre sur l'ensemble du territoire, nous constatons que rares sont les manifestations d'ampleur et médiatisées qui ne dégénèrent pas en un affrontement avec les forces de l'ordre, en dégradations de biens publics et privés, ou encore en pillages.

La violence illégitime organisée par une minorité de manifestants et de professionnels de la subversion est devenue une habitude. Elle s'est substituée en partie – je dis bien « en partie » – au dialogue que les forces de sécurité ont toujours eu et continueront à avoir avec les représentants des manifestants ou, plus globalement, avec les manifestants eux-mêmes.

À cette violence illégitime s'oppose une violence légitime, détenue par les forces de l'ordre, encadrée et proportionnelle à la menace en cas de besoin.

Le problème pour les forces de l'ordre est bien celui-ci : la détention de la violence légitime, sa définition, sa justification et son utilisation éventuelle.

Le SNMO du 17 septembre 2020 précise et encadre le travail des policiers et des gendarmes en matière de maintien de l'ordre. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Nous déplorons, comme d'autres organisations syndicales, de ne pas avoir été associés aux travaux d'élaboration de cette stratégie – état de fait qui caractérise un dialogue social en perdition au sein de la police nationale ces dernières années.

Le SNMO apporte un certain nombre de modifications et d'améliorations constructives. Il sera certainement la première pierre sur laquelle d'autres viendront s'assembler afin d'élaborer au fur et à mesure un outil performant et respectueux de la liberté d'expression à laquelle nous sommes toutes et tous attachés ici.

Cependant, nous ne pouvons que déplorer, sur un autre pan – qui n'a rien à voir avec le SNMO –, le pan judiciaire, le peu d'avancées concernant le traitement des violences de rue connexes aux manifestations contre les représentants des forces de l'ordre. Il semble apparemment normal pour notre société que des policiers soient blessés voire grièvement blessés, sans pour autant que la fonction qu'ils représentent soit sacralisée et qu'ils bénéficient en quelque sorte d'une ultra-protection pénale.

Que risque un manifestant, un casseur, un professionnel de la subversion en s'attaquant à un policier ? Il n'y a pas d'infraction spécifique. Le code pénal prévoit trois ans de prison et 45 000 euros d'amende, ou cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende lorsque les violences ont entraîné un arrêt de travail de plus de huit jours. Dans la réalité, en moyenne, c'est à cinq mois de prison que les agresseurs sont condamnés !

Nous rappellerons tout de même quelques chiffres : plus de 2 500 policiers et gendarmes blessés durant l'épisode du mouvement des Gilets jaunes, et quasi le même nombre dans les rangs des manifestants. Sur l'année 2018-2019, 73 000 manifestations ont été recensées en France, avec un taux de 0,05 incident et blessé sur l'ensemble.

Le 27 mars 2019, devant la commission des lois du Sénat présidée par Philippe Bas, les organisations syndicales Union des officiers – UNSA et UNSA Police étaient auditionnées sur les moyens déployés pour faire face aux actes de violence et de vandalisme commis à Paris le 16 mars de cette même année.

Nous avons proposé des pistes de progrès, comme l'amélioration de la coordination et du commandement opérationnel des forces de police et de gendarmerie, le développement de la mobilité des forces de maintien de l'ordre, ou encore l'organisation de contrôles préventifs en amont des manifestations à caractère sensible.

Nous sommes satisfaits que nos axes de réflexion aient été pris en compte et développés lors de la conception du SNMO, même si de nombreux points restent à améliorer.

Politiquement, quel ordre public et quelle police voulons-nous ? Voulons-nous une police comme la police allemande et sa manière d'intervenir, ou plutôt de ne pas intervenir – comme lors de l'inauguration de la Banque centrale européenne (BCE) à Francfort le 18 mars 2015 ? Sommes-nous prêts, en France, à voir des commissariats et des voitures de police brûler sans réagir de manière forte ? Il faut se rappeler, même si cela n'a pas été retransmis sur les chaînes françaises, que en 2015 deux commissariats de Francfort et plus de quinze voitures de la police allemande ont été incendiés.

Les techniques de désescalade de la police allemande sont-elles transposables en France ? Je ne le pense pas. Nous ne le pensons pas. Contre des manifestations violentes, de casseurs, cela ne fonctionne pas.

Nous ne voulons pas d'une police nationale qui présente aussi ses excuses, comme la police allemande, parce qu'elle n'aurait pas été à la hauteur, faute de moyens et d'ordres de rétablissement de l'ordre public.

