Avant de débattre du maintien de l'ordre, de sa doctrine, de ses pratiques, de ses perspectives et de ses enjeux, il convient de s'arrêter un instant sur sa réalité. Il est trop facile de raisonner de façon abstraite, en opposant les principes les uns aux autres et en déterminant sa position en fonction de son expérience personnelle, de son orientation politique ou de son prisme intellectuel.
Le constat est brutal : il n'a jamais été aussi dangereux de maintenir l'ordre et de faire respecter la loi que lors des derniers événements auxquels ont été confrontés les policiers et les gendarmes. Avocat de ces derniers, je pense pouvoir témoigner tant de leurs remarquables qualités professionnelles et humaines que de la variété des attaques qu'ils subissent et de la très grande précarité de leur situation personnelle.
Lassé des manœuvres de quelques activistes qui tirent des généralités d'une image ponctuelle, je veux ici rappeler la réalité de ce que subissent les femmes et les hommes qui tentent de faire respecter l'ordre et la loi dans notre société : jets d'acide, de boules de pétanque hérissées de clous, de cocktails Molotov, de pavés détachés de la voirie, de barres de fer, de bombes agricoles remplies de chlore, de « cacatov » – des récipients remplis d'excréments – ou des coups de hache. S'ils ont le malheur de faire une chute, ils sont frappés, piétinés ; on leur arrache leur casque pour mieux les atteindre ; quand ils s'enflamment sous les cocktails Molotov, la foule applaudit ; on leur crie de se suicider. Il faut se représenter la violence physique et morale que subissent ainsi ceux qui portent l'uniforme. Il est difficile de concevoir la folie qui anime ceux qui, par idéologie ou par opportunisme, préparent et commettent ces actions violentes, ou encore remplissent des récipients avec leurs propres excréments dans le seul but de les lancer sur des policiers ou des gendarmes, qui ne font pourtant que leur travail.
En réponse à ceux qui dénoncent une prétendue impunité policière, je veux rétablir la vérité. Chaque plainte déposée donne lieu à une enquête sérieuse et exhaustive. Les membres des forces de l'ordre sont identifiés, entendus et poursuivis individuellement. Ils répondent devant la justice de leur action, indépendamment des conditions dans lesquelles elle est intervenue et même si la situation était tellement dégradée qu'elle tendait à l'insurrection. C'est une véritable incongruité : les manifestants dans les mouvements de contestation ultra-violents que nous connaissons depuis plusieurs années visent les policiers et les gendarmes parce qu'ils représentent le dernier rempart de l'État. En exerçant avec courage leur métier et en exposant leur intégrité physique, les membres des forces de l'ordre assurent la continuité de l'État et la survie de nos institutions. Pourtant, c'est à titre individuel qu'ils sont poursuivis : ils assument tous les risques à titre personnel, alors qu'on leur demande l'impossible. Les forces de l'ordre ont besoin tout à la fois d'une doctrine claire, d'ordres compréhensibles en situation dégradée et assumés par leurs auteurs, de moyens pour lutter efficacement contre les actions violentes et pour interpeller les meneurs sans blesser inutilement les personnes. Ils ont besoin également d'un traitement judiciaire tenant compte de la spécificité de leur mission, de son extrême difficulté et du caractère fondamental de ces enjeux.
Force est de constater que, sur plusieurs de ces points, l'incohérence demeure la règle. Pourquoi les gendarmes intervenant en maintien de l'ordre relèvent-ils d'une juridiction spécialisée et pas les policiers engagés sur le même événement et participant à la même action ? Pourquoi poursuit-on tantôt un commissaire divisionnaire pour les ordres donnés, tantôt un gardien de la paix qui exécute les ordres reçus ? Pourquoi déployer, au plus grave de la crise, des unités non formées au maintien de l'ordre et dont ni l'armement ni les modalités d'action ne sont adaptés à la gestion de tels événements ?
Votre réflexion devra prendre en considération ces femmes et ces hommes sous l'uniforme et sous le casque. Depuis des années, à chaque manifestation violente, à chaque fois que nos institutions sont attaquées, ils tiennent, parce qu'il y va de leur honneur et parce qu'ils croient profondément en la légitimité de leur action. Il n'est toutefois pas garanti qu'il en ira toujours ainsi, si la reconnaissance de la nation et la garantie de l'État pour lequel ils se battent leur font défaut. Il n'est pas non plus garanti que la violence désinhibée des contestataires n'aura pas des conséquences encore plus graves que celles que nous avons déjà connues.
Maintenir l'ordre est une absolue nécessité. Cela suppose de pouvoir compter sur des individus qui s'engagent : ne les négligez pas dans votre réflexion.