Intervention de Valentin Gendrot

Réunion du jeudi 12 novembre 2020 à 16h00
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Valentin Gendrot, journaliste :

Également journaliste, je suis âgé de 32 ans et l'auteur de FlicUn journaliste a infiltré la police, paru le 3 septembre dernier aux éditions Goutte d'Or, dont le propos est de raconter le quotidien d'un policier dans un quartier populaire, que je définis comme un arrondissement où les relations entre la population et la police sont réputées sensibles et où la police n'a pas les moyens de travailler.

Pour cela, j'ai passé le concours de policier contractuel, à l'issu duquel j'ai suivi une scolarité de trois mois au sein de l'École nationale de police (ENP) de Saint-Malo, dont je suis sorti avec une habilitation au port d'une arme sur la voie publique. Pour mon premier poste, j'ai été affecté à l'infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris (IPPP), dans le 14e arrondissement. Par le jeu des mutations, j'ai réussi à intégrer le commissariat du 19e arrondissement, rue Erik Satie, où je suis resté cinq mois et trois semaines, avant de démissionner de la police nationale.

L'objectif de ces deux années d'infiltration était d'entrer là où le grand public ne peut pas aller, pour raconter les cuisines d'un commissariat et en retirer les éléments constitutifs des deux grandes problématiques actuelles de la police nationale : le mal-être des policiers, caractérisé par le taux de suicides au sein de la profession qui le place au deuxième rang national, la dégradation des conditions de travail qui conduit les agents à acheter leur équipement professionnel – gants, lampes, chaussures – sur leurs deniers personnels, la défiance d'une partie de la population et le manque de reconnaissance ; les violences policières, qui existent et qui sont même récurrentes s'agissant du commissariat du 19e arrondissement.

Les violences policières prennent deux formes différentes : elles s'exercent soit sur des personnes gardées à vue, soit sur des migrants – j'ai assisté à trois ou quatre tabassages dans un fourgon de police. Dans les deux cas, personne ne dit rien ; c'est l'omerta, la loi du silence. Ce qui s'est passé dans les cellules de garde à vue ou dans le fourgon de police y reste. Les ondes radio de la police ou le logiciel de main courante informatisée (MCI) n'en gardent aucune trace.

Tels sont les aspects que j'explore dans mon livre, que je considère comme un travail de journaliste plutôt que d'infiltré dans la police.

Au cours de mes trois mois de scolarité à l'ENP, les questions de déontologie ont été balayées en quelques heures seulement au travers du code de déontologie de la police qui régit les pratiques des policiers en France, et en des termes assez abstraits : rien de factuel ni de concret. Or le décalage entre la théorie et la pratique est énorme. Ainsi, ce code interdit le tutoiement, mais, au quotidien, personne ne respecte cette interdiction, moi pas plus que les autres.

Clairement, le lien entre la police et la population est dégradé, chacune considérant l'autre comme le clan d'en face. Depuis la suppression de la police de proximité, le lien s'est rompu progressivement, en tout cas dans le 19e arrondissement.

À la suite de la publication du livre, j'ai reçu des messages de félicitation. Beaucoup de ceux qui m'étaient adressés par des gens que je connaissais se terminaient par : « Fais attention à toi ». Cela me semble assez symptomatique du peu de confiance accordée à la police, de la défiance qu'elle inspire. Certes, certaines personnes détestent la police et le font entendre par des slogans dans les manifestations, mais d'autres, qui ne la connaissent pas, qui ne manifestent pas, m'ont quand même mis en garde, comme si l'on ne pouvait pas parler de la police ni de ce qui se passe à l'intérieur d'un commissariat.

Baisse de la confiance, hausse de la défiance : il faut y faire attention, et il ne me semble pas que les textes de loi comme celui qui est actuellement à l'étude soient de nature à contrarier ces évolutions. Ce n'est pas en floutant le visage des policiers que l'on va avancer. On se leurre en le croyant.

Les violences policières que j'ai pu observer au sein du commissariat du 19e arrondissement n'étaient le fait que d'une minorité de policiers racistes et violents, mais c'est l'ensemble des policiers qui ont subi la désagrégation de la confiance, car cette minorité n'était que trop rarement condamnée. Il faut que la police fasse le ménage et, effectivement, que l'IGPN soit indépendante.

Pour rétablir la confiance envers la police, il faut restaurer le lien avec les habitants. Les policiers doivent pouvoir patrouiller dans les rues en dehors de missions d'intervention, sans que cela donne lieu à des poussées d'adrénaline. Lorsque nous sortions du commissariat, c'était pour aller patrouiller en voiture dans les quartiers où il y a toujours à faire : à aucun moment il n'y avait de dialogue entre les deux clans.

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