Pour cela, notre police a besoin, toujours plus, de formation – qualitativement comme quantitativement. Pour cela, notre police a besoin de matériel moderne. Pour cela, notre police a besoin d'un commandement opérationnel de terrain, le directeur de service d'ordre ayant la confiance complète du responsable de l'ordre public. Pour cela, des moyens colossaux doivent être mis à la disposition de la police nationale afin de rattraper trois décennies de diète imposée à nos unités constituées de maintien de l'ordre.

Nous ne voulons pas que les manifestants violents et les casseurs aient plus de droits que les policiers qui sont, parmi d'autres acteurs, comme je l'ai dit plus haut, les garants, aussi, de la démocratie et de la République française.

Je terminerai par une citation de Georges Clemenceau qui illustre bien à mon sens les défis qu'il nous reste à relever en matière de réorganisation globale de notre police nationale et républicaine, afin que le lien entre la police et la Nation soit une réalité un jour prochain : « Il faut savoir ce que l'on veut. Quand on le sait, il faut avoir le courage de le dire. Quand on le dit, il faut avoir le courage de le faire. »

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci beaucoup.

La baisse des effectifs, déjà compensée, et qui continuera à l'être dans le cadre du nouveau SNMO, a été mise en avant dans vos interventions. Nous avons bien compris votre demande de moyens nouveaux, modernes. Ce sont des revendications pérennes, qui ne sont pas portées uniquement, d'ailleurs, par les spécialistes du maintien de l'ordre au sein de la police et de la gendarmerie.

Même s'il y a des progrès, il faut poursuivre les efforts dans ces domaines.

L'un de vous a évoqué par ailleurs la possibilité de partager, toutes forces de l'ordre confondues, des tactiques, des stratégies identiques et des doctrines. Ce point est intéressant. Les entraînements sont-ils identiques en effet entre la gendarmerie, la police et la préfecture de police ? Les systèmes de commandement sont-ils les mêmes en province et à Paris ? Quelles sont ces structures de commandement ?

Le nouveau schéma parle du responsable de l'ordre public (ROP) – il s'agit généralement du préfet –, du directeur du service d'ordre (DSO), du chef de secteur opérationnel (CSO) et du commandant de la force publique (CFP). Tout cela est-il bien huilé ? N'y aurait-il pas des progrès à faire en la matière ?

N'y aurait-il pas des progrès à faire sur les prêts de matériels, notamment les matériels 3D – drones, hélicoptères – ou encore les canons à eau ?

Ne faudrait-il pas former une direction métier rassemblant CRS et gendarmes mobiles – sans les fusionner, chaque corps conservant sa spécialité, mais en les plaçant sous un commandement commun ? Cela favoriserait des évolutions modernes dans le maintien de l'ordre. Nous constatons en effet qu'il y a beaucoup de choses à améliorer.

Permalien
Léo Moreau, chargé de mission au sein du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI)

Le partage des doctrines et des moyens existe dans une certaine mesure. Nous ne partons pas de zéro. Comme les gendarmes ont dû vous le dire, les escadrons de gendarmerie mobile interviennent la plupart du temps en zone police, notamment dans l'agglomération parisienne, sous l'autorité de commissaires généralement issus de la préfecture de police qui font office d'autorité civile.

Pour autant, nous estimons que ce n'est pas fait suffisamment. Un certain esprit de chapelle prévaut encore de part et d'autre. Je ne suis pas là pour stigmatiser ou viser tel ou tel, mais nous le constatons.

Nous avions souhaité que cette mutualisation soit mise en œuvre dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2021, et que des engins soient estampillés « ministère de l'Intérieur » ou « maintien de l'ordre » plutôt que « police » ou « gendarmerie ». Or nous restons encore dans une logique où chacun surveille ses petits plutôt que de penser en commun.

Plusieurs forces sont habituées néanmoins à travailler ensemble. Les CRS et les gendarmes mobiles se croisent sur le terrain. Cela mériterait toutefois d'être développé, et pourrait sans doute l'être également au niveau de la formation.

Permalien
Olivier Boisteaux, président du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP)

S'agissant des moyens 3D, il faut effectivement savoir évoluer. Ce point est d'ailleurs évoqué dans le SNMO.

Monsieur le président, vous parlez de partage de moyens 3D, notamment d'hélicoptères. À ma connaissance, la police nationale n'a rien à partager en l'occurrence, puisqu'elle n'en a pas. Il s'agirait donc simplement de se moderniser, et d'envisager qu'une force de sécurité intérieure étatisée qui compte 150 000 fonctionnaires dispose de moyens 3D. Pour l'instant, nous sommes à l'état zéro !

Ce serait effectivement bien qu'à l'avenir nous puissions avoir des hélicoptères, sans être obligés de quémander auprès des gendarmes lorsque nous en avons besoin, notamment en zone rurale – sachant qu'ils privilégient évidemment l'utilisation pour leurs propres troupes, ce qui est bien normal.

