Intervention de Sarah Massoud

Réunion du jeudi 5 novembre 2020 à 10h00
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Sarah Massoud, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature :

Nous sommes évidemment très sensibles à la question de la tranquillité publique et des potentielles victimes collatérales de ces événements. Mais lorsque je disais qu'il est sans doute nécessaire de changer de paradigme, cela signifie aussi accepter un certain degré de désordre. Je sais que cette idée est très impopulaire, mais nombre de sociologues et d'observateurs, y compris étrangers, ainsi que des normes internationales, nous y confrontent.

Peut-être cela nous est-il pénible, peut-être est-ce totalement impossible dans nos schémas très rationnels, mais une manifestation, c'est aussi de l'irrationalité, c'est aussi du désordre. Je vous invite à réfléchir en termes de discernement, de sang-froid, de proportionnalité : une vitre brisée vaut-elle qu'une escalade de violence en soit la conséquence ? Se concentrer entièrement sur la vitre brisée n'empêche-t-il pas de réfléchir à ce que l'interpellation consécutive aura comme effet sur la protection des manifestants, sur l'escalade de violence au préjudice des personnes, y compris des forces de l'ordre. Ne vaut-il pas mieux laisser cette vitre brisée – en sachant que des procédures seront ouvertes ensuite pour dégradations, qu'on pourra entendre et accompagner la victime et faire en sorte que les assurances aillent beaucoup plus vite – pour éviter une escalade de violences et de délits qui seront beaucoup plus problématiques ? Il faut absolument que vous intégriez cela à vos réflexions. Certes, se demander s'il faut accepter un degré de désordre nous amène sur le terrain de la sociologie et de la philosophie, mais c'est aussi ce que disent les instructions européennes : il faut l'accepter.

S'agissant de l'efficacité et de la preuve, les faits les plus complexes, les procédures qui mettent en cause plusieurs personnes rendent plus long le rassemblement des preuves. Il faut ouvrir des informations judiciaires, saisir des juges d'instruction… Pour avoir été juge d'instruction en banlieue parisienne, je vous assure que l'on est rarement saisi de faits de désordres et de violences liés au maintien de l'ordre. Lorsqu'on identifie des groupes de protestataires violents, des groupes radicaux, on peut ouvrir une information judiciaire. Elle conduit à procéder à des écoutes téléphoniques, à exploiter des vidéos, à recueillir des témoignages de personnes présentes sur les lieux mais aussi des forces de police qui ont conduit à la procédure ; à confronter les témoins. Qui peut faire un tel travail d'enquête ? Ce n'est pas le parquet, c'est un juge d'instruction. Qui plus est, le fait même que le juge d'instruction relève du siège et qu'il ait pour mission d'œuvrer à charge et à décharge, permet de lever la pression, à la fois sur les policiers et sur la teneur même de ce type d'affaires, auxquelles sont liées de fortes charges symboliques. Et ce travail passe par l'ouverture d'informations judiciaires : aujourd'hui, on en a très peu.

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