Intervention de Raphaël Kempf

Réunion du jeudi 12 novembre 2020 à 11h00
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Raphaël Kempf, avocat :

Le dialogue est évidemment fondamental, mais une autre chose pose problème : l'accoutrement des gendarmes et des policiers faisant face aux manifestants. On a l'impression qu'il s'agit de fantassins allant au combat – d'ailleurs, ils sont équipés d'armes classées par le code de la sécurité intérieure parmi les armes de guerre. Ce n'est pas de nature à permettre un dialogue apaisé entre eux et les manifestants.

Cela dit, et pour répondre aux inquiétudes de mon confrère Laurent-Franck Liénard à propos de la violence, je tiens à préciser que, dans l'immense majorité des dossiers que j'ai traités, les faits n'étaient pas de la nature de ceux qu'il a évoqués : souvent, on juge des personnes qui ont jeté quelque chose en direction des policiers, mais sans avoir blessé ni même atteint qui que ce soit, au point que l'on ne connaît même pas l'identité de la victime supposée. Dans l'immense majorité des cas, aucune blessure n'est à déplorer. Surtout, la judiciarisation du maintien de l'ordre et la criminalisation des manifestants n'ont, à mon sens, aucun effet sur le degré de violence d'une manifestation.

En revanche, et c'est là un fait absolument capital, ces évolutions ont des conséquences concrètes quant au respect effectif de la liberté de manifester : un certain nombre de nos concitoyens et concitoyennes sont désormais réticents à participer à des manifestations. Je le constate chez un grand nombre de mes clients et clientes, que je défends depuis très longtemps : ils ont peur d'y perdre une main, un pied, un œil, ou, sans parler de blessures aussi graves que celles qui peuvent conduire à un éborgnement, craignent de recevoir un projectile ou tout simplement d'être incommodés par des gaz lacrymogènes. Cette peur est bien réelle et il faut l'entendre, plutôt que de rejeter systématiquement la responsabilité sur les manifestants. Un grand nombre de personnes ont aussi la crainte – très relayée, car les gens parlent entre eux – d'être arrêtés, placés en garde à vue de façon arbitraire, même s'ils n'ont rien à se reprocher.

Tout cela a pour effet de dissuader les gens de se rendre à des manifestations, ce qui me paraît constituer un problème démocratique absolument fondamental : il est totalement inacceptable que, dans notre pays, certaines personnes ne souhaitent plus exercer ce qui constitue pourtant l'une de leurs libertés fondamentales, au motif qu'elles ont peur de perdre un œil ou d'être enfermées arbitrairement. Il est donc évident qu'il faut réfléchir à une solution et sortir du débat visant à savoir si ce sont les forces de l'ordre qui s'adaptent à la violence des manifestants ou bien l'inverse. Là n'est pas la question : il faut tout faire pour respecter la liberté fondamentale de manifester. Cela suppose de ne plus recourir aux armes de guerre face aux manifestants, mais aussi de trouver des modalités de désescalade et de dialogue. Cela ne peut passer, en outre, que par la fin, d'un côté, de la criminalisation des manifestants, et, de l'autre, de l'impunité pour les violences commises par des membres des forces – impunité qui, je le répète, est à mon avis réelle. Certes, dans certains cas, des policiers ont été condamnés, mais ils sont trop rares.

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