Quant aux drones, une évolution est en train d'apparaître. La préfecture de police s'est notamment dotée d'un certain nombre de matériels, ce qui n'est pas inintéressant. Des expérimentations sont menées. Nous devrions progresser dans ce sens.

S'agissant des hélicoptères, partant du néant nous ne pouvons en tout cas que progresser !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Aux yeux des députés, chargés du contrôle budgétaire – le budget étant en augmentation, je le rappelle –, l'idée serait aussi de progresser vers des moyens qui soient mis à la disposition des deux forces. Il me semble que les hélicoptères, s'ils sont détenus par la gendarmerie nationale, sont mis aussi à la disposition de la police nationale. C'était le cas dans les diverses missions que j'ai connues.

C'est de cela que l'on parle. Il n'est pas question que chacune des deux forces dispose du même matériel que l'autre, mais de favoriser la mise en commun. Cette mise en commun est importante pour pouvoir progresser sur les stratégies. Dans ce domaine, il y a peut-être des choses à faire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le sujet que nous traitons est préoccupant. Je ne suis pas convaincue que vous ayez bien situé notre démarche. À ma connaissance, dans notre proposition de résolution nous n'avons pas parlé de policiers racistes. Nous nous sommes interrogés sur ce qui nous a semblé une altération du lien de confiance entre la population et sa police. Nous nous sommes demandé quelles pouvaient en être les causes et, par conséquent, quels remèdes nous pourrions proposer pour pouvoir y répondre.

Le président du SICP nous a dit qu'il n'y avait pas eu beaucoup de blessés graves. Or quelqu'un a dit, dans une autre audition, qu'il y avait eu 2 500 blessés parmi les forces de l'ordre et autant du côté des manifestants. Ce nombre n'est pas négligeable !

De surcroît, M. Alain Bauer que nous avons entendu précédemment a pointé le nombre important de personnes éborgnées, attribuant cela à l'usage d'une arme comme le LBD qui n'est pas approprié au maintien de l'ordre. Il nous a dit également, avec cette espèce de superbe qui lui est propre, qu'il y avait eu des manifestants qui ne connaissaient pas les règles du jeu de la manifestation face à des membres des forces de l'ordre qui, pour une part d'entre eux, ne connaissaient pas le maniement des armes. Selon lui, c'est la raison pour laquelle tant de difficultés se sont présentées récemment.

Cela montre qu'il y a un sujet auquel nous devons réfléchir et sur lequel nous devons essayer d'avancer.

Il ne s'agit pas de mettre en accusation les policiers et les gendarmes. Nous savons parfaitement qu'entre le terrorisme et les manifestations diverses et variées, qui ont souvent été assez violentes, les forces de l'ordre ont été mises à rude épreuve dernièrement.

Pour autant, cela ne nous empêche pas de nous demander s'il ne serait pas possible de faire autrement, et mieux. C'est pourquoi nous sommes là, pour prendre votre avis.

On nous a dit que, compte tenu du fait qu'ils étaient beaucoup plus sollicités, les gendarmes et les policiers n'avaient plus le temps de remplir leurs obligations de formation continue. Partagez-vous ce constat, notamment pour la police nationale ?

Par ailleurs, nous sommes partis du code de déontologie que doivent respecter les fonctionnaires. Comme cela a été redit ce jour, 99 % des fonctionnaires font très bien leur travail, il y en a peut-être 1 % qui se comporte mal, et cela rejaillit sur tout le monde. Par conséquent, comment faire pour que les dispositions du code soient mieux respectées ? Quels amendements pourrions-nous y apporter ?

S'agissant de la stratégie du maintien de l'ordre, l'un d'entre vous a été assez critique à l'égard de la désescalade pratiquée à l'allemande. Or nous avons l'impression qu'il faudrait trouver un moyen de faire baisser la tension pendant comme après les manifestations. Existe-t-il une autre manière de faire que la désescalade à l'allemande, qui vous semblerait efficace pour y parvenir ?

Par ailleurs, le Défenseur des droits critique beaucoup les contrôles délocalisés et la technique de l'encagement. Avant vous, nous avons entendu des avocats, dont un avocat Gilet jaune. Ce dernier disait que, contrairement à ce que l'on croit parfois, il devait y avoir une sortie prévue pour les manifestants mais qu'elle était parfois très longue à se constituer. Or si l'on reste une heure à piétiner, cela peut être aussi une manière d'augmenter la tension.

Des débats ont aussi eu lieu à l'intérieur du ministère, entre le ministre et ses troupes, sur l'interdiction du plaquage ventral et des techniques d'étranglement. Nous avons entendu sur ce point des discours parfois contradictoires, certains disant que ces techniques étaient pratiquées dans la gendarmerie quand d'autres affirmaient le contraire.

