Intervention de Arié Alimi

Réunion du jeudi 12 novembre 2020 à 11h00
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Arié Alimi, avocat :

Pour tout dire, nous avons énormément de dossiers traités par l'IGPN, car nous gérons une centaine de dossiers de violences policières. La directrice de cet organe a indiqué publiquement que, selon elle, les violences policières n'existaient pas, relayant ainsi la parole politique. On ne peut que s'interroger sur le fonctionnement futur de l'IGPN et sur l'orientation que prendront les enquêtes : les agents vont-ils vraiment enquêter sur les violences policières si celles-ci n'existent pas ?

Depuis dix-sept ans que je travaille sur des dossiers de violences policières, j'ai constaté une évolution. Pendant très longtemps, aucune issue judiciaire, aucun travail véritable de l'IGPN n'étaient possibles. Cela bloquait souvent dès le niveau de l'instruction. Il y avait une culture de l'impunité totale. Or le traitement judiciaire des violences policières par l'IGPN a connu une évolution, peut-être du fait de l'augmentation de ces violences, ou bien parce que les vidéos ont permis de les voir, notamment dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes. De fait, celui-ci a été marqué par un accroissement considérable des violences graves, débouchant sur des mutilations et des infirmités permanentes – par exemple la perte d'un œil ou d'une main. Beaucoup de nos concitoyens ont ainsi vu leur vie détruite à cause de l'action de la police.

Je prendrai l'exemple de l'interpellation de Cédric Chouviat, sans pouvoir entrer dans le détail car certains éléments sont couverts par le secret de l'instruction. Certes, cela ne relevait pas du maintien de l'ordre, mais des événements similaires pourraient se produire dans ce cadre. Je n'ai jamais vu un dossier aussi bien traité. Cédric Chouviat, livreur de 42 ans, a été étranglé par des policiers à l'occasion d'un simple contrôle routier. À mon sens, la seule raison pour laquelle il a été interpellé de manière aussi musclée, ce qui a conduit à son décès, c'est qu'il était en train de filmer les policiers.

J'ai cité cet exemple car la vidéo y joue un rôle important. Que se passerait-il si la diffusion de telles images était interdite ? Il deviendrait impossible de révéler à l'opinion publique la plupart des cas de violences policières dont il a été question ces dernières années et qui ont trouvé une issue judiciaire, avec des mises en examen et des renvois devant les tribunaux, permettant ainsi la manifestation de la vérité. Je pense notamment au dossier de Geneviève Legay, cette militante de 74 ans bousculée par des policiers lors d'une manifestation à Nice. Le Président de la République, mais également Christian Estrosi, le préfet et le procureur de la République chargé de l'enquête, ont indiqué qu'il n'y avait pas eu de contact entre les policiers et Mme Legay. On a là une parole d'État, une parole judiciaire qui nie la violence policière. C'est la même chose dans tous les dossiers de violences policières : celles-ci sont niées. On dénie la possibilité d'obtenir la vérité, voire d'engager une action judiciaire – pour poursuivre le même exemple, le procureur de la République en question, M. Prêtre, a reconnu par la suite qu'il avait en réalité menti dans ce dossier.

La diffusion de vidéos sur les réseaux sociaux est la seule possibilité pour les victimes d'obtenir l'ouverture d'une enquête par le procureur de la République – lequel, je le rappelle, est également le superviseur des fonctionnaires de police qui enquêtent. Historiquement, c'est ce phénomène qui a débloqué la situation : dans le dossier de Cédric Chouviat comme dans celui de Geneviève Legay, c'est la diffusion d'images sur lesquelles les fonctionnaires de police étaient reconnaissables qui a permis d'obtenir d'autres images puis le lancement de procédures, alors que l'institution judiciaire se refusait à ouvrir des enquêtes préliminaires. Les vidéos sont devenues des objets judiciaires. L'interdiction de leur diffusion va priver les victimes d'une issue judiciaire.

Du reste, l'IGPN elle-même a évolué à ce propos : elle déclare désormais qu'elle a besoin de ces vidéos pour enquêter. Le parquet considère lui aussi que, sans ces images, on ne pourrait pas identifier les policiers, d'autant que ces derniers refusent de l'être : par exemple, ils enlèvent leur numéro de RIO. De même, ils n'indiquent pas quelles armes ils utilisent dans le cadre d'opérations de maintien de l'ordre. Très souvent, les juges d'instruction sont dans l'impossibilité d'identifier les policiers. Dans un grand nombre de dossiers, on sait que des LBD et des grenades ont été utilisés, mais comme la police refuse de le confirmer et que les supérieurs des policiers concernés refusent de donner leur identité, les juges sont bloqués. L'article 24 de la proposition de loi, outre le fait qu'il constitue une atteinte gravissime à la liberté d'informer, va rendre impossible la solution judiciaire. C'est probablement là son objectif, d'ailleurs : il s'agit de garantir l'immunité judiciaire des policiers.

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