Quand j'écoute mes confrères, j'ai l'impression que nous ne parlons pas des mêmes événements. Les manifestations qu'ils décrivent sont celles que l'on a connues par le passé : des manifestations déclarées, avec des cortèges apaisés et, éventuellement, quelques heurts sur la fin. Mais nous ne sommes plus du tout dans ce cadre-là : le 1er décembre 2018, mes clients policiers ont serré la main à des Gilets jaunes qui venaient manifester à sept heures quarante-cinq et, à huit heures, ils se sont battus avec eux. En quelques minutes, ces « messieurs tout le monde » sont devenus fous : ils voulaient brûler la République, aller à l'Élysée et tuer le Président de la République !
Les forces de l'ordre ont dû s'adapter pour faire face à des actes d'une violence inimaginable. Pour ne prendre qu'un exemple, lorsque la CRS 43 a été impliquée dans l'affaire du Burger King, cinquante hommes se sont retrouvés face à deux mille manifestants qui leur lançaient des pavés. Dans un tel contexte, on ne peut pas dire que ce sont les forces de l'ordre qui font le choix de l'escalade : elles ne font que s'adapter à une violence inouïe, totalement inédite dans l'histoire de la République française. La désescalade ne peut être le fait que des manifestants, les forces de l'ordre ne faisant que s'adapter à la violence qu'on leur oppose. Force est de constater que la violence émane des manifestants, Gilets jaunes ou black blocs, et non des forces de l'ordre, dont la vocation est de maintenir l'ordre de la manière la plus paisible possible.
Il est totalement faux de dire que les forces de l'ordre visent et blessent volontairement les gens qui les filment : ce n'est pas vrai. Si M. Jérôme Rodrigues a été blessé pendant qu'il filmait, c'est évidemment un accident. Qui peut penser qu'un policier ou un gendarme qui se lève le matin pour faire appliquer la loi va prendre un flash-ball ou un LBD et tirer sur une personne qui la filme pour qu'elle arrête de le filmer ? Dire cela, c'est de la malhonnêteté intellectuelle ! Il peut certes y avoir des accidents avec ce type de matériel, et c'est pourquoi je préconise, premièrement qu'il y ait un maximum de caméras et d'observateurs au cours des manifestations, à condition évidemment que les observateurs soient neutres, et deuxièmement, que l'on n'utilise des armes d'impact qu'en cas d'absolue nécessité.
Au cours des manifestations des Gilets jaunes, le LBD a effectivement été beaucoup trop utilisé, il a été mis dans les mains de personnes qui n'étaient pas formées et qui n'étaient pas suffisamment encadrées. S'il y a eu de nombreux blessés, c'est du fait de l'impréparation des personnels et d'un déploiement excessif de ces armes d'impact, qui sont très dangereuses et qui doivent être maniées avec beaucoup de précautions. À cet égard, le schéma national du maintien de l'ordre, qui repose sur le binôme constitué par le donneur d'ordre et l'opérateur, me semble parfaitement adapté, à condition que la responsabilité pénale du donneur d'ordre soit inscrite dans le texte, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Celui qui donne l'ordre d'utiliser un LBD contre une personne doit en assumer la responsabilité pénale : aujourd'hui, seule la responsabilité pénale du tireur est engagée, et cela ne me satisfait pas.
Je suis très étonné d'entendre que la liberté de manifester se heurterait à un système répressif. Je ne pense pas le système soit répressif ; je pense que le système a été débordé par la violence de l'événement et par son caractère répétitif. Tous les week-ends, les Gilets jaunes allaient affronter les forces de l'ordre. À la longue, les personnes qui sont sous l'uniforme, policiers et gendarmes, ont pu être fatiguées et désorientées. Imaginez ce que c'est que de prendre son service à huit heures, de finir à vingt-deux heures, sans avoir ni mangé, ni bu de toute la journée, de n'avoir eu qu'une pause de cinq minutes et d'être confronté, du matin au soir, à des gens qui veulent vous tuer ! À la fin de la journée, il y a des raisons de manquer de lucidité et d'être un peu perdu !
Quand j'entends parler de « cycle de violences » et de « propagande d'État », je suis obligé de réagir. Il faut remettre l'église au milieu du village ! Les policiers et les gendarmes, dans leur très grande majorité, essaient de faire régner l'ordre de la manière la plus paisible possible, tout simplement parce qu'ils n'ont pas envie d'être blessés, tout simplement parce qu'ils n'ont pas envie de se battre. Ils ont envie de prendre leur service,de rentrer chez eux le soir et d'embrasser leurs enfants. Il faut arrêter de penser que ce sont des gens qui ont envie de casser du manifestant : ce n'est pas vrai. Les gens que je défends sont de bons pères de famille, et de bonnes mères de famille, car il y a aussi des femmes engagées au service du maintien de l'ordre. J'en ai encore défendu une cette semaine, qui a reçu une bouteille d'acide et qui a vu, à côté d'elle, un de ses collègues prendre feu à cause d'un cocktail Molotov. Il faut que tout le monde soit raisonnable, de part et d'autre, et je peux vous dire que les fonctionnaires de police, comme les militaires de la gendarmerie, le sont.