Avez-vous une opinion là-dessus ? Pourrions-nous nous passer de ce type de technique ?

Que pensez-vous enfin de la présence simultanée sur une même opération de policiers spécialisés et de policiers non spécialisés ? Nous avons souvent entendu que ces derniers étaient plus susceptibles de faire un peu « le bazar » faute de formation.

Permalien
Didier Rendu, secrétaire national du SCSI

Je vous remercie de nous permettre d'entrer dans le vif du sujet – sujet délicat, mais sur lequel nous ne pouvons faire l'impasse.

Marginalement, nous ne devons pas faire l'économie du constat de certains dysfonctionnements. Pour autant, il faut prendre dans sa globalité le niveau incommensurable d'engagement des forces – notamment sur l'ensemble des épisodes des Gilets jaunes – ainsi que l'hyper-sollicitation de nos collègues.

Cela ne revient pas à dédouaner ou à excuser les quelques comportements répréhensibles que nous pourrions mettre en exergue, mais il est important de les contextualiser au regard du niveau d'engagement exceptionnel des forces.

À titre d'exemple, les engagements des forces ont parfois dépassé les quinze heures en continu sur des vacations de CRS – alors qu'en maintien de l'ordre nous sommes plutôt habitués à fonctionner par vagues, avec des pics et des creux. Les engagements ont été vraiment complètement disproportionnés. Nos effectifs spécialisés n'étaient pas mal préparés à cela, mais ils n'y étaient pas habitués.

Or il fallait pouvoir tenir, avec le même niveau d'engagement, pour protéger les personnes et les biens, notamment ceux qui étaient venus manifester pacifiquement.

Il y a effectivement tout un débat sur les différentes techniques employées à l'occasion des opérations de maintien de l'ordre, notamment l'utilisation du LBD. L'emploi de cette arme intermédiaire a fait l'objet de nombreuses critiques.

Le SNMO vient encadrer son utilisation, notamment en prévoyant un superviseur. Ce superviseur existe déjà, sous un autre nom, dans les CRS. De plus, nous constatons que la grande majorité des blessures occasionnées par l'utilisation des LBD ne peut être imputée aux CRS.

Comme vous l'avez souligné, une difficulté se présente notamment en matière de formation continue. Au regard de l'engagement spécifique de tous les services de police, il est parfois très compliqué pour un fonctionnaire d'accéder aux stages demandés.

De plus, on observe une petite carence en formation sur les renforts d'effectifs non spécialisés, qui ne sont pas du tout aguerris aux techniques de maintien de l'ordre. Il serait important de développer cette formation.

Nous regrettons d'ailleurs que la formation commune sur le maintien de l'ordre dispensée aux commissaires de police, aux officiers et aux gardiens de la paix ait été abandonnée. Ce stage commun était l'occasion de partager l'ensemble des techniques existantes. De plus, cette approche du maintien de l'ordre ne se résumait pas uniquement aux techniques employées mais pouvait aussi avoir un intérêt sur le plan déontologique.

Comme vous le savez, notre organisation syndicale milite depuis très longtemps pour la création d'une académie de police, avec la volonté de fédérer l'ensemble des corps de la police nationale autour de certains sujets. La déontologie doit faire partie des pratiques ayant vocation à être enseignées de manière globale, au-delà de l'appartenance à un corps – que l'on soit gardien de la paix, officier ou commissaire.

Permalien
Anthony Lope, conseiller technique pour le Syndicat du corps de commandement de la police nationale Synergie-Officiers

Je reviens sur la technique de l'encagement, qui semble, peut-être légitimement, inquiéter. Ce terme est celui utilisé par les avocats. Je préfère parler plutôt d'encadrement.

L'objectif de cette méthode n'est pas d'empêcher les gens de manifester, de les retenir, ni même, comme on a pu l'entendre, de créer des sortes de gardes à vue à ciel ouvert. Absolument pas. Ces techniques servent à contenir une foule, dans l'objectif d'identifier des personnes ayant vocation à être interpellées – tout en ne perdant jamais de vue que le maintien de l'ordre doit toujours laisser une porte de sortie aux gens qui veulent quitter un dispositif ou se désolidariser d'un attroupement.

Que la technique puisse être améliorée, ou peut-être même revue, nous le concédons, mais les policiers n'ont pas pour objectif d'empêcher les gens de manifester.

Permalien
Olivier Boisteaux, président du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP)

Madame la rapporteure, vous m'avez clairement interpellé en me reprochant d'avoir dit que je considérais qu'il n'y avait pas eu beaucoup de blessés chez les manifestants. Je réitère ce que j'ai dit, et l'assume pleinement.

