Intervention de Jérôme Foucaud

Réunion du jeudi 26 novembre 2020 à 14h30
Commission d'enquête relative à l'état des lieux, la déontologie, les pratiques et les doctrines de maintien de l'ordre

Jérôme Foucaud, directeur de l'ordre public et de la circulation (DOPC) à la préfecture de police :

La direction de l'ordre public et de la circulation est assez jeune : sa création date de 1999. Elle a trois domaines de compétence : l'ordre public, bien sûr, la circulation, mais aussi la protection des institutions. Elle est compétente sur Paris et les départements de la petite couronne, et sur ceux de la grande couronne pour ce qui est de la coordination de la circulation.

En 2019, la DOPC a géré 7 000 événements qui ont rassemblé 11 millions de personnes sur la voie publique, soit un peu moins d'une vingtaine par jour en moyenne ; 80 % constituaient des manifestations revendicatives. Par rapport aux 4 500 événements gérés en 2007, cela représente une hausse de 54 % en douze ans. Cette évolution nous a conduits à faire des efforts de rationalisation de l'emploi des forces.

Particularité de la capitale, nous intervenons lors de nombreux événements à retentissement international – la COP21 en 2015, l'Euro de football en 2016 – et national. Citons, pour ces derniers, les manifestations récurrentes sur les Champs-Élysées telles que l'arrivée du Tour de France et la Saint-Sylvestre – 400 000 personnes cette année, qui n'était pas la plus fréquentée –, et autres défilés du 8 mai, du 14 juillet et du 11 novembre. En matière de maintien de l'ordre public, nous avons, comme les services de mes deux collègues, deux ans de manifestations de Gilets jaunes derrière nous, et d'autres manifestations d'ampleur comme celles du 1er mai chaque année et, plus récemment, celles contre la loi travail. Enfin, nous gérons les abords du Stade de France et du Parc des Princes lors des matchs. La préparation de la Coupe du monde de rugby, en 2023, et surtout des Jeux olympiques et paralympiques, en 2024, nous occupe déjà beaucoup.

Pour exécuter ses différentes missions, la DOPC s'appuie sur son état-major et sur l'expertise qu'elle sollicite en interne ou en externe. L'état-major compte 230 hommes et femmes, qui préparent quotidiennement les dispositifs et les pilotent – c'est notre spécificité. L'expertise est remarquable en ce que nos personnels ont une parfaite maîtrise de la topographie parisienne et que les forces opérationnelles ont une capacité de mobilité et de projection importante. Nous nous signalons aussi par l'intéropérabilité de nos dispositifs au sein de la DOPC mais aussi avec les CRS et les gendarmes. Ainsi, pendant les manifestations de Gilets jaunes, avec les CRS, nous avons mis en place des groupes d'appui projetés (GAP), constitués de deux compagnies de CRS et d'une de nos sections d'intervention civile, qui ont bien fonctionné. Avec la gendarmerie, nous avons constitué des brigades de répression des actions violentes motorisées (BRAV-M), brigades mobiles constituées de binômes à moto, avec des personnels de la DOPC et de la Garde républicaine.

Pour assurer notre travail au quotidien, nous disposons de trente commissaires de police, experts en maintien de l'ordre – je le dis avec beaucoup de fierté – ainsi que de six compagnies d'intervention de jour et d'une septième la nuit, chacune composée de 200 policiers et 20 officiers. Bien sûr, ces moyens sont sans commune mesure avec ceux de Pascale Regnault-Dubois. Ces compagnies interviennent suivant deux schémas : le schéma traditionnel qui ressemble un peu à ce que font les unités de forces mobiles ; des schémas plus innovants, avec de nouveaux modes de fonctionnement, comme les BRAV-M motos et les BRAV quatre roues, qui répondent à l'évolution des manifestations et des manifestants.

Une deuxième entité spécifique et très particulière est constituée par les brigades d'information de la voie publique (BIVP), composées de 140 personnels en civil qui assurent la préparation opérationnelle des manifestations, puis la liaison constante avec les organisateurs de manifestations et les manifestants. Le schéma national de maintien de l'ordre a consacré cette méthode en lui donnant une autre appellation, mais l'idée est la même.

La sous-direction de la circulation est une troisième entité. C'est une grosse machine qui concourt au maintien de l'ordre lors des manifestations en assurant la régulation de la circulation et des flux routiers autour de ces événements. Sur certaines grosses manifestations, nous engageons 350 à 400 fonctionnaires de police ; c'est énorme.

D'autres unités sont encore plus spécialisées : le groupe d'intervention et de protection (GIP), qui répond à de nouvelles formes de manifestations spectaculaires, assure des missions de désentravement et d'escalade pour récupérer drapeaux, bannières ou toute chose à décrocher ; la brigade fluviale vient en soutien lorsque les manifestants sont proches des ponts de la Seine ; l'unité des moyens aériens intervient avec des drones ; le service de soutien opérationnel, unité peu connue mais très importante, gère des équipements utiles au maintien de l'ordre – barrières, tracteurs anti-barricades, engins lanceurs d'eau, etc.

Je fais également appel à des « experts extérieurs » : la direction du renseignement de la préfecture de police, dont j'utilise l'évaluation quotidienne des risques et des menaces ainsi que les prévisions d'affluence pour chaque événement pour dimensionner mes dispositifs ; la direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP), qui assure le traitement judiciaire des interpellés – 2 444 en 2019 ; la brigade des sapeurs-pompiers, qui intervient avec des dispositifs autonomes ou intégrés dans nos unités ou celles des CRS et gendarmes pour répondre à des besoins immédiats d'extinction de feu ou de secours à personne ; les CRS et gendarmes mobiles, auxquels nous faisons régulièrement appel. La DOPC est capable de traiter 70 % des événements en autonomie, mais pour certains événements quotidiens ou pour les grosses manifestations, nous faisons appel aux unités de défense nationale. Ainsi, il y a deux ans pour le 1er mai, soixante-cinq unités de forces mobiles ont été engagées.

