Intervention de Cédric Mas

Réunion du jeudi 12 novembre 2020 à 9h00
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Cédric Mas, président de l'Institut Action résilience :

La police du renseignement est la troisième des grandes activités des forces de police. Elle a ses techniques propres et nécessite de se mêler à la foule. Mais une personne qui fait du renseignement n'est pas équipée d'un casque de moto, d'une matraque ni d'un LBD 40 caché sous sa veste civile… Il ne faut pas se moquer du monde et faire croire des choses fausses.

Je parle pour ma part de l'utilisation des drones dans le cadre d'une opération de maintien de l'ordre. La problématique que nous avons aujourd'hui, c'est que les forces de l'ordre spécialisées dans le maintien de l'ordre sont de moins en moins nombreuses. Or, un maintien de l'ordre efficace commence par une exposition de la force pour éviter qu'elle ait à être utilisée. On a réduit de manière drastique les effectifs des forces spécialisées, qui constituaient auparavant l'excellence du maintien de l'ordre à la française, et on les a remplacées par de la mobilité. Les forces de l'ordre deviennent ainsi aussi mobiles que les éléments les plus perturbateurs de la manifestation, ce qui entraîne des problèmes de doctrine d'emploi. Et on va parfois compléter le dispositif par la mobilisation d'effectifs qui ne sont ni formés ni équipés pour le maintien de l'ordre et qui vont là aussi perturber.

Il me semble important que vous entendiez les réflexions des officiers des forces spécialisées en maintien de l'ordre, qui se plaignent que leur action soit troublée par les interventions de policiers qui ne pensent qu'à « faire de la courette », mettent en danger tout le monde et dégradent la situation, en créant les conditions d'une escalade. Cela crée aussi ces images désastreuses de policiers dont le comportement, les tenues sont identiques à ceux des éléments perturbateurs ou de casseurs. Or, on doit tout de suite faire la différence entre un membre des forces de l'ordre et un élément perturbateur – même dans la fumée des lacrymogènes, dans le stress de la manifestation qui est en train de dégénérer.

Je pense que le drone peut permettre d'économiser des effectifs, mais dans les opérations de maintien de l'ordre. Il ne s'agit pas d'avoir des drones en permanence au-dessus de nos têtes pour surveiller nos allées et venues et attenter à notre liberté. Dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre, cela peut faciliter la judiciarisation sans créer les conditions tactiques d'une escalade entre les forces de l'ordre et les manifestants. Je pense que cela peut être une solution par le haut. Mais il faudrait en ce cas définir ce qu'est une opération de maintien de l'ordre : ce n'est pas une opération de police – police routière, police d'interpellation, police criminelle ou police d'enquête –, mais ce n'est pas non plus une opération anti-émeutes, qui se place à un autre niveau. Il faudrait donc mener une réflexion sur cette question.

Il faut poser la question de la pensée doctrinale et de la définition de la raison d'être du maintien de l'ordre. Aujourd'hui le retour d'expérience du maintien de l'ordre est complètement endogame, c'est-à-dire qu'au ministère de l'Intérieur on ne s'intéresse plus aux travaux d'universitaires et de chercheurs qui étudient de manière comparée les techniques utilisées en France et à l'étranger. Il faut impérativement que la réflexion se nourrisse des travaux sur la psychologie des foules, sur l'évolution des mouvements de contestation, sur l'utilisation des nouvelles techniques d'information et des réseaux sociaux et même de manipulation, sur les problématiques de droit comparé et de pratiques comparées du maintien de l'ordre. Il s'agit d'un enjeu décisif.

Il n'existe pas d'institut supérieur ou central d'étude du maintien de l'ordre au sein duquel se réuniraient tant des opérateurs – des opérationnels, des chefs d'unités spécialisées dans le maintien de l'ordre – que des universitaires, des chercheurs, et qui permettrait de nourrir une réflexion sur ces questions : À quoi doit servir une opération de maintien de l'ordre ? Quand est-elle réussie ? Quand est-elle un échec ? Pourquoi est-ce un échec ? Et que peut-on faire pour y remédier ?

Aujourd'hui le ministère de l'Intérieur se referme sur lui-même. La façon dont a été conçu et rédigé le schéma national du maintien de l'ordre est assez éloquente.

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