Compte tenu du surengagement des forces de sécurité intérieure en maintien de l'ordre ces deux dernières années, nous avons à être extrêmement fiers de la façon dont les manifestations ont été gérées.

On nous dit que des gens ont été éborgnés. Je n'ai pas le chiffre exact en tête, mais cela reste quand même très marginal.

Nous parlons ici des manifestants qui ont été touchés dans leur chair. Ce qui m'intéresse plus, ce sont les policiers qui sont touchés dans leur chair.

Je vous rappelle, car on l'a peut-être un peu oublié, qu'à l'occasion de différentes manifestations des manifestants sont venus munis de boules de pétanque, d'acide, de frondes, de machettes, ou de marteaux. Il suffisait de voir ce qui était saisi à l'entrée de Paris à l'occasion des dernières manifestations – un arrêté ayant permis de fouiller les sacs – pour s'en rendre compte.

C'est une minorité, évidemment. Je ne dis pas que les manifestants sont tous comme cela. Cependant, il existe un noyau dur de gens d'une extrême violence – que nous n'avions jamais connue auparavant.

Pour autant, alors que les effectifs étaient épuisés physiquement et moralement – les forces étaient engagées tous les week-ends, pendant douze à quinze heures, il suffisait de regarder les informations pour le constater –, je trouve quand même que, dans l'ensemble et même si elle a été peut-être améliorée par le SNMO, la doctrine du maintien de l'ordre qui a été appliquée a porté ses fruits.

Vous citiez M. Alain Bauer, qui considérait que le LBD avait causé beaucoup de dégâts. Cependant, lorsque l'on se trouve face à des gens hyper violents, si on ne dispose pas d'une arme intermédiaire, que fait-on ? Il arrive un moment où, pour protéger la sécurité de nos troupes, on risque d'en arriver à utiliser une arme létale.

Même si un superviseur est désormais prévu – et existait déjà plus ou moins dans les faits, notamment chez les CRS et chez les gendarmes –, il n'est pas question d'envisager la disparition de cette arme.

Cette question ne se pose pas, car nous continuons à en être dotés. Cependant, il est toujours facile de l'extérieur d'expliquer qu'une ou deux personnes ont été blessées gravement. Je rappelle d'ailleurs que, généralement, les personnes blessées étaient restées sur les lieux d'un attroupement alors qu'il ne s'agissait plus d'une manifestation et que des sommations avaient été effectuées. Si elles avaient quitté les lieux, elles n'auraient pas eu de problème.

On nous dit aussi que certains manifestants connaissaient mal les règles. Je veux bien l'entendre. Le SNMO a d'ailleurs amélioré les sommations. Pour autant, je rappelle que nous retrouvions toujours un peu les mêmes, y compris sur les plateaux, et qu'ils étaient là tous les week-ends notamment dans le cadre des manifestations des Gilets jaunes. Je serais pour le moins surpris que ces gens-là ne connaissent pas les règles !

Préoccupons-nous avant tout de la manière dont nous pouvons juguler cette extrême violence et dont ses auteurs peuvent être sanctionnés. Généralement, lorsque les fonctionnaires de police ou de gendarmerie sont touchés dans leur chair, les sanctions prononcées sont quasi symboliques. Je pèse mes mots ! Même lorsqu'une peine de prison ferme est prononcée, la loi pénitentiaire prévoit que, pour une peine inférieure à deux ans, l'incarcération ne soit jamais la règle.

Il est rare que des gens soient incarcérés pour avoir violenté des policiers, ce que je trouve profondément scandaleux.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ce sont les effets d'une loi votée par une majorité précédente. La loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice revient là-dessus et oblige à l'incarcération lorsqu'une sentence supérieure à un an de prison est prononcée.

Permalien
Olivier Boisteaux, président du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP)

La question est de savoir si les policiers et les gendarmes sont vraiment protégés ou non. Certes, on nous dira que les magistrats sont indépendants. Je l'entends bien. Cela n'en reste pas moins un vrai problème de société. Nous sommes à l'Assemblée nationale, nous sommes là pour évoquer des problèmes de société.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous sommes en train de débattre de la réponse pénale immédiate adaptée, qui pose effectivement parfois problème. Toutefois, ce n'est pas l'objet de notre commission.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le SNMO comporte des mesures relatives à l'identification des personnels. Plusieurs personnes ont souligné en effet que certains fonctionnaires mêlés aux manifestants n'étaient parfois pas identifiables.

Que pensez-vous des mesures prévues afin d'améliorer l'identification des fonctionnaires ?

Quelqu'un a proposé, lors d'une audition précédente, non de mettre en avant le référentiel des identités et de l'organisation (RIO), qui est petit, mais d'inscrire un numéro dans le dos des agents, comme sur les maillots des joueurs de football.

