Pour l'instant, il n'y a eu que des très peu de procès, la plupart concernant des violences policières euphémisées : un policier qui a lancé un pavé – arme qui ne fait pas partie de la dotation de la police – sur une personne, d'autres qui ont fait un croche-pied à des manifestants, à Toulouse ou ailleurs, un autre qui a donné une paire de gifles. Les cas les plus graves – mais beaucoup sont déjà classés – en sont au stade de l'instruction. Peut-être donneront-ils lieu à des procès, voire à des condamnations.
On le sait, le temps judiciaire est long mais il me semble déloyal de convoquer massivement en comparution immédiate des Gilets jaunes le lundi qui suit les manifestations du samedi et de prendre tout son temps pour des faits de violences policières. La justice devrait être équitable et prendre son temps pour tout le monde ou pour personne. Pour ma part, je préférerais que ce soit pour tout le monde. Finalement, le mot de suspicion est faible, car le nombre d'affaires classées est très élevé. Référez-vous au travail que j'ai réalisé avec d'autres journalistes de Mediapart pour décortiquer quatre-vingts dossiers suivis par l'IGPN.
Le maintien de l'ordre a une histoire – vous le savez puisqu'elle a été évoquée au sein de votre commission. À partir des années 1990, mais surtout 2000, les corps constitués que sont les gendarmes mobiles et les CRS sont progressivement, et pour de multiples raisons, remplacés ou rejoints par les brigades anticriminelles, les BAC. Celles-ci ne sont pas formées au maintien de l'ordre mais à la gestion des violences urbaines, ce qui est très différent mais pas tant que cela lorsqu'il s'agit d'intervenir lors de manifestations, y compris de manifestations festives comme celle de la Fête de la musique qui s'est déroulée à Nantes dans la nuit du 21 au 22 juin 2019 et au cours de laquelle Steve Maia Caniço a trouvé la mort. Cinq instructions sont en cours et nous saurons peut-être un jour ce qu'il s'est passé. En tout cas, on sait que la BAC de Nantes est incriminée.
Je ne sais pas si Valentin Gendrot a été confronté à une telle situation avec ses collègues du commissariat du 19e arrondissement, mais imaginez l'état d'esprit de ces gardiens de la paix à qui on annonce, le vendredi, qu'ils devront assurer le maintien de l'ordre le lendemain, alors qu'ils ne sont ni formés, ni entraînés, ni équipés, puisque certains doivent même acheter leur casque chez Go Sport ou Décathlon. Leurs représentants vous l'ont dit : ils ont eu peur, légitimement. Contrairement aux hommes sur lesquels vous aviez autorité, monsieur Fauvergue, qui ont appris à maîtriser leur peur dans n'importe quelle situation, ceux-là ont été envoyés sur le terrain pour maintenir l'ordre sans y avoir été formés. Écoutez le Général Bertrand Cavallier, qui a dirigé le centre de Saint-Astier où sont formés tous les gendarmes mobiles, et qui apparaît dans mon film : la première leçon à retenir, pour maintenir l'ordre, est de savoir absorber les coups. Si vous envoyez sur le terrain des hommes qui ne sont ni formés ni équipés pour absorber les coups, ils sortiront leur LBD et tireront comme au ball-trap !