En 2019, année particulière, un peu supérieure à la moyenne habituelle, nous avons bénéficié de 3 900 unités de forces mobiles pour assurer le maintien de l'ordre. Cela suppose une certaine expertise en salle de commandement, car tout le monde n'est pas capable de gérer trente ou quarante unités de forces mobiles.

Quelques mots sur le contexte particulier de la capitale, même si on constate certains phénomènes identiques ailleurs sur le territoire français. La portée des événements que nous gérons est amplifiée depuis quelques années par l'usage très intensif des réseaux sociaux. En outre, chacun des événements est hypermédiatisé du fait de la présence des chaînes d'information continue. Nous avons la chance et le privilège que leur siège social se situe à Paris : il leur est donc facile d'arriver rapidement sur les événements. Cela a vraiment changé notre façon de faire et de réagir.

On constate un changement de nature des manifestations, dont un certain nombre, et certains manifestants en leur sein, ne respectent plus les règles juridiques classiques en la matière. En 2019, on a ainsi dénombré 17 % de manifestations non déclarées, ce qui était très supérieur à la moyenne. En outre, les services d'ordre ont quasiment disparu, notamment lors des manifestations de grandes centrales syndicales. Il y a trente ans, lorsque j'ai commencé à m'occuper de maintien de l'ordre à la préfecture de police, nous avions face à nous des organisations syndicales très structurées, dotées de gros services d'ordre ; aujourd'hui, les services d'ordre regroupent au maximum 150 à 200 personnes, ce qui ne permet pas la même régulation.

Un autre élément nouveau, qui date de ces dernières années, est la formation, devant les manifestations, de « pré-cortèges » non contrôlés par les organisateurs et plus ou moins agités ou infiltrés par des individus radicaux, donc plus ou moins difficiles à gérer. C'est ce que nous appelons dans notre jargon la nébuleuse, qui présente une difficulté supplémentaire pour nous.

Dans certaines manifestations, et pas seulement celles qui ne sont pas déclarées, nous avons également du mal à trouver des interlocuteurs.

Enfin, les réseaux sociaux permettent aux manifestants de se mobiliser, que le rassemblement soit déclaré ou non, et de le faire de manière instantanée, ce qui nous empêche d'anticiper.

En ce qui concerne la contestation, un élément important est la radicalisation de certaines manifestations, sous l'effet de deux facteurs : la présence accrue de néo-manifestants, notamment depuis le mouvement des Gilets jaunes ; la haine anti-flics, illustrée par l'exemple parlant des manifestants criant « Suicidez-vous ! » aux policiers qui étaient devant eux, place de la République.

Ces éléments tout à fait nouveaux nous ont conduits à changer notre façon de faire. La mutation n'est pas achevée, mais elle est bien amorcée. En mars 2019, dans un discours resté célèbre dans nos rangs, le Premier ministre nous avait donné plusieurs pistes de travail. Concernant la préfecture de police et la DOPC, on nous a demandé un commandement unifié – c'est chose faite – et plus de mobilité et de réactivité, raison pour laquelle nous nous sommes efforcés de développer les moyens que j'ai cités. Le Premier ministre voulait également modifier la manœuvre judiciaire postérieure à la manifestation, car nous avions été confrontés à des difficultés liées au traitement en masse des interpellés et l'efficacité de notre réponse judiciaire était en jeu.

Nous avons créé deux nouvelles structures : les BRAV et les BRAV-M, à moto. J'ai été amené – sous plafond d'emplois – à renforcer les effectifs des compagnies d'intervention, qui atteignent désormais 200 policiers par compagnie, soit 120 personnels opérationnels sur le terrain. Cela me permet de faire face au souci quotidien des nombreuses petites manifestations que je dois gérer seul, parce que l'on ne me donnera pas suffisamment d'unités de forces mobiles pour cela. En contrepartie de cette hausse des effectifs, les jours de basse intensité, les personnels concernés participent à la sécurisation à la manière des compagnies de CRS au profit de la direction de la sécurité de proximité.

Je terminerai par quelques remarques.

Dans le nouveau schéma national du maintien de l'ordre, on retrouve plusieurs éléments et pratiques qui ont commencé à être mis en œuvre à la préfecture de police, notamment en matière de communication, ce qui est plutôt une bonne chose pour nous.

Avec le préfet de police, nous avons décidé de poursuivre notre réforme des compagnies en en créant une huitième, toujours sous plafond d'emplois. En outre, alors que nous avions au sein de l'état-major un embryon d'unité destiné aux petits RETEX après les manifestations, j'ai décidé d'en faire un service de la stratégie travaillant notamment à la planification et aux RETEX, essentiels à la pratique quotidienne du maintien de l'ordre.

La nécessité du dialogue et de la communication avec les manifestants est également soulignée dans le schéma national du maintien de l'ordre. Nous nous efforçons donc de faire évoluer nos pratiques en la matière, par exemple par l'acquisition de porte-voix numériques ou la création, préconisée par le SNMO, d'un dispositif de panneaux à message variable.

Concernant la formation, nous essayons de faire à peu près la même chose que ce qu'a décrit Pascale Regnault-Dubois, à ceci près que nous ne bénéficions pas d'un module initial – mais nous nous rattrapons sur ce point grâce à la sous-direction de la formation de la préfecture de police.

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