La question du port de la cagoule pour les agents s'est posée. Le fait de ne pas être à visage découvert pourrait effectivement être facteur de protection pour les fonctionnaires. En revanche, il faudrait dans ce cas qu'ils portent un numéro très clair et très lisible.

Par ailleurs, les journalistes s'estiment maltraités par le nouveau SNMO, car ce dernier prévoit l'obligation, pour eux aussi, de quitter les lieux une fois l'ordre de dispersion prononcé. Or cela les empêche de rendre compte de la suite des événements et leur complique la tâche.

Enfin, M. David Dufresne, un journaliste qui s'est fait engager comme gardien de la paix pour écrire une livre sur la police, aurait été traité d'« imposteur » dans un tweet. La plate-forme pour renforcer la protection du journalisme et la sécurité des journalistes du Conseil de l'Europe a estimé que cette déclaration posait problème. Pensez-vous que cela soit de nature à améliorer la confiance entre les journalistes et les forces de l'ordre ?

Permalien
Claude Fourcaulx, secrétaire général adjoint de l'Union des officiers – Union nationale des syndicats autonomes (UNSA)

Le modèle de désescalade est utilisé en Allemagne dans des cas bien précis de manifestations pacifiques. Il a montré toutes ses limites lors de manifestations devenues plus rugueuses et plus violentes.

Nous sommes confrontés en France, peut-être par héritage révolutionnaire, à des manifestations très violentes sur les dix dernières années. Au vu des individus que nos policiers ont eu à rencontrer lors du maintien de l'ordre, j'ai du mal à imaginer que l'on puisse appliquer cette doctrine de désescalade en France.

Vous nous parlez de l'identification des policiers. Je vous réponds en évoquant l'identification des black blocs.

Vous nous parlez du respect des journalistes. Très bien ! À ce moment-là, il faudrait qu'ils soient parfaitement identifiés aussi par nos forces de l'ordre. Les règles seront alors bien posées pour tout le monde.

Il est vrai aussi que nous devons faire preuve de pédagogie par rapport aux grandes règles relatives au maintien de l'ordre et à la régulation des manifestations. Je vais dans votre sens. Depuis 2018, nous avons effectivement rencontré un nouveau public de manifestants qui n'était pas forcément rompu aux réglementations des manifestations.

Cependant, nous avons pu remarquer lors des différents épisodes des Gilets jaunes certains groupes de black blocs s'agréger volontairement à des groupes de Gilets jaunes. Au bout de deux ou trois week-ends de combats et de manifestations communes, ces primo-manifestants qu'étaient les Gilets jaunes devenaient, poussés par les black blocs, de redoutables adversaires sur le plan du maintien de l'ordre.

Comme je l'ai rappelé, la police n'est pas là pour réprimer une manifestation, mais pour garantir l'ordre public.

Sans policiers ni gendarmes, nous n'aurions pas de liberté d'expression ni de manifestation en France. C'est un axiome primordial qu'il faut répéter. Sans nous, il n'y aurait pas de liberté d'expression et de manifestation.

Je reviens à l'identification des policiers et des gendarmes. Je pense qu'ils sont relativement bien identifiés. Je voudrais qu'en face les gens s'identifient. Je ne pense pas que des gens habillés tout en noir, et qui lancent des billes d'acier ou des bouteilles d'acide sur nos policiers, soient venus pour manifester. Ils sont là pour s'en prendre aux forces de l'ordre.

J'ai parlé plus haut de violence légitime. L'armée et la police sont les seuls détenteurs de la violence légitime en France. Nous n'y pouvons rien. C'est ainsi. Encore heureux qu'il n'y ait que nous qui en soyons les détenteurs.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les forces de l'ordre sont là pour permettre à une manifestation de se dérouler sans dommages excessifs pour les uns et les autres.

Serait-il possible de mieux s'appuyer sur les services de renseignement pour identifier la venue de black blocs et prévoir des effectifs adaptés en conséquence ? Nous avons parfois l'impression que les forces sont débordées par leur arrivée.

Permalien
Claude Fourcaulx, secrétaire général adjoint de l'Union des officiers – Union nationale des syndicats autonomes (UNSA)

Cela s'est effectivement vu, particulièrement à Francfort en 2015. La police allemande a vu débarquer des quatre coins de l'Europe plus de 2 000 personnes armées venues pour en découdre.

Cependant, il se pose là un vrai dilemme pour les forces de l'ordre.

Je vais être provocateur à dessein. Si, en matière de lutte contre le terrorisme nous avons une procédure pénale qui nous permet, à travers l'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, d'intervenir en amont d'un attentat, en maintien de l'ordre il est très compliqué d'interpeller avant une manifestation – ou alors il faudrait être créateur de droit, et d'un droit à mon avis complètement illégitime.

