Intervention de Raphaël Kempf

Réunion du jeudi 12 novembre 2020 à 11h00
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Raphaël Kempf, avocat :

Maître Alimi vous répondra sur la question de la désescalade et de la démilitarisation. S'agissant de la déjudiciarisation, vous avez compris que c'est un mouvement que je soutiens, à titre personnel. Je considère en effet que la volonté actuelle de judiciariser le maintien de l'ordre aboutit, dans certaines situations, à une instrumentalisation de la justice par le pouvoir politique. Je pense notamment à l'épisode où Mme Nicole Belloubet, alors garde des Sceaux, s'est rendue au parquet de Paris, le 2 décembre 2018, pour annoncer que des dizaines de Gilets jaunes seraient jugés dès le lendemain en comparution immédiate, pour leur participation à la manifestation du 1er décembre. C'est un parfait exemple de la manière dont la justice peut être utilisée par le pouvoir politique pour donner une réponse répressive immédiate à des violences constatées dans l'espace public au cours d'une manifestation. Une telle instrumentalisation est déplorable. Et lorsqu'on examine les dossiers, on s'aperçoit que rares sont les personnes à avoir été reconnues coupables de violences ou de dégradations. Le taux de relaxe est particulièrement important, bien plus que dans d'autres dossiers de droit commun.

Il est effectivement un peu tôt pour faire le bilan de l'application de la loi du 10 avril 2019. L'une de ses dispositions les plus symboliques est celle qui interdit de dissimuler son visage au cours d'une manifestation sans motif légitime. À l'époque, ce délit avait été créé de façon explicite par la représentation nationale pour permettre aux policiers, au cours d'une manifestation, d'interpeller et de placer en garde à vue des personnes qui se masquaient le visage. Ce n'est qu'à l'issue de la garde à vue, voire à l'audience devant le tribunal correctionnel, qu'on examinait si elles avaient, ou non, un motif légitime de le faire. Cette disposition a été introduite pour donner un pouvoir d'interprétation supplémentaire aux forces de l'ordre au cours des gardes à vue.

Si vous me permettez un parallèle avec l'actualité, je pense qu'il pourrait être fait un usage similaire par les policiers de l'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale, qui punit le fait de diffuser des images de policiers dans le but de porter atteinte à leur intégrité physique ou psychique. Peut-être qu'à l'issue d'une garde à vue ou d'un débat devant le tribunal correctionnel, il sera démontré, dans l'immense majorité des cas, que les personnes qui filmaient les policiers n'avaient pas l'intention de porter atteinte à leur intégrité. Néanmoins, ce texte permettra aux policiers d'interpeller et de placer immédiatement en garde à vue toute personne qui filme la police. C'est pourquoi je me permets d'appeler votre attention sur les usages, non seulement judiciaires, mais aussi policiers, d'un texte comme celui-ci.

Je vous confirme que le délit d'attroupement n'est plus retenu par les parquets. Il faut savoir que ce délit est considéré par la jurisprudence de la Cour de cassation – et ce, depuis très longtemps –, comme un délit politique. Or une tradition républicaine qui remonte au XIXe siècle veut, en France, que l'on ne juge ni les délits de presse, ni les délits politiques, au moyen des flagrants délits ou des comparutions immédiates. Un certain nombre d'avocats et d'avocates ont soutenu devant les juridictions que le délit d'attroupement ne pouvait être jugé en comparution immédiate, respectant, en cela, la jurisprudence de la Cour de cassation. C'est sans doute la raison pour laquelle les parquets ont fait le choix de recourir au délit de participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations, lequel n'est pas considéré comme un délit politique – ce que je regrette, à titre personnel.

Sur le statut des observateurs, comme sur le schéma national du maintien de l'ordre, je préfère laisser mes confrères s'exprimer.

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