Intervention de Arié Alimi

Réunion du jeudi 12 novembre 2020 à 11h00
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Arié Alimi, avocat :

Je sais que le président de la Ligue des droits de l'homme a été reçu pendant une journée, ou une après-midi, au moment de l'élaboration du schéma national du maintien de l'ordre, mais les avocats, eux, n'ont pas été consultés. Pour ma part, en tout cas, je ne l'ai pas été. Nous avons pourtant une certaine expérience de la manière dont le maintien de l'ordre est mis en pratique et nous aurions pu donner un éclairage sur les conséquences judiciaires et administratives que pouvait avoir le futur schéma national.

Nous sommes actuellement dans un cycle de violences qui ne cessent de croître, entre les forces de l'ordre, c'est-à-dire l'État, et la population – ou, en tout cas, ceux de nos concitoyens qui recourent au mode d'expression démocratique qu'est la manifestation. Je doute qu'on parvienne à mettre fin à ce cycle de violences en réprimant l'exaspération sociale et en l'empêchant de s'exprimer. C'est pourtant ce qu'entend faire le schéma national du maintien de l'ordre, en introduisant une distinction entre les bons et les mauvais journalistes, entre ceux qui ont une accréditation et ceux qui n'en ont pas. Les premiers obtiendront cette accréditation auprès de la préfecture et observeront la manifestation du côté des forces de l'ordre. Le schéma national fait aussi une distinction entre les journalistes qui ont une carte professionnelle et ceux qui n'en ont pas. Or, dans la loi de 1881, ce qui définit un journaliste, c'est le contrat de travail qui le lie à une société de presse ou à une rédaction ; la carte professionnelle n'est qu'un bénéfice du statut de journaliste, et en aucun cas une de ses composantes. Le schéma national du maintien de l'ordre va donc nécessiter une nouvelle modification de la loi de 1881, qui est l'un des piliers de notre République, et qui fonctionnait très bien.

Les observateurs des pratiques policières, qui sont affublés d'une chasuble pour être parfaitement reconnaissables, et dont le statut est désormais reconnu par les conventions internationales, sont neutres et viennent observer ce qui se passe dans les manifestations, sans y prendre part. Nombre d'entre eux ont pourtant été agressés physiquement ou interpellés de façon abusive : je pense notamment à Camille Halut, à Montpellier. Interpellée à plusieurs reprises, elle a été relaxée à chaque fois. Elle a aussi subi des violences policières, comme d'autres observateurs, mais aussi des journalistes, dont certains ont été matraqués.

Il me semble que l'objet du nouveau schéma national du maintien de l'ordre – et l'article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale va dans le même sens – est de créer une propagande d'État en désignant des bons journalistes, correspondant à l'idéologie du Gouvernement. On est en train d'imposer une vision du journalisme et de créer des journalistes d'État : c'est très grave, car le journalisme est l'un des chiens de garde de la démocratie.

Concrètement, on va légaliser certaines pratiques qui ont déjà cours, comme la dispersion des journalistes, qui sont pourtant là pour regarder, filmer et rendre compte de ce qui se passe. Ce sera la même chose pour les observateurs, car le SNMO abolit la distinction qui existait entre les journalistes et les observateurs, d'une part, et les manifestants, d'autre part. Tout le monde sera logé à la même enseigne, sauf ceux qui auront été accrédités préalablement, et qui regarderont les choses du côté des forces de l'ordre. C'est un fait très grave, une entaille profonde dans notre fonctionnement démocratique.

La loi du 10 avril 2019, qui interdit la dissimulation partielle ou intégrale du visage, s'applique et a déjà donné lieu à des poursuites. Mon confrère Raphaël Kempf a mentionné un certain nombre de pratiques illégales ; j'ajoute que des personnes ont été interpellées parce qu'elles avaient du sérum physiologique dans leur sac, ou un Gilet jaune, c'est-à-dire un objet d'expression démocratique. On a assisté à une kyrielle d'interpellations absolument injustifiées. Je confirme, moi aussi, que le délit d'attroupement a été abandonné au profit du délit de participation à un groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations. Ces interpellations ont eu lieu sous l'autorité du duo constitué par le préfet et le parquet – des circulaires les encourageaient à collaborer –, mais dans un cadre que je considère comme illégal, puisqu'elles ont été faites de manière préventive, bien avant les manifestations.

Vous dites, madame la rapporteure, que le délit de dissimulation du visage est tombé en désuétude : oui et non. Des manifestations sont prévues dans les jours qui viennent : l'une d'elles doit avoir lieu devant l'Assemblée nationale, le 17 novembre, pour protester contre l'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale. La dissimulation intégrale ou partielle du visage est sanctionnée si elle est « sans motif légitime », ce qui laisse une grande marge d'interprétation. Mais ce qui est le plus inquiétant pour nous, juristes, c'est la coexistence, dans le corpus juridique, de deux infractions antinomiques : l'infraction pénale de dissimulation partielle ou intégrale du visage, d'une part, et l'infraction de non-dissimulation du visage par un masque, d'autre part, qui est sanctionnée par une contravention. J'ai rarement vu une telle situation. Aujourd'hui, des manifestants peuvent être sanctionnés pénalement, à la fois parce qu'ils ont un masque et parce qu'ils n'en ont pas. Une mise en cohérence des textes s'impose.

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