Comment faire ? C'est une vraie question. Je ne vois qu'une seule solution : la densification de la coopération internationale, à l'image de celle qui a été effectuée pour combattre le hooliganisme. Les Anglais, les Allemands, les Néerlandais avaient leurs hooligans, et les polices échangeaient des informations à leur sujet. Il faudrait peut-être améliorer cette coopération internationale concernant les manifestations violentes.

Je n'ai pas de solution miracle, mais je mets en garde contre l'idée de vouloir réprimer une infraction qui n'a pas encore eu lieu.

Permalien
Léo Moreau, chargé de mission au sein du Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI)

Il est certain que le travail de renseignement est effectué. En tout cas, les fonctionnaires du renseignement territorial s'efforcent de le faire à chaque fois.

Pour autant, comme le disait Pierre Dac, « la prévision est un art difficile, surtout quand elle concerne l'avenir » . Ce n'est pas non plus une science exacte. On anticipe parfois correctement, et les forces sont alors bien dimensionnées. Parfois, les choses sont plus compliquées.

Nous sommes confrontés aussi à la difficulté de séparer le bon grain de l'ivraie dans les manifestations, et de distinguer les manifestants venus s'exprimer pacifiquement, qui ont tout à fait le droit le faire, des black blocs qui profitent de l'affluence pour se mêler aux manifestants lambda rendant ainsi leur identification et leur interpellation plus difficiles.

Le lien de confiance dont vous parlez est important, mais il concerne évidemment le citoyen pacifique de bonne foi, non celui qui vient pour casser ou pour s'en prendre aux forces de l'ordre.

Fort heureusement, le lien de confiance entre la police et la population ne se limite pas uniquement à la problématique du maintien de l'ordre. C'est toute l'ambiguïté de la double casquette de la police. Nous avons à la fois un rôle de protection et d'exercice de la coercition. Il est forcément plus valorisant pour un équipage de police-secours, dans son rapport à la population, de sauver de la noyade quelqu'un qui est tombé dans un fleuve que d'intervenir en maintien de l'ordre sur un attroupement. Pour autant, il faut bien que quelqu'un le fasse.

Il existe plusieurs pistes pour améliorer ce lien entre la police et la population.

Parmi d'autres idées, notre syndicat est favorable à la création d'une réserve opérationnelle au sein de la police nationale, à l'image de ce qui existe dans la gendarmerie, afin de resserrer ce lien entre les citoyens et la police. Cette réserve permettrait aux citoyens de participer à nos missions, de les découvrir et ainsi de mieux les comprendre.

Nous ne sommes pas opposés par ailleurs à l'identification des fonctionnaires – que cela passe par un numéro affiché dans le dos, ou autrement. Nous n'avons rien à nous reprocher, nous sommes une police républicaine. Le principe ne pose pas de problème.

En revanche, s'il est bon que les fonctionnaires soient identifiables, il ne faut pas qu'ils soient vulnérables.

On constate une inquiétude sur ce point chez nos collègues. Nous le voyons malheureusement tous les jours dans l'actualité, des collègues se font prendre à partie, parfois suivre jusqu'à leur domicile, voire agresser y compris hors du service.

Il faut trouver un équilibre pour que les collègues soient certes identifiables – il ne s'agit pas de dire que personne ne doit rendre de comptes –, mais sans être plus facilement pris à partie par les personnalités extrêmement violentes et hostiles à la police que nous voyons lors des manifestations. C'était aussi la préoccupation du ministre de l'Intérieur lorsqu'il parlait du floutage des images.

Enfin, nous ne rencontrons pas de difficulté avec les journalistes qui viennent en manifestation pour faire leur travail d'information et rendre compte de l'événement pour un média identifié. Cependant, il ne suffit pas de mettre un casque « presse » et de prendre un iPhone pour être journaliste et se croire dès lors au-dessus de la loi. Nous avons rencontré des difficultés opérationnelles avec des personnes qui se plaçaient entre nous et les personnes violentes, pour filmer, ce qui n'était pas pratique à gérer pour les effectifs engagés. Ce n'est pas ce que nous appellerions du journalisme au sens où nous le concevons.

Nous ne sommes évidemment pas hostiles à la liberté de la presse, mais il y a, là encore, un équilibre à trouver.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le RIO a été créé pour identifier les policiers et les gendarmes en cas d'enquête judiciaire. Il constitue une sorte de plaque d'immatriculation. On peut le rendre plus visible, cela peut faire partie de nos propositions.

