Intervention de David Dufresne

Réunion du jeudi 12 novembre 2020 à 16h00
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

David Dufresne, journaliste :

Je suis très heureux d'être auditionné par votre commission d'enquête, qui plus est en votre présence, monsieur le président, car nous allons beaucoup parler de journalisme, avec sans doute en toile de fond votre proposition de loi relative à la sécurité globale. Il paraît pour le moins étonnant de former une telle commission sur le maintien de l'ordre et de légiférer déjà en partie sur ces questions.

Je suis, en effet, le réalisateur du film Un pays qui se tient sage, qui est sorti le 30 septembre. Celui-ci donne la parole à des policiers, des sociologues, des chercheurs, des mutilés, des historiens, dont certains ont été auditionnés par votre commission d'enquête. Pour avoir suivi très attentivement presque tous les travaux de cette dernière, je sais qu'il y a été cité à plusieurs reprises.

Ce documentaire constitue la suite logique d'un travail précédent de signalement de violences policières, avérées ou suspectées, intitulé « Allô Place Beauvau, c'est pour un signalement », hébergé d'abord sur Twitter puis sur Mediapart. Y ont été recensés, pour la seule séquence des Gilets jaunes, 27 éborgnés, 5 mains arrachées, la mort de Zineb Redouane à Marseille, 100 tirs de lanceurs de balle de défense (LBD) dans la tête, ce qui est rigoureusement interdit, et 340 blessures à la tête. Ces chiffres n'ont jamais été contestés par le ministère de l'Intérieur pour la simple raison qu'ils se situent en deçà de la réalité.

J'ai commencé ce travail de signalement parce que j'ai été sidéré par une brutalité policière que je ne connaissais pas, alors même que j'avais étudié la question du maintien de l'ordre depuis les années 1990, à travers d'autres films ou d'autres livres. J'ai également été sidéré à la fois par le silence médiatique qui l'a accueillie, au moins au départ, si neutre qu'il en devenait coupable, et par le déni politique, dont je crains que cette commission d'enquête ne contribue pas à le renverser. Encore ce matin, l'avocat Laurent-Franck Liénard, qui représente des policiers, a tenu, au cours de son audition, des propos qui tiennent de la fable : « Les violences ne viennent jamais des policiers, mais uniquement des manifestants. »

Mon travail a servi à la Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe et au Parlement européen, qui m'ont reçu tous deux en janvier 2019, ainsi qu'à l'ONU et à la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH).

Pas plus qu'aucun journaliste ni collectif, je ne suis dans la haine. On cherche aujourd'hui à cadenasser le discours en faisant passer tous ceux qui observent et critiquent la police pour des militants anti-police ou antirépublicains. C'est pénible mais surtout terrible pour l'éclairage qui est ainsi donné aux contre-pouvoirs que sont la presse et l'opinion publique, et – je vais vous surprendre – l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) et l'Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN).

Je termine en rappelant deux articles essentiels de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 :

« Art. 12. La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée. » – votre commission s'honorerait à garder cet article constamment à l'esprit ;

« Art. 15. La Société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »

Voilà de quoi j'aimerais vous entretenir.

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