Toutefois, le but de ce RIO est qu'il soit identifiable par des gens habilités à l'identifier, pour conduire des enquêtes administratives et judiciaires. L'idée n'est pas qu'il soit identifiable par M. Tout-le-monde pour qu'il diffuse ensuite sur la toile le nom et le numéro de téléphone du policier ou du gendarme concerné. Il faudra trouver un système précis sur ce point.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Messieurs, je vous remercie pour la franchise de vos propos et de certaines prises de position qui peuvent peut-être dépasser à certains égards le strict cadre de notre commission d'enquête.

Vous vous trouvez devant des membres de la représentation nationale, c'est l'occasion de faire passer des messages et de dialoguer.

C'est pour moi également l'occasion de réaffirmer tout mon soutien aux forces de l'ordre, à la police et à la gendarmerie de notre République dont nous savons qu'elles exercent leurs missions, combien essentielles, dans des conditions de plus en plus difficiles et de plus en plus périlleuses.

Il a été question d'identification. La proposition de floutage des visages visant à protéger les membres des forces de l'ordre a également été évoquée. Une proposition de loi avait par ailleurs été déposée il y a quelques mois par M. Éric Ciotti visant à sanctionner la diffusion de vidéos ou d'images permettant de les identifier. Le ministre de l'Intérieur s'est exprimé également à ce sujet en septembre. Nous comptons bien pouvoir l'accompagner dans cette avancée législative.

J'imagine que vous êtes d'accord avec cette démarche et que vous en voyez le bien-fondé. Pourriez-vous réagir à cette proposition précise, qui vient de bords politiques différents mais néanmoins convergents dans la volonté concrète de protéger nos forces de l'ordre ?

Permalien
Olivier Boisteaux, président du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP)

Nous sommes évidemment tout à fait favorables au floutage des visages des fonctionnaires de police en intervention.

Nous parlions plus haut des journalistes. Il y a beaucoup de pseudo-journalistes qui se promènent dans les manifestations et qui s'autoproclament journalistes parce qu'ils ont un téléphone portable. On retrouve ensuite les images un peu partout sur les réseaux sociaux. Cela est extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, à neutraliser. On voit les visages de collègues jetés en pâture à l'ensemble de nos concitoyens, ce qui est dramatique.

Je pense que nous sommes tous d'accord sur ce sujet.

De même, il est affligeant de voir comment certaines images sont diffusées dans les médias ou sur les réseaux sociaux, montrant de pseudo-violences policières totalement sorties de leur contexte. Nous devrions pouvoir disposer d'images permettant de recontextualiser la manière dont les faits se sont produits et dont la force légitime a été utilisée.

Or cela s'avère extrêmement difficile. À titre d'exemple, les images issues des caméras-piétons ne sont utilisables que dans le cadre d'une procédure, par les magistrats.

Nous souhaitons qu'une multitude d'images – tirées des caméras-piétons, des drones, etc. – soit utilisée pour pouvoir communiquer sur l'image de l'institution.

Le lien police-population ne sera resserré qu'à partir du moment où l'on montrera que la police travaille dans des conditions très difficiles, et qu'elle ne se contente pas d'utiliser la force pour son bon plaisir – ce n'est bien évidemment pas le cas, mais c'est parfois ce que certains veulent démontrer.

Il serait possible de mobiliser les moyens modernes, sur les maintiens de l'ordre importants, pour expliquer à la population dans quelles conditions dramatiques les forces de l'ordre exercent leurs missions. Cela est vrai au quotidien, et cela l'a été particulièrement au cours de la période extrêmement longue, d'une violence extrême, que nous venons de traverser. Les forces de l'ordre travaillent dans des conditions difficiles en étant, en plus, totalement épuisées.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite vous poser une dernière question, à laquelle je ne parviens pas à obtenir de réponse.

Avez-vous, en tant qu'organisations syndicales, la possibilité de déposer plainte avec constitution de partie civile pour des violences contre les personnes que vous représentez, ou seul le ministre de l'Intérieur peut-il le faire ?

Permalien
Olivier Boisteaux, président du Syndicat indépendant des commissaires de police (SICP)

Je ne le sais pas. Je pense que cela incombe au ministère de l'Intérieur qui incarne l'institution.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous essaierons de continuer nos recherches sur ce sujet.

Merci beaucoup d'avoir été présents devant nous, malgré le danger du covid-19 qui nous guette tous.

Soyez nos représentants auprès de l'institution et de l'ensemble de vos collègues pour dire combien nous plaçons d'espoir en eux, et les inviter à garder le moral. Nous allons travailler pour eux.

La séance est levée à 18 heures 15.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Jean-Michel Fauvergue, M. Fabien Gouttefarde, Mme Constance Le Grip, Mme George